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"Si une dictature sauve des vies" : des sénateurs plaident pour une surveillance intrusive en cas de crise
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
SMS envoyé automatiquement si vous sortez de chez vous sous couvre-feu, amendes prélevées directement sur votre compte… Pour anticiper les futures crises, des sénateurs proposent de développer des outils de plus en plus intrusifs.
Trois sénatrices et sénateurs membres de la « délégation sénatoriale à la prospective » ont rendu le 3 juin leur rapport d’information sur les crises sanitaires et les outils numériques. Les parlementaires Christine Lavarde et René-Paul Savary, tous deux LR, et Véronique Guillotin, du Mouvement radical (petit parti centriste, proche de LREM) y proposent de collecter de nombreuses données personnelles de la population au prétexte d’anticiper les futures crises, en particulier épidémiologiques, à venir. Selon eux, le numérique serait « un puissant antivirus ». Ces données seraient transférées sur un « Crisis Data Hub », nommé ainsi en référence au « Health Data Hub », qui recueille déjà les données de santé (voir notre article).
Les sénatrices et sénateurs ont basé leur étude sur l’expérience de la crise du Covid-19 en France et dans d’autres pays (Estonie, Chine, Taïwan, Singapour, Corée du Sud et Hong Kong). « Est-ce que nous avons, dans notre pays, optimisé l’utilisation de l’outil [numérique] pour sortir ou gérer au mieux cette crise ? demande Véronique Guillotin dans un entretien à Public Sénat. À chaque fois que les données étaient utilisées de manière assez intrusive, la crise a été plus courte », estime-t-elle.
Les rapporteurs décrivent les dispositifs particulièrement sécuritaires et intrusifs qui ont été mis en place dans d’autres pays. Mais rassurons-nous : « Le modèle chinois n’est évidemment pas transposable aux pays occidentaux, écrivent-ils. Avec un bémol : « On ne peut pas, pour autant, se satisfaire d’une simple posture d’indignation : la stratégie chinoise est, globalement, une grande réussite sur le plan sanitaire, avec officiellement 4846 morts pour 1,4 milliard d’habitants, soit 3 morts par million d’habitants, quand la France seule compte plus de 100 000 morts », ajoutent les sénateurs. Ils précisent cependant que ces chiffres ne sont pas forcément fiables...
Et si la liberté d’aller et venir devenait payante
Globalement, les sénateurs conseillent à la France d’adopter des outils beaucoup plus intrusifs : « Si une "dictature" sauve des vies pendant qu’une "démocratie" pleure ses morts, la bonne attitude n’est pas de se réfugier dans des positions de principe, mais de s’interroger sur les moyens concrets, à la fois techniques et juridiques, de concilier efficacité et respect de nos valeurs », détaille le rapport.
Les sénateurs proposent ainsi plusieurs idées : il s’agirait, par exemple, de mettre en place des portiques à l’entrée du métro qui sonneraient au moment où un individu contagieux chercherait à passer. Une autre proposition s’inspire d’un l’outil mis en place par des entreprises : leurs employés étaient équipés de colliers autour du cou, ces derniers sonnant quand les distanciations sociales ne seraient pas respectées. Les rapporteurs ne voudraient surtout pas aller jusque-là. Leur idée : « Nul besoin d’un boîtier autour du cou : un smartphone peut faire la même chose avec son Bluetooth et un son de 100 décibels. »
Autre suggestion : « Si je préfère malgré tout disposer de ma liberté d’aller et venir, et que je sors effectivement de chez moi, il est légitime que j’assume en contrepartie une fraction du surcoût payé par la société du fait de l’épidémie, par exemple sous la forme d’une petite hausse de mes cotisations sociales si le nombre ou la durée de mes sorties excède un certain seuil. » Soit payer pour être plus libre. Les classes sociales les plus aisées n’auraient plus qu’à s’acheter plus de droits, tandis que les plus pauvres ne pourraient plus se payer le luxe de sortir.
« On pourrait imaginer l’envoi automatique d’un SMS à tout individu qui s’éloignerait de son domicile »
Pour justifier le projet, les sénateurs pointent du doigt l’absence de connexion entre différentes bases de données, publiques ou privées. « Vous prenez un portable comme le mien, commente René-Paul Savary sur Public Sénat. J’ai Tous Anti Covid [l’application qui doit alerter sur une possible contamination au Covid], qui a un certain nombre de données. J’ai OuiSNCF [l’application de la SNCF], qui a un certain nombre de données. Si je suis en voiture, j’ai Waze qui me dit où je suis. Quand vous passez votre vaccin, c’est une autre application. Mais il n’y a pas d’interopérabilité entre ces différentes applications. Ce que l’on propose simplement, c’est qu’en cas de crise, il y ait cette interopérabilité. » Concrètement, les données médicales pourraient être croisées avec des données renseignant sur les déplacements des individus, leurs dépenses, leurs appels… Selon René-Paul Savary, les Français seraient trop frileux à l’idée de confier leurs données au gouvernement et il faudrait que les « mentalités évoluent » .
Pour convaincre du bien-fondé d’un hub central des données de santé, les sénateurs expliquent que la surveillance effectuée grâce à toutes les données amassées limiterait le nombre d’individus contrôlés. Dès lors, une surveillance plus intensive serait justifiée, parce que moins de gens seraient concernés. Dans cette logique, l’un des termes phares de ce rapport est « graduation ». En effet, puisque les mesures d’agrégation des données seraient graduées, il serait plus simple d’accepter que différents acteurs se communiquent plus facilement nos données. Mais quelle serait cette graduation ?
« Face à une menace un peu plus grave, on pourrait imaginer l’envoi automatique d’un SMS à tout individu qui s’éloignerait de son domicile pendant le couvre-feu. Dans les cas les plus extrêmes, des mesures plus fortes pourraient s’avérer indispensables », expliquent les parlementaires. Des mesures plus fortes ? Ce seraient par exemple le prélèvement direct du montant d’une amende sur le compte bancaire d’un individu si celui-ci ne respecte pas telle ou telle règle édictée dans le cadre du contexte sanitaire. Cet individu n’aurait donc pas la moindre possibilité d’expliquer pourquoi il a dérogé à cette règle.
Les acteurs publics comme privés devraient toujours être prêts à transférer les données
Bien sûr, les sénateurs temporisent leur proposition en affirmant que les données ne seraient pas utilisées par n’importe qui, n’importe quand et qu’elles le seraient selon la situation. Précisons que la France a vécu sous état d’urgence antiterroriste de novembre 2015 à novembre 2017, puis sous état d’urgence sanitaire d’octobre 2020 à septembre 2021. Si un tel « Crisis Data Hub » avait existé, l’accès par l’Etat à toutes ces données personnelles aurait-elle été autorisée pendant ces trois années ? Et même en dehors de périodes de « crise », l’amas de données ainsi récoltées serait rassemblées au même endroit. En plus de permettre un contrôle et une surveillance toujours plus étendus de l’État sur les citoyens, elles seraient rendues très vulnérables. La mise en réseau d’informations peut représenter un danger pour la protection de la vie privée des individus.
« Le présent rapport propose donc non pas de collecter une multitude de données sensibles à l’utilité hypothétique, mais tout simplement de nous mettre en capacité de le faire, pour ainsi dire en appuyant sur un bouton, si jamais les circonstances devaient l’exiger », tentent de modérer les sénateurs. Ces circonstances sont loin d’être précisées en détail. Dans tous les cas, selon le rapport, les acteurs publics comme privés devraient toujours être prêts à transférer massivement les données personnelles dont ils disposent.
Thalia Creac’h