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Espagne : Pedro Sánchez, ce pompier pyromane du danger fasciste

Espagne

Lien publiée le 13 janvier 2020

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/130120/espagne-pedro-sanchez-ce-pompier-pyromane-du-danger-fasciste

A lire des commentateurs, l'Espagne vient de connaître l'évènement-avènement d'un "gouvernement progressiste". D'autres, en France, dans la désorientation qui gagne actuellement les partisans de Mélenchon, se prennent à croire qu'une solution à gauche, qui sait, importable, serait en train de se dessiner outre-Pyrénées. Les lignes qui suivent expliquent le pourquoi de ce conditionnel

A Joris, en son jour anniversaire.

Voilà donc le nouveau gouvernement en ordre de marche. Gouvernement progressiste (PSOE-Unidas Podemos) nous dit-on.

Au risque de décevoir certains qui sont de toutes les luttes pour que la Catalogne jouisse de ses droits démocratiques, je ne peux pas me reconnaître dans ce gouvernement. A ceux ou celles qui penseraient qu'il n'appartient qu'aux Espagnols et plus précisément aux Catalans de se prononcer sur le sujet, j'indique que j'ai la nationalité espagnole (comme la française). Ce qui, au demeurant, ne me donne pas plus le droit qu'à un mononational, français, de dire ce qu'il pense de la question. Pour faire bref sur ce point, je conserve une fibre "internationaliste" qui me fait me mêler de tout ce qui touche aux hommes et aux femmes du monde sans prétendre à rien d'autre qu'à donner un avis sur ce qui les concerne. Et qui, plus que jamais, à l’ère de la mondialisation, me concerne !

Cette précaution oratoire étant prise, je voudrais dire pourquoi ce gouvernement m'inspire une profonde méfiance, c'est peu dire. Pour ce faire, je voudrais m'arrêter aujourd'hui seulement à ce que je lis souvent comme étant l'argument massue pour le soutenir ou, au moins, lui permettre, par abstention de certains de ses opposants démocratiques, qu'il soit investi : face au danger de l'extrême droite et de la droite qu'elle extrémise, il faut donner sa chance à la moins mauvaise des solutions démocratiques, en l’occurrence, au dit gouvernement de coalition entre le PSOE et Podemos (Unidas Podemos, en tant que telle, n'y étant, en fait, que secondairement impliquée). Or, si l'on veut bien se référer aux évènements qui ont récemment (décembre 2018) permis l'émergence électorale de Vox (11% au parlement andalou) et le déplacement politique vers lui de la droite (PP et Ciudadanos), je crois que l'on peut difficilement échapper à un constat implacable : le PSOE en porte une écrasante responsabilité. Son attitude face aux évènements de Catalogne en constitue la preuve la plus évidente. Ce parti et, en son nom, Pedro Sánchez se sont en effet non seulement alignés sur le gouvernement de Mariano Rajoy pour que la répression la plus féroce s'abatte sur le mouvement d'autodétermination porté par l'indépendantisme catalan, ils ont été des acteurs politiques majeurs de cette répression.

Le putsch du 155 a été approuvé par les socialistes ainsi que les procédures judiciaires contre le processus d’ensemble et les loufoques emprisonnements préventifs sur deux ans des leaders de l'indépendantisme. La sauvage répression policière des citoyens mobilisés pour le référendum du 1er octobre 2017, itou. Tout au plus certains dans ce parti ont eu le vague à l'âme ... en accusant les partis indépendantistes d'être responsables d'avoir exposé les gens à cette répression. Façon hypocrite (une qualité majeure du PSOE, à côté du frère jumeau, le cynisme) d'exonérer la police mais aussi la droite gouvernante de leurs méfaits !

Cela c'était du temps où le PSOE était dans l'opposition, or, une fois arrivé au pouvoir (juin 2018), il n'a eu de cesse, sur la question catalane, de confirmer cet engagement initial aux côtés de la droite, en en reconduisant la politique qui a nom "judiciarisation" du politique : les condamnations des dirigeants indépendantistes se sont produites sous gouvernement socialiste et la répression « socialiste » des manifestations d'octobre dernier dénonçant ces condamnations n’ont pas pâli de la comparaison avec les violences « populaires » d'octobre 2017. Par ailleurs, pour ceux qui voudraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes sur la démocratique « séparation des pouvoirs » qui justifierait que Pedro Sánchez n’ait pu que laisser faire les juges, on ne peut oublier que la Abogacía del Estado, qui représente le gouvernement, a siégé à ce tribunal politique en appelant à des condamnations, aux côtés, tiens donc, de « l’accusation populaire » assurée par Vox et dans le même sens que lui ! Est-il possible d’oublier comment, au cours même des toutes dernières campagnes électorales, Pedro Sánchez et ses camarades ont martelé que, face à l'indépendantisme, il n'y avait place que pour la main de fer sans même gant de velours. Nous avons même eu droit à la menace de récidive (version progressiste ?), celle d'instaurer un nouveau 155 si l'indépendantisme s'avisait de conserver le cap de République catalane. En somme le PSOE chassait ouvertement à ce moment-là sur les terres politiques de la droite et de l’extrême droite.

Pour ne pas en rajouter sur ces points (et il y aurait matière à le faire), je voudrais souligner ceci : si l’on en revient au danger de l’extrême droite (en y incluant la droite que je qualifie d’extrémisée), le PSOE ne peut pas sérieusement être posé aujourd’hui comme le principal parti pouvant y faire barrage pour la raison d’abord, comme nous l’avons vu, qu’il a largement contribué à incendier les esprits sur tout le territoire, hors évidemment la Catalogne, sur ce qui est l’ingrédient, hélas toujours actif, de cette voxisation, non seulement des partis et de la justice mais aussi, plus généralement des esprits : la catalanophobie et son corollaire de l’unité intouchable de l’Espagne ! Mais que dire aussi de la nomination, lors du précédent gouvernement, au poste clé des Affaires Etrangères, d’un anti-indépendantiste radicalisé ayant défilé à Barcelone, lors des évènements d’octobre 2017, dans des manifestations comptant dans ses rangs l’extrême droite et la droite extréme-droitisée et ayant pris la parole en leur présence en reprenant leurs mots ? Je veux parler de Josep Borrell, propulsé aujourd’hui, toujours avec l’appui de Pedro Sánchez, à la tête de la diplomatie européenne !

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Sánchez, président (de gouvernement)

Personnages du haut : au centre, surdimensionné, Pedro Sánchez déclare "Cela a été dur. Mais j'ai les appuis suffisants !", à sa droite, Gabriel Rufián (ERC), le dirigeant des nationalistes modérés basques du PNV, à sa gauche, Pablo Iglesias (Podemos) et le dirigeant d'un petit parti aragonais (Teruel existe).

Personnages du bas : devant le tank, la Guardia Civil, pistolet au poing. Devant, les promoteurs du putsch : Pablo Casado (PP) qui dit "Nous allons lui démontrer ce que c'est d'avoir les appuis suffisants. Messieurs, direction le Congrès des Députés ! Plus à droite, Santiago Abascal (Vox) et Inés Arrimadas (Ciudadanos)

El Jueves (1)

Alors, bien sûr, on m’objectera que nous n’avons plus le même Pedro Sánchez, que désormais il s’est même engagé à déjudiciariser la politique et d’abord le conflit catalan, enfin reconnu conflit politique et non délit, que même c’est la négociation qui prévaudra sur le sujet (mais non la libération des prisonniers par amnistie ou grâce). On m'opposera également que, par son abstention lors de l’investiture dudit socialiste, il s'est trouvé un parti indépendantiste (c'est dire), ERC, qui avalise ce qui serait un tournant politique majeur. Je trouve pourtant qu’il y a matière à douter du sérieux d’une telle mutation en revenant, là aussi, en arrière, oh, pas très loin en arrière… Juste avant l’élection du 10 novembre dernier qui a débouché sur l’intronisation de ce nouveau gouvernement : pendant toute la campagne Pedro Sánchez a joué du ressort de la « mano dura » contre l’indépendantisme mais aussi, d’une façon au demeurant ignoble et méprisante, contre le parti qui devrait contribuer, à l’égal d’ERC, à crédibiliser que nous aurions enfin, sans rire, un « gouvernement progressiste », je veux parler du pitoyable Podemos. Un parti dont Pedro Sánchez a obtenu qu’il s’aplatisse comme il a été peu de fois donné de voir un parti s’aplatir comme il a fait, afin d’obtenir son feu vert pour entrer au gouvernement. Pourquoi faudrait-il croire qu’un changement aussi radical depuis un antipodemisme virulent et un anti-indépendantisme non moins virulent jusqu’à un propodemisme corsetant au plus serré Iglesias et Cie sur le social et un « négociatisme » sur la Catalogne s’annonçant ne négocier sur rien qui ait à voir avec l’autodétermination et l’indépendance ne pourrait pas tout simplement, si je puis dire, s’inverser en son exact contraire, un virage à droite, direction le « centre » : dans quel but ? Celui d’avoir fait la démonstration de la capacité du PSOE à stériliser/domestiquer, en les piégeant comme ses partenaires ou interlocutrices, deux options politiques, celle des communisto-chavistes et celle du principal pôle indépendantiste, jugées dangereuses pour le cœur du système en place : les élites économiques pas absolument convaincues que l’extrême-droitisation soit vraiment la formule adéquate, en particulier vis-à-vis de l’UE, pour maintenir leur domination. Démonstration incidente aussi qu’une fois décisivement affaiblies ces deux radicalités, le girouettisme socialiste pourrait lui permettre de s’atteler à une recomposition politique systémique cherchant à consolider un centrisme, certes de choc, s’attirant des cadres d’un Ciudadanos aujourd'hui en perdition politique, voire quelques pans libéraux du PP mais aussi, comme le « felipismo » avait fait en se gagnant des figures du PCE et même de l’extrême gauche, des secteurs « réalos » (beaucoup d’iglésistes) de Podemos et les déjà quasiment acquis chez les ex-podémites de Iñigo Errejón, sans parler de ceux qui, par exemple dans le PDeCat, puigdemontiste quoique pas tout à fait, mais aussi dans une partie de l’appareil d’ERC (les amis de Joan Tardà) n’ont pas renoncé à l’idée que, suite à la défaite indépendantiste de 2017, l’autonomisme catalan (certes amélioré) aurait encore un avenir.

Au pari fait, à propos du progressisme du nouveau gouvernement, de l’amnésie, une plaie politique structurellement ouverte comme séquelle de cette Transition ayant réussi à imposer, malgré le processus de la Mémoire Historique, d’oublier les crimes franquistes, je crois pertinent d’opposer un autre pari, celui de la défiance et de la mise en garde quant à la mystification qui travaille cette formule du nouveau gouvernement. Trop d’indices d’insincérité et d’opportunisme politicien chez un personnage comme Pedro Sánchez, complétés par ce que nous devrions savoir d’une orientation de fond (maintenue sous l’œil vigilant de sa droite) de son parti, le PSOE, comme parti prosystème (promonarchie, pro article austéritaire 135 de la Constitution, pro155 anticatalan, etc.) permettent de craindre que le faux progressisme de ce gouvernement n’ouvre un nouveau cycle de démoralisation dans de larges secteurs de la population pris au piège de la confiance ingénue en des promesses qui, on le sait, n’engagent que ceux qui y croient. Avec le risque, par rebond que le danger « fasciste » dont on voudrait nous faire croire qu’il faudrait le contenir en faisant confiance à l’un de ses principaux activateurs, ne s’affirme plus fort en profitant de ladite démoralisation provoquée par ces jeux politiciens de retournements. Jeux auxquels se sont finalement adonnés tous les « progressistes », pas seulement ceux du PSOE, mais aussi de Podemos, d’ERC sans oublier les syndicats Commissions Ouvrières et UGT qui ont fait le forcing pour que l’on croie en ce « progressisme » de gouvernement.

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La couverture du célèbre hebdo satirique El Jueves (voir plus haut) donne, de par le sourire carnassier dont elle le dote, une représentation suggestivement inquiétante de Pedro Sánchez qui tranche avec le sourire forcé ou mitigé des soutiens qu'il s'est gagnés à la force du poignet tandis que la droite est saisie dans la dynamique radicalement belliqueuse qu'elle a adoptée vis-à-vis de lui au débat d'investiture et qui l'associe au putsch réel par lequel, en 1981, le Garde Civil Antonio Tejero prit en otage pendant quelques heures le Congrès. Cette illustration rend bien compte des forces en jeu sans toutefois cerner, comme je m'y essaie ici, la double manoeuvre du dirigeant socialiste ayant contribué à la montée en puissance de la radicalisation "franquiste" à droite et, par l'instrumentalisation de ce danger "putschiste", cannibalisant à son profit politicien la gauche (espagnole et catalane) et quelques modérés.

Antoine

(1) Remerciements à mon camarade Felipe pour m'avoir transmis cette couverture.