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Colombie: Le gouvernement s’appuie sur la force brute pour rester au pouvoir

Colombie

Lien publiée le 18 juillet 2021

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» Colombie : Le gouvernement s’appuie sur la force brute pour rester au pouvoir (les-crises.fr)

Après plusieurs semaines de manifestations massives contre le néolibéralisme et la violence d’État en Colombie, le président de droite Iván Duque s’appuie sur la force brute pour rester au pouvoir.

Source : Jacobin Mag, Seth Wulsin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Après plusieurs semaines de grève générale en Colombie, les manifestants ont remporté des victoires significatives tout en encaissant le plus gros d’une répression brutale menée par les forces étatiques et militaires. Cinq membres du cabinet du Président Iván Duque se sont retirés ou ont été remplacés. Duque a retiré son projet de loi fiscale régressive qui avait déclenché les manifestations, ainsi qu’un projet de loi controversé sur la santé et la proposition de dépenser des milliards pour des avions militaires Lockheed Martin, au milieu de la pire crise économique et sanitaire à laquelle la Colombie a été confrontée depuis des décennies. Un mouvement s’est consolidé avec un objectif clair porté sur le sabotage par le gouvernement des accords de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et la persistance continue des très graves inégalités, qui sont devenues intolérables pour une grande partie de la population.

Duque et son parti politique ont démontré leur incapacité ou réticence à répondre aux demandes des manifestants, ce qui reflète la corruption en Colombie et les iniquités néo-féodales qui ont été exacerbées par la pandémie. Une troisième vague du coronavirus a coûté la vie à plus de quinze mille vies en mai et a maintenu les services de soins intensifs à presque 100% de leurs capacités dans les plus grandes villes de Colombie. Les forces de sécurité ont déclenché d’énormes démonstrations de solidarité avec la grève générale par leurs attaques féroces sur les manifestants pacifiques.

Plus de quarante manifestants ont été exécutés sommairement par les forces armées étatiques et para-étatiques, menant à ce que Human Rights Watch reçoive soixante-trois rapports crédibles sur des morts advenues pendant les manifestations, dont deux étaient des policiers. Les organisations pour les droits de l’homme Temblores et Indepaz ont reporté plus de 2 000 cas documentés de violences policières, plus de 1 600 détentions arbitraires, 25 agressions sexuelles confirmées, 65 blessures liées aux yeux et 324 disparitions violentes de manifestants depuis le début de la grève générale, les premières cibles de la répression étant les communités pauvres, indigènes et afro.

Miguel Ceballos était le haut commissaire à la paix et le représentant du gouvernement dans les pré-négociations avec le Comité de grève nationale jusqu’à sa résignation le 22 mai. Ceballos était largement critiqué dans la communité pour les droits de l’Homme pour avoir saper le processus de paix pour le compte du gouvernement. Le président Duque a nommé Juan Camillo Restrepo pour remplacer Ceballos en tant que commissaire à la paix. Restreppo était le président de Augura, un regroupement industriel de producteurs de bananes, quand ce dernier a fait don de 33 millions de pesos colombiens à la campagne contre les accords de paix de 2016. Augura est connu pour le soutien direct qu’il apporte aux groupes paramilitaires, et de nombreux membres du conseil sont considérés comme soutenant ou participant directement aux organisations paramilitaires opérant en Antioquia.

L’administration Duque a saboté de manière répétée les pré-négociations de leur propre gouvernement avec le comité de grève représentant les manifestants, en refusant de garantir les droits fondamentaux des manifestants tout en acroissant les mesures répressives militarisées – la continuation d’une longue tradition colombienne de réponse aux mobilisations sociales par une répression étatique et para-étatique.

Lucía González, une des dirigeantes de la Commission pour la vérité, qui avait été formée dans le cadre des accords de paix entre le gouvernement et les FARC, s’est exprimée sur le sujet sans abages, lorsque fin mai, elle a évoqué

un état qui est anti-réforme, qui a criminalisé toutes les tentatives d’approfondissement démocratique, peu importe leur forme, en éliminant les syndicats d’activistes, les leaders des droits de l’homme, en stigmatisant les mobilisations, en criminialisant les leaders des mobilisations, dans le but de garantir un statu quo et d’éviter tout type de réforme qui résulte de leurs revendications.

Cali a été l’épicentre de la violence étatique et para-étatique depuis le début de la grève générale. Un rapport publié le 23 mai par l’organisation Justicia y Paz sur la situation à Cali décrit une répétition particulièrement horrible des analyses de González : le 2 mai, le Centre de l’administration municipale de Cali a été utilisé comme un centre d’opérations clandestines, et des manifestants ont été amenés là-bas et détenus dans des sous-sols avant d’être transportés ailleurs dans des camions. Le rapport décrit des charniers dans deux municipalités hors de Cali, la zone de Mulaló dYumbo et la zone de Guacarí dans Buga, où les corps de manifestants portés disparus ont supposement été jetés depuis des camions utilisés par la police.

Les rapports de Buga décrivent les exécutions de jeunes manifestants qui ont été portés disparus. Certains d’entre eux, qui ont survécu aux exécutions, ont été retrouvés plus tard dans des centres médicaux avec des blessures par arme à feu, se cachent à présent et reçoivent des menaces de mort.

Les rapports décrivent aussi la formation de groupes armés paramilitaires sous la protection de la police opérant hors du district chic de Ciudad Jardín. Ciudad Jardín était le lieu d’attaques armées de la part de résidents aisés du quartier, accompagnés par la police, à l’encontre de manifestants Indigènes. Pendant les attaques du 9 mai, au moins huit participants de la manifestation ont présenté des blessures par balle infligées par des civils armés.

Il y a désormais des rapports de casas de pique dans Ciudad Jardín, un terme utilisé pour décrire les centres clandestins utilisés par les groupes paramilitaires dans la région pour détenir, torturer, tuer et souvent démembrer leurs victimes. A l’heure actuelle, 120 personnes sont portées disparues dans le cadre des manifestations de Cali depuis le 28 avril.

Alfredo Molano Jimeno a signalé dans El Espectador le 24 mai que les brigades médicales servant les manifestants à Cali sont la cible d’assassins professionnels et des forces de sécurité. Les travailleurs médicaux ont signalé qu’ils enlèvent à présent les signes d’identification qu’ils portent habituellement dans les zones de conflit afin d’éviter d’être des cibles. De nombreux travailleurs médicaux ont rapporté qu’ils avaient été informés de l’existence d’une prime ayant été offerte pour le meurtre des volontaires de santé s’occupant des manifestants à Cali, et ont décrit qu’ils étaient la cible de la police et de civils.

Le 25 mai, l’avocat argentin pour les droits de l’homme Juan Grabois, arrivé en Colombie avec la Commission internationale de la solidarité et des droits de l’homme pour surveiller les abus contre les droits humains, s’est vu refuser l’entrée sur le territoire, fut détenu puis déporté plus tard ce jour-là.

La CIDH a rencontré le gouvernement et les groupes civils toute la semaine, et Duque a annoncé un plan de réforme superficiel de la Police le jour de l’arrivée de la commission à Bogota. Temblores, Indepaz, et Paiis ont présenté un rapport accablant à la CIDH qui détaillait une longue liste d’atrocités confirmées soutenues par l’Etat.

Le régime de Duque s’est embarqué dans une stratégie de communication à de multiples niveaux pour stigmatiser les manifestations en grande majorité pacifiques et en faire des actes de terrorisme intérieur, et présenter à la communauté internationale l’image d’un protocole institutionnel rigoureux. La campagne a donné des résultats mitigés, grâce à la circulation massive d’images et de vidéos qui montrent l’ampleur des violences d’Etat. L’échec des deux approches n’a pas semblé dissuadé l’administration Duque et leur parti Centre démocratique de redoubler leurs efforts dans la guerre infâme qu’ils ont déclenché contre les manifestants.

Álvaro Uribe, ancien président colombien d’extrême-droite et patron politique de Duque, a utilisé sa plateforme Twitter pour soutenir les violences contre,les manifestants et promouvoir la théorie néo-nazie de « révolution moléculaire dissipée », qui clame que la manifestation est intrinsèquement un acte de guerre civile qui nécessite une réponse étatique militarisée. Alors que Twitter avait retiré un tweet d’Uribe plus tôt lors de la grève générale pour « glorification de la violence », le réseau social l’a depuis autorisé à en faire son centre de commande, depuis lequel il envoie des messages évoquant le langage du terrorisme et la contre-insurrection, à la police et aux groupes paramilitaires qui continuent à mutiler, torturer, violer et tuer des manifestants.

Un récent sondage Invamer a montré qu’Uribe et Duque ont des taux de désapprobation de respectivement 73% et 76%, soulignant les faiblesses de leur position politique avant les élections générales de l’année prochaine, alors que le leader de l’opposition centre-gauche Gustavo Petro jouit d’une marge confortable dans tous les récents sondages. La banqueroute morale et politique du parti Centre démocratique, avec ses liens profonds et bien documentés avec le narco-paramilitarisme, contraste de manière saisissante avec le mouvement conduit par la jeunesse qui s’est transformé en un soulèvement social le plus important et étendu que la Colombie ait vue ces dernières soixante-dix années.

Le 27 mai, Duque est apparu au Wilson Center à Washington, en compagnie de l’ancien ambassadeur et ancien directeur de l’USAID Mark Green, affirmant respecter les manifestations pacifiques et le règne de la loi et n’avoir aucune tolérance pour les abus de la police. Au même moment, il n’a pas pû s’empêcher de faire écho à la vidéo d’une fausse interview en anglais aux airs de campagne, dans laquelle il tient Petro et des forces d’opposition vagues responsables de tout le soulèvement, dans le but d’ébranler sa présidence.

Le jour suivant, Marta Lucía Ramírez, vice-présidente et ministre des Affaires étrangères intérimaire, a rencontré le secrétaire d’Etat des Etats-Unis Antony Blinken pour continuer la tentative d’offensive par la séduction (elle n’a visiblement pas réussi à fixer de rendez-vous avec la Vice-Présidente Harris). Pendant ce temps, dans le quartier Siloé de Cali, un détective en repos travaillant pour la division d’investigation du bureau du Procureur général a tué deux jeunes manifestants à une intersection en leur tirant dessus depuis sa moto. Le tireur a ensuite été capturé et tué par d’autres manifestants.

Le groupe pour les droits de l’homme Justapaz a lancé l’alerte ce soir-là, dénonçant les tireurs paramilitaires en civil à Siloé qui ont pris pour cible les agents médicaux assistant les quatorze manifestants déjà blessés par balle ce soir-là. Cette nuit-là, Duque a été aperçu en ville à Ciudad Jardín – le même quartier de luxe de Cali qui a servi de base d’opérations pour les groupes paramilitaires attaquant les manifestations – où il a salué les résidents aisés avec des embrassades et a annoncé pour la troisième fois en deux semaines ses intentions de déployer toutes les forces militaires pour reprendre Cali aux manifestants. Il a déjà militarisé huit départements dans le pays – plus d’un tier de la Colombie – en réponses aux manifestants.

Duque a perdu les faveurs des Etats-Unis dès que des membres de son gouvernement se sont mêlés des élections présidentielles américaines de 2020 pour soutenir le mauvais candidat. Mais Washington pardonne depuis longtemps les transgressions des narco-régimes d’extrême-droite considérés comme étant stratégiques pour les intérêts américains, et les Etats-Unis ont plus que jamais besoin de consolider leur prise sur la Colombie, avant un probable glissement politique imminent vers la gauche dans des bastions de droite comme le Brésil et le Chili. Etant donné que le candidat socialiste Pedro Castillo a remporté les épections présidentielles au Pérou cette semaine, il est envisageable que d’ici un an ou deux, la grande majorité des pays d’Amérique du Sud soient menés par des gouvernements de gauche – un revirement spectaculaire après la récente vague de néo-libéralisme d’extrême-droite et de profascisme qui a ravagé la région.

La question est de savoir si les Etats-Unis vont conitnuer à appuyer des gouvernements répressifs colombiens comme celui de Duque malgré les transgressions des droits de l’homme. Un tel soutien est devenu progressivement plus difficile à maintenir devant l’attention de plus en plus grande des médias sur leurs atrocités récentes. Mais les Etats-Unis n’ont jamais eu peur de soutenir les attaques contre la démocratie dans la région, y compris récemment en Bolivie, au Brésil, à Haïti, au Honduras et au Paraguay.

Plutôt, il serait surprenant de voir les Etats-Unis rester les bras croisés et voir leur allié numéro un en Amérique du Sud glisser dans les mains sinistres de la démocratie sociale. Les conditions sur place, néanmoins, pourraient ne pas leur laisser le choix.

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Seth Wulsin est un artiste et journaliste indépendant basé à Brooklyn et à Bogota

Source : Jacobin Mag, Seth Wulsin, 12-06-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises