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Des coopératives se regroupent pour une alternative aux géants du web
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Des coopératives se regroupent pour une alternative aux géants du web (reporterre.net)
Train, covoiturage, forfait téléphonique... Neuf coopératives, qui proposent une alternative solidaire et écologique aux besoins de consommation, s’associent. Loin de viser l’hégémonie, ces « licoornes » montrent qu’un autre modèle est possible.
Besoin d’un prêt consacré à la rénovation énergétique de son appartement, ou envie de payer sa facture de chauffage auprès d’un fournisseur d’électricité verte ? Pour décarboner mobilité, téléphonie, alimentation et énergie, les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) se multiplient… et se regroupent. Neuf de ces Scic, nommées « licoornes » [1] ont mutualisé leurs forces pour proposer une alternative économique solidaire et écologique aux besoins du quotidien. « Entre le tout-privé, qui a de gros défauts et quelques avantages, et le tout-public, qui a beaucoup d’avantages et quelques défauts, nous voulons faire émerger une troisième voie, de forme privée, mais d’intérêt général », décrit Julien Noé, le fondateur d’Enercoop et l’artisan de leur regroupement. Une manière de donner corps au « monde d’après » tant attendu.
Pour y parvenir, le militant associatif compte sur une écurie de talents : Enercoop qui propose de l’électricité renouvelable en circuit court, Telecoop, un service de téléphonie qui responsabilise la consommation de données ; Commown, qui propose la location longue durée d’une flotte d’ordinateurs et de smartphones ; Mobicoop, un service de covoiturage et d’autopartage solidaire ; Railcoop, qui relance la ligne Bordeaux-Lyon abandonnées par la SNCF ; le Label Emmaüs, qui assure une plateforme de commerce en ligne d’objets d’occasion ; La Nef, une coopérative financière qui offre des solutions d’épargne aux projets dédiées à l’économie sociale et solidaire ; Coopcircuits, une plateforme qui met en relation producteurs et clients désireux de consommer en circuit court ; et le dernier venu, Citiz, un réseau d’opérateurs d’autopartage.
Mobicoop est une alternative à Blablacar.
« L’idée est que ce collectif rassemble l’ensemble des offres répondant aux besoins que les citoyens pourraient avoir, et ce, au sein d’un système coopératif dont ces mêmes citoyens peuvent être parties prenantes », explique Marion, cofondatrice de Telecoop. Unir ces différentes offres derrière une appellation commune devrait aussi permettre à ses bénéficiaires de naviguer d’une coopérative à l’autre en fonction de leurs besoins et de leur volonté d’engagement.
Si les offres sont toujours en préparation et ne devraient pas être opérationnelles avant septembre 2021, Julien Noé explique leur intérêt : « Si on entre dans cet écosystème, on accède à tous ses services. Imaginons une offre mobilité multimodale : pour un couple avec deux enfants qui souhaite aller de Lille à Marseille, plutôt que de prendre la voiture, nous allons proposer un Citiz pour aller à la gare, enchaîner un train Railcoop, puis faire du covoiturage pour terminer le voyage avec Mobicoop jusqu’à Marseille. »
« Nos structures permettent aux citoyens de reprendre la main sur l’économie »
Leur socle commun est le statut de sociétés coopératives d’intérêt collectif et sa spécificité : le multisociétariat. « Ce qui en fait des entreprises très politiques, porteuses de projets de société, c’est que leur gouvernance est assurée par les différentes parties prenantes du projet : les producteurs, les salariés, les consommateurs, et les collectivités territoriales qui souhaitent y participer, détaille Jérôme du Boucher, coordinateur à plein temps de l’union des coopératives. Les Scic apportent des garanties fortes sur leur caractère d’intérêt collectif : un sociétaire égale une voix lors de l’assemblée générale. Peu importe qu’il ait 3 % ou 50 % des parts. Celles-ci sont à intérêt lucratif restreint : au moins 50 % des bénéfices sont reversés dans l’entreprise pour son développement, et il n’est pas possible de faire de plus-value sur sa part sociale. »
La coconstruction par l’intégration des sociétaires est un pilier de ces coopératives. « Nos structures permettent aux citoyens de reprendre la main sur l’économie. N’importe quel client peut être sociétaire, et a un droit de regard sur les comptes de la coopérative : les bénéficiaires ont accès aux bilans comptables, aux rapports d’activité, aux assemblées générales... », énumère Adrien Montagut, cofondateur de Commown. Marion Graeffly, confondatrice de Telecoop, opine : « Les assemblées générales sont le point d’orgue des Scic : chaque coopérative y rassemble les sociétaires pour leur faire voter les projets des équipes opérationnelles, l’aspect budgétaire, et travailler sur les orientations de l’entreprise. »
Ce pouvoir des coopérateurs s’est concrétisé chez Enercoop par l’élaboration du fonds de dotation Énergie solidaire. « L’idée est venue d’un sociétaire, lors d’une assemblée générale. Il a expliqué pourquoi c’était important qu’Enercoop s’empare des enjeux de précarité énergétique », se rappelle Flora, membre de la coopérative. Depuis 2019, ce programme récolte des microdons sur la consommation d’énergie des clients d’Enercoop, puis réinvestit ces sommes auprès d’associations qui assistent les ménages en précarité énergétique.
Malgré leur motivation, la plupart demeurent des coopératives de tailles et d’effectifs modestes
L’union des « licoornes » permet également de se démarquer dans un secteur étouffé par l’écoblanchiment et les offres prétendument sociales. « Regardez la communication d’EDF, d’Engie, de Total : ils sont désormais “citoyens”, “écolos”, “solidaires”… Le combat de différenciation est très difficile », dit Julien Noé. Plutôt que par leur discours, les coopératives se distinguent par leur fonctionnement interne, souligne Amélie Artis, maîtresse de conférences à Sciences Po Grenoble et spécialiste de l’économie sociale et solidaire. « Le produit qu’elle vend est le résultat d’une coopération. L’enjeu est la rupture dans les rapports sociaux de production au sein de la coopérative par rapport aux autres modèles. »
Si atteindre une position dominante sur leurs marchés respectifs s’avère épineux, ce n’est pas leur principal levier d’influence, relève l’économiste : « Les coopératives contribuent à faire évoluer les règles du jeu, car elles diffusent leurs idées et leurs pratiques de production au-delà d’elles-mêmes. » Et de le prouver par l’exemple : « Le pari d’Enercoop c’était d’être le premier à faire du 100 % énergie renouvelable, grâce à l’articulation entre petits producteurs et consommateurs, alors que nous sommes dans un modèle énergétique centré sur le nucléaire. Et ils ont réussi ! Ce sont des mutations très longues, mais le fait d’avoir des acteurs coopératifs qui construisent un modèle productif et le rendent soutenable donne l’exemple. »
Telecoop vient tout juste de souffler sa première bougie avec ses mille abonnés.
Pratiques et projets communs n’empêchent pas les lourdeurs de fonctionnement. Ancienneté, localisation, secteur d’activité… Le groupe de « licoornes » ne manque pas d’hétérogénéité. La Nef siège à Vaulx-en-Velin (Rhône), Commown à Strasbourg (Bas-Rhin), Telecoop à Paris... Et tandis qu’Enercoop célébrera en juillet son 17e anniversaire avec ses 100.000 clients, Telecoop vient tout juste de souffler sa première bougie avec mille abonnés. Malgré leur motivation, la plupart demeurent des coopératives de tailles et d’effectifs modestes. « Ce n’est pas simple de travailler de concert, surtout quand on porte des projets énergivores en ressources humaines, et qu’on ne possède pas la force de frappe de levée de fonds d’une start-up », dit Adrien Montagut.
Les « licoornes » tentent de casser ces rigidités en mutualisant leurs services. « Si nous avons besoin de mobilier, nous passons par le label Emmaüs. Si nous avons besoin d’un prêt, nous nous tournons vers La Nef », prend exemple Julien Noé. La Nef est elle-même cliente d’Enercoop, et envisage de faire appel aux services de Commown et de Telecoop pour son matériel informatique et ses forfaits téléphoniques. Une fluidité qui s’acquiert également par l’utilisation d’outils communs, comme la comptabilité Care, un triple bilan comptable qui internalise les conséquences économiques, sociales et écologiques des décisions des coopératives.
La ligne Bordeaux-Lyon que Railcoop entend remettre en service.
La passion qui anime Julien Noé est perceptible. Depuis des années, le fondateur d’Enercoop rêve de faire mûrir l’écosystème des coopératives. Un projet déjà commencé à travers le Collectif pour une transition citoyenne qui regroupe aujourd’hui trente organisations. « C’est un écosystème plus large que les “licoornes” que nous voulons porter. Il y a 20 000 mouvements sur le Transistocope, mais ils manquent de liens », analyse-t-il.
Julien Noé le pressent, après un long chemin d’épines, l’air du temps est enfin favorable, et les licoornes ont la carrure pour porter ce projet à maturité : « Quand nous avons fondé Enercoop, il y a 17 ans, c’était la croix et la bannière pour embaucher des gens. Aujourd’hui, on sent une vraie demande des jeunes qui sortent d’écoles d’ingénieurs d’investir ces secteurs. On retrouve cette demande chez les consommateurs : Télécoop a déjà mille clients au bout de quelques mois. C’était inimaginable il y a dix ans ! »
Une analyse que tempère Amélie Artis : « Il y a bien une montée en puissance du nombre de Scic, car elles proposent une vision d’entreprise différente de l’entreprise capitaliste. Dans le cadre des licoornes, ce sont des secteurs d’activités qui sont en pleine mutation, où l’enjeu est de proposer une alternative aux offres des entreprises historiques de ces secteurs, qui ont souvent des logiques capitalistes fortes. Cependant, les Scic restent confinées à des projets avec des dimensions politiques fortes, ou des personnes déjà sensibilisées ou engagées dans le mouvement coopératif. »