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Le Pen présidente ? Qu’est-ce que le RN ?, par Vincent Presumey

FN

Lien publiée le 15 juin 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2021/06/14/marine-le-pen-presidente-quest-ce-que-le-rn-par-vincent-presumey/

En 2017, l’implosion électorale de la gauche, provoquée par la politique capitaliste du président Hollande – combinée au choix fait par J.L. Mélenchon, confronté à la possibilité de gagner, de rompre avec les formes politiques issues du mouvement ouvrier au nom du « populisme » – a construit la victoire d’Emmanuel Macron, dont le but, qualifié de « jupitérien », était de rétablir ou d’établir un régime de la V° République achevé, pouvant, en ayant battu le prolétariat, se passer de « corps intermédiaires » et même d’une caricature de parlement.

Au bout d’environ une année de contre-réformes la crise ouverte a éclaté, au sommet avec l’affaire Benalla témoignant non seulement de la tentative de former une camarilla prétorienne violente et mafieuse, mais de l’échec à constituer un vrai « parti du président » dans le pays, puis à la base avec l’irruption des Gilets jaunes.

Il est faux de dire que le régime n’a tenu que par sa police, ses préfets et leurs éborgneurs. Des couches massives du prolétariat ont tenté d’unir et de centraliser leur combat et, littéralement, de prendre d’assaut le pouvoir exécutif, le centre de l’État. Les organisations dites de gauche aussi bien que celles qui postulent à les remplacer (« Insoumis », écologistes …), et les directions syndicales, après avoir tenté d’isoler et de calomnier cette explosion prolétarienne historique, ont consciencieusement fait en sorte d’éviter, d’empêcher, toute généralisation et centralisation de l’incendie. Ce sont elles qui ont sauvé Macron et la V° République, alors que se dessinait la vraie perspective politique de la grève générale et de l’affrontement central renversant le pouvoir central et ouvrant la voie à un processus démocratique constituant.

Cette perspective était à nouveau ce qui surplombait la poussée vers la grève générale du 5 décembre 2019 en défense des retraites. Un an et demi de pandémie et de confinements ne l’ont pas effacée, même si toutes les directions politiques et syndicales, des plus grosses aux plus petites, ne l’évoquent pas ou la font dépendre des élections présidentielles, ce qui est évidemment la pire manière de la liquider.

Dans ces conditions, l’éventualité, parfaitement présente à quiconque réfléchissait dès 2017, que, si ce quinquennat allait à son terme, ce qui n’avait rien d’évident, ce terme conduise à l’élection de Mme Le Pen à la présidence de la V° République, est tout à fait envisageable.

Ceci ne devrait être une surprise, une nouveauté, ou un motif de consternation, pour personne. Mais ceci devrait être envisagé et analysé comme confirmation de la crise de régime et de la crise politique, et comme devant, pour tout partisan conséquent de la vraie démocratie, devenir un motif de mobilisation offensive, visant à l’affrontement, ce même affrontement que le 18 novembre 2018 des Gilets jaunes et le 5 décembre 2019 du front unique syndical ont inscrit comme la vraie perspective, comme la perspective des gens réalistes. Car le réalisme, c’est d’abord regarder la réalité en face pour être capable d’agir sur elle.

Bien sûr que la situation est grave, mais encore faut-il comprendre en quoi elle consiste, et pour cela ne pas placer des moulins à vent à la place des vrais dangers à affronter.

Le fascisme.

Qu’est-ce que le fascisme ? Historiquement, un mouvement de masse, pas d’abord électoral, mais agissant violemment dans la rue, qui embrigade de très larges secteurs de la petite-bourgeoisie pour les jeter sur les organisations du mouvement ouvrier et les détruire, détruisant du même coup toutes les libertés démocratiques, saccageant la culture et créant les conditions d’une entrée en guerre alors que l’immense majorité, après 14-18, n’en voulait pas. Pour le capital, une fausse « solution » incommode, mais acceptable et utile dans certains cas.

Bien entendu, après 1945 qui voit la défaite militaire du fascisme et du nazisme (qui a les mêmes caractères mais est structuré par l’antisémitisme), des formes en partie similaires peuvent se reproduire. Il ne faut pas voir le fascisme partout, mais il ne faut pas non plus en exclure la possibilité en dehors de pays capitalistes développés connaissant des crises révolutionnaires (comme l’étaient l’Italie de 1920 et l’Allemagne de Weimar). Les paramètres formés par une idéologie violente, un embrigadement massif de couches sociales désespérées et désaxées, et un intérêt du grand capital (ici financier-rentier-pétrolier) à utiliser la chose, se retrouvent par exemple assez souvent dans les mouvements islamistes.

Nous avons ici trois paramètres : à l’idéologie s’ajoutent le mouvement « petit-bourgeois » de masse et l’intérêt du capital à l’utiliser. L’idéologie, ou des éléments idéologiques fascistoïdes, sont choses fréquentes qu’il faut dépister, analyser et combattre, mais ils ne suffisent pas à eux seuls à parler de « fascisme ».

Des éléments idéologiques du fascisme et du nazisme se retrouvent en effet dans bien d’autres mouvements, et des plus divers : nouvelle extrême-droite européenne à la fin du XX° siècle, apologie néolibérale des gagnants contre les perdants, trumpisme, synthèses soi-disant rouges-brunes ou rouges-blanches à l’Est de l’Europe, et y compris – j’en ai traité par ailleurs – idéologies décoloniales et « intersectionnelles » remplaçant le combat émancipateur par l’apologie des « identités ». La présence de filiations idéologiques – y compris, via les modes universitaires, dans ce dernier exemple, ce qui fera naturellement hurler certains de ses idéologues se croyant parfois d’ « extrême-gauche », et qui feraient bien d’y réfléchir enfin – n’est pas en elle-même un critère suffisant pour parler de « fascisme ». Si l’on est sérieux, parler de menace fasciste signifie parler du risque à court terme d’écrasement physique du mouvement ouvrier, des droits démocratiques et de la culture.

Le RN : une institution de la Cinquième !

En l’occurrence, dans la France de 2021, il n’existe pas de mouvements de masse de petits-bourgeois enrégimentés sur le terrain pour briser des grèves, commettre des agressions racistes ou casser du fonctionnaire. Répétons-le : cela n’existe pas (il existe des phénomènes marginaux, des provocations policières, des meutes de réseaux sociaux, etc., toutes choses qui requièrent la vigilance mais qui n’ont rien à voir avec l’échelle du fascisme). Le RN est donc un autre phénomène. Dire cela ne signifie absolument pas minimiser le danger que représente le RN. Mais tout simplement qu’il vaut mieux connaître son adversaire plutôt que de placer une image fantasmatique à sa place. Qu’est-ce que le RN ?

Le RN, pour le dire vite, est une institution de la V° République. Ce qui, du coup, pour être compris, renvoie à une autre question : qu’est-ce que la V° République ?

Les deux pieds de la V° République.

La V° République ne saurait se comprendre uniquement par sa constitution, qui en fait, selon les professeurs de droit constitutionnel, un régime « semi-présidentiel » (sic). Sa constitution doit elle-même être comprise dans le cadre de la dynamique historique de ce régime. En 1958, l’armée opère un coup d’État pour l’instaurer, en s’appuyant sur les colonialistes d’Algérie auxquels De Gaulle est alors allié. Il s’agit d’instaurer un État fort pour, premièrement, ne plus avoir à faire d’énormes concessions à la classe ouvrière comme les conquêtes sociales révolutionnaires de 1936 et de 1945 : Sécurité sociale, droit à la santé, droit à l’école publique, etc. Et, deuxièmement, pour maintenir et restaurer la « place de la France dans le monde » au moment où son empire colonial est en péril et où commence l’intégration économique européenne avec l’Allemagne renaissante.

De ces deux finalités, liées entre elles (la puissance impérialiste mondiale requiert que le prolétariat soit bridé à l’intérieur), s’ensuit la rupture avec la forme parlementaire de l’État, propre aux III° et IV° Républiques, et une réorganisation de l’État central autour de la figure clef, bonapartiste, du président. De plus, cette forme de l’État est beaucoup plus conforme à la structure conférée historiquement à l’appareil d’État, justement, par Napoléon, structurée par la pyramide des préfets nommés par le pouvoir central. Le législatif passe sous la coupe de l’exécutif.

Rappelons qu’à l’inverse, le programme révolutionnaire républicain visait à placer l’exécutif sous le contrôle d’un législatif réellement souverain, responsable, mandaté et révocable, par la destruction de l’appareil d’État bourgeois, bureaucratie, corps préfectoral et armée, hérité en France du bonapartisme et inchangé sous la succession des constitutions, depuis deux siècles. Mais, répétons-le, la V° République est le régime enfin trouvé, en quelque sorte, qui correspond à cet appareil d’État.

Il est donc question ici de bonapartisme, et de bonapartisme ayant trouvé une relative stabilité, et pas de fascisme. Cependant, dès le coup d’État fondateur, le bonapartisme de la V° République, s’appuie sur une base « petite-bourgeoise exaspérée », à savoir les « Français d’Algérie ». Et comme, tout en ayant mené les plus meurtrières des opérations coloniales de l’histoire de la France (en Algérie, mais aussi, au même moment, au Cameroun avec le génocide occulté des Bamilékés), l’intérêt général du capitalisme français, représenté par De Gaulle, le conduit à négocier une Algérie indépendante et capitaliste, que fuira la masse des « pieds-noirs », il y a rupture entre De Gaulle et les forces clefs du coup d’État initial, et guerre civile à l’intérieur de l’armée avec l’OAS.

Quels qu’aient été le mépris et l’inflexibilité de De Gaulle à l’égard des « généraux félons », il n’a jamais eu l’intention d’éliminer totalement cette composante des forces l’ayant mis au pouvoir (et sans laquelle il n’aurait pas pris le pouvoir). Tout en les réprimant, il les garde : ils sont l’autre pied de son accès initial au pouvoir, et, dans la prolongation de ce pouvoir, ils lui permettent de se présenter en « rempart de la République » et d’équilibrer son bonapartisme avec un côté « gauche » (la gauche parlementaire) et un côté « droit ».

Déjà, le confusionnisme dans l’emploi du terme « fasciste » de la part des dirigeants de la gauche affaiblit celle-ci : après avoir appelé De Gaulle « fasciste » en 1958 beaucoup d’entre eux, et souvent les mêmes, le célèbrent comme le dernier « rempart contre le fascisme » en 1961 …

Tout au long de son histoire, sous des formes qui ont évolué, le régime de la V° République repose sur ses deux pieds initiaux : en première ligne le bonapartisme présidentiel, dans les coulisses les factieux, les fascistes et les colonialistes qui l’ont fondé, puis qui ont été refoulés mais maintenus.

De Tixier au FN.

Les élections présidentielles de 1965 institutionnalisent cette composante : l’OAS est représentée officieusement, par Tixier-Vignancour (ancien avocat de Céline en 1948 et de Salan en 1964, 5,2% des voix), qui se désistera pour Mitterrand. Son directeur de campagne, J.M. Le Pen, avait organisé la petite manifestation des Champs Élysées qui, le 13 mai 58, soutenait à Paris le coup d’État d’Alger fondateur du régime. L’amnistie pénale des membres de l’OAS et des militants « Algérie française » est opérée par étapes entre 1964 et 1968 et son accélération en 1968, après la visite de De Gaulle au général tortionnaire et colonialiste Massu pendant la grève générale, revêt une forte signification politique (Tixier-Vignancour se « rallie » alors à De Gaulle).

Sur la frange du gaullisme officiel et aussi des courants libéraux de la future UDF giscardienne, évoluent des nébuleuses de nostalgiques des colonies, de racistes, de néo-nazis et de chrétiens intégristes, qui font le coup de poing contre les « gauchistes » (Occident, Ordre Nouveau), et servent d’ « écoles de cadres » aux partis de droite : la porosité est manifeste.

L’irréalisme de la nostalgie coloniale et la puissance sociale du prolétariat pendant et après la grève générale de mai-juin 1968 expliquent qu’il n’y ait guère, dans cette période, d’existence électorale de ces courants. C’est après la dissolution d’Ordre nouveau, qui se proclamait fasciste, en même temps que de la Ligue communiste, à l’été 1973, que la plupart se regroupent dans le FN, sous l’égide de Le Pen père (0,7% à la présidentielle de 1974).

Mais durant toutes ces années, la présence de ces forces est tout à fait notoire, visible et active, et les agressions de militants ouvriers et les crimes racistes sont alors plus fréquents qu’aujourd’hui.

J’ai rappelé ici ces faits, assez peu connus à présent, pour montrer le lien organiquequi existe entre les origines de la V° République, les guerres coloniales, et l’extrême-droite française, lien organique qui se retrouve, à la base, dans le racisme anti-arabe issu de la colonisation et de la guerre d’indépendance algérienne. Cette extrême-droite fonde le régime le 13 mai 58, puis elle combat De Gaulle tout en lui servant de repoussoir utile. Elle est ensuite institutionnalisée comme une composante des bas-fonds du régime, nullement marginale mais électoralement inexistante jusqu’aux années 1980, sauf que le racisme anti-arabe issu du colonialisme lui fournit une base de masse qui, électoralement, se cristallisera un peu plus tard.

C’est lors de la déception populaire faisant suite au grand espoir de 1981 que s’effectue la progressive mais continue percée électorale du FN, qui culminera aux présidentielles de 2002, où la présence de J.M. Le Pen au second tour permet une vaste opération d’union nationale en faveur de Chirac. Cette montée est profondément différente de celles des fascistes et des nazis dans les années 1920-1930, car elle ne s’appuie pas sur des manifestations de rue, et encore moins sur des combats de rue, mais sur une progression électorale continue pendant deux décennies, qui semble alors plafonner un peu en dessous de 20%, et qui a regroupé des électeurs venus à la fois des abstentionnistes de la première période du régime (dont des couches « pied-noires » dans le midi), un électorat bourgeois venant de la droite, et un électorat populaire ayant précédemment voté à gauche.

La fonction fondamentale du FN est alors très claire : servir de repoussoir par lequel la gauche dit à sa base qu’il faut accepter sa politique aussi droitière était-elle (littéralement : « si vous ne nous soutenez plus, vous aurez la punition du FN, donc, acceptez les privatisations » !), voire de repoussoir au profit de la droite. C’est une fonction politique indispensable au fonctionnement du régime et de l’État. Le personnage de J.M. Le Pen convenait à ce rôle qui impliquait une certaine « diabolisation » qu’il alimentait sciemment par des piques racistes, antisémites et néonazies. Sous le couvert de la diabolisation, contacts et passerelles souterraines entre Chirac, Sarkozy, et auparavant Mitterrand, avec le FN, sont structurels.

Le RN.

En 2017, le RN de Le Pen-fille a eu la même fonction électorale en faveur de Macron au second tour de la présidentielle. Mais dans l’intervalle, la crise du capitalisme français et la crise du régime de la V° République se sont profondément aggravées. Dans le contexte mondial du Brexit et de l’élection de Trump aux États-Unis, Marine Le Pen a tenté d’opérer un regroupement plus large, susceptible d’incarner une alternative possible pour le capitalisme français en cas de crise grave – celui, mal nommé « souverainisme », tendant à distendre les liens tissés depuis les années 1950 avec le capitalisme allemand, tout en tentant de former un axe avec le régime de Poutine en Russie, qui fournit un soutien financier et politique clef au RN. La candidature de la fille ne se réduisait donc pas au rôle de repoussoir fort bien assumé par son père. A cela correspondait la « dédiabolisation » et un élargissement de la surface électorale du RN vers des couches massives des électorats populaire, petit-bourgeois et bourgeois.

En 2002 Le Pen père faisait, au second tour, 5 525 032 voix représentant 17,79% des suffrages exprimés, en 2017 Le Pen fille faisait 10 638 475 voix représentant 33,9% des suffrages exprimés. Le repoussoir de 2002 est devenu une alternative capitaliste en 2017, certes minoritaire, non souhaitée à cette étape par le grand capital, et ayant des problèmes évidents de compétence d’autant qu’elle ne veut pas et ne peut pas trancher la question de l’UE, mais réelle.

Pour le grand capital, il est nécessaire de battre le prolétariat par la destruction des droits sociaux : il a pour cela misé sur Macron. Le Pen serait, le cas échéant, investie par lui de la même mission puisque Macron a en grande partie échoué, évidemment en utilisant le fait que si elle est élue, les flics violents et les racistes se déchaîneraient, mais en sachant que ce serait pour le moins compliqué vu la résistance sociale que cela soulèverait.

L’Algérie française, Ordre nouveau, le FN puis le RN, par-delà leurs différences, ont toujours défendu la V° République et voulu être les partis modèles, à la place du gaullisme, de la V° République. Sarkozy puis surtout Macron (et Hollande dans la dernière période de sa présidence) ont tenté d’« achever » la V° République par un renforcement du pouvoir présidentiel, de l’exécutif et de l’arbitraire administratif et policier. Ce régime, en effet, a gardé des conditions de sa mise en place un caractère inachevé, fondamentalement parce qu’il n’a pas battu le prolétariat, qui s’est dressé contre lui, de la grèves des mineurs en 1963 et de mai 68 à la grève des cheminots de 1995 et aux Gilets jaunes, à maintes reprises. Il ne parvient toujours pas à se passer de sa légitimation par un parlement pourtant plus croupion que jamais, ainsi que du « dialogue social » avec les directions syndicales. La promesse lepéniste faite au régime est en somme qu’avec le RN, cette consolidation, cet achèvement, auraient lieu. Mais rien n’est moins sûr !

Le grand capital ne soutiendra cette fausse « alternative » que s’il y est vraiment contraint par la crise économique et sociale, notamment par l’effondrement des échanges internationaux et de la division internationale et européenne du travail, qui s’est dessinée pendant la pandémie. Toutefois il ne souhaite pas cela et nous n’en sommes, concrètement, pas là.

L’impopularité de Macron fait que Le Pen pourrait être élue contre lui, sur un fond d’abstentions massives. Un tel phénomène ouvrirait une crise politique majeure et n’apporterait aucune stabilisation, bien au contraire – et certainement pas une victoire par KO du « fascisme » sur les libertés démocratiques. Assurément, celles-ci seraient menacées plus encore qu’actuellement, mais il y aurait affrontement.

Un tel « accident » par rapport à la « gouvernance » bien comprise selon les intérêts du grand capital, peut arriver : la victoire non anticipée du Brexit et celle du mafieux immobilier et agent de Poutine Trump attestent de cette perte de contrôle. C’est là l’une des raisons pour lesquelles Macron lui-même n’exclut pas, au final, de ne pas se présenter.

Le RN dans la classe ouvrière.

Le RN n’aurait qu’entre 20 000 et 30 000 adhérents réels. Sa situation financière, en grande partie couverte par des prêts russes au moins depuis 2014, est mauvaise. S’il y a un fait électoral de masse, il n’y a pas de parti de masse.

Les couches ouvrières et populaires qui votent RN se sont en grande partie trouvées, avec d’autres, sur les ronds-points entre novembre 2018 et le printemps 2019 (mais pas le petit et moyen patronat dans sa masse, hostile aux « ronds-points »). Ce n’est pas le RN qui les y a emmenées, au contraire.

Et ces ouvriers, chômeurs, « auto-entrepreneurs », boutiquiers ruinés, se sont alors radicalisés d’une manière prolétarienne, reproduisant bien des traits anciens du mouvement ouvrier. Ils ont fraternisé avec des travailleurs noirs ou arabes : globalement, le peuple des ronds-points a, de lui-même et sous le couvert du gilet jaune égalisateur, fait reculer le racisme. Ils ont fraternisé avec des milliers de militants syndicaux et ont nourri par la suite la poussée du 9 décembre 2019. Par contre, la perception d’une oligarchie financière assimilée à Macron et les échecs, causés par les appareils politiques protecteurs du régime, à le renverser et à centraliser et généraliser l’affrontement social, ont nourri des représentations complotistes à tropisme antisémite, à grande échelle.

Dans la mesure où aucune issue politique démocratique n’a été imposée et où les partis issus du mouvement ouvrier aussi bien que leurs supposés successeurs populistes ou écolos ne leur ont été d’aucune utilité, ces millions de prolétaires, car ils étaient des millions, peuvent, pour une grande partie d’entre eux, à nouveau voter RN, surtout face à Macron.

On peut déplorer ce phénomène, mais le confondre avec le vote nazi dans l’Allemagne de 1933 serait une stupidité grossière, et ne pas faire cette confusion n’enlève rien à la compréhension des héritages idéologiques fascistes dans le RN et des intentions anti-démocratiques et anti-ouvrières de ce parti. La large frange prolétarienne de la base électorale du RN est volatile et incontrôlée par celui-ci, qui ne l’organise pas et auquel elle échappe facilement et spontanément dès qu’un mouvement social réel la libère.

RN et crise du haut appareil d’État.

Ce n’est absolument pas une poussée dans les « couches populaires » qui renforce actuellement le RN, mais c’est la crise des sommets de l’État. La tentative macronienne de rénovation de la V° République est largement restée suspendue en l’air et la crise s’est donc aggravée à tous les échelons de l’appareil d’État, dans ses structures les plus fondamentales : corps des officiers et des généraux, corps préfectoral, corps diplomatique, police.

Les appels à la « guerre civile » de généraux se référant, par le choix de la date du 21 avril, à l’OAS et à Le Pen père, donc à la quintessence « V° République » de l’extrême-droite française, et la place centrale prise par Alliance, qui n’est en rien un syndicat mais qui structure, avec d’autres officines de même nature (y compris celles affiliées aux confédérations ouvrières !), l’appareil policier du pays, constituent deux évolutions essentielles de la toute dernière période.

Il faut ajouter à cela l’incohérence croissante de la politique africaine de Macron (soutien arc-bouté au clan Déby au Tchad, menace de « partir » du Mali, retrait partiel en Centrafrique) qui ne peut qu’aggraver le mécontentement dans les sommets de l’armée et de la diplomatie. Le déclin de l’impérialisme français est bien entendu ici la toile de fond. Le fantasme d’un retour souverain à la « grandeur de la France », qui s’émanciperait de la double tutelle nord-américaine et allemande, en renouvelant avec Poutine la légendaire alliance franco-russe, assorti de conceptions néo-conservatrices et patriarcales de l’ordre social, forme la vision du monde de bien des hauts fonctionnaires et hauts fonctionnaires retraités.

Ce terreau permet que communient, dans une commune admiration envers Poutine « homme d’État », néo-gaullistes et nostalgiques de l’OAS, les enfants des deux composantes sœurs jumelles, un temps ennemies, des forces qui ont fondé ce régime un certain 13 mai 58.

En fait, c’est l’affaiblissement, voire la déliquescence, de l’impérialisme français qui rend ses agents sujets à la fascination « russe » et faussement « souverainiste ». L’intervention des services et des prébendes russes est à l’origine d’au moins deux têtes de listes importantes du RN aux élections régionales : Thierry Mariani en PACA, dirigeant de LR passé au RN sous l’égide de Poutine, et Andrea Kotarac en AuRA, ancien « jeune homme prometteur » de la FI que Mélenchon et Chikirou protégeaient encore lorsqu’il allait rencontrer Marion Maréchal-Le Pen en Crimée annexée …

* * *

Résumons : l’appareil du RN, qui draine les héritiers du fascisme, est avant tout une composante organique du régime de la V° République, qui joue un rôle clef à toutes les étapes de son histoire. La crise sociale et l’affaiblissement de l’impérialisme français en ont progressivement fait, sous la forme du FN de Le Pen-père puis sous celle, élargie, du RN de Le Pen-fille, une réalité électorale de masse, mais pas une organisation de masse.

Fascisme et nazisme dans les années 20-30 du siècle dernier étaient des forces actives et dynamiques. Le FN puis le RN sont des expressions passives de la crise du régime et de la crise sociale. On dit souvent que Mme Le Pen n’a qu’à se taire et à récolter, électoralement, en laissant son bout du nez raciste et antisémite se faire discret, tout en restant présent.

L’arrivée au pouvoir de ce parti peut être un résultat, à la fois prévisible et indésiré par le grand capital, de la crise du régime, et en serait le stade suprême de décomposition. Dans l’affrontement social et démocratique qui s’ensuivrait, l’un des plus grands dangers serait à vrai dire, le confusionnisme accru de la gauche officielle et de ses successeurs …

VP, le 14-06-2021.

Lire aussi l’additif : Compléments critiquant certaines conceptions (Ugo Palheta, Edwy Plenel).