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D’un obscurantisme à l’autre

féminisme

Lien publiée le 19 avril 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2021/04/18/dun-obscurantisme-a-lautre-par-robert-duguet/

Présentation

Cet article de Robert Duguet vient en commentaires de l’article de Vincent Présumey intitulé « L’idéologie ambiante ». Ce dernier texte est une contribution à la discussion tout comme celle de Robert Duguet.

Un exemple : Judith Butler ou le retour à la case Lacan.

Sur le thème La femme n’existe pas ! Vincent Présumey écrit à propos de la philosophe américaine Judith Butler :

« La démonstration s’appuie sur la place centrale accordée au langage, en tant qu’acte performatif (Butler se sert ici des analyses d’Austin, mais passées au filtre de Derrida), dont l’exemple classique est le cri « C’est un garçon » ou « C’est une fille » lors de l’accouchement ou à l’échographie, présenté ici comme le premier acte performatif, constitutif, et dominateur, par lequel opère l’« assignation » de genre aussi bien que de sexe. De la même manière Freud est tordu dans un sens quasi idéaliste qui l’aurait fort surpris, puisque Butler interprète le développement de ses théories comme signifiant que le corps est une projection de l’ego ».

Si l’on simplifie le propos de Judith Butler, en laissant de côté pour les importuns marxistes que nous sommes son langage prétendument scientifique, elle donne la place centrale au langage. C’est lui qui, en dernier ressort constitue la réalité. Pour reprendre la conception du philosophe idéaliste absolu, celui que Lénine appelait l’évêque Berkeley, lui avait le mérite de la clarté : le monde est une catégorie à priori de la sensibilité. Non une réalité objective, existant en dehors de la perception que je peux en avoir. Si l’on pousse l’idéalisme dans ses plus ultimes retranchements, le monde n’existe pas sans une intelligence humaine pour le percevoir.

Pour les militants de ma génération, la conception de Judith Butler nous ramène quarante ans en arrière. Dans les années 1970-1981 le grand prêtre Lacan officiait à la tête de l’école freudienne. La découverte de la psychanalyse a représenté au début du XXème siècle l’ébauche d’une science de l’appareil mental humain. Trotsky du reste avait fréquenté à plusieurs reprises les cercles viennois durant sa période d’exil et pensait à juste titre que Freud ébauchait une connaissance matérialiste du psychisme humain. Ce dernier est le lieu d’une confrontation entre le ça, ou réservoir des pulsions, et le sur-moi ou instance intériorisant les interdits de la vie en société. Ce qui fait la spécificité du psychisme humain réside dans le moi, instance qui négocie un compromis entre les exigences du ça et les règles établies par une société donnée. A partir de là, Freud va construire sa théorie du transfert et de la sublimation : l’individu va détourner son désir vers diverses activités sociales ou spirituelles. Freud va au-delà du terrain spécifique de la psychanalyse et élabore une conception du monde dont certaines sont progressistes – son élaboration sur l’origine de la vocation artistique par exemple – et d’autres sont très contestables. Aussi génial que fut Sigmund Freud, sa pratique sociale et le milieu sur lequel il exerce sa découverte – la petite bourgeoisie aisée de Vienne – l’ont conduit à défendre des choses réactionnaires. Par exemple, l’explication du nazisme dans Malaise dans la Civilisation par l’irruption du Thanatos ou instinct de mort dans l’Histoire.

Ce sont précisément les aspects les plus contestables qui vont être repris par Lacan et l’école freudienne. Pour comprendre, il faut d’abord s’embourber le prédicat idéaliste suivant : « l’inconscient est structuré comme un langage », fondement de la méthode lacanienne. Un exemple : le signifiant des signifiants c’est le phallus. L’homme a peur de perdre son phallus et la femme est en détresse parce qu’elle ne possède pas de phallus. C’est l’aspect le plus réactionnaire de Freud qui est ici repris. Lacan écrit et dit : « la femme n’ex-siste pas », le verbe exister tronqué de cette manière. L’homme se projette dans son activité sexuelle. La femme ne peut pas se projeter, elle ne peut se projeter qu’à travers le désir de l’homme.

On voit que l’idéologie réactionnaire que Vincent Présumey décortique dans la partie de son article intitulée « La femme n’existe pas ! », n’est pas particulièrement originale, malgré l’enrobage pseudo-scientifique. Lacan nous avait déjà servi ce plat faisandé il y a quarante ans : il sera en vogue après la Grève Générale de 1968, que j’analyse aujourd’hui non comme une répétition générale de la révolution prolétarienne en France mais l’entrée dans une nouvelle période où l’absence de perspective anticapitaliste va permettre le recul mondial que nous sommes en train de vivre.  

L’aboutissement, c’est le recours à une conception religieuse pour faire accepter le monde tel qu’il est. Saint Jean de Lacan professe :

« Ainsi le renversement goethéen de sa présence aux origines, « Au commencement était l’action », se renverse à son tour : c’était bien le verbe qui était au commencement, et nous vivons dans sa création, mais c’est l’action de notre esprit qui continue cette création en la renouvelant toujours. »

Goethe, qui décrit poétiquement la capacité de Faust de transformer par le travail et l’action l’environnement naturel, pour la mettre au service de la civilisation, finit son propos sur le célèbre « Am anfang war die Tat » (Au commencement était l’action). L’apôtre Jean qui rédigea vraisemblablement à la fin du 1er siècle son évangile et qui fonde la théologie chrétienne, écrit ces premières lignes : « Au commencement était le verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu… » Dans le rite catholique ce texte est central puisqu’il est lu à la fin de chaque messe.

La théorie lacanienne finit dans un discours clérical et réactionnaire : mais ceci n’est qu’un manteau idéologique, l’école freudienne a prospéré financièrement de manière juteuse sur les états d’âmes de la petite bourgeoisie aisée en mal-être psychologique…

Quels outils pour combattre ce nouvel obscurantisme ?

Lorsque l’université française et ses départements des sciences humaines était envahie par cette pensée obscurantiste, qui n’est d’ailleurs qu’un segment du structuralisme. Je prends l’exemple de Lacan, mais on pourrait décortiquer la pensée structuraliste et démontrer qu’elle n’est qu’un retour à l’examen de la chose en soi, un retour au mode de pensée métaphysique. Dans des formes philosophiques opaques, obscures qui ne traduisent pas autre chose que le crépuscule barbare de la société bourgeoise. Notre génération avait à sa disposition des outils pour combattre, des organisations syndicales et politiques. Nous avions en face de nous des militants venus du gauchisme et du stalinisme qui défendaient le structuralisme. Althusser sévissait à Normal-sup. Je me souviens encore d’une intervention fort documentée et polémique de JP.Boudine au congrès d’Orléans de l’UNEF en 1969 contre le structuralisme. Un secteur de l’OCI, animé par des professionnels de l’enfance handicapée, a commencé un travail sur ces questions. Pierre Fougeyrollas a fait un bout de chemin positif dans la critique de ce nouvel obscurantisme : contre la trinité Lévi-Strauss, Lacan, Althusser qui en étaient les grands prêtres…

L’idée qui me semble centrale dans ce nouvel obscurantisme est que l’ordre social est structurel, immuable donc. Chaque individu est renvoyé à sa communauté d’origine, sa race ou sa couleur de peau, sa religion, son genre, sa sexualité, le tout étant chapeauté par le concept d’intersectionnalité, ou cumul de plusieurs oppressions. Même la classe sociale à laquelle il appartient devient un élément comme un autre. Chacun doit assumer et défendre cette identité. Ce n’est pas un choix, c’est une obligation. Enfermer l’homme dans ses identités de nature, c’est purement et simplement un fondement du fascisme…

Aujourd’hui nous avons une remontée en puissance de cette idéologie réactionnaire. Elle contamine des organisations qui appartiennent à l’histoire du mouvement ouvrier. L’effondrement du vieux mouvement ouvrier génère une situation où nous manquons d’outils aujourd’hui pour mener ce combat. Il y a urgence de se donner les moyens de le mener !

RD, le 17-04-2021.