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Le Parti Travailliste doit non seulement prendre acte du Brexit, mais s’en saisir
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Source : The Guardian, Larry Elliott, 20-12-2019
C’est la seule option pour que le Parti revienne dans la course : la défense d’un Royaume-Uni de gauche hors de l’UE.
Un travailleur du port de Blyth, dans le Nord-Est, qui a voté conservateur pour la première fois. « Les électeurs des anciennes régions industrielles de Grande-Bretagne ne sont pas des idiots ». Photographie : Lindsey Parnaby/AFP via Getty Images
La Grande-Bretagne moderne a été façonnée par deux événements : la crise bancaire de 2008 et le vote du Brexit huit ans plus tard. Boris Johnson a accédé au 10 Downing Street parce que les conservateurs ont tiré les bonnes leçons de ces épisodes – ce que les travaillistes n’ont pas fait.
Les conservateurs ont compris que les mesures qu’ils ont prises suite au krach financier – imposant une période prolongée d’austérité qui a réduit le niveau de vie – étaient impopulaires et mauvaises. Ils ont également compris que Brexit était une révolte contre l’austérité et l’économie de marché en général ; ils ont donc opté pour le leadership pro-Brexit et se sont positionnés comme le parti interventionniste de la classe ouvrière.
Le parti Travailliste a compris la première partie de cette histoire mais pas la seconde. Lors de cette élection générale, il a cherché à dissocier l’austérité du Brexit – avec des résultats désastreux. Les travaillistes ont gagné des sièges en 2017 lorsqu’ils ont déclaré qu’ils respecteraient le résultat du référendum, mais ils ont vu leurs fiefs électoraux se désagréger à mesure qu’ils glissaient progressivement vers le « rester dans l’UE ». Ayant choisi de ne pas écouter ce que disaient les électeurs de ses anciens fiefs, le Labour semble aujourd’hui abasourdi en constatant qu’ils se sont reportés sur un parti qui l’a fait.
La position des travaillistes sur le Brexit n’est pas la seule raison pour laquelle ils ont perdu les élections. Le nombre de sièges que le parti remporte diminue, scrutin après scrutin à une exception près, depuis 1997. Corbyn a inversé la tendance en 2017 et, malgré un score similaire à celui de Gordon Brown lors de sa défaite de 2010, il y avait espoir que les travaillistes arrivent à éviter l’effondrement politique qu’ont connu les partis sociaux-démocrates en Allemagne et en France. Mais pour ce faire, le Labour devait préserver sa large coalition électorale.
Le problème est devenu évident au fur et à mesure que la campagne avançait. Les électeurs des anciennes régions industrielles du pays ne sont pas des imbéciles. Ils ont pu constater que les travaillistes, initialement favorable au respect des résultats du référendum en 2016 sur le Brexit, souhaitait désormais accorder au peuple une seconde opportunité de se prononcer (pour un résultat différent) en 2019.
Ensuite, lorsque les les sondages d’opinion ont montré la perte probable de sièges dans leurs fiefs historiques, les travaillistes ont aggravé la situation en proposant en panique une série promesses électorales coûteuses. Beaucoup d’électeurs ont perçu ces promesses comme une insulte à leur intelligence, ce qu’ils étaient vraiment.
Tout cela laisse le Parti travailliste dans une situation lamentable. Les conservateurs sont au pouvoir pour au moins les cinq prochaines années et des circonscriptions autrefois imperdables ont été perdues. Mais le pire, c’est l’incapacité – pour la deuxième fois en dix ans – à transformer l’essai quand toutes les conditions sont réunies en faveur d’un parti de gauche.
La crise financière a marqué un tournant pour le libéralisme économique mondial, car son principe fondamental – à savoir que les marchés fonctionnent d’autant mieux que les États se tiennent à l’écart – a été remis en question. Le Brexit a été l’une des manifestations du rejet de l’orthodoxie, mais une grande partie de la population britannique qui était contre n’a pas réussi à le comprendre. Au lieu de voir dans le Brexit un vote en faveur d’un autre type d’économie, elle a diabolisé les électeurs favorables au départ de l’UE en les qualifiant de xénophobes et de racistes. Elle a décidé très tôt que quelle que soit la forme que prendrait le Brexit, ce serait pire que le statu quo.
C’était un argument curieux, car il présupposait que rien ne change jamais : qu’il n’y aurait pas de nouvelles politiques, pas de tentatives d’améliorer ce qui existe actuellement, pas de tentatives de répondre aux problèmes à court terme que le Brexit pourrait causer. De ce fait, les propositions du Parti travailliste avec sa banque nationale d’investissement et son programme keynésien d’infrastructure n’auraient fait aucune différence non plus.
Le Brexit a déjà été un catalyseur de changement. Il a contraint le gouvernement à dépenser plutôt qu’à économiser. Les conservateurs sont déterminés à augmenter le salaire minimum et ils se sont engagés à utiliser l’argent économisé en annulant une réduction prévue de l’impôt sur les sociétés pour le consacrer au NHS [National Health Service, NdT]. La nécessité d’une intervention de l’État dans l’économie est aujourd’hui acceptée : la politique régionale est de nouveau à la mode.
Donc les travaillistes anti-Brexit doivent faire un choix. La première option est de passer directement du soutien à un second référendum à une défense de la réintégration dans l’UE. C’est une stratégie entièrement négative et qui supposerait que les électeurs britanniques, regardant la croissance lamentable de l’autre côté de la Manche, se diraient « Nous voulons ce qu’ils ont ». Cela semble assez improbable.
La deuxième option consiste à accepter à contrecœur que le Brexit est une réalité et que l’approche des travaillistes devrait être de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ce serait la continuation de la stratégie de triangulation de Corbyn et cela aurait le même résultat néfaste. Le message envoyé aux électeurs pro-Brexit serait le même que celui qui a été constamment envoyé à ceux qui veulent rester dans l’UE depuis 2016 : vous vous trompez, bande d’idiots. Cela ne semble pas être une très bonne façon de reconstituer ses fiefs électoraux.
La troisième stratégie est la plus difficile à avaler pour les opposants au Brexit, mais c’est la seule option qui offre une voie de retour aux travaillistes : s’emparer du Brexit et plaider pour une version de gauche de la Grande-Bretagne en dehors de l’UE. Cela pourrait prendre plusieurs formes : un transfert de pouvoir aux maires locaux ; un nouveau pacte pour le Nord ; un soutien de l’État à l’industrie verte qui fournirait des emplois bien rémunérés dans chaque circonscription. Il faut faire preuve d’optimisme et penser que les choses peuvent s’améliorer, plutôt que de dire aux gens qui luttent sans être dans la misère que seule l’aide de l’État peut soulager leur détresse.
Le choix est simple : commencer à monter un projet progressiste post-Brexit, bien ou faire la tête et regarder les Tories définir l’agenda politique.
– Larry Elliott est le rédacteur économique du Guardian
Source : The Guardian, Larry Elliott, 20-12-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.