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(Treize thèses + 1) sur le pouvoir destituant

Lien publiée le 25 juin 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(treize thèses + 1) sur le pouvoir destituant (lundi.am)

Où en est le communisme destituant ? Sa théorie ? Elle chemine. Depuis ses sources italiennes, provoquant de féconds débats, outre-atlantique. Ici même, on l’abordait (en tout cas récemment) avec une certaine prudence.
Apportons encore un peu de matière au sujet, avec ces 13+1 thèses signées (collectivement), Grisha.

Le pouvoir destituant est le geste politique de rejet de la violence souveraine capable d’interrompre le cours normal des choses. Le pouvoir destituant n’est ni un programme politique ni un exercice philosophique. C’est un contrecoup conceptuel : il reflète la réalité de notre condition présente.

1.

Le pouvoir destituant possède une dimension ontologique. Il se manifeste à partir du néant, d’une absence totale de fondement.

« Je ne sais pas
mais
je sais que
l’espace,
le temps,
la dimension,
le devenir,
le futur,
l’avenir,
l’être,
le non- être,
le moi,
le pas moi,
ne sont rien pour moi ;
mais il y a une chose
qui est quelque chose,
une seule chose
qui soit quelque chose,
et que je sens
à ce que ça veut
SORTIR :
la présence
de ma douleur
de corps,
la présence
menaçante,
jamais lassante
de mon
corps ;
si fort qu’on me presse de questions
et que je nie toutes les questions
il y a un point
où je me vois contraint
de dire non,
NON
alors
à la négation ;
et ce point
c’est quand on me presse,
quand on me pressure
et qu’on me trait
jusqu’au départ
en moi
de la nourriture,
de ma nourriture
et de son lait,
et qu’est-ce qui reste ?
Que je suis suffoqué ;
et je ne sais pas si c’est une action
mais en me pressant ainsi de questions
jusqu’à l’absence
et au néant
de la question
on m’a pressé
jusqu’à la suffocation
en moi
de l’idée de corps
et d’être un corps,
et c’est alors que j’ai senti l’obscène
et que j’ai pété
de déraison
et d’excès
et de la révolte
de ma suffocation.
C’est qu’on me pressait
jusqu’à mon corps
et jusqu’au corps
et c’est alors
que j’ai tout fait éclater
parce qu’à mon corps
on ne touche jamais » (Antonin Artaud).

2.

Le pouvoir destituant décèle une grandeur politique chez ceux qui sont normalement exclus de la politique. Chez ceux qui agissent et travaillent sur les seuils d’exclusion conçus et administrés par la loi. Chez ceux qui sont indifférents à la dialectique de la reconnaissance. Chez ceux qui, en affichant cette distance, se soustraient à toute emprise du pouvoir. C’est pour cette raison que ces gens-là possèdent un pouvoir politique inouï.

« Il rôde dans les ruelles de Naples, jour et nuit, par le beau et le mauvais temps, il n’a pas de visage, il n’a pas de nom. Si je pouvais le représenter avec la fumée dont est fait le Perelà de Palazzeschi, je lui donnerais une physionomie, un corps. Mais notre spectre n’est ni une ombre ni une abstraction : il est quelque chose qui en même temps n’est pas. Je dois quand même prévenir que le Néant à Naples n’est jamais tout à fait rien. Il est toujours la négation d’un fait négatif, une non-maladie, à savoir, une non-mort, une non-faim, une non-misère, une non-catastrophe, et ainsi de suite, à l’infini. La figure de Personne s’élève souveraine dans ce Royaume qui attend toujours le pire » (Carlo Bernari).

3.

Le pouvoir destituant se réalise dans l’événement, dans une temporalité imprévisible, qui suspend l’ordre de l’histoire et ouvre vers une politique du “non-encore”. Sa nature est vivace et spectrale. L’événement est l’impossible : ce qui ne peut pas être anticipé et qui ne peut devenir l’objet d’aucune pré-compréhension.

« Mai 68 a montré que, sans projet, sans conjuration, pouvait, dans la soudaineté d’une rencontre heureuse, comme une fête qui bouleversait les formes sociales admises ou espérées, s’affirmer (s‘affirmer par-delà les formes usuelles de l’affirmation) la communication explosive, l’ouverture qui permettait à chacun, sans distinction de classe, d’âge, de sexe ou de culture, de frayer avec le premier venu, comme avec un être déjà aimé, précisément parce qu’il était le familier-inconnu. “Sans projet” : c’était là le trait, à la fois angoissant et fortuné, d’une forme de société incomparable qui ne se laissait pas saisir, qui n’était pas appelée à subsister, à s’installer, fût-ce à travers les multiples “comités” par lesquels se simulait un ordre-désordonné, une spécialisation imprécise. Contrairement aux “révolutions traditionnelles”, il ne s’agissait pas de seulement prendre le pouvoir pour le remplacer par un autre, ni de prendre la Bastille, le Palais d’hiver, l’Elysée ou l’Assemblée nationale : objectifs sans importance, et pas même de renverser un ancien monde, mais de laisser se manifester, en dehors de tout intérêt utilitaire, une possibilité d’être-ensemble qui rendait à tous le droit à l’égalité dans la fraternité par la liberté de parole qui soulevait chacun. Chacun avait quelque chose à dire, parfois à écrire (sur les murs) ; quoi donc ? cela importait peu. Le Dire primait le dit. La poésie était quotidienne. La communication “spontanée”, en ce sens qu’elle paraissait sans retenue, n’était rien d’autre que la communication avec elle-même, transparente, immanente, malgré les combats, débats, controverses, où l’intelligence calculatrice s’exprimait moins que l’effervescence presque pure (en tout cas, sans mépris, sans hauteur ni bassesse), - c’est pourquoi on pouvait pressentir que, l’autorité renversée ou plutôt négligée, se déclarait une manière encore jamais vécue de communisme que nulle idéologie n’était à même de récupérer ou de revendiquer. Pas de tentatives sérieuses de réformes, mais une présence innocente (à cause de cela suprêmement insolite) qui, aux yeux des hommes de pouvoir et échappant à leurs analyses, ne pouvait qu’être dénigrée par des expressions sociologiquement typiques, comme chienlit, c’est-à-dire le redoublement carnavalesque de leur propre désarroi, celui d’un commandement qui ne commandait plus rien, pas même à soi-même, contemplant, sans la voir, son inexplicable ruine. Présence innocente, “commune présence” (René Char), ignorant ses limites, politique par le refus de ne rien exclure et la conscience d’être, telle quelle, l’immédiat-universel, avec l’impossible comme seul défi, mais sans volontés politiques déterminées et, ainsi, à la merci de n’importe quel sursaut des institutions formelles contre lesquelles on s’interdisait de réagir. C’est cette absence de réaction (Nietzsche pouvait passer pour en être l’inspirateur) qui laissa se développer la manifestation adverse qu’il eût été facile d’empêcher ou de combattre. Tout était accepté. L’impossibilité de reconnaître un ennemi, d’inscrire en compte une forme particulière d’adversité, cela vivifiait, mais précipitait vers le dénouement, qui, au reste, n’avait besoin de rien dénouer, dès lors que l’événement avait eu lieu. L’événement ? Et est-ce que cela avait eu lieu ? » (Maurice Blanchot).

4.

Le pouvoir destituant a lieu partout dans l’espace. Là où les singularités génériques esquivent et déstructurent collectivement l’appareil de capture et de contrôle du pouvoir. Bien que la géographie des lieux puisse provoquer les formes de lutte destituantes, c’est seulement le refus qui fait de l’espace un lieu de libération. Le pouvoir destituant fait irruption dans les seuils mobiles du monde contemporain : banlieuesslums, frontières, rues, corps. Les usines interrompues, les silences des call centers.

« On peut aimer une ville, on peut reconnaître ses maisons et ses rues dans nos souvenirs les plus chers et les plus lointains. Mais c’est seulement dans le moment de la révolte que la ville devient notre ville. Notre villecar elle est à la fois la mienne et des “autres” ; notre ville, car elle est le champ d’une bataille qu’on a choisie et que la collectivité a choisie ; notre ville, car elle est l’espace circonscrit où le temps historique est suspendu et où chaque acte a de l’importance en lui-même, dans ses conséquences immédiates. On s’approprie une ville moins en y jouant dans notre enfance ou en s’y promenant plus tard avec une fille qu’en fuyant ou en avançant dans l’alternance des charges de la police. Dans le moment de la révolte on n’est plus seul en ville. » (Furio Jesi)

5.

Le pouvoir destituant est étranger à toute logique du sujet et de l’identité. C’est la capacité de reconnaître que la seule subjectivité politique à la hauteur des temps est celle qui parvient à se révoquer. C’est la singularité générique, sans conscience, qui ne peut pas être représentée. C’est la singularité destituante qui devient destituante au moment même où elle se constitue, avec les autres, dans la lutte.

« Le moi représentateur-créateur vu dans sa solidité, et dans sa fixité centrale qui est justement celle de la cheville qu’il est, entouré d’un temps inepte et inerte, destiné à éclairer les ténèbres comme un projecteur dans les terreurs nocturnes, ce moi est à mes yeux une idole mitée. Ce pantin de la crédulité ptolémaïque n’a de toute façon rien à voir avec mon identité d’homme blessé, de paumé, de pauvre type, de “dissocié noétique”. Autour de moi, autour de nous, la tempête des événements mortels, la douleur, le lent supplice des ans. L’idée même de vouloir s’abolit, dans le mol impossible. L’océan de la stupidité. » (Carlo Emilio Gadda)

6.

Le pouvoir destituant refuse l’idée moderne selon laquelle il n’y a de la politique que là où il y a l’État ou la police. En revanche, le pouvoir destituant pense le pouvoir au-delà de toute forme de gouvernement, de toute théologie politique. Sa dimension destituante n’a rien à voir avec des formes de passivité, elle détermine plutôt sa force dans l’action et la décision politique. Elle nie toute activité productive en fonction du capital. La grève sauvage comme suspension de la domination de ce qui est.

« Bonjour directeur.
— Ici la situation est désastreuse.
— Vraiment ? Il n’y a pas d’arrangement ?
— Il me semble être dans la débâcle.
— C’est terrible.
— La fonction gouvernementale la plus élémentaire n’existe plus à Milan.
— Je comprends.
— Il n’y a plus rien, absolument plus rien qui ressemble à un gouvernement.
— Mais que peut-on faire dans cette situation ?
— Donner le pouvoir à la Confédération Générale du Travail.
— Mais c’est la fin de tout !
— Non, non, cela vaut beaucoup mieux que ce qui se passe maintenant. On ne peut continuer ainsi, mon cher !

— Alors en sommes vous dites : faisons la révolution et adieu ! C’est terminé ! Mais pour l’éviter que peut-on faire ?
— Précisément, pour l’éviter le seul moyen est de donner le pouvoir à la Confédération Générale du Travail.
— Et pour quoi faire ?

— Le conseil d’usine, tout ce qu’ils voudront… Mais au moins un ordre sera rétabli (…) ici les industriels disent : que le gouvernement nous retire la propriété des usines, qu’il fasse des coopératives, quelque chose enfin, mais qu’il y ait un gouvernement qui dirige, un gouvernement socialiste, ou un autre, mais on n’avait jamais vu une situation aussi catastrophique. » (Archives de la Police. Conversation téléphonique entre Giovanni Amendola, député du parti libéral à Rome, et Luigi Albertini, directeur du « Corriere della Sera » de Milan, à propos du mouvement d’occupation des usines dans le nord de l’Italie. 15 septembre 1920, 9h)

7.

Le pouvoir destituant fait surface et s’impose à l’époque de la coïncidence tendancielle entre la production et l’existence. A l’époque où le procès de valorisation assume un caractère immatériel. Toutefois ce lien n’implique pas l’existence immédiate d’une richesse sociale. En effet, le caractère sophistiqué du bio-pouvoir global est à même de promouvoir, retenir, calculer et gouverner l’excès désirant de l’existence. C’est seulement par le refus des dispositifs de contrôle du néo-libéralisme que le lien entre la production et l’existence parvient à exprimer son caractère excédant, et biopolitique. Au moment où la destitution politique de l’état actuel des choses crée les conditions pour apprendre à désirer d’une manière différente.

« Compagnons, camarades,
– il devrait me revenir – a dit Maïakovski –
un monument de mon vivant ! –
Je suis celui-là même que vous ne vous expliquez pas
hier encore puis cette nuit ou jamais
je suis ce tutoiement général, la statue

d’un avant-centre de l’équipe azzurra qui court
la tête entre les pieds sans ballon.
Cent à l’heure du terrain,
je suis l’essoufflement qui se désaffectionne
en trouvant tout rond dans le filet
point du tout adversaire
un monde déjà marqué par personne
d’autre que moi quand je n’étais pas né.
Et voilà fait ce que je ne fais pas
et voilà dit ce que je disais
voilà récompensé ce que je voulais
précis pour me dire que je ne suis pas précis.
Me voilà mort alors que je vivais le plus –
Tactique – me répondent les étoiles –
tu ne sais pas tenir au jeu de la course –
– Oh, se révéler ! – Reviens, mais cette nuit,
si tu veux revenir, après la partie,

car blanche verte rouge au-delà de Montale
elle est finie tu sais pourquoi elle est finie
à l’intérieur d’une seule sieste commune
elle est l’exception que tu croyais être telle :
une occasion de foule diminuée
ton arrivée tardive
remet en jeu le jeu d’une vie
gagnée l’autre nuit au fond de la mer.
Et l’espoir est si grand
qu’il ne me suffit plus
mais il est tel qu’il me reste, musicale,
la vie » (Carmelo Bene).

8.

Le pouvoir destituant peut briser la condition grégaire de l’humain. Il peut casser ce destin auquel nous abandonne l’économie libérale. Cette infraction est l’éruption d’une autre animalité : féroce et sauvage. Incalculable. Seule l’émersion de cette animalité engendre une rupture irréparable, qui ne saurait se transformer en une crise reconstituante pour le bio-capital. Il s’agit plutôt d’une catastrophe, de l’ouverture d’une faille dans la temporalité du monde. C’est une fête qui rompt le trantran sombre du pouvoir. Et pourtant son soulèvement n’a rien de miraculeux. C’est, au contraire, une possibilité de l’existence. L’occasion peut même paraître dérisoire, mais elle dévoile toujours la condition intolérable de ceux qui sont cloués à être ce qu’ils sont.

« Tout en tendresse ça monta : lent, enflant. Avec plénitude ça vibra. Et leur dialogue. Ah, donne ! Prends ! Vibre, une vibration, un battement, une fière érec. Paroles ? Musique ? Non : c’est ce qui est derrière. Bloom bouclait, débouclait, nouait, dénouait. Bloom. Un flot de fluide flasque fleurit le furtif pour le flanquer dans la musique,
désirant, sombre à lécher, envahissant. La tâtant la tapant la taillant la tassant. Tâche. Pores à dilater se dilatant. La joie la sensation la chaleur la. Tâche. Pour lâcher les vannes, lâcher les eaux. Flux, jets d’eaux, flots, jets de joie,
flonflons. C’est ça ! Langage d’amour » (James Joyce).

9.

Le pouvoir destituant ne se pose pas la question de la violence. La violence n’existe que pour l’Etat. Etranger à la logique ami/ennemi, le pouvoir destituant est une force qui se réalise dans la contingence et la praxis où l’on décide à chaque fois et de nouveau pour la violence ou la non-violence.

« à la course vers l’hôpital d’Al Quds sur un des rares taxis courageux qui, en zigzagant, défient encore les tirs à la cible des bombes, j’ai vu un groupe d’enfants arrêté à l’angle d’une rue. Ils étaient sales, avec des vêtements rapiécés, comme nos sciuscià de l’après guerre. Avec des frondes ils lançaient des pierres vers le ciel, en direction d’un ennemi très lointain et inabordable qui se moque de leurs vies. La métaphore cinglée photographiant l’absurdité de ces temps et ces lieux » (Vittorio Arrigoni).

10.

Le pouvoir destituant est un événement de la politique. Il ouvre la chance pour une politique révolutionnaire. En même temps, il dénonce toute révolution qui trahit ses principes pour devenir un appareil de gouvernement.

« La nuit tout Berlin est une bourse d’échanges et de transactions. Tous se mélangent et puis certains s’isolent. L’espionnage a la tâche facile, le moindre effondrement saute aux yeux. Chacun tient à se débarrasser de son secret, à livrer son information, à se mettre à table au cours de l’interrogatoire. Chacun a maintenant chacun sur le dos et nul ne peut contrôler l’addition qu’on lui glisse dans la pénombre. Dehors le matin est déjà revenu, du coup il fait trop clair. Fini les additions. Sauf pour les travestis personne ne sait sous quelle forme ni avec quel sceau scellant leurs lèvres maquillées ils rentreront à la maison pour s’endormir, joyeux, chaque jour » (Ingeborg Bachmann).

11.

Le pouvoir destituant hérite l’expérience des révoltes et des désertions du passé. Les luttes disparaissent en laissant des traces. Leur héritage sourd dans les lieux et les corps à chaque fois que l’on évite l’emprise du pouvoir. L’événement destituant - l’ouverture d’un monde, sa nouveauté politique – recueille l’écho invisible des insurrections et des refus qui ont tourmenté l’ordre de l’histoire.

« Vraiment, je vis dans de très sombres temps !
Insensés sont les mots innocents. Un front lisse
Veut dire insensibilité. Celui qui rit,
C’est que l’effroyable nouvelle
N’est pas encore arrivée jusqu’à lui.
Quels temps
Que ceux où parler des arbres est presque un crime,
Parce que c’est faire le silence sur tant de forfaits !
Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue
Sans doute ses amis qui sont dans le malheur
Ne peuvent plus le joindre.
C’est vrai : je gagne encore ma vie,
Mais croyez-moi : c’est un simple hasard.
Rien de ce que je fais ne justifie que je mange à ma faim.
Par hasard je suis épargné. (Si la chance tourne, je suis perdu).
On me dit : Bois et mange, toi ! Réjouis-toi d’avoir de quoi !
Mais comment puis-je boire et manger
Quand j’arrache à l’affamé ce que je mange,
Quand mon verre d’eau manque à l’assoiffé ?
Et pourtant je bois et je mange.
J’aimerais aussi être un sage.
Dans les vieux livres il est écrit ce que c’est être sage :
Se tenir hors des luttes du monde et sans peur
Passer le peu de temps,
Réussir à ne pas employer la violence,
Rendre le bien pour le mal,
Ne pas réaliser ses désirs, les oublier
Voilà ce qui passe pour être sagesse.
Tout cela je ne le peux pas.
Vraiment, je vis dans de très sombres temps !
Je vins dans les villes au temps du désordre
Quand la famine y régnait.
Je vins dans les villes au temps du désordre
Quand la faim y régnait.
Je vins parmi les hommes au temps de la révolte
Et je me suis révolté avec eux.
Ainsi passa le temps
Qui m’était donné sur la terre.
Mon manger, je l’ai mangé entre les batailles,
Je me couchais pour dormir entre les assassins.
De l’amour, je m’occupais sans beaucoup d’égards,
Et la nature, je l’ai vue sans patience.
Ainsi passa le temps
Qui m’était donné sur la terre.
De mon temps, les routes débouchaient sur le marais.
Le langage me trahissait au bourreau.
Je pouvais peu. Mais sans moi les maîtres
Auraient été plus assurés dans leur puissance, et je l’espérais.
Ainsi passa le temps
Qui m’était donné sur la terre.
Les forces étaient petites. Le but
Était dans le vaste lointain.
Il était nettement visible, même si moi
Je pouvais à peine penser l’atteindre.
Ainsi passa le temps
Qui m’était donné sur la terre.
Vous qui émergerez du flot
Dans lequel nous aurons sombré
Pensez
Quand vous parlerez de nos faiblesses
Aux sombres temps
Dont vous serez sortis.
Car nous allions, changeant plus souvent de pays que de souliers,
A travers les luttes de classes, désespérés
Quand il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.
Et nous le savons pourtant :
Même la haine contre la bassesse
Déforme les traits.
Même la colère contre l’injustice
Rend rauque la voix. Ah ! nous,
Qui voulions préparer le terrain pour un monde amical,
N’avions pas pu être amicaux.
Mais vous, quand on en sera là,
Que l’homme sera un ami pour l’homme,
Pensez à nous
Avec indulgence » (Bertolt Brecht).

12.

Le pouvoir destituant ne reconnaît pas la légitimité des institutions représentant les intérêts du capitalisme contemporain. Pour cette raison, il concourt à leur extinction. En même temps, le pouvoir destituant contribue à créer les conditions pour l’émergence de nouvelles institutions qui resteraient fidèles à la contingence et garantiraient la nature infondée de la singularité générique. Des institutions capables de prendre en compte le statut provisoire de la singularité générique et de sauvegarder la valeur de l’action politique en tant que
refus.

« L’essence de la société n’est pas la loi, mais l’institution. La loi, en effet, est une limitation des entreprises et des actions, et ne retient de la société qu’un aspect négatif. Le tort des théories contractuelles est de ne nous présenter une société dont l’essence est la loi, qui n’a pas d’autre objet que de garantir certains droits naturels préexistants, pas d’autre origine que le contrat : le positif est mis hors du social, le social est mis d’un autre côté, dans le négatif, dans la limitation, dans l’aliénation. L’institution n’est pas une limitation comme la loi, mais au contraire un modèle d’actions, une véritable entreprise, un système inventé de moyens positifs, une invention positive de moyens indirects » (Gilles Deleuze).

13.

Le pouvoir destituant rejette le nom ordonnant la violence globale et la souffrance de la singularité générique : le gouvernement de la démocratie. Néanmoins la démocratie est aussi le nom d’une politique non fondée, dépourvue d’arché. Voilà pourquoi le pouvoir destituant est naturellement démocratique. Cette ontologie nous pourrions l’appeler communisme.

« C’est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, que les capitalistes ont disparu et qu’il n’y a plus de classes (c’est-à-dire plus de distinctions entre les membres de la société quant à leurs rapports avec les moyens sociaux de production), c’est alors seulement que l’Etat cesse d’exister et qu’il devient possible de parler de liberté”. Alors seulement deviendra possible et sera appliquée une démocratie vraiment complète, vraiment sans aucune exception. Alors seulement la démocratie commencera à séteindre pour cette simple raison que, délivrés de l’esclavage capitaliste, des horreurs, des sauvageries, des absurdités, des ignominies sans nombre de l’exploitation capitaliste, les hommes shabitueront graduellement à respecter les règles élémentaires de la vie en société connues depuis des siècles, rebattues durant des millénaires dans toutes les prescriptions morales, à les respecter sans violence, sans contrainte, sans soumission, sans cet appareil spécial de coercition qui a nom : l’Etat. L’expression “l’Etat s’éteint” est très heureuse, car elle exprime à la fois la gradation du processus et sa spontanéité. Seule l’habitude peut produire un tel effet et elle le traduira certainement, car nous constatons mille et mille fois autour de nous avec quelle facilité les hommes s’habituent à observer les règles nécessaires à la vie en société quand il n’y a pas d’exploitation, quand il n’y a rien qui excite l’indignation, qui suscite la protestation et la révolte, qui nécessite la répression. Ainsi donc, en société capitaliste, nous n’avons qu’une démocratie tronquée, misérable, falsifiée, une démocratie uniquement pour les riches, pour la minorité. Seul le communisme est capable de réaliser une démocratie réellement complète ; et plus elle sera complète, plus vite elle deviendra superflue et s’éteindra d’elle-même » (Vladimir Lénine).