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    Julien Chuzeville, Léo Frankel, communard sans frontières

    LaCommune

    Lien publiée le 26 avril 2021

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://dissidences.hypotheses.org/14264

    Julien Chuzeville, Léo Frankel, communard sans frontières, Paris, Libertalia, collection « Ceux d’en bas », 2021, 280 pages, 15 € pour l’édition papier, 11,99 € pour l’édition numérique.

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    Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque, suivi d’un entretien avec Julien Chuzeville

    On connaissait Julien Chuzeville pour ses travaux d’importance sur les origines du Parti communiste français. A l’occasion du 150e anniversaire de la Commune de Paris, il a choisi de se pencher sur une de ses figures majeures, Léo Frankel, dont il fait à juste titre l’incarnation d’un internationalisme en actes. Il en brosse le portrait de manière relativement classique, débutant par sa naissance en Hongrie, en 1844. Fils de médecin, les données sur sa famille sont pourtant fort lacunaires. Jeune adulte, Léo Frankel se spécialise en tant qu’ouvrier d’art en orfèvrerie, ce qui l’amène à voyager pour se former. Il se retrouve ainsi à Paris à la fin des années 1860, et commence à écrire dans la presse socialiste allemande. D’abord lassallien[1], il adhère à l’Association internationale des travailleurs (AIT), sans doute autour de 1870, fondant la section allemande de Paris dont il est secrétaire-correspondant. C’est une époque où les grèves se multiplient, soutenues par l’AIT, ce qui n’est évidemment pas pour rien dans les poursuites des autorités judiciaires du Second Empire. La défense de Léo Frankel au procès dit de l’Internationale, à l’été 1870, est d’ailleurs reproduite dans les annexes.

    Il est libéré de prison avec la proclamation de la République, et reprend son militantisme, intégrant même la Garde nationale de Paris. Deux axes de sa pensée et de son action se font jour : l’importance de créer un journal, et le souci de l’indépendance de classe (pour les élections en particulier). Sans surprise, il fait partie des premiers soutiens à la Commune, et est élu le 26 mars, comme représentant du XIIIe arrondissement, avec trois autres communards, alors qu’il est toujours étranger. Il intègre alors la Commission du travail et d’échange dont l’action a si fortement marqué l’histoire. Julien Chuzeville revient bien sûr longuement sur ses mesures emblématiques : la reprise possible des ateliers abandonnés par les ouvriers eux-mêmes (parfois critiquée comme trop mesurée, mais que l’on doit plutôt voir comme mesure transitoire), la fin du travail de nuit des boulangers, la suppression des monts-de-piété (envisageant même des indemnités chômage et maladie !), l’idée d’appels d’offres – pour les uniformes de la Garde nationale – privilégiant les entreprises dont les travailleurs sont mieux payés (une leçon toujours d’actualité !)… Il élabora également un projet non abouti qui aurait abouti en faveur de l’égalité entre femmes légitimes et illégitimes.

    Julien Chuzeville développe également beaucoup les tensions croissantes entre la minorité – à laquelle appartenait Léo Frankel – et la majorité du Conseil de la Commune, ce dernier envisageant la répression de la minorité… L’espoir qu’il caressait, comme beaucoup d’autres, d’une révolution pacifique, se brisa sur l’assaut de Versailles (même si la formule de l’auteur de « (…) la guerre civile dévorant la révolution », p. 50, est sans doute trop réductrice, comme pour la révolution russe du reste). Blessé lors des derniers combats, il fut aidé dans sa fuite par la jeune Russe Elisabeth Dmitrieff[2], également membre de l’AIT et combattante de la Commune ; la possible idylle manquée avec celle-ci – envoyée à Paris par Karl Marx –   brièvement évoquée, est une aubaine pour le romancier… Léo Frankel se réfugie d’abord en Suisse, puis à Londres, dans le même temps où il est condamné à mort par contumace en France. Élu au Conseil général de l’AIT, il devient proche de la famille Marx. En 1875, il repart pour l’Autriche-Hongrie, où il s’investit pleinement dans le journalisme ouvrier.

    Il participe en 1878 à la fondation du Parti des non-électeurs (sic), intitulé faisant référence aux limites du suffrage censitaire alors en vigueur et permettant surtout de déjouer la censure anti-socialiste ! Ce dernier fusionne avec l’autre parti socialiste du pays deux ans plus tard, pour former le Parti général des ouvriers de Hongrie. Léo Frankel va toutefois subir la répression du pouvoir et passer deux ans en prison, un séjour qui affecta sérieusement sa santé. A sa sortie, il s’installe à Vienne, où il avait de la famille, par refus de demeurer permanent. Finalement, à l’occasion du congrès fondateur de la Seconde Internationale en 1889, auquel il est délégué, il choisit de s’installer à Paris, de nouveau. Il participe ensuite à tous les congrès de la jeune Internationale, poursuit son travail de journaliste, et fonde même une famille, devenant le père de deux enfants. Il est à cette époque soucieux de l’unité du socialisme français, un article reproduit en annexe – « A propos du mouvement ouvrier français » – s’avérant fort intéressant, de par ses efforts pour rapprocher toutes les différentes tendances du marxisme… Basé sur un travail d’archives, cette biographie peut sembler sans grand éclat, mais c’est avant tout la rançon d’une vie guidée par l’humilité et l’engagement, au service de la cause ouvrière.

    Cinq questions à… Julien Chuzeville

    (Entretien réalisé par voie numérique les 18-19 mars 2021)

    1. On vous connaissait surtout, jusqu’à présent, pour vos travaux sur les origines et les débuts du Parti communiste français. Qu’est-ce qui vous a amené à vous pencher sur le personnage de Léo Frankel ?

    Julien Chuzeville (JC) : Je travaille plutôt sur les courants internationalistes du mouvement ouvrier en général ; c’est donc d’abord le militant de la Première Internationale qui m’intéressait chez Frankel. Son parcours au travers de divers événements, pays, périodes permet à mon avis de saisir la richesse et la cohérence de ce militantisme internationaliste concret. Et ça permet aussi, comme les vies sont collectives, de parler d’autres militantes et militants au fil de ses rencontres.

    2. Léo Frankel, dans votre biographie, apparaît comme un révolutionnaire pur, totalement dévoué à la cause de la classe ouvrière. Pensez-vous qu’il puisse constituer un modèle dans le monde qui est le nôtre ?

    JC : Je ne suis pas d’accord, puisqu’en 1883 il fait le choix de se mettre en semi-retrait, pour justement ne plus se dévouer entièrement à la cause. Il garde les mêmes convictions, mais il ne veut pas faire que ça dans la vie.

    Chaque lecteur pourra trouver ou non des sources d’inspiration dans son parcours et ses textes. Pour ma part, dans le monde d’aujourd’hui un véritable internationalisme me paraît vraiment nécessaire ; donc sans aller jusqu’à ériger Frankel en modèle, je crois qu’il a des choses pertinentes à nous dire en ce début de XXIe siècle.

    3. Vous développez particulièrement son action au sein de la Commune, avec la commission du travail. Comment percevez-vous la Commune en tant qu’historien et en tant que citoyen : est-ce plutôt un crépuscule ou une aube ?

    JC : Ni l’un ni l’autre, c’est simplement une étape dans l’histoire des luttes sociales dans le monde, ainsi que dans l’histoire du mouvement ouvrier.

    4. L’allusion au crépuscule était une référence à un livre de Quentin Deluermoz. Quels sont justement les écrits, récents ou anciens, portant sur la Commune et qui ont votre préférence ? Votre réponse peut bien sûr inclure également des romans ou des bandes dessinées… A l’inverse, quels sont ceux qu’il faut selon vous éviter ?

    JC : Je crois que la formule sur « crépuscule ou aube » vient plutôt de Jacques Rougerie.

    Sur l’état d’esprit versaillais, celui de la bourgeoisie conservatrice, je conseille la chanson ironique « J’aime mon pays » du groupe Sexy sushi. Elle parle d’aujourd’hui, mais les choses n’ont de ce côté pas beaucoup bougé en 150 ans.

    Sur l’état d’esprit communard, le mieux me semble de lire la biographie d’Eugène Varlin par Michel Cordillot (aux éditions Spartacus : https://www.editions-spartacus.fr/Catalogue_par_theme.B/s262447p/Eugene_Varlin_internationaliste_et_communard) ainsi que les textes du même Varlin rassemblés et présentés par Michèle Audin (aux éditions Libertalia : https://www.editionslibertalia.com/catalogue/hors-collection/eugene-varlin-ouvrier-relieur ).

    Il existe de bons ouvrages de synthèse sur la Commune, notamment de Rougerie, mais le livre de référence reste peut-être encore à écrire (je n’essaierai pas de le faire).

    5. Quels sont les sujets sur lesquels vous avez l’intention de travailler prochainement : le XIXesiècle sera-t-il de nouveau privilégié, ou reviendrez-vous au XXe ?

    JC : Les deux à la fois, puisque j’écris actuellement un livre sur la pensée politique de Rosa Luxemburg, et d’autre part une synthèse sur les courants socialistes et communistes en France aux XIXe et XXe siècles.

    [1]    Les lassalliens sont une des fractions antagoniques du socialisme allemand des années 1860-1870. Ils se réclament de Ferdinand Lassalle (1825-1864) théoricien et dirigeant socialiste, par ailleurs en désaccord avec Marx et Engels. Sur l’histoire du socialisme allemand, lire la volumineuse étude (762 pages !) de Franz Mehring, Histoire de la social-démocratie allemande de 1863 à 1891, Pantin, Les bons caractères, 2013, et sa recension sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/4320

    [2]    Il existe d’elle une biographie, de Sylvie Braibant, Elisabeth Dmitrieff. Aristocrate et pétroleuse, Paris, Belfond, 1993. Une recension de ce livre, prochainement sur ce blog.