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Le Green Deal européen "met la contrainte sur les consommateurs plutôt que sur les industriels"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La Commission européenne a présenté le 14 juillet le nouveau paquet législatif. Il devrait permettre à l’UE d’atteindre ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030. S’il s’agit d’un bon premier pas, selon Neil Makaroff, du Réseau Action Climat, les ambitions de ce texte mériteraient d’être revues à la hausse.
Neil Makaroff est le responsable Europe du Réseau Action Climat (RAC), le représentant français du Climate Action Network (CAN), une organisation internationale fédérant plus de 1 300 associations impliquées dans la lutte contre le changement climatique.
Neil Makaroff. Twitter Neil Makaroff
Reporterre — Quelle est l’importance de ce nouveau paquet législatif pour la stratégie climatique de l’Union européenne (UE) ?
Neil Makaroff — Ce paquet législatif est la mise en œuvre pratique du Green Deal [« Pacte vert »] européen. Jusqu’alors, il s’était arrêté à chercher des stratégies, des plans et des nouveaux objectifs, dont celui de baisse des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030. Ce paquet législatif vise à traduire secteur par secteur ces objectifs (désormais validés dans la loi Climat européenne). La Commission européenne ouvre ainsi tous les chantiers de la transition écologique, dont certains étaient jusqu’alors des angles morts de la politique climatique européenne, comme l’aviation ou le secteur maritime.
Quelles sont les mesures phares adoptées par l’UE dans ce nouveau paquet législatif ?
Ce paquet comporte beaucoup de mesures importantes, notamment celles pour une accélération du développement des énergies renouvelables. Le mix énergétique de l’Europe passerait d’environ 20 % d’énergie renouvelable aujourd’hui à plus de 40 % à l’horizon 2030. On sait que le potentiel des énergies renouvelables pourrait nous conduire à plus, mais c’est d’ores et déjà un pas intéressant. Il y a également un nouvel objectif d’efficacité énergétique, qui pourrait conduire les États à accélérer la rénovation du bâtiment : cet objectif est fixé à 36 % en 2030, contre 32 % auparavant. L’efficacité énergétique est clé pour la transition : près de 50 millions d’Européens vivent en situation de précarité énergétique. La Commission aurait pu proposer quelque chose d’un peu plus ambitieux, mais elle ouvre au moins ce chantier-là.
D’autres mesures sont assez importantes, comme la fin des véhicules essence et diesel d’ici 2035. C’était une vraie bataille politique. Un certain nombre de pays de l’Union, dont la France, ont mené une véritable fronde contre cette idée, préférant la date de 2040 afin de protéger les constructeurs automobiles. Globalement, la France a copié-collé la position des constructeurs français et l’a poussée à l’échelle européenne. La Commission a été assez courageuse. Même si l’on peut améliorer le texte, cela reste une nouveauté à l’échelle européenne. Les constructeurs pourraient ainsi être obligés de transformer la filière vers les véhicules à faible émission, notamment électriques.
Ce paquet comporte-t-il des risques ?
Nous accueillons favorablement ces trois chantiers, sur lesquels nous souhaitons travailler pour renforcer l’ambition. Dans ce paquet il y a effectivement des risques, voire des dangers. Je pense notamment à la création d’un nouveau marché du carbone européen pour les secteurs du chauffage et du carburant. Un marché carbone, qui ne concerne que l’industrie et l’énergie, existe déjà. Son principe est que lorsque vous polluez, vous devez acheter un permis à polluer. Il vise à inciter les entreprises à changer de comportement : plus elles polluent, plus cela leur coûte cher, ce qui devrait en théorie les inciter à investir dans des solutions de production bas carbone.
La Commission européenne souhaite désormais étendre ce marché. Les fournisseurs d’énergie (comme les stations-service et les fournisseurs de gaz et de fioul) devront donc eux aussi acheter sur le marché du carbone des permis à polluer, et répercuteront ce coût sur le tarif de leurs produits. Le prix du CO2 sur le marché du carbone est extrêmement volatil ; il dépend en effet de l’offre et de la demande : sur le marché carbone traditionnel, le prix de la tonne de CO2 a par exemple été multiplié par dix entre 2018 et 2021. Il ne faudrait pas que les ménages soient soumis à des fluctuations aussi grandes du prix du CO2, leurs factures énergétiques risqueraient d’exploser.
Station Total à porte de Montreuil, à Paris © Mathieu Génon/Reporterre
Il est important de noter que le marché du carbone dans sa forme actuelle a dysfonctionné pendant quinze ans. Depuis sa création en 2005, il y a un surplus de quotas. Le prix du CO2 s’est effondré puisque dans le jeu de l’offre et de la demande, si vous avez davantage de permis que de pollution réelle, les prix chutent drastiquement. On estime qu’il y a actuellement plus de 250 millions de permis en trop. Le deuxième problème est que l’on a offert aux industriels des secteurs de la chimie, de l’acier et de l’engrais des permis à polluer gratuits, qui recouvraient parfois quasiment la totalité de leurs émissions. Ces industriels ne payaient donc pas le prix de leur pollution, et ils ont pu continuer à émettre pendant quinze ans beaucoup de gaz à effet de serre sans jamais être inquiétés. Les chiffres sont parlants : les émissions de l’industrie n’ont pas diminué depuis 2012. Pire, certains industriels ont pu faire des bénéfices en revendant sur le marché des permis obtenus gratuitement auprès de la puissance publique, ou en répercutant leurs prix sur leurs produits finaux. On estime à 50 milliards d’euros les profits réalisés entre 2008 et 2019 par les industriels de l’acier et du ciment en spéculant sur ces quotas d’émissions gratuits. Ce système est à bout de souffle, il n’a pas d’effet sur le climat et bénéficie à de grands pollueurs.
La réforme proposée ne va malheureusement pas assez loin. Elle ne prévoit de supprimer les permis gratuits qu’à partir de 2026, jusqu’en 2036. Les industriels continueront donc de recevoir des permis à polluer gratuitement pendant quinze ans, et n’auront aucune incitation à transformer leur processus de production. C’est injuste, on demande aux ménages de payer le prix du CO2, et dans le même temps, les industriels les plus polluants en seront exemptés jusqu’en 2036. Cela nous paraît extrêmement dangereux d’un point de vue social. Plutôt que de faire payer les ménages, nous pensons que nous devrions leur donner des alternatives pour leur permettre de contribuer à la transition.
À quelles alternatives pensez-vous, par exemple ?
L’Europe a toujours été très forte pour créer des normes et des standards pour les entreprises dans le domaine du climat. Typiquement, la fin de la vente des véhicules diesel contraindra les constructeurs à transformer leur filière et à proposer des véhicules électriques plus rapidement qu’envisagé jusqu’alors. C’est la chose la plus intelligente à faire : mettre la contrainte sur les industriels plutôt que sur les consommateurs, qui sont captifs. On leur a demandé d’acheter des véhicules essence et diesel pendant des années, et aujourd’hui on veut leur imposer une taxe, alors que les principaux responsables sont les constructeurs, qui n’ont pas pris le tournant des véhicules à faible émission.
C’est la même chose pour le chauffage : pourquoi faire payer aux ménages le prix du CO2 sur le gaz et fioul, alors que tout n’a pas été mis en œuvre pour rénover les logements et faire baisser la précarité énergétique ? Un vrai Green Deal devrait soutenir les citoyens dans la transition, plutôt que de les pénaliser. Cette proposition de marché du carbone sur le chauffage et les carburants est dangereuse, et risque de faire dérailler le Green Deal en raison du risque social.
Selon Neil Makaroff, nous pourrions viser une fin de la vente des véhicules polluants en 2030. Pixabay/CC/Fill
Ce texte introduit également un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. S’agit-il selon vous d’une mesure efficace ?
L’idée de ce mécanisme est d’appliquer le prix du CO2 fixé par le marché du carbone européen aux produits industriels importés. Seuls les secteurs du ciment et de l’acier sont concernés pour le moment, mais il pourrait être élargi à d’autres secteurs. Sur le papier, c’est plutôt une bonne idée : on décide de ne plus être soumis à une concurrence internationale devenue déloyale en cas de dumping environnemental, et on décide d’appliquer les normes européennes aux importations. Pour ceux qui portent ce mécanisme, cela devrait limiter les délocalisations de nos industries en dehors de l’Union européenne. Le problème est que les industriels européens ne paient pas le prix du CO2 aujourd’hui. Dans ce cas de figure, il est injuste de taxer des produits industriels importés. Si on laisse le champ libre aux industries européennes par ailleurs, l’effet sur le climat est négatif.
« Il y a un vrai risque que la France freine complètement les débats et la mise en œuvre de ce Green Deal européen. »
La deuxième question est de savoir quoi faire des revenus générés par ce mécanisme, qui risque d’affecter particulièrement les pays pauvres ou en développement dans le voisinage très proche de l’UE — notamment dans les Balkans, en Ukraine et en Afrique du Nord. Une proposition intelligente pour que cela soit bénéfique au climat serait de réinvestir ces revenus dans la décarbonation du secteur industriel de ces pays, et de les aider ainsi à rattraper leur retard. Aujourd’hui, les deux conditions [1] pour que ce mécanisme soit positif pour le climat ne sont pas réunies.
Ce texte doit encore être approuvé par les États membres et le Parlement européen au cours des douze prochains mois. À quoi pouvons-nous nous attendre ? L’ambition de ces textes risque-t-elle d’être abaissée ?
Il est nécessaire qu’elle soit relevée dans un certain nombre de textes. L’objectif de 40 % d’énergie renouvelable en 2030, c’est très bien, mais on devrait aller beaucoup plus loin et viser les 50 %. L’UE devrait également accélérer sur l’efficacité énergétique. On pourrait aussi viser une fin de la vente des véhicules polluants en 2030. Ayant une durée de vie de quinze à vingt ans ; si l’on veut atteindre la neutralité climatique en 2050, il faudrait arrêter leurs ventes beaucoup plus tôt. Le Parlement et les États membres devraient également s’opposer vigoureusement à des propositions injustes socialement, comme ce nouveau marché du carbone.
On sait que les négociations seront très longues et difficiles. La France aura un rôle particulièrement important, car elle prendra à partir du 1er janvier 2022 la présidence du Conseil européen. Elle animera les débats entre les États membres sur ces textes et devra les faire aboutir à un compromis au Conseil des ministres de l’UE. Le problème est que la France a jusqu’à présent plutôt été un frein à l’ambition du Green Deal européen, par exemple sur la date de fin de vente des véhicules polluants. Elle aimerait également faire reposer le nouvel objectif de baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre sur les pays de l’Est qui utilisent encore du charbon, afin de ne pas faire d’efforts au niveau national. Il y a un vrai risque que la France freine complètement les débats et la mise en œuvre de ce Green Deal européen. C’est pour cela que nous appelons le gouvernement à respecter la parole qu’il a eue face à la Convention citoyenne pour le climat. Le gouvernement n’a pas arrêté de repousser ses propositions en disant « Nous verrons plus tard » ou bien « Nous porterons cela à l’échelle européenne ». Il serait temps de le faire dès à présent.