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Deux ou trois mots sur l’histoire du lambertisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Deux ou trois mots sur l’histoire du lambertisme - La Sociale (la-sociale.online)
Notre site se veut aussi un lieu de débat. C’est pourquoi, sans partager toutes les analyses d’un auteur nous lui ouvrons nos colonnes s’il s’agit de contribuer à éclaircir les questions qui conditionnent directement notre avenir. Consacré à l’histoire du "lambertisme" qui fut aussi en partie l’histoire de certains des animateurs de ce site, cet article devrait ouvrir un large débat. Nous y reviendrons. DC
Jean Hetzgen a publié en 2019 une thèse sur l’histoire du courant lambertiste entre 1952 et 1963.
Il faut le remercier chaleureusement. Il a accompli un impressionnant travail de dépouillement des archives qui met à notre disposition une documentation que nous ne pourrions connaître autrement. Sera particulièrement appréciée la biographie des militants de cette période. Avec une certaine émotion, nous découvrons des noms de militantes et de militants qu’il fait entrer dans la postérité. Et l’on se dit que leur souvenir perdurera, quelque part, dans un coin de la mémoire collective.
J’ai adhéré à l’organisation issue du PCI majoritaire bien après les faits racontés par Jean Hentzgen. Militant des années 80 et 90, je n’ai connu ni cette époque, ni la suivante. Aujourd’hui, je ne me reconnais ni dans l’un ni dans l’autre des 2 partis qui continuent le courant lambertiste. Mais je ne veux pas ici parler de divergences mais d’histoire et de mémoire.
Jean Hentzgen étudie l’hypothèse d’une évolution des trotskystes du « PCI majoritaire » vers la social-démocratie. J’avoue n’avoir été convaincu ni par la question ni par la démonstration. L’opposition farouche et systématique aux gouvernements PS qui suivent 1981 me semble plutôt démontrer le contraire. Mais ceci n’est pas très grave car l’essentiel du texte est tout simplement l’histoire racontée, celle qui aboutit à la fondation de l’Organisation Communiste Internationaliste en 1965.
L’OCI était une organisation d’importance, très influente dans le monde syndical et politique des années 70 jusqu’aux années 90. Il n’est que de consulter la liste impressionnante des personnalités du monde politique et du spectacle qui y ont adhéré pour s’en rendre compte. De nos jours, quelques uns sont encore en activité et ont des fonctions importantes : Benjamin Stora, Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière. Lionel Jospin, ancien premier ministre, militant de l’OCI des années 60 jusqu’au début des années 80 symbolise à lui seul la pénétration et l’influence du lambertisme dans les milieux intellectuels.
Ce groupe politique a pourtant été en déclin tout au long des années 50. Il achève la décennie très réduit numériquement - seulement une cinquantaine de militants en France ! Ses dirigeants prennent alors conscience de leur échec et amorcent une réflexion qu’ils appellent « réarmement ». Ils se réorganisent et prennent la décision de se tourner vers la jeune génération.
Le lien s’établit, point de départ d’une évolution qui leur permet de se relever en quelques années. La progression numérique des effectifs est alors continue jusqu’en 1983 avec un pic d’un peu plus de 6000 militants.
Jean Hentzgen décrit cette rencontre entre le vieux noyau militant et la jeune génération. Et, au-delà du détail des initiatives politiques prises sur l’instant, je crois qu’il faut constater que, si le courant lambertiste a pu donner une organisation politique solide et pérenne dans le temps, c’est que, tout simplement, il a été en phase avec son époque. Si il ne l’avait pas été, il aurait disparu dès le début des années 60.
Il faut donc parler maintenant de contexte, ce qui nous amènera à dire un mot des reproches, je dirais, classiques - le sectarisme, la violence - qui sont adressés au courant lambertiste.
Nous parlons des années 50 mais la thèse de Jean Hentzgen fait quelques incursions dans les années 70.
Je ne pense pas que l’on puisse comprendre quelque organisation politique que ce soit sans l’intégrer dans le contexte. Et ce contexte, c’est celui de la guerre froide. La violence est omniprésente dans la vie politique de cette époque. C’est d’abord l’odieuse violence stalinienne du Parti Communiste Français qui agresse physiquement les militants des organisations concurrentes. A la porte des usines, les responsables communistes interdisent les simples distributions de tracts en envoyant leurs militants « casser la gueule » aux trotskystes. De nos jours, ceci serait dénoncé sur les réseaux sociaux et se terminerait rapidement devant un tribunal. Mais à l’époque, l’impunité existante permettait au Parti communiste de répéter les agressions. Les trotskystes ont donc appris à se défendre, et, si, aujourd’hui, ils peuvent revendiquer leur histoire, les communistes, eux doivent renier leur passé…
La période recélait aussi une violence institutionnelle. Dans toute l’Europe occidentale, c’est l’époque des coups tordus des services de sécurité d’État qui infiltrent les organisations d’extrême gauche. Les violences du SAC gaulliste contre les manifestants de 1968 ou les manipulations de la CIA américaine sont maintenant bien documentées. Et là aussi, les états doivent renier leur propre histoire…
L’époque, c’est aussi celle des groupes gauchistes, qui, aveugles sur la dérive autoritaire de Castro et les massacres de la Révolution Culturelle chinoise prônaient la guérilla urbaine, organisant continuellement des manifestations violentes et, pour certains, se sont jetés dans le terrorisme.
Tout peut être débattu. Il faut d’ailleurs débattre de tout. J’ai de nombreuses divergences, tant sur le plan des positions politiques que des méthodes avec le lambertisme. Mais je ne veux pas les évoquer ici car je veux dire avant tout que rien ne peut être discuté si on l’extrait de son contexte.
Et sur ce point, avec le recul du temps, je ne pense pas que les lambertistes aient démérité.
Jean Hentzgen remarque qu’ils n’ont pas soutenu Fidel Castro en 1960. Tout au long des années 60, il était difficile de résister à l’attraction de Cuba et de se déclarer révolutionnaire. Les lambertistes l’ont fait. Ils n’ont jamais cru en Castro, ne l’ont jamais soutenu. Je n’ai pas de commentaire particulier à faire la-dessus…
Plus tard, la révolution culturelle. Ceci n’est pas dans la thèse de Jean Hentzgen qui étudie la période antérieure. Mais il me semble intéressant d’en parler. A la fin des années 60, la révolution culturelle maoïste était une référence pour la plupart des groupes étudiants « révolutionnaires ». Comme souvent dans leur histoire, les lambertistes ont été à contre-courant et ne l’ont pas soutenu. Bien plus tard, lorsqu’un intellectuel inspiré appelait à une « révolution culturelle » - en général pour mettre bas une conquête sociale - Pierre Lambert aimait à rappeler que la révolution culturelle était un mouvement de répression politique qui a fait des centaines de milliers de morts.
Sur ce point précis de la révolution culturelle, je n’ai pas non plus de commentaire particulier à faire…
On a les références que l’on peut. Je préfère, personnellement, avoir connu Pierre Lambert, qui, lui, n’a jamais fait l’apologie du terrorisme, et, résistant au conformisme de l’époque, n’a pas non plus soutenu des régimes politiques criminels. Il toujours pensé qu’il fallait un parti de masse pour changer la société. Toute son œuvre est allée dans ce sens.
Et, avec le recul de l’histoire, on s’aperçoit que le courant lambertiste est probablement celui qui a le mieux résisté aux turpitudes du temps.
Mais les années 50 occupent l’essentiel de la thèse de Jean Hentzgen. Et les années 50, c’est la guerre d’Algérie. C’est avec ce dernier sujet que je voudrais terminer.
Le temps est passé, il faut maintenant s’adresser à la nouvelle génération. Il faut leur dire que des militants, - et des militantes ! - ont existé. Ils - et elles ! - étaient marxistes. Ils - et elles ! - étaient internationalistes. La race, la nation ne signifiaient rien à leurs yeux.
Leur explication de l’impérialisme était la suivante. C’était l’évolution naturelle d’un système économique, le capitalisme, qui ouvrait par la force de nouveaux marchés pour ses capitaux. Dans ce système économique, la ligne de partage entre les humains n’est pas la race mais la classe sociale, ce qui veut dire que d’un côté, le peuple colonisé a le même intérêt que l’ouvrier européen, et que, de l’autre, le supplétif local de l’administration coloniale avait le même intérêt que la banque européenne qui asservit le pays colonisé. Ces militants ont été de farouches opposants au colonialisme et ont soutenu tous les mouvements de libération des peuples.
On peut brocarder leurs idées. Certains ne manqueront pas de le faire, en quelques phrases lapidaires, péremptoires, à la mode actuelle du réseau social. Mais il n’est pas question ici de lancer un débat d’opinion sur les idées des militants anti-colonialistes du XXe siècle mais simplement de les décrire telles qu’elles étaient. Simplement pour dire qu’elles ont existé. Et nul n’a le droit de les effacer de la mémoire collective. Elles sont bien plus dignes que toutes celles qui ont prévalu à cette époque. Ici aussi, les trotskystes n’ont pas à renier leur propre histoire, contrairement à d’autres…
Alors, la guerre d’Algérie ?
Le conflit algérien, c’est la jeunesse de France jetée de force dans la guerre. Si, de nos jours, le service militaire est volontaire, tel n’était pas le cas dans les années 50. Tout jeune de 18 ans devait accomplir le service militaire et rejoindre l’armée. Le gouvernement français décida d’envoyer le contingent, c’est-à-dire l’intégralité de sa jeunesse pour mater la révolte du peuple Algérien. Ces jeunes n’avaient pas le choix. Ceux qui s’en sont sortis vivants en sont restés marqués à vie. Ici aussi, l’État français se voit obligé de renier sa propre histoire. Et les lambertistes ? Soutiens de la cause algérienne, ils restent fidèles à l’internationalisme et condamnent les attentats du FLN.
Citons Pierre Lambert, dans la Vérité du 26 avril 1957.
« Il est indéniable que le système d’attentats aveugles employé par le FLN sur une large échelle est condamnable, ne serait-ce que parce qu’il a permis de fournir une certaine base psychologique dans la population européenne aux opérations Massu. »
La position de fond des lambertistes est exposée dans un article de La Vérité de mai 1958. Ils refusent de « considérer en bloc le peuple français complice de son impérialisme » et de « creuser un fossé entre les travailleurs français et algériens ».
Mais la guerre d’Algérie, c’est avant tout le martyre du peuple algérien. J’en parle en dernier, de façon délibérée, car je veux laisser le mot de la fin à Gérard Bloch, dirigeant du PCI majoritaire. Plus que toute autre, la citation qui vous allez lire nous dit qui étaient les trotskystes du PCI majoritaire.
Le 22 mars 1957, l’ancien déporté qu’il était fait paraître dans La Vérité un article intitulé « Halte au martyr du peuple algérien ! ». Écoutez résonner l’extrait suivant.
« Le rictus des paras […] évoque irrésistiblement, pour un ancien concentrationnaire comme moi, un air de connaissance. Oui, ce visage de sadisme rassasié, de haine satisfaite, ce visage inhumain d’ennemi des hommes, nous l’avons vu à d’autres avant ceux-là […]. Nous l’avons vu aux hommes à la tête de mort, aux SS de Heinrich Himmler. »
Ils s’appelaient Claude Bernard, Gérard Bloch, Lucienne Bloch, Pierre Broué, Annie Cardinal, Louis Eemans, Henri Geneste, Stéphane Just, Pierre Lambert, Daniel Renard. D’autres encore les ont accompagné.
Au jugement de l’histoire, les femmes et les hommes du « PCI majoritaire » se tiennent debout, dignes. Hommage leur soit rendu.