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    Les inégalités sociales plomblent la vaccination anti-Covid

    Covid inégalités

    Lien publiée le 27 juillet 2021

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Les inégalités sociales plomblent la vaccination anti-Covid (reporterre.net)

    Les inégalités sociales plomblent la vaccination anti-Covid

    Les non-vaccinés « ne sont pas forcément antivax » assurent les experts de santé. Certains vivent loin des centres, d’autres sont âgés, SDF ou parlent mal le français. Et le passe sanitaire leur inflige une double peine. Camions, centres éphémères… Des initiatives fleurissent pour lever les obstacles et discuter de la méfiance.

    Il y a ce couple avec un bébé, sans voiture, dans un petit village des Pyrénées dépourvu de centre de vaccination. Cette personne sans domicile, qui n’a ni smartphone ni carte Vitale. Cette famille guyanaise, qui vit à deux jours de pirogue du bourg le plus proche. Toutes celles et ceux qui maîtrisent mal le français ou n’ont pas accès à Internet. Les exemples s’accumulent de personnes que la campagne de vaccination contre le Covid-19 a laissées au bord de la route et que le passe sanitaire risque d’exclure davantage.

    Depuis le 21 juillet, ce passe est obligatoire dans tous les lieux de loisirs et de culture rassemblant plus de cinquante personnes : salles de spectacle, parcs d’attractions, festivals, salles de sport, cinémas. À partir du 1er août, il le sera également dans les cafés, restaurants, hôpitaux, maisons de retraite, établissements médico-sociaux, ainsi que pour les trajets longue distance en avion, train et car. Justifiées par la crise sanitaire, ces mesures « comportent le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités », a alerté la Défenseure des droits, Claire Hédon, dans un avis publié le 20 juillet. Une crainte relayée par de nombreuses associations et 0 style="box-sizing: border-box; -webkit-font-smoothing: antialiased; color: rgb(20, 20, 20); text-decoration: underline; cursor: pointer;" target="_blank">résumée par le géographe Sébastien Leroux : « Emmanuel Macron a symboliquement donné le droit aux personnes âgées et aisées à aller au cinéma et au café et l’a refusé aux jeunes adultes des classes populaires. »

    « La carte du décrochage vaccinal est un quasi-décalque de la carte des inégalités socioéconomiques »

    Car nous ne sommes pas tous égaux dans l’accès à la vaccination. Les données de l’Assurance maladie révèlent d’abord de fortes différences entre départements : au 11 juillet, 40,7 % des Français avaient reçu les deux doses requises pour décrocher le fameux sésame ; mais ils n’étaient que 30 % en Seine-Saint-Denis, 12,2 % en Martinique et 9,5 % à Mayotte. « Force est de constater que la carte du décrochage vaccinal est aujourd’hui un quasi-décalque de la carte des inégalités socioéconomiques », soulignait le président (socialiste) du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, dans un entretien au journal Le Monde. Outre les disparités territoriales, l’accès au vaccin diffère selon les catégories professionnelles : « Parmi les soignants, les taux de vaccination des aides-soignantes et infirmières sont ainsi moins élevés que ceux des médecins »notait la sociologue Nathalie Bajos, interrogée par le magazine Alternatives économiques.

    Mi-juillet, 40,7 % des Français avaient reçu les deux doses ; mais ils n’étaient que 12,2 % en Martinique Sébastien Avenet/CC BY 2.0/Flickr

    Comment expliquer de telles inégalités ? Il y a d’abord les conséquences de la stratégie vaccinale : les 75 ans et plus, éligibles à la vaccination dès le 18 janvier, sont 78,7 % à avoir finalisé leur parcours vaccinal, contre 29,2 % pour les 20 à 39 ans, qui n’ont pour la plupart pu recevoir leur première injection qu’à partir du 31 mai.

    À chaque étape de la campagne vaccinale, certains territoires enclavés se sont retrouvés à la traîne. « Dans les Hautes-Pyrénées, les zones rurales sont éloignées des centres de vaccination, explique à Reporterre Alain Baqué, président du Cétir, qui affrète un camion de vaccination nommé ProxiVaccin en région Occitanie. La population y est sédentaire, âgée, avec des problèmes de déplacement, le tout dans un contexte de désertification médicale. »

    La défiance des classes populaires est plus grande vis-à-vis des vaccins

    Les difficultés d’accès sont exacerbées pour les plus précaires. « Pour plein de gens, il est compliqué de prendre rendez-vous sur internet, ou de se déplacer jusqu’au lieu de vaccination, observe Benjamin Cohadon, coordinateur au Village 2 santé, un centre de santé communautaire installé dans un quartier populaire d’Échirolles, en Isère. Beaucoup n’ont pas de compte Ameli ou ne parlent pas bien le français. » Pour les quelque 300 000 personnes sans domicile fixe s’ajoutent d’autres obstacles : « Peu d’entre elles disposent d’un smartphone pour prendre rendez-vous en ligne ou conserver un code QR, témoigne Guillemette Soucachet, de Médecins du monde Île-de-France. La double dose [1] pour des personnes qui se déplacent difficilement ou, au contraire, qui changent d’endroits, c’est compliqué. »

    Au-delà de ces freins objectifs, chercheurs et associatifs ont remarqué une défiance plus grande des classes populaires vis-à-vis des vaccins, une hostilité qui « prend racine dans les expériences de discriminations face au système de santé, qu’on a soi-même vécues ou que des proches ont vécues » 0 style="box-sizing: border-box; -webkit-font-smoothing: antialiased; color: rgb(20, 20, 20); text-decoration: underline; cursor: pointer;" target="_blank">analysait Nathalie Bajos.

    Le passe sanitaire « comporte le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités ». © E.B/Reporterre

    C’est ce qu’a constaté Guillemette Soucachet lors de ses maraudes : « La majorité des personnes sans abri ne sont pas vaccinées et une très grande part ne veut pas l’être, dit-elle. Le frein principal, c’est une méfiance généralisée à l’endroit de toutes les institutions médicales, hospitalières ou médico-sociales : parce que beaucoup de personnes ont eu des mauvaises expériences, se sont vu refuser des soins car elles ne pouvaient pas avancer les frais ou ne se sont pas senties bien accueillies dans ces lieux. » Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, a observé les mêmes réticences chez des réfugiés : « La peur d’être contrôlé dans le système de soins est intériorisée par les personnes sans papiers. Donc, même si certains centres acceptent les patients sans carte Vitale, beaucoup n’iront pas se faire vacciner. »

    « Le risque est grand d’une stigmatisation de l’élève non vacciné »

    Dramatiquement, les populations les plus défavorisées — qui sont donc le moins vaccinées — sont aussi les plus touchées par le Covid-19. La Seine-Saint-Denis se classe au premier rang du sinistre classement des départements les plus touchés par la pandémie, avec une surmortalité de 126 % malgré une population relativement jeune. « Cette augmentation a été attribuée à la prédominance, au sein de la population active, des ouvriers et employés occupant des emplois peu qualifiés et à leur niveau d’exposition au coronavirus sur les lieux de travail »montraient des chercheuses de l’Institut national d’études démographiques (Ined) en 2020. Les comorbidités — hypertension, diabète, obésité, asthme sévère, maladies cardiovasculaires et pulmonaires chroniques —, qui accroissent le risque de développer des formes graves du Covid-19, touchent particulièrement les groupes sociaux les moins favorisés.

    Le camion ProxiVaccin dans les Hautes-Pyrénées va à la rencontre des personnes isolées. Twitter/Jeremie Martin

    Dans ce contexte, la mise en place du passe sanitaire inflige une double peine aux personnes les plus précaires. Et notamment aux plus jeunes : « Dans la mesure où l’élève ne pourra pas participer aux activités de loisirs ou de culture organisées à l’extérieur de l’école, le risque est grand d’une stigmatisation de l’élève non vacciné au sein de son établissement scolaire ou internat scolaire, s’inquiète ainsi la Défenseure des droits. Cette différence de traitement pourrait affecter d’autant plus les populations éloignées habituellement de l’accès aux soins et par conséquent les enfants les plus vulnérables. »

    Les personnes à la rue non vaccinées pourraient ne plus avoir accès aux structures médico-sociales — accueils de jour, hôpitaux — qui les accompagnent, ou même aux cafés où elles se réfugient pour une boisson chaude et un brin de toilette. « Les lieux d’hébergement sont des structures collectives où le passe sanitaire est nécessaire pour éviter la contagion et la formation de foyers épidémiques. Mais nous espérons que les mesures seront appliquées avec souplesse : il ne faudrait pas que le passe se transforme en un facteur discriminant de plus pour les plus précaires », juge Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe 800 associations de lutte contre l’exclusion.

    « Prétendre que ceux qui ne se font pas vacciner sont forcément antivax nous mène dans une impasse »

    Pour Jérôme Martin, le gouvernement n’a pas du tout pris en considération ces freins sociaux : « C’est une erreur que commettent les autorités, juge-t-il. Nier les inégalités, en disant “quand on veut on peut” et en prétendant que ceux qui ne se font pas vacciner sont forcément antivax, nous mène dans une impasse. » Selon lui, pas de victoire contre le Covid-19 en restant dans « l’égoïsme majoritaire » : « On a affaire à un virus très contagieux. Si l’on ne prête pas attention aux cas particuliers — les personnes à la rue, les personnes sans-papiers, les personnes trans… —, on le laisse circuler. »

    Selon la philosophe Mélissa Fox-Muraton, il s’agit aussi d’une question éthique. « Il n’existe pas de mesure idéale. Mais il faut réfléchir aux conséquences de nos choix, car tous nos choix entraînent des vulnérabilités. Les confinements, par exemple, ont sauvé des vies mais placé des gens dans des situations très difficiles de perte d’emploi, de violences conjugales. » Comment compenser ?

    Çà et là, des initiatives fleurissent pour les personnes désireuses de se faire immuniser mais empêchées de le faire. L’Assurance maladie a ainsi développé des dispositifs « Aller vers », pour faciliter la prise de rendez-vous des plus fragiles. Centres de vaccination éphémères, unités mobiles, opérations de vaccination dans des centres d’hébergement d’urgence, permanences au sein de relais alimentaires associatifs pour aider à la prise de rendez-vous, prise en charge des transports vers les centres de vaccination… ont déjà permis à 135 000 personnes de se faire vacciner, qui n’auraient peut-être pas pu le faire autrement.

    Le camion ProxiVaccin fait partie de ces initiatives. En mars 2021, il s’est élancé sur les routes sinueuses des Hautes-Pyrénées pour vacciner les habitants des villages les plus enclavés, et a poursuivi sa route dans dix départements de la région Occitanie. « Nous avons vacciné des personnes âgées qui n’y seraient jamais allées, car trop isolées et sans personne pour les accompagner, raconte Gisèle Omisos, infirmière coordinatrice du camion. En Aubrac, nous avons vacciné des agriculteurs et des éleveurs qui sont remontés sur leurs tracteurs tout de suite après l’injection. Ils n’auraient pas pris le temps de faire la route jusqu’à un centre de vaccination. » Mercredi 21 juillet, quelque 8 000 personnes avaient déjà été vaccinées grâce à ce camion.

    « Nos patients se posaient beaucoup de questions : sur les différents vaccins, leur toxicité, sur l’ARN messager… » x3/Pixabay/CC

    Le Village 2 santé accompagne les plus précaires dans leur prise de rendez-vous et leurs déplacements vers les lieux de vaccination. En février et mars, il a même organisé sa propre campagne de vaccination. « Nous avons vacciné beaucoup de monde grâce à notre proximité, notre simplicité et la confiance instaurée avec ces patients que nous soignons depuis des années », explique Benjamin Cohadon.

    Car lever les obstacles pratiques ne suffit pas ; encore faut-il prendre au sérieux la défiance de certains. « La confiance vaccinale ne se décrète pas, elle se construit, rappelle Jérôme Martin. Il faut aller vers les gens avec de l’information adaptée, claire, pertinente, et être présents sur le terrain, s’appuyer sur les relais communautaires. » Le Village 2 santé, lui, a tenu pendant six semaines un groupe d’information et de parole sur le vaccin. « Nos patients se posaient beaucoup de questions : sur les différents vaccins, leur efficacité, leur toxicité, sur l’ARN messager… Nous avons eu du monde à chaque fois », conclut Benjamin Cohadon.