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Guerre totale aux Philippines
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Guerre totale aux Philippines | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)
Crédit Photo
Wikimedia commons
Hebdo L’Anticapitaliste - 576 (08/07/2021)
Après la Birmanie, c’est probablement aux Philippines que la situation est la plus grave. Le président Rodrigo Duterte est connu pour avoir assuré l’immunité aux forces de répression, qui ont multiplié les assassinats extrajudiciaires dans la foulée de son élection en 2016 (probablement quelque 20 000 morts), le tout au nom de la « guerre à la drogue » qui a pris des allures de règlements de comptes et de « guerre aux pauvres ». La guerre contre l’épidémie s’est inscrite dans la même logique répressive. Une logique accentuée par l’adoption en 2020 d’une nouvelle loi antiterroriste, puis par la criminalisation de l’opposition politique et l’engagement d’une guerre totale contre les « rouges » (réels ou supposés). Après avoir déclaré que tout contrevenant au confinement devait être abattu, Duterte a ordonné aux soldats d’achever sur place tout « communiste » blessé lors d’un affrontement. Pas de quartier !
Initiatives locales
Le pays est en récession. À la fin de l’année 2020, six foyers sur dix auraient souffert de la faim et plus de 5 millions de PhilippinEs pourraient à leur tour basculer dans la pauvreté si le gouvernement ne leur fournit pas une aide suffisante. Face à l’émigration des soignantEs, qui ont payé un très lourd tribut à l’épidémie (étant démunis de moyens de protection), aucune mesure n’est prise pour renforcer le système hospitalier. Le nouveau budget maintient la politique de grands travaux d’infrastructure qui sont sources de corruption et d’enrichissement des riches, au lieu d’investir dans la santé et le social. La politique de vaccination est chaotique. Concentrée dans la région de la capitale, l’épidémie est en hausse et se propage progressivement dans le reste du pays.
La population doit apprendre à faire sans l’aide de l’administration. Les initiatives locales se multiplient pour organiser des cantines communautaires et assurer la distribution de nourriture et d’aide. La coalition Mihands s’investit, avec d’autres, dans ce mouvement. Implantée à Mindanao, elle comprend une cinquantaine d’associations, chacune avec sa spécialité, qui coordonnent leur action pour répondre aux catastrophes humanitaires de tous ordres. Cette coalition a acquis une dynamique qui lui est propre et n’est l’instrument d’aucun parti. Son terrain d’intervention est vaste. Il lui faut souvent, par exemple, répondre à une aggravation des multiples tensions à l’œuvre dans cette île, y compris en défense des peuples montagnards lumad dont les territoires ancestraux sont menacés par les lobbies économiques (bois, mines), l’armée, des milices du Front islamique de libération moro (MILF) dans la nouvelle entité administrative Bangsamoro récemment constituée, à majorité musulmane. La Nouvelle Armée du peuple (NPA) du PC philippin (maoïste) peut elle-même menacer des communautés qui veulent préserver leur autonomie et ne veulent pas tomber sous leur commandement. Négocier le règlement des conflits, des trêves ou des accords de paix est une urgence permanente à laquelle Mihands tente de répondre au mieux.
Cibles à abattre
Toutes les associations engagées depuis des années, voire des décennies, dans des activités progressistes parfaitement légales sont maintenant désignées comme des cibles à abattre par le régime Duterte. C’est le cas pour les membres de Mihands, comme pour bien d’autres. La situation se dégrade particulièrement rapidement à Mindanao, mais même dans la capitale, l’Université de Manille est dénoncée par les autorités comme un repère gauchiste, menacée d’occupation militaire, à l’encontre des libertés académiques – du jamais vu depuis la dictature Marcos. Des syndicalistes, avocats, journalistes, cadres des communautés populaires, dirigeantEs de populations montagnardes, défenseurEs des droits ou de l’environnement, opposantEs politiques… sont exécutés sans procès, d’autres arbitrairement emprisonnés.
Les mouvements clandestins armés sont évidemment aussi des cibles, même ceux qui n’ont mené aucune action offensive depuis des lustres. Le Parti révolutionnaire des Travailleurs – Mindanao (RPM-M) et l’Armée révolutionnaire du peuple (RPA) sont issus du PCP (CPP-NDF). Ils ont rompu avec la direction centrale du parti lors de la crise qui a profondément transformé le PCP au tournant des années 1980-1990. D’autres structures régionales et commissions nationales ont aussi affirmé leur indépendance à cette occasion.
Avant même la scission, la structure régionale du PCP qui allait fonder le RPM-M / RPA avait tiré beaucoup de leçons de son expérience auprès des communautés populaires du centre de Mindanao, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou lumad, ainsi que des purges paranoïaques qui ont déchiré le parti communiste à l’échelle nationale. Ils ont modifié leur programme et leur stratégie en conséquence et cette évolution s’est poursuivie après la scission. Le RPM-M a mis à l’ordre du jour la perspective socialiste (ce que le PCP n’a jamais fait). Il a réévalué, dans une démarche démocratique, la nature de ses rapports avec les milieux populaires dans leurs zones d’opération, respectant les décisions prises par les communautés, plutôt que de vouloir leur imposer les choix tactiques propres au parti.
Auto-défense armée
Le RPM-M a compris que la lutte armée n’était pas nécessairement, en tout temps, et quelles que soient les circonstances, la « forme principale » du combat révolutionnaire. Il a engagé des pourparlers de paix. Ces pourparlers n’ont jamais pu aboutir, notamment parce qu’il lui aurait fallu désarmer et que le désarmement aurait signifié, vu la situation à Mindanao où opèrent des groupes militarisés de tout genre (allant des gangs aux islamistes radicaux), de quitter une grande partie de ses zones d’implantation et d’abandonner ce faisant les communautés populaires où vivent ses membres et pour qui il représentait une force d’autodéfense irremplaçable.
Le RPM-M et la RPA se sont alors placés en posture défensive au point que leur théâtre d’opérations est devenu en quelque sorte une zone de paix relative, par comparaison avec ce qui se passait en d’autres secteurs de l’île. Il a su maintenir longtemps une force armée « non offensive », malgré de nombreuses provocations, sans qu’elle se délite ou ne dégénère, ce qui n’est pas chose évidente. Il s’est pour cela assuré que les membres du RPM-M / RPA ne perdent pas leurs racines sociales. L’expérience politico-militaire de ce mouvement, trop peu connue, est pleine de précieux enseignements.
En mars 2021, face à la guerre sans merci déclarée par le régime Duterte, le RPM-M / RPA a, à nouveau, changé d’orientation, appelant à la guerre du peuple et réactivant leur capacité militaire. Le fondement de leur politique, sa justification, reste l’autodéfense, mais une posture passive ne leur permet plus d’assurer la protection de leurs propres membres, ainsi que celle des communautés populaires ou de réseaux militants hier légaux, aujourd’hui obligés d’entrer en clandestinité. Ce changement violent de situation montre que si le RPM-M / RPA avait eu raison d’adopter une posture défensive quand il l’a fait, il avait aussi eu raison de ne pas désarmer.