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Contrôle continu du bac : le naufrage d’un simulacre d’examen
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Julián Payasa, enseignant, revient sur les nouvelles épreuves communes de contrôle continu (E3C) qui se tiennent pour la première fois dans tous les lycées de France, pour les élèves de première des voies générale et technologique. Pour lui, il s'agit d'un simulacre d'examen, inégalitaire.
Alors que le désarroi d'une partie du corps enseignant est patent et qu'apparaissent les premiers couacs du déploiement national des épreuves du nouveau baccalauréat, comment expliquer la défiance qui accompagne l'application des nouvelles modalités qui en résultent ? Comment comprendre le zèle enseignant et le fondement des craintes qu'il exprime de manière souvent épidermique, parfois vindicative, alors même que la classe politique se veut rassurante quant à la pertinence, l'équité, le bien-fondé, et la valeur dogmatique et testimoniale des épreuves rénovées ? Quelle grille de lecture et quelle portée octroyer aux pétitions qui circulent, aux rétentions passives, et autres stratégies industrieuses d'évitement face à la prégnance qui anime les instances dirigeantes, et à leur volonté affermie de ne pas céder au chantage ni à l'inertie ?
Comment en somme appréhender les tenants et aboutissants des réticences sans tirer de conclusions hâtives sur la capacité du corps professoral à s'opposer pour s'opposer, au-delà de toute mise en perspective des enjeux, ou de la nécessité non nécessairement infondée de refonte des pratiques pédagogiques ? Comment, en d'autres termes, envisager avec empathie les craintes qui hantent les salles des profs du secondaire, en outrepassant la représentation stéréotypée et erratique de fonctionnaires soucieux de défendre leur pré-carré et leurs acquis, et vertement présentés comme rétifs, par principe, à l'idée même de changement, qu'il soit ou non motivé, ou qu'il aspire à être réfléchi en bénéfice des premiers concernés, j'ai nommé les élèves ?
UN FAUX EXAMEN
La légitimation des réponses à ces questionnements arborescents et clivants tient en premier lieu dans la situation d'urgence qui est venue accompagner la confection des sujets du nouvel examen des E3C. Si l'on s'en tient rigoureusement à la communication de ces supports en direction des personnels enseignants, il semble difficile de passer sous silence les délais on ne peut plus ramassés et le fait que certaines banques de ressources étaient nouvellement alimentées par des sujets sortis d'on ne sait quel chapeau il y a encore une quinzaine de jours : preuve ostensible de la faible anticipation, née de directives promulguées à la hâte, et qui plus est désincarnée de toute cohérence pédagogique entre les programmes dorénavant obsolètes suivis par les élèves-candidats l'an passé en Seconde et les enseignements de Première, rénovés à la rentrée 2019. A cet égard, les courts laps de temps octroyés à l'appréhension exhaustive de ces supports d'examen ne sont pas sans exacerber des décalages non négligeables entre les progressions enseignantes, calquées sur les nouveaux programmes en vigueur, et des sujets aux ancrages parfois peu en prise avec les attendus formalisés en cours.
Les doutes résultant de ces considérations viennent en outre faire écho à la crédibilité toute relative d'épreuves passées en milieu d'année alors même que les banques de ressources sont censées balayer les programmes dans leur intégralité. En conséquence directe, considérer que les choix effectués seront susceptibles d'avantager ou de léser certains groupes d'élèves au sein d'un même établissement est loin d'être une vue de l'esprit. Qui plus est quand on sait que ces arbitrages incombent a priori au personnel administratif, sans garantie formelle de son degré de compétence pour statuer sur les propositions restreintes sélectionnées par les équipes enseignantes, non décisionnaires des choix entérinés, mais supposément en première ligne de potentiels griefs de parents en cas d'impair avéré, ou de non conformité entre la teneur de l'épreuve et les contenus étudiés au long des semestres. Car l'honnêteté intellectuelle ne pourrait occulter cette vertu avérée : malgré les apparences trompeuses, le but avoué de cette batterie d'épreuves de "Contrôle Continu" est bien d’apposer le sceau de la conformité au travail effectué au sein des classes, envisagé comme un continuum d'apprentissages indissociables de cette validation formative de compétences.
La réalité de terrain tend à démontrer les degrés d'exigence professorale finissent par se confondre et par s'adapter aux établissements dans lesquels exercent les enseignants.
En marge de ces considérations, sans doute est-il nécessaire et opportun de s'étendre sur la disparité de ces supports d'examen dont l'étalonnage est loin d'être homogène, et qui laisse pantois quant à la nécessité impérieuse pour les équipes enseignantes de circonscrire le degré d'exigence au public cible de l'établissement pour garantir un niveau de réussite au diapason des expectatives et des projections des familles, pour le moins angoissées par l'omnipotence algorithmique dictée par les critères de sélection du supérieur, et par les seuils de résultats à obtenir. À cet égard, quelle que soit la teneur de cette coloration clientéliste ancrée dans les établissement du secondaire, difficile d'imaginer un enseignant déjuger le travail effectué dans son propre lycée : par ses collègues, ou par lui-même les années précédentes, et ce en dépit de l'anonymisation des copies d'examen. Difficile de croire par ailleurs que les choix entérinés ne seront pas motivés par la volonté exacerbée de ne pas mettre en défaut la relation filiale qui lie l'enseignant à ses élèves, en prenant soin de choisir des sujets rebattus et en bannissant toute forme d'inconnue pédagogique. Même si elle n'a pas vocation à le démontrer, la stratégie imaginée par certains proviseurs pour rendre caduques des épreuves dont les thématiques seraient connues de tous en amont même des révisions, est le révélateur de cette relation marchande inéluctable et irraisonnée.
POLITIQUE MONOMANIAQUE DU CHIFFRE
La réalité de terrain tend en outre à démontrer qu'indépendamment des examens les degrés d'exigence professorale finissent par se confondre et par s'adapter aux établissements dans lesquels exercent les enseignants. En corrélation logique avec le niveau des élèves, un professeur soucieux de tirer parti de la note comme levier pédagogique dans l'optique d'accompagner au mieux ses élèves vers un chemin de réussite balisé, aura de fait naturellement tendance à modeler et niveler ses critères d'attente ; cela, en fonction des établissements d'exercice, au cours de la carrière ou d'une même année scolaire, voire même en fonction des classes. De cette approche didactique et de ce souci d'adaptabilité naissent nécessairement des confluences et une porosité qui, dans le cas de ces nouvelles épreuves de baccalauréat, est susceptible d'aboutir non pas à des disparités patentes comme on pourrait être prompt à en préjuger, mais bien au contraire à de très grandes convergences résultant d'un nivellement des notes vers la conformité, au détriment des critères discriminants les plus élémentaires. De là, l'idée que les notes obtenues, qu'elles subissent ou non la pression des chefs d'établissement, le poids sociétal des familles, les éventuelles invectives des élèves eux-mêmes - comme ce fut le cas à Athis-Mons (91) il y a quelques mois-, ou qu'elles soient tout bonnement en conformité avec le degré de cohérence et d’imprégnation de chacun indépendamment de toute remise en cause de la probité du corps professoral, auront une valeur étalon plus que relative, du fait des partialités exacerbées par ce nouvel examen, et du fait des divers choix de sujets, aux latitudes disparates.
Pour faire court, et c'est bien là l'ironie de la chose, ces nouvelles modalités semblent donc occasionner beaucoup de bruit et de tourment pour une incidence qui reste inopportunément à nuancer, puisque jusqu'à preuve du contraire le creuset des iniquités, des inconséquences, et des incohérences qui l'accompagne ne semble avoir de répercutions si ce n'est celles de plausiblement justifier les velléités outrancièrement égalitaristes portées par les instances. Des visées qui seront à l'évidence entérinées en toute innocence par les commissions d'harmonisation, vraisemblablement amenées à lisser les résultats en faisant feu de tout bois, et en les nivelant par le milieu a posteriori. Envisagée comme une aubaine pour les établissements en quête légitime de revalorisation, et jusqu'alors mis au ban du révélateur omnipotent des canons de réussite, cette perspective en devient des plus inquiétantes dès lors qu'on l'envisage sous le prisme unique de cette politique monomaniaque du chiffre : incarnation comptable de taux d'efficience devenus synonymes à bas coûts d'une réussite impérative et impérieuse, voire garantie.
BALAYER LA VOLONTÉ ENSEIGNANTE
Le dernier point, mais non des moindres, posant indubitablement question, réside enfin dans l'organisation des examens en soi, qui, puisqu'il s'agit d'épreuves de "contrôle continu" n'a pas vocation à s'effectuer sur des temps déchargés, ni avec les modalités normées d'un examen tel qu'on l'entend (nombre de candidats restreint par salle de composition, créneaux banalisés et communs à la passation d'une même épreuve, double surveillance, personnel surveillant qualifié et au fait des spécificités de l'épreuve). La complétude des contraintes nées de cette réalité de terrain, nécessaire au bon déroulement de ces épreuves, fait là encore débat. Qui serait suffisamment auto-convaincu pour affirmer à haute et intelligible voix que les conditions de passation sauraient déjouer d'éventuelles fuites, alors même que certaines épreuves se verront échelonnées sur des laps de temps susceptibles de permettre les communications entre candidats hors des salles d'examen sur des créneaux distincts ?
Qui serait naïf au point de croire qu'une épreuve d'Histoire-Géographie qui prévoit l'élaboration d'un croquis se déroulera sans tricherie et sans encombre à 36 élèves entassés dans une salle en présence d'un unique "appariteur"? Qui serait assez ingénu pour considérer que tous les élèves composant en mathématiques respecteront l'injonction solennelle d'activer le mode "examen" de leur calculatrice, alors même que l'enseignant désigné pour les surveiller ignore possiblement jusqu'à l'existence de cette fonctionnalité ? Que penser du revers de main venu balayer la volonté enseignante avortée de différencier les sujets pour éviter l'écueil de la fraude ? Et comment ne pas ironiser sur ces candidats ayant pris le parti de mettre en scène, portable à la main, les dysfonctionnements des épreuves ?
Puisqu'à l'évidence, au-delà de l'opinion publique que l'on dupe en maintenant ce type d'épreuves, ce sont, en premier lieu, les élèves que l'on lèse.
Enfin, quel esprit suffisamment clairvoyant et intellectuellement honnête peut se prévaloir de garantir un usage homogène de grilles de correction aux descripteurs impressifs et poreux, dont la lecture inconséquente laisserait le champ libre à des degrés d'appréciation on ne peut plus hasardeux ? Eu égard au peu de cas qui est fait de ces considérations, la fin de non recevoir apportée en réponse à ces interrogations, pourtant légitimes et fondées dans l'optique d'un examen, participe d'une fuite en avant qui laisse dubitatif quant à la valeur intrinsèque de ces évaluations. À raison, tout un chacun peut en conséquence se demander si elles sont véritablement le révélateur plus ou moins imparfait et sans faux-semblant d'un niveau d'acquisition et de savoir-faire, ou un rideau de fumée venu servir de prétexte, de finalité, et de cautionnement trivial aux "rénovations pédagogiques" et budgétaires engagées en haut lieu. Puisqu'à l'évidence, au-delà de l'opinion publique que l'on dupe en maintenant ce type d'épreuves, ce sont, en premier lieu, les élèves que l'on lèse.