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Les shots du Comptoir – été 2021

Lien publiée le 9 juillet 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Les shots du Comptoir – été 2021 – Le Comptoir

Au Comptoir, nous lisons. Un peu, beaucoup, passionnément. Contre la dictature de l’instant, contre l’agitation de l’Internet et des écrans, contre la péremption annoncée et la critique avortée. Sans limite de genre ni de style, de l’essai au théâtre en passant par l’autobiographie ou le roman et la bande-dessinée, nous faisons le pari du temps long, de l’éternelle monotonie des pages, des jouissances de l’histoire qu’on ne peut lâcher. Parce que « Le savoir est une arme », nous mettons ici, à votre disposition, les recensions des livres qui nous ont marqués ces derniers temps. Pour vous donner, à tout le moins, l’envie d’aller feuilleter dans ces univers qui nous ont séparés du commun des mortels le temps de quelques chapitres.

La douleur d’exister [1]

Les monographies consacrées à Claude Sautet se comptent sur les doigts d’une seule main. C’est dire à quel point son œuvre — pourtant l’une des plus passionnante du cinéma français — est gentiment dédaignée par les critiques et théoriciens du septième art. L’ouvrage de Ludovic Maubreuil rejoint ainsi le club restreint des études prenant au sérieux un cinéaste trop souvent relégué, à tort, au titre d’aimable conteur de romances triangulaires au sein de la bourgeoisie parisienne (alors que sa filmographie, se déployant toujours dans un contexte social précis incluant des enjeux de société, est un « petit monde mélangé » constituée de voyous et de flics, d’ouvriers et de patrons, de bourgeois et d’artistes fauchés, s’entraidant ou s’affrontant selon les circonstances). À rebours des lieux communs ânonnés par des journalistes paresseux, Maubreuil montre que la « si belle tristesse du cinéma de Sautet » est constitutive d’une mise en scène élégante et faussement simpliste, dissimulant une myriade de signes mystérieux (voir notamment l’étonnante analyse sur le lien entre les couleurs et la symbolique alchimique établie par Carl Jung) qui rend encore plus bouleversante les destinées de personnages en pleine crise existentielle. 

L’essayiste divise son analyse en deux grandes parties : la « Mécanique de précision » tout d’abord, qui décompose minutieusement toutes les figures, motifs, procédés et techniques formelles du cinéaste ; les « Dérèglements » ensuite, que ce soit en révélant la faillite ontologique de l’être nichée au cœur même du dispositif parfaitement huilé, ou à travers une mise en scène suivant un schéma circulaire : d’apparence classique elle est détraquée par des aspects modernes (ancrage sociologique, chronologie fragmentée, traitement du corps…), qui sont eux-mêmes entravés par une volonté esthétique de recréer le réel, de pénétrer dans un labyrinthe mental par « un classicisme réconforté, réanimé même, par la modernité qu’il intègre ». Ainsi de ces différences d’âges qui scellent le pacte amoureux entre un homme et une femme autant qu’ils sont porteurs de désordre relationnel ; de l’argent exhibé qui se substitue aux sentiments et permet « d’apaiser une solitude ainsi sommée de faire sens » ; des synchronicité agissantes, ces évènements qui coïncident entre eux par la loi du hasard et qui revêtent pourtant une signification profonde, comme la hantise de Lily chez Max dans Max et les ferrailleurs (1971) ; de la fameuse figure du trio infernal qui, loin d’être une facilité dramatique, « révèle avant tout une somme de défaillances individuelles », met à mal le couple et empêche surtout la possibilité d’une quaternité qui permettrait d’équilibrer l’instabilité sentimentale des personnages. En effet, loin du cliché qui l’associe rapidement aux « film de copains », Maubreuil montre bien que le cinéma de Sautet est avant tout celui du clivage, de la dissonance, de la fuite, de la fissure, de la faille ontologique qui, sous la plume de Jean Parvulesco, peut se résumer à la formule suivante : « l’impossibilité du mariage ». Le couple est sans arrêt sur la brèche, chaotique, les relations sexuelles sont défaillantes ou incomplètes, les hommes parfois impuissants, l’harmonie souhaitée se délite progressivement aux grés des dissensions et malentendus. En somme, « ce que Sautet tient résolument à filmer, c’est l’inaboutissement du réel, l’union qui se désagrège au moment même où elle pensait se conforter, le désaccord parfait. Cette disjonction est l’essence même de son cinéma ».

Plus loin, l’auteur de Cinématique des muses convoque le roi Arthur pour figurer la mélancolie d’un personnage se tenant à l’écart des fêtes enjouées ou des grandes assemblées familiales (un motif récurrent). À l’instar des chevaliers de la Table Ronde s’étonnant que leur roi s’abstrait du monde en leur présence, Sautet filme les réunions joyeuses pour insister sur celui (souvent le protagoniste principal) qui ne parvient pas à y participer : Vincent dans Vincent, François, Paul et les autres (1974) ou Georges dans Une histoire simple (1978). D’un point de vue médical on peut même voir que certains d’entre eux possèdent des troubles de la personnalité confinant à la schizoïdie, étant donné leur propension à fuir leurs amis, leurs amours, à ne plus être en phase avec leur environnement malgré le besoin de chaleur humaine, à l’instar de Pierre dans Les Choses de la vie (1970) ou Bruno dans Un mauvais fils (1980). Dans un autre chapitre abordant le thème des itinéraires contrariés, ce sont Hermès (dieu des voyages, de l’Autre) et Hestia (déesse du foyer, du Soi) qui sont invoqués afin de figurer le déséquilibre entre le proche et le lointain, les personnages étant souvent tiraillés entre le besoin rassurant de se concentrer sur le « dedans » et le désir de partir, d’explorer le « dehors » au risque de se confronter à l’inconnu.

Partant, le mouvement chez Sautet s’établit à trois niveaux selon une structure en oignon : tout d’abord la trajectoire du récit qui nous catapulte dans des histoires déjà en cours et qui se poursuivent une fois le film terminé (les ellipses temporelles sont, par ailleurs, fréquentes) ; le mouvement des corps ensuite qui se bousculent, s’interpellent, se courent après, mangent en vitesse, allument une cigarette, dansent, s’embrassent, s’engueulent ou attrapent un taxi (« C’est ainsi que la traque policière comme la chronique amoureuse, le suspense comme l’intime, sont filmés avec un même souci de se concentrer sur la réunion ou la séparation des corps, leur élan ou leur fuite ») ; une mise en scène, enfin, qui épouse l’animation des personnages au point de devenir invisible, et un découpage rigoureux qui vient recréer la vérité de ces gestes afin de les faire exister (« Ce que fait un personnage de Sautet dit ce qu’il est »). En revanche, je confesse avoir été complètement largué quant à l’analyse de l’intersubjectivité s’appuyant sur les principes de narratologie de Gérard Genette et François Jost : sans mauvais jeu de mot, la focalisation spectatorielle ou zéro, l’ocularisation interne primaire ou secondaire m’ont fait tourner de l’œil. 

Terminons le tour d’horizon de ce riche essai sur une observation brillante qui dit tout ou presque de la beauté de ce cinéma néoclassique, filmant avec justesse et exigence le désordre du monde et les dysharmonies du cœur : « À la vie, dans tous son foisonnement irrelié qui, au cinéma, perd immédiatement de ses couleurs dès que l’on s’en fait le héraut, Sautet tient à substituer une vision ne se disant jamais exhaustive, ni conforme, mais qui a le mérite de l’authenticité, celle-là même que l’on cherche en vain parmi les « passeurs » et les « témoins », eux qui radotent ou falsifient en prétendant traduire, quand lui exhausse en concédant qu’il transpose. »

Sylvain Métafiot

« La crise, qui est-ce qu’elle atteint ? » [2]

Avant d’entrer à l’usine en 1934, Simone Weil assurait : « Tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés, pour sentir avec eux, on ne peut pas se rendre compte ». Le même élan entraîna Florence Aubenas, au crépuscule des années 2000, à troquer le statut confortable de journaliste parisienne pour celui de chômeuse en Normandie, et à nous raconter cette expérience dans Le Quai de Ouistreham.

Nous sommes en 2009, un an après la crise des subprimes. « La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir qu’en dire, ni comment en prendre la mesure », se souvient la journaliste. Elle-même est à des années-lumière de ce monde en train de s’écrouler. Mais, contrairement à nombre de ses confrères, Aubenas en a conscience : « J’ai eu l’impression de me retrouver face à une réalité dont je ne pouvais pas me rendre compte parce que je n’arrivais plus à la saisir. » À l’heure de la précarité et du chômage grandissants, sa CSP+ est un privilège qui la coupe du monde. Durant six mois, elle change donc d’identité, déménage à plus de 200 km de la capitale, devient chômeuse, sans expérience, tout juste le bac. Prête à accepter n’importe quel job, se dit-elle, naïvement persuadée, comme d’autres, qu’on trouve du travail en traversant la rue, parce qu’on est disponible et plein de bonne volonté. Grossière erreur. « La meilleure solution pour votre projet personnalisé d’accès à l’emploi est de vous orienter vers la spécialité d’agent de nettoyage », assène, toute en novlangue, la conseillère Pôle Emploi. Des ménages, donc. Des missions de quelques heures, sur des plages horaires intenables, n’importe où, parfois si loin que la paye couvre à peine la dépense en carburant. Bienvenue chez les invisibles, les « sans grades » ou « sans dents », chez ceux « qui ne sont rien ».

C’est ce quotidien que Florence Aubenas nous décrit avec force objectivité, de façon chirurgicale mais sans jamais sombrer dans le pathétique, sans misérabilisme aucun. Les ordres abscons, les cadences infernales, l’ego ravalé constamment… sans oublier l’enfer administratif de Pôle Emploi, dans sa banalité humiliante la plus crue, dont l’incompétence saute aux yeux autant qu’elle prend à la gorge. Mais les portraits des collègues, la chaleur des relations qui se nouent au cours de la besogne, la solidarité, parfois, pas toujours, tout cela prend aussi sa place, le tout formant un livre-témoignage qu’on ne saurait que trop recommander.

Ludivine Benard

L’éloquence visuelle [3]

Après trois numéros consacrés à Brian de Palma, Nanni Moretti, Nagisa Ôshima et avant un cinquième mettant à l’honneur Jim Jarmusch, le collectif Zoom Arrière explore dans son 4e numéro le continent immense et quasi englouti du cinéma muet français. « Englouti » parce qu’une bonne partie des films de cette époque qui court sur près de trente-cinq ans est malheureusement perdue. Comme le rappelle le coordinateur de la revue, Edouard Sivière, « le muet possède la structure d’un iceberg dont la recherche parvient à faire remonter de temps à autre des blocs à la surface, mais dont la majorité de la matière reste à tout jamais inaccessible ». Ainsi, sur les centaines et centaines de (très) courts-métrages tournés seuls une poignée sont encore visibles, notamment grâce au travail d’exhumation et de restauration des Cinémathèques nationales ou de The Film Fondation de Martin Scorsese. Et, à de rares exceptions près, faute de diffusion en salles ou à la télévision, c’est sur Internet que l’on peut visionner — selon des qualités variables — ces œuvres que l’on croyait disparues. Le blogueur Christophe ouvre le bal en proposant une « contre-mémoire du cinéma muet français » en rappelant que « ce qui retient d’abord l’œil dans les films primitifs ce sont les décors naturels ». Et de citer les cinéastes connus pour leurs tournages en extérieur tels les frères Lumières, Léonce Perret, Georges André-Lacroix, Maurice Mariaud, Léon Poirier, Albert Capellani… Ou les inventions formelles prodigieuses d’Abel Gance (triple-écran dans Napoléon, montage sophistiqué dans La Roue) et celles saisissantes de Jean Epstein, Marcel L’Herbier, Henri Fescourt ou Bernard-Deschamps.

De son côté, Jean-Luc Lacuve retrace la vie du muet hexagonal en cinq grandes étapes. Tout d’abord les pionniers que sont Auguste et Louis Lumière, faisant naître le « cinéma-spectacle populaire de masse », en 1895, dans le salon Indien du Grand Café du boulevard des Capucines, à Paris ; Alice Guy, la secrétaire de Léon Gaumont, première réalisatrice de films de fiction avec La Fée aux choux (1896) ; et Georges Méliès, expérimentant le tournage en studio et réalisant Le Voyage dans la lune en 1902. Le cinéma devient rapidement une industrie avec Charles Pathé qui, dès 1905, produit en masse de la pellicule positive impressionnées et produit, en 1907, 351 films loués à des exploitants ; Max Linder, engagé par Pathé, triomphe avec ses comédies et Victorin Jasset avec sa série policière Zigomar (1911) ; Louis Feuillade réalise les cinq épisodes de Fantômas (1913-1914) et la Première Guerre mondiale vient briser l’élan du cinéma français, surpassé par l’industrie américaine, ce qui n’empêche pas Louis Delluc de faire évoluer les codes formels à travers un « esthétisme raffiné ». Dans les années 1920 se succèdent trois avant-garde : l’école « impressionniste » (selon les mots d’Henri Langlois) avec des œuvres emblématiques telles La Fête espagnole de Germaine Dulac (sur un scénario de Delluc) en 1919, La Souriante Madame Beudet en 1923, Nana de Jean Renoir (1926), les adaptations littéraires de Jean Epstein ou la grandiloquence d’Abel Gance ; puis l’avant-garde « picturale », née en Allemagne, et faite d’expérimentations visuelles qui déforment les perceptions sensorielles, attirant les peintres Man Ray et Fernand Léger, multipliant les jeux figuratifs d’Epstein, Grémillon, Dulac, Henri Chomette ou René Clair dont Francis Picabia disait de son Entr’acte (1923) qu’« il croit au plaisir d’inventer, il ne respecte rien si ce n’est le désir d’éclater de rire » ; enfin, le retour au réalisme avec Ménilmontant de Dimitri Kirsanoff (1926), Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann (1927), L’Homme à la caméra de Dziga Vertov (1929) ou Jean Painlevé et ses films scientifiques tournés au début des années 1930.

Enfin, nous nous en voudrions de ne pas mentionner les analyses transversales sur les « projections alchimiques et transmutations en chaîne » du magicien Méliès, l’exploration des « films pornographiques clandestins », la parole divine dans les films de Dreyer et Marco de Gastyne consacrés à Jeanne d’Arc, la représentation de la tour Eiffel, Musidora, la muse vampire des surréalistes, les madones un peu nunuches de Jean Epstein, « la villa Liserb et la naissance des studios de la Victorine à Nice », et la mutation à travers les époques du film de Sacha Guitry Ceux de chez nous sur la représentation du génie français. Au total, l’ouvrage présente chronologiquement plus de soixante-dix cinéastes, couvrant la période de 1895 à 1930, à travers les textes de cinéphiles de talents (et aux goûts parfois opposés) tels — outre ceux déjà cités — Benjamin Fauré, Ludovic Maubreuil, Marie-France Leccia, Vincent Roussel, Oriane Sidre, Vincent Jourdan, Joachim Lepastier, Timothée Gérardin, Medhi Benallal, Christian Léciagueçahar…

S. M.

Dans la peau d’un enfant d’immigré [4]

Si l’on devait en croire les médias, le banlieusard issu de l’immigration n’a que deux destins : successeur d’Omar Sy ou troisième frère Kouachi. À rebours de cet attrait pour le sensationnel et l’explosif, le sociologue Stéphane Beaud entend en revenir à la vie plus banale que vivent le commun des immigrés. « Porter la voix de ceux dont l’on ne parle pas », résume-t-il. Trois cents pages durant, il passe donc au crible de la sociologie les membres d’une fratrie d’immigrés algériens parmi tant d’autres : les Belhoumi.

En peu de mots, qui sont les Belhoumi ? Un père à la retraite, ancien ouvrier, qui compense un français défaillant par une attention sans faille à la scolarité de ses filles. Une mère traditionaliste, qui préfère voir ses filles se caser avec un mari musulman plutôt que de jouer les diplômées. Deux aînées qui ont su triompher de toutes les embûches scolaires et sortir de la classe populaire. Trois sœurs cadettes plus rebelles que leurs aînées, désireuses de les suivre cependant et de s’extirper de leur rôle de « secondes mères ». Trois frères davantage livrés à eux-mêmes, tiraillés entre la vie de quartier et l’exemple des grandes sœurs, qui tour à tour chutent et se relèvent, entre travail honnête et délinquance.

En laissant une grande place à la parole des concernés, Beaud a tout le loisir d’explorer chaque facette de la fratrie. L’école, la politique, le quartier, la religion, la famille, le mariage ou le sport… On y comprend comment les trajectoires sociales des uns et des autres se dessinent peu à peu, au fil des contraintes et des choix. Et, au fil des pages, les enquêtés deviennent des personnages auxquels on s’attache ; comme des microcosmes au sein d’un macrocosme, des reproductions en miniature d’un phénomène qui les dépasse. En somme, Beaud nous offre une entrée par la petite porte, moins imposante et plus fleurie que l’imposant traité théorique, afin de comprendre « le processus silencieux de mobilité sociale ascendante ou d’intégration » de ces enfants d’immigrés. Et, à en croire le nombre de jeunes banlieusards qui disent se reconnaître dans tel ou tel membre de la fratrie (évoqués dans la conclusion), la portée de ces enseignements dépasse de très loin le cadre de la famille Belhoumi.

Erwan Plurien

L’argent fait se rêver Dieu [5]

On ne présente plus Jacques Ellul, penseur de la technique, spécialiste de Marx et théologien protestant aux idées anarchistes. Dans cet ouvrage, originellement publié en 1954, Ellul aborde la relation de l’homme à l’argent d’un point de vue politique puis théologique.

D’après lui, l’autonomie de l’homme dans cette relation ne peut mettre qu’en échec la volonté des grands systèmes politiques que sont le libéralisme, le capitalisme et le socialisme, de mettre chaque homme sous leur coupe. Cela, quand au contraire, un partie du dogme chrétien et en particulier les différentes écoles du protestantisme, le pousserait son penchant d’accumulation ou alors de gestionnaire.

Poussant l’analyse, et confrontant cette relation aux textes chrétiens, au travers de multiples exemples, il montre que l’argent plutôt que d’être un moyen, pousse l’homme vers l’hubris, de se comparer à Dieu, ou de se faire Dieu soi-même et de s’affranchir de sa volonté. Ellul parlant ici en théologien, il est conseillé d’avoir une solide culture religieuse pour aborder et savourer les nuances de son propos.

Boris Lasne

Les bons comptes font les bons amis [6]

Les éditions Allia viennent de rééditer un classique de l’anthropologie, Essai sur le donForme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, de Marcel Mauss. Initialement publié en 1923-1924 dans la revue L’Année sociologique le texte rend compte des systèmes de don et de croyances que l’auteur croit déceler chez plusieurs peuples — Maoris, Samoas, ou encore Tlinkit, Haïda et Kwakiutl d’Amérique du Nord. La démonstration comparative, d’une érudition plaisante, appuie son propos sur les récits d’anthropologues et d’explorateurs alors disponibles. Produit d’une anthropologie encore très coloniale, cette suite de quatre chapitres ne se dépare pas d’un certain exoticisme désuet, charmant à certains égards, peut être agaçant pour le lecteur moderne. Exoticisme que vient renforcer la couverture, par ailleurs, comme toujours chez les éditions Allia, fort jolie.

Pour autant, ce petit ouvrage mérite d’être lu, ou relu, d’autant qu’il reste mobilisé par les sciences sociales contemporaines. Dans les années 2000, La Revue du MAUSS, autour d’Alain Caillé, a abondamment utilisé le concept de don pour assoir son anthropologie anti-utilitarisme. Sur un autre plan, ce petit texte a été au centre des passes d’armes que se sont échangées Judith Butler et Nancy Fraser. Pour la première, le don maussien déstabilise les frontières entre culturel et matériel, et révèle les limites du matérialisme. Pour la seconde, l’approche de Mauss ne déstabilise pas tant cette distinction qu’elle permet de l’historiciser. À relire, donc, et à méditer….

Emmanuel Casajus

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