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Chili : Le peuple chilien vote la fin du néolibéralisme

Chili

Lien publiée le 23 juillet 2021

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» Chili : Le peuple chilien vote la fin du néolibéralisme (les-crises.fr)

En mai dernier, le peuple chilien a voté pour une réforme structurelle radicale et pour la fin du néolibéralisme. C’est l’une des plus grandes victoires de la gauche depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet.

Source : Jacobin Mag, Pablo Abufom
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des personnes se rassemblent sur la Plaza Baquedano à Santiago, le 17 mai 2021, pour célébrer le triomphe des candidats de la gauche aux élections chiliennes. (Felipe Figueroa/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Si, il y a deux ans, quelqu’un avait annoncé que la gauche chilienne célébrerait aujourd’hui l’une de ses plus grandes victoires politiques depuis la transition démocratique du pays au sortir de la dictature de Pinochet, beaucoup auraient hésité. Et pourtant, nous y sommes.

Les élections des 15 et 16 mai pour les mandats locaux et régionaux, ainsi que pour les membres de la Convention constitutionnelle ont complètement changé le paysage politique national au Chili. La droite, rassemblée autour du président Sebastián Piñera, a reçu un sérieux revers, et la coalition centriste au pouvoir, Concertación, s’est effondrée de manière spectaculaire. La gauche et les mouvements sociaux ont balayé la concurrence, remportant une série de sièges politiques essentiels et, peut-être plus important encore, une représentation majoritaire au sein de l’assemblée chargée de rédiger la nouvelle constitution du Chili.

Cette méga-élection de deux jours – déterminant les mairies, les conseils municipaux, les gouvernorats régionaux et la composition de la Convention – est un tournant décisif, dont l’impact résonnera pendant des décennies. En remportant une représentation substantielle, la gauche a concrétisé la promesse de changement radical annoncée par la révolte populaire qui a éclaté le 18 octobre 2019. Tout aussi important, un signal clair a été envoyé : le régime de transition régnant au Chili – négocié à la fin de la dictature entre le centre-gauche, la droite et les militaires – est sous assistance respiratoire.

Les partis de gauche Frente Amplio et le Parti communiste chilien ont fait des percées importantes dans les gouvernements locaux et régionaux et ont remporté de nombreux sièges à la Convention constitutionnelle. La gauche non affiliée – notamment les mouvements féministes et écologistes, mais aussi les représentants des premières nations et des peuples indigènes – a également décroché d’importantes fonctions politiques et enverra un certain nombre de représentants à la Convention. En somme, presque du jour au lendemain, une vague de fond de gauche a réussi à s’imposer dans la politique institutionnelle, une arène dont elle avait été presque entièrement exclue depuis des décennies.

De son côté, l’élite politique traditionnelle chilienne, encore sous le choc, a présenté sa propre version de la défaite électorale : il s’agit d’un « message » adressé à la classe politique, qui a perdu le contact avec le peuple.

Mais les élections de la semaine dernière n’ont pas été qu’un simple vote de protestation. Au contraire, le peuple chilien s’est rendu aux urnes pour voter en faveur d’un programme lucide axé sur la préservation des droits sociaux et sur la fin du néolibéralisme.

Vers une nouvelle Constitution

Le chemin du Chili vers une nouvelle constitution n’a pas été simple. Le 15 novembre 2019, dans une tentative d’apaiser la révolte populaire d’octobre, l’ensemble de l’establishment politique chilien – à l’exception du Parti communiste – a signé l’Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution. Visant à pacifier les protestations, l’accord a fourni une bouée de sauvetage temporaire à l’administration Piñera, alors en difficulté, mais il a simultanément donné le coup d’envoi du processus historique de réécriture de la constitution chilienne, héritée de l’ère Pinochet.

La Convention constitutionnelle, approuvée par une majorité écrasante de 78 % lors du plébiscite national de 2020, est une assemblée élue chargée de rédiger la nouvelle constitution. Elle sera formée de 155 membres – 77 femmes et 78 hommes – qui seront chargés de rédiger la nouvelle Magna Carta du Chili [la Magna Carta, Grande Charte en latin, est l’ancêtre de nombreuses constitutions. Elle a été négociée en Angleterre au XIIIe siècle entre les barons anglais et le roi Jean sans Terre, NdT]. Cet organe se prononcera sur des questions aussi fondamentales que les droits sociaux, le rôle de l’État et le régime de propriété privée du pays.

La réforme constitutionnelle votée par le législateur établit que toute loi proposée à la Convention doit être approuvée par une majorité des deux tiers. Le fait qu’une minorité d’un tiers soit susceptible de bloquer toute proposition a été un motif de satisfaction pour la droite, dans la mesure où son droit de veto pourrait au moins servir de bouclier défensif contre des propositions plus radicales. Or, la droite ayant échoué à obtenir les 33 % de représentation nécessaires, elle n’est même plus en mesure de pouvoir bloquer les propositions.

Nous pouvons nous attendre à ce que les semaines précédant la première session de la Convention soient occupées par la formation d’alliances. De l’avis général, on s’attend à ce que le centre-gauche et la gauche se rassemblent pour former une opposition majoritaire écrasante au gouvernement de droite, mais il reste à voir comment les blocs de vote se formeront. Un scénario possible est que les alliances se divisent en trois groupes : la droite et le centre-droit (comprenant le Chile Vamos de Piñera et l’aile droite de la Concertación), le centre-gauche (qui comprend le Parti socialiste et d’autres partis réformistes) et la gauche (composée du Parti communiste, du Frente Amplio, de la gauche indépendante et des représentants indigènes). Dans ce scénario, le bloc de gauche aurait une majorité simple (50,3 %) – nécessitant un dialogue avec la gauche modérée pour franchir le seuil des deux tiers.

En ce qui concerne la gauche, son bloc de vote ne formera peut-être pas une majorité monolithique – certains mouvements sociaux et groupes indigènes sont encore méfiants vis-à-vis du processus politique. Mais une large coalition de gauche anti-néolibérale bénéficie d’une occasion historique d’exercer son influence sur la Convention et de fixer les termes du débat pour un cycle politique qui ne fait que commencer.

Dans l’un des tournants les plus marquants, la gauche indépendante et les mouvements sociaux ont obtenu de nombreux sièges à la Convention. La plate-forme constituante féministe plurinationale, qui réunit des candidates féministes sous la bannière « si une seule entre, nous entrons toutes », a concrétisé son slogan en obtenant cinq sièges. La liste dite du peuple, canalisant l’esprit insurrectionnel de la révolte d’octobre, a obtenu vingt-six sièges, dépassant de nombreux partis de l’ex-Concertación. Sur les dix-sept sièges réservés aux autochtones, sept sont allés à des dirigeants mapuches [les Mapuches sont le peuple autochtone le plus nombreux au Chili. Ils vivent principalement dans la région d’Araucanie au sud de Santiago et dans la capitale, NdT].

Lacunes et obstacles

Malgré l’enthousiasme suscité, les récentes élections au Chili posent également un certain nombre de questions à éclaircir. La plus urgente est peut-être de comprendre pourquoi le taux de participation a été si faible (environ 43,4 %), contrastant fortement avec la participation massive au plébiscite constitutionnel du 25 octobre 2020.

En outre, dans l’une des principales circonscriptions électorales du pays, quatre candidates féministes ont été exclues de la Convention en raison d’une méthode électorale, dite D’Hondt, qui privilégie les listes de partis par rapport aux candidatures individuelles. De surcroît, les lois obligatoires sur la parité entre les sexes ont eu pour effet contradictoire d’exclure certaines femmes candidates au profit de leurs homologues masculins. Comme l’a déclaré à Jacobin Alondra Carrillo, élue à la Convention en tant que représentante de la Coordinadora Feminista 8M, les lois sur la parité agissent souvent « comme un plafond et une forme d’exclusion, pour réaffirmer la présence des hommes lorsque les femmes deviennent majoritaires. »

D’autres forces sociales qui semblaient pouvoir obtenir un siège à la Convention ont été écartées. La Centrale des travailleurs unis n’a pas réussi à se faire représenter, et la Coordinadora Nacional NO+AFP (qui lutte depuis des années pour un nouveau système de sécurité sociale) n’a élu qu’un seul porte-parole, alors qu’elle présentait de nombreux candidats.

Au final, l’élection n’a pas été une victoire retentissante pour tous les mouvements sociaux. Les nouveaux mouvements – les groupes féministes et LGBT, les secteurs plurinationaux, les écologistes et les étudiants – ont obtenu d’assez bons scores, mais la représentation syndicale n’a pas obtenu les résultats escomptés.

À quelques semaines de sa première session, la première grande bataille de la Convention tournera autour des règles de procédure. Ici, la principale tension se situe entre les sections conservatrices qui demandent que les termes de l’accord du 15 novembre soient pleinement respectés, et celles de la gauche qui contesteront ces termes au motif qu’ils sont antidémocratiques. Plus précisément, la gauche voudra contester les limitations formelles telles que la clause de la majorité des deux tiers et le manque d’influence populaire sur les négociations, ainsi qu’introduire dans le débat des questions socio-économiques plus significatives, comme les accords commerciaux internationaux.

Le courant anti-néolibéral majoritaire a le potentiel pour dicter les termes de la Convention, mais pour ce faire, il ne doit pas reculer face l’inévitable réaction à venir des forces combinées de la droite et de la Concertación.

Une opportunité historique d’écrire le futur

L’autre élément clé à surveiller dans les semaines à venir est l’alliance formée par les deux plus grands partis de gauche : le Parti communiste et le Frente Amplio. Ces deux formations ont remporté des victoires historiques en obtenant des mairies et des postes de gouverneur lors des dernières élections et forment ensemble la plus importante coalition de gauche à la Convention.

Depuis sa fondation en 2017, le Frente Amplio a suscité un important renouveau de la politique progressiste menée par les jeunes au Chili. Cependant, il a progressivement consenti au modèle régnant de la politique de l’ère de la transition, en accordant une plus grande priorité à la gouvernabilité et aux négociations alors que, selon certains, une approche plus radicale était nécessaire. (Le Frente Amplio, par exemple, a signé l’Accord pour la paix sociale de Piñera.)

Le parti communiste, plus expérimenté, s’est montré capable de collaborer avec le centre-gauche dans des domaines clés tout en restant plus proche d’une position anti-néolibérale forte lorsque cela était nécessaire. Pour former une large majorité anti-néolibérale au Congrès, les deux partis doivent surmonter les tendances sectaires et reconnaître que la gauche chilienne est bien plus large que la notion de parti.

Les défis auxquels est confrontée la gauche chilienne sont nombreux, mais ses opportunités le sont tout autant. Jamais la gauche n’a été aussi proche de converger autour d’un programme féministe et anticapitaliste commun – bien loin des demandes typiques visant à obtenir davantage de droits sociaux ou des améliorations immédiates des conditions de vie. La gauche a réussi à transformer la Convention constitutionnelle en relais des révoltes d’octobre 2019 ; elle doit maintenant trouver un équilibre entre les manœuvres dans les sphères du pouvoir et le maintien d’une vision claire pour une société future qui servira les intérêts de la classe ouvrière.

En bref, la gauche chilienne a démontré le pouvoir de la révolte et doit maintenant faire face à son plus grand défi : peut-elle prendre les rênes du pouvoir et transformer la contestation du système économique hérité de Pinochet en un mouvement majoritaire pour une société radicalement différente ? Le maintien de la participation active de la gauche indépendante et des mouvements sociaux – le féminisme plurinational, en particulier – sera fondamental pour le succès des partis progressistes organisés. La grève générale féministe du Chili (et d’Amérique latine) a été l’un des événements politiques les plus significatifs de ces dernières décennies ; si elle était mise à l’écart par d’autres forces de la coalition, elle affaiblirait l’avant-garde du courant le plus ouvertement anticapitaliste du bloc progressiste.

Enfin, pour que la gauche saisisse cette opportunité historique, elle devra faire plus que simplement exercer une pression au sein de la Convention constitutionnelle. Divers secteurs de la gauche et des mouvements sociaux ont appelé à des mobilisations populaires dans la rue afin « d’assiéger » la Convention et de s’assurer que le processus ne contourne pas la volonté du peuple. Dans les jours et les semaines à venir, les rues du Chili devront être l’expression de la même volonté populaire qui a mis en marche le processus constitutionnel.

La Convention doit être ouverte à la participation des citoyens, et offrir un espace pour les propositions et les délibérations des milieux populaires. Même pour les revendications politiques qui dépassent le cadre de la Convention, le moment est venu de faire pression pour mettre fin au terrorisme d’État, en particulier dans les territoires mapuches, et de renforcer les institutions de la classe ouvrière chilienne qui ont joué un rôle crucial dans la lutte contre l’autoritarisme néolibéral.

Le Chili a fait un pas décisif pour mettre fin à la constitution néolibérale et antidémocratique de 1980. Ses prochaines étapes doivent consister en une transformation structurelle radicale de la société, menée par le peuple et la classe ouvrière. Ce qui se passera au cours des deux prochaines années avec le développement de la Convention constitutionnelle, déterminera les futures grandes lignes politiques pour les années et les décennies à venir.

Pablo Abufom est traducteur et titulaire d’un master en philosophie de l’Université du Chili. Il est éditeur de Posiciones, Revista de Debate Estratégico, membre fondateur du Centro Social y Librería Proyección et membre du collectif éditorial de Jacobin América Latina.

Source : Jacobin Mag, Pablo Abufom – 22-05-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises