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Deux ou trois mots sur l’histoire du lambertisme

Lien publiée le 6 juin 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Deux ou trois mots sur l’histoire du lambertisme - La Sociale (la-sociale.online)

Notre site se veut aussi un lieu de débat. C’est pourquoi, sans partager toutes les analyses d’un auteur nous lui ouvrons nos colonnes s’il s’agit de contribuer à éclaircir les questions qui conditionnent directement notre avenir. Consacré à l’histoire du "lambertisme" qui fut aussi en partie l’histoire de certains des animateurs de ce site, cet article devrait ouvrir un large débat. Nous y reviendrons. DC

Jean Hetzgen a publié en 2019 une thèse sur l’his­toire du cou­rant lam­ber­tiste entre 1952 et 1963.

Il faut le remer­cier cha­leu­reu­se­ment. Il a accom­pli un impres­sion­nant tra­vail de dépouille­ment des archi­ves qui met à notre dis­po­si­tion une docu­men­ta­tion que nous ne pour­rions connaî­tre autre­ment. Sera par­ti­cu­liè­re­ment appré­ciée la bio­gra­phie des mili­tants de cette période. Avec une cer­taine émotion, nous décou­vrons des noms de mili­tan­tes et de mili­tants qu’il fait entrer dans la pos­té­rité. Et l’on se dit que leur sou­ve­nir per­du­rera, quel­que part, dans un coin de la mémoire col­lec­tive.

J’ai adhéré à l’orga­ni­sa­tion issue du PCI majo­ri­taire bien après les faits racontés par Jean Hentzgen. Militant des années 80 et 90, je n’ai connu ni cette époque, ni la sui­vante. Aujourd’hui, je ne me reconnais ni dans l’un ni dans l’autre des 2 partis qui conti­nuent le cou­rant lam­ber­tiste. Mais je ne veux pas ici parler de diver­gen­ces mais d’his­toire et de mémoire.

Jean Hentzgen étudie l’hypo­thèse d’une évolution des trots­kys­tes du « PCI majo­ri­taire » vers la social-démo­cra­tie. J’avoue n’avoir été convaincu ni par la ques­tion ni par la démons­tra­tion. L’oppo­si­tion farou­che et sys­té­ma­ti­que aux gou­ver­ne­ments PS qui sui­vent 1981 me semble plutôt démon­trer le contraire. Mais ceci n’est pas très grave car l’essen­tiel du texte est tout sim­ple­ment l’his­toire racontée, celle qui abou­tit à la fon­da­tion de l’Organisation Communiste Internationaliste en 1965.

L’OCI était une orga­ni­sa­tion d’impor­tance, très influente dans le monde syn­di­cal et poli­ti­que des années 70 jusqu’aux années 90. Il n’est que de consul­ter la liste impres­sion­nante des per­son­na­li­tés du monde poli­ti­que et du spec­ta­cle qui y ont adhéré pour s’en rendre compte. De nos jours, quel­ques uns sont encore en acti­vité et ont des fonc­tions impor­tan­tes : Benjamin Stora, Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière. Lionel Jospin, ancien pre­mier minis­tre, mili­tant de l’OCI des années 60 jusqu’au début des années 80 sym­bo­lise à lui seul la péné­tra­tion et l’influence du lam­ber­tisme dans les milieux intel­lec­tuels.

Ce groupe poli­ti­que a pour­tant été en déclin tout au long des années 50. Il achève la décen­nie très réduit numé­ri­que­ment - seu­le­ment une cin­quan­taine de mili­tants en France ! Ses diri­geants pren­nent alors cons­cience de leur échec et amor­cent une réflexion qu’ils appel­lent « réar­me­ment ». Ils se réor­ga­ni­sent et pren­nent la déci­sion de se tour­ner vers la jeune géné­ra­tion.

Le lien s’établit, point de départ d’une évolution qui leur permet de se rele­ver en quel­ques années. La pro­gres­sion numé­ri­que des effec­tifs est alors conti­nue jusqu’en 1983 avec un pic d’un peu plus de 6000 mili­tants.

Jean Hentzgen décrit cette ren­contre entre le vieux noyau mili­tant et la jeune géné­ra­tion. Et, au-delà du détail des ini­tia­ti­ves poli­ti­ques prises sur l’ins­tant, je crois qu’il faut cons­ta­ter que, si le cou­rant lam­ber­tiste a pu donner une orga­ni­sa­tion poli­ti­que solide et pérenne dans le temps, c’est que, tout sim­ple­ment, il a été en phase avec son époque. Si il ne l’avait pas été, il aurait dis­paru dès le début des années 60.

Il faut donc parler main­te­nant de contexte, ce qui nous amè­nera à dire un mot des repro­ches, je dirais, clas­si­ques - le sec­ta­risme, la vio­lence - qui sont adres­sés au cou­rant lam­ber­tiste.

Nous par­lons des années 50 mais la thèse de Jean Hentzgen fait quel­ques incur­sions dans les années 70.

Je ne pense pas que l’on puisse com­pren­dre quel­que orga­ni­sa­tion poli­ti­que que ce soit sans l’inté­grer dans le contexte. Et ce contexte, c’est celui de la guerre froide. La vio­lence est omni­pré­sente dans la vie poli­ti­que de cette époque. C’est d’abord l’odieuse vio­lence sta­li­nienne du Parti Communiste Français qui agresse phy­si­que­ment les mili­tants des orga­ni­sa­tions concur­ren­tes. A la porte des usines, les res­pon­sa­bles com­mu­nis­tes inter­di­sent les sim­ples dis­tri­bu­tions de tracts en envoyant leurs mili­tants « casser la gueule » aux trots­kys­tes. De nos jours, ceci serait dénoncé sur les réseaux sociaux et se ter­mi­ne­rait rapi­de­ment devant un tri­bu­nal. Mais à l’époque, l’impu­nité exis­tante per­met­tait au Parti com­mu­niste de répé­ter les agres­sions. Les trots­kys­tes ont donc appris à se défen­dre, et, si, aujourd’hui, ils peu­vent reven­di­quer leur his­toire, les com­mu­nis­tes, eux doi­vent renier leur passé…

La période recé­lait aussi une vio­lence ins­ti­tu­tion­nelle. Dans toute l’Europe occi­den­tale, c’est l’époque des coups tordus des ser­vi­ces de sécu­rité d’État qui infil­trent les orga­ni­sa­tions d’extrême gauche. Les vio­len­ces du SAC gaul­liste contre les mani­fes­tants de 1968 ou les mani­pu­la­tions de la CIA amé­ri­caine sont main­te­nant bien docu­men­tées. Et là aussi, les états doi­vent renier leur propre his­toire…

L’époque, c’est aussi celle des grou­pes gau­chis­tes, qui, aveu­gles sur la dérive auto­ri­taire de Castro et les mas­sa­cres de la Révolution Culturelle chi­noise prô­naient la gué­rilla urbaine, orga­ni­sant conti­nuel­le­ment des mani­fes­ta­tions vio­len­tes et, pour cer­tains, se sont jetés dans le ter­ro­risme.

Tout peut être débattu. Il faut d’ailleurs débat­tre de tout. J’ai de nom­breu­ses diver­gen­ces, tant sur le plan des posi­tions poli­ti­ques que des métho­des avec le lam­ber­tisme. Mais je ne veux pas les évoquer ici car je veux dire avant tout que rien ne peut être dis­cuté si on l’extrait de son contexte.

Et sur ce point, avec le recul du temps, je ne pense pas que les lam­ber­tis­tes aient démé­rité.

Jean Hentzgen remar­que qu’ils n’ont pas sou­tenu Fidel Castro en 1960. Tout au long des années 60, il était dif­fi­cile de résis­ter à l’attrac­tion de Cuba et de se décla­rer révo­lu­tion­naire. Les lam­ber­tis­tes l’ont fait. Ils n’ont jamais cru en Castro, ne l’ont jamais sou­tenu. Je n’ai pas de com­men­taire par­ti­cu­lier à faire la-dessus…

Plus tard, la révo­lu­tion cultu­relle. Ceci n’est pas dans la thèse de Jean Hentzgen qui étudie la période anté­rieure. Mais il me semble inté­res­sant d’en parler. A la fin des années 60, la révo­lu­tion cultu­relle maoïste était une réfé­rence pour la plu­part des grou­pes étudiants « révo­lu­tion­nai­res ». Comme sou­vent dans leur his­toire, les lam­ber­tis­tes ont été à contre-cou­rant et ne l’ont pas sou­tenu. Bien plus tard, lorsqu’un intel­lec­tuel ins­piré appe­lait à une « révo­lu­tion cultu­relle » - en géné­ral pour mettre bas une conquête sociale - Pierre Lambert aimait à rap­pe­ler que la révo­lu­tion cultu­relle était un mou­ve­ment de répres­sion poli­ti­que qui a fait des cen­tai­nes de mil­liers de morts.

Sur ce point précis de la révo­lu­tion cultu­relle, je n’ai pas non plus de com­men­taire par­ti­cu­lier à faire…

On a les réfé­ren­ces que l’on peut. Je pré­fère, per­son­nel­le­ment, avoir connu Pierre Lambert, qui, lui, n’a jamais fait l’apo­lo­gie du ter­ro­risme, et, résis­tant au confor­misme de l’époque, n’a pas non plus sou­tenu des régi­mes poli­ti­ques cri­mi­nels. Il tou­jours pensé qu’il fal­lait un parti de masse pour chan­ger la société. Toute son œuvre est allée dans ce sens.

Et, avec le recul de l’his­toire, on s’aper­çoit que le cou­rant lam­ber­tiste est pro­ba­ble­ment celui qui a le mieux résisté aux tur­pi­tu­des du temps.

Mais les années 50 occu­pent l’essen­tiel de la thèse de Jean Hentzgen. Et les années 50, c’est la guerre d’Algérie. C’est avec ce der­nier sujet que je vou­drais ter­mi­ner.

Le temps est passé, il faut main­te­nant s’adres­ser à la nou­velle géné­ra­tion. Il faut leur dire que des mili­tants, - et des mili­tan­tes ! - ont existé. Ils - et elles ! - étaient marxis­tes. Ils - et elles ! - étaient inter­na­tio­na­lis­tes. La race, la nation ne signi­fiaient rien à leurs yeux.

Leur expli­ca­tion de l’impé­ria­lisme était la sui­vante. C’était l’évolution natu­relle d’un sys­tème économique, le capi­ta­lisme, qui ouvrait par la force de nou­veaux mar­chés pour ses capi­taux. Dans ce sys­tème économique, la ligne de par­tage entre les humains n’est pas la race mais la classe sociale, ce qui veut dire que d’un côté, le peuple colo­nisé a le même inté­rêt que l’ouvrier euro­péen, et que, de l’autre, le sup­plé­tif local de l’admi­nis­tra­tion colo­niale avait le même inté­rêt que la banque euro­péenne qui asser­vit le pays colo­nisé. Ces mili­tants ont été de farou­ches oppo­sants au colo­nia­lisme et ont sou­tenu tous les mou­ve­ments de libé­ra­tion des peu­ples.

On peut bro­car­der leurs idées. Certains ne man­que­ront pas de le faire, en quel­ques phra­ses lapi­dai­res, péremp­toi­res, à la mode actuelle du réseau social. Mais il n’est pas ques­tion ici de lancer un débat d’opi­nion sur les idées des mili­tants anti-colo­nia­lis­tes du XXe siècle mais sim­ple­ment de les décrire telles qu’elles étaient. Simplement pour dire qu’elles ont existé. Et nul n’a le droit de les effa­cer de la mémoire col­lec­tive. Elles sont bien plus dignes que toutes celles qui ont pré­valu à cette époque. Ici aussi, les trots­kys­tes n’ont pas à renier leur propre his­toire, contrai­re­ment à d’autres…

Alors, la guerre d’Algérie ?

Le conflit algé­rien, c’est la jeu­nesse de France jetée de force dans la guerre. Si, de nos jours, le ser­vice mili­taire est volon­taire, tel n’était pas le cas dans les années 50. Tout jeune de 18 ans devait accom­plir le ser­vice mili­taire et rejoin­dre l’armée. Le gou­ver­ne­ment fran­çais décida d’envoyer le contin­gent, c’est-à-dire l’inté­gra­lité de sa jeu­nesse pour mater la révolte du peuple Algérien. Ces jeunes n’avaient pas le choix. Ceux qui s’en sont sortis vivants en sont restés mar­qués à vie. Ici aussi, l’État fran­çais se voit obligé de renier sa propre his­toire. Et les lam­ber­tis­tes ? Soutiens de la cause algé­rienne, ils res­tent fidè­les à l’inter­na­tio­na­lisme et condam­nent les atten­tats du FLN.

Citons Pierre Lambert, dans la Vérité du 26 avril 1957.

« Il est indé­nia­ble que le sys­tème d’atten­tats aveu­gles employé par le FLN sur une large échelle est condam­na­ble, ne serait-ce que parce qu’il a permis de four­nir une cer­taine base psy­cho­lo­gi­que dans la popu­la­tion euro­péenne aux opé­ra­tions Massu. »

La posi­tion de fond des lam­ber­tis­tes est expo­sée dans un arti­cle de La Vérité de mai 1958. Ils refu­sent de « consi­dé­rer en bloc le peuple fran­çais com­plice de son impé­ria­lisme » et de « creu­ser un fossé entre les tra­vailleurs fran­çais et algé­riens ».

Mais la guerre d’Algérie, c’est avant tout le mar­tyre du peuple algé­rien. J’en parle en der­nier, de façon déli­bé­rée, car je veux lais­ser le mot de la fin à Gérard Bloch, diri­geant du PCI majo­ri­taire. Plus que toute autre, la cita­tion qui vous allez lire nous dit qui étaient les trots­kys­tes du PCI majo­ri­taire.

Le 22 mars 1957, l’ancien déporté qu’il était fait paraî­tre dans La Vérité un arti­cle inti­tulé « Halte au martyr du peuple algé­rien ! ». Écoutez réson­ner l’extrait sui­vant.

« Le rictus des paras […] évoque irré­sis­ti­ble­ment, pour un ancien concen­tra­tion­naire comme moi, un air de connais­sance. Oui, ce visage de sadisme ras­sa­sié, de haine satis­faite, ce visage inhu­main d’ennemi des hommes, nous l’avons vu à d’autres avant ceux-là […]. Nous l’avons vu aux hommes à la tête de mort, aux SS de Heinrich Himmler. »

Ils s’appe­laient Claude Bernard, Gérard Bloch, Lucienne Bloch, Pierre Broué, Annie Cardinal, Louis Eemans, Henri Geneste, Stéphane Just, Pierre Lambert, Daniel Renard. D’autres encore les ont accom­pa­gné.

Au juge­ment de l’his­toire, les femmes et les hommes du « PCI majo­ri­taire » se tien­nent debout, dignes. Hommage leur soit rendu.