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"Abstention aux régionales : une gifle démocratique et dégagiste"

Lien publiée le 21 juin 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

"Abstention aux régionales : une gifle démocratique et dégagiste" (marianne.net)

"Abstention aux régionales : une gifle démocratique et dégagiste"

François Cocq, enseignant, essayiste et membre du collectif « Les Constituants », analyse les raisons de l'abstention massive lors du premier tour des élections régionales et départementales, ce 20 juin.

La France a le feu aux joues. Parce qu’elle est bel et bien nationale, constatable et constatée – comment la manquer d’ailleurs – dans chaque canton, chaque département et chaque région, l’abstention massive et déflagratrice lors du double scrutin du 20 juin est une gifle démocratique infligée aux pouvoirs politiques, du gouvernement aux oppositions.

Les mandatures locales ne protègent plus aujourd’hui de la sanction populaire : la colère a irrigué le pays tout entier pour marquer au plus près du terrain le désaveu citoyen qui frappe les écuries politiciennes et les mécanos institutionnels dont elles se sont dotées pour contourner la souveraineté populaire.

DISCRÉDIT

L’abstention est tout d’abord massive et sans précédent : un famélique 32 % de participation là où les régionales avaient jusqu’ici mobilisé toujours au moins 46 % des citoyens - en 2010 -, et les départementales au moins 44 % d’entre eux - en 2011, à l’époque où les renouvellements de cantons s’effectuaient encore par moitié. Elle enfonce encore le plus bas score historique enregistré l’an passé lors des élections municipales : la tragédie a-démocratique en pandémie avait vu une chute de 18,9 % de la participation au premier tour pour s’établir à 44,6 % lors d’un scrutin maintenu malgré la fermeture la veille de tous les lieux de vie du pays.

Quant au second tour, seul 41,8 % du corps électoral s’était mobilisé, un repli de 20,3 %, soit un tiers de moins par rapport à 2014 ! Le maintien de ces municipales par un pouvoir et des oppositions au diapason pour s’enfermer dans leurs intérêts politiciens au détriment de la santé des Français a rompu la confiance populaire dans les scrutins locaux jusque-là plébiscités. Après les municipales, départementales et régionales subissent la foudre des non-électeurs. Le discrédit politique venu d’en haut frappe les élus jusqu’en bas.

POST-DÉMOCRATIE

Plus précisément, l’abstention de masse du corps politique traduit aussi le rapport au corset institutionnel qui lui est imposé. Ce scrutin régional est le premier lors duquel les électeurs peuvent jauger de l’action de leurs treize nouvelles supers-régions, fusion commandée par Bruxelles et exécutée par François Hollande en 2015. Là où 74,8 % des citoyens se déplaçaient en 1986 à l’occasion des premières élections régionales, ils sont moitié moins aujourd’hui. Ces vastes entités technocratisées conçues pour être à l’échelle européenne des espaces de contournement démocratique des cadres nationaux, avec des élus lointains, inconnus des citoyens pour ne pas avoir à leur rendre de comptes, ont finalement atteint leur but : le retrait démocratique pour laisser les mains libres à la post-démocratie.

« La réforme territoriale est un tombeau démocratique »

Quant aux élections départementales, ils sont loin les 50 % de participation de 2015, ou quand jusque dans les années 2000 les deux tiers des électeurs se déplaçaient pour élire leur conseiller général : les binômes issus des combinaisons politiques n’attirent plus le citoyen qui a vu les départements « dévitalisés » par la loi NOTRe de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, et ses transferts de compétences, selon le mot même à l’époque du secrétaire d’État à la réforme territoriale, André Vallini. Les communes et les départements ont été réduits à être des coquilles vides ou presque, et les électeurs ne s’y trompent pas en se détournant de scrutins d’apparat, tandis qu’ils s’éloignent de régions désincarnées avec leur métropole affiliée. La réforme territoriale est un tombeau démocratique.

LREM/RN : MÊME ÉCHEC

Mais les résultats du scrutin, pour ce qu’ils ont d’observable au regard de l’échantillon restreint et biaisé par les différences de mobilisation des électorats, que représentent les électeurs du 20 juin, ne sont pas pour autant dénués d’enseignements. Pour ce qui est des grands (dés)équilibres, constatons tout d’abord que le pouvoir macronien est une machine à dissoudre : ses scores le réduisent partout ou presque au rôle de supplétif. Même en Centre-Val de Loire où Marc Fesneau se voyait en héraut du macronisme, le ministre termine en quatrième position avec à peine 15 % des suffrages.

LREM n’existe que par son rôle dislocateur, jamais en tant que force agrégative à vocation majoritaire. LREM ne parvient à ouvrir aucune perspective et n’apparaît en rien comme une solution aux yeux des électeurs. Le faible parti présidentiel laisse le roi nu : 2022 sera encore pour Emmanuel Macron un projet personnel, voire solitaire. Pire, si l’irresponsabilité ne présidait pas, son gouvernement devrait voler en éclat, cinq ministres candidats ayant été châtiés dans les urnes et ne pouvant atteindre le second tour. Une gifle avec l’avers pour l’abstention, une autre en retour du revers avec les bulletins exprimés, un gouvernement qui a autant investi un scrutin local en le nationalisant et le pré-présidentialisant devrait tomber si pour ces gens-là, le demos avait encore un sens.

Pour ce qui est des oppositions, si la gauche ne reprend pas pied et plafonne à 35 %, au niveau de ses 36 % de 2015 et loin des 50 % de 2010 qui annonçaient l’élection à venir de François Hollande, la droite bénéficie de la faillite présidentielle et de la mobilisation de son électorat. Avec un score national autour de 29 %, elle stabilise (à la baisse) son potentiel de 31,7 % de 2015. Aucun effet dynamique de ce côté-là mais de fait, la droite a desserré l’étau dans lequel Macron et le RN voulaient la broyer. Il faut dire que du côté de Marine Le Pen, le pilon est en mousse : avec 19 % au niveau national, le RN est en repli de près de 10 points par rapport à 2015 (27,7 %), quand il mobilisait 6 millions d’électeurs. Le RN n’arrive finalement en tête des suffrages que dans une dizaine de départements et voit partout invalidées par les électeurs les victoires que lui prédisait le landerneau médiatique.

CHOC DÉMOCRATIQUE

La prime est donc allée aux sortants et à la mobilisation du socle électoral de chacun. À ce petit jeu, les installés des vieux partis sont les plus efficaces en même temps qu’ils deviennent de plus en plus minoritaires. Leur maintien relatif par rapport aux votants est pour eux aussi une faillite dans l’absolu du corps électoral, les pertes en voix étant immenses. Seul le discrédit du pouvoir et la colère populaire, en favorisant l’abstention, leur donnent l’illusion du salut. Une enquête Ifop le jour du scrutin atteste ainsi que 52 % des électeurs de François Fillon et 40 % de ceux de Benoît Hamon lors de la présidentielle 2017 sont allés voter lors de ces départementales et régionales.

Échaudés, seuls 36 % de ceux d’Emmanuel Macron se sont déplacés tandis que Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon n’ont mobilisé que 29 % et 25 % de leur électorat. Les rapports de force au soir du premier tour pèsent peu par rapport au signal envoyé par l’abstention. Fous sont ceux qui, en surinterprétant ces scores, voudraient faire croire que le paysage de 2022 s’est modifié : au contraire, en l’état, la scène politique reste plus que jamais figée, cryogénisée par le refus des Français de voir en 2022 un décalque de 2017. Dès lors, seul un projet politique renouvelé qui, en proposant un contrat populaire et républicain visant à traduire par des ruptures ordonnées la majorité populaire qui bouillonne, serait à même de régénérer le souffle démocratique du pays.

« La gifle démocratique glaçante infligée en conscience devrait pousser les fauteurs de troubles démocratiques à prendre acte du désaveu »

Il y a trente mois, les gilets jaunes donnaient à voir le hiatus de légitimité entre d’un côté un pouvoir élu dans une démocratie qui se réduit à l’élection, et de l’autre la souveraineté populaire, permanente et inaliénable. C’est désormais dans les urnes et avec une puissance démesurée que se matérialise ce choc démocratique. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », aurait dû se souvenir Emmanuel Macron lorsque sa cynique campagne électorale l’a conduit sur les traces des animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine.

La gifle démocratique glaçante infligée en conscience et en politisant leur abstention par des citoyens que les belles personnes voudraient renvoyer à un individualisme égoïste, devrait pousser les fauteurs de troubles démocratiques à prendre acte du désaveu dont ils sont l’objet, tant au pouvoir que dans les oppositions, et, à défaut de libérer dès à présent le terrain, à ne pas nous infliger le spectacle de leur impuissance l’an prochain.