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Fétichisme, méthodologie et théorie sociale dans les nouvelles lectures de Marx
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La théorie de la forme et le développement des formes : Fétichisme, méthodologie et théorie sociale dans les nouvelles lectures de Marx, Par Chris O’Kane
Par Chris O’Kane 1
Introduction
À bien des égards, le livre Sur le marxisme occidental de Perry Anderson est emblématique du traitement du marxisme occidental, du moins dans la littérature anglophone. Comme les contributions de Jay et Jacoby, pour Anderson, le marxisme occidental a pris fin dans les années 1960. Si l’on peut dire qu’une telle périodisation enregistre le recul de Marx par ceux qui se sont appropriés l’héritage du marxisme occidental – comme la deuxième génération de la théorie critique de l’École de Francfort – ou ceux qui ont rejeté ses « méta-récits » pour un ensemble de méta-récits plus suspects – c’est-à-dire la condition postmoderne – elle néglige aussi les développements souterrains ultérieurs de la pensée marxiste. Néanmoins, la comparaison que fait Anderson, entre parenthèses, entre Theodor W. Adorno et Louis Althusser peut être considérée comme apportant un éclairage sur les similitudes frappantes entre les deux nouvelles lectures de Marx élaborées par les étudiants d’Adorno et d’Althusser, qui ont été effectivement ignorées par les chercheurs anglophones (et francophones ?). Dans ce qui suit, j’étaye ces similitudes. Je tente également d’ébranler les motifs d’incompatibilité entre ces nouvelles lectures. Enfin, j’indique certaines façons dont ces deux nouvelles lectures ont été utilisées pour se compléter de façon fructueuse dans la récente théorie marxienne allemande.
Pour ce faire, je me concentre sur la manière dont les critiques respectives d’Adorno et d’Althusser à l’égard de la forme de humanisme marxiste qui était hégémonique dans les années 1960 se reflètent dans deux nouvelles lectures de Marx développées par leurs étudiants : Jacques Rancière et Hans-Georg Backhaus et Helmut Reichelt. Je montre que ces deux nouvelles lectures étaient focalisées sur des interprétations de Marx centrées sur le Capital qui s’opposaient à l’interprétation marxiste humaniste du Capital par le biais des Manuscrits de 1844. Ce faisant, je prête une attention particulière à la théorie de la valeur de Marx sur les questions de méthode et sur son rapport avec la théorie sociale qu’est sa théorie du fétichisme 2. Cela me permet de montrer comment les deux Nouvelles Lectures ont critiqué l’interprétation humaniste de Marx et sa conception de la théorie du fétichisme de Marx comme une instance de la théorie de l’aliénation à la fois sur un plan méthodologique et socio-théorique. Cela me permet également de montrer que ces deux interprétations des nouvelles lectures du fétichisme – en tant qu’elles se rapportent aux aspects méthodologiques et socio-théoriques de la théorie de la valeur que Marx a énoncée dans le Capital – qui s’efforce de présenter la genèse de formes sociales de domination autonomes et inversées – marquent des avancées méthodologiques et socio-théoriques par rapport aux précédentes formes de marxisme occidental. Cependant, étant donné que ces avancées ne constituent pas des théories achevées et non problématiques en elles-mêmes, je soutiens également que le fait de s’appuyer sur ces deux nouvelles lectures pourrait s’avérer fécond. Pour ce faire, je remets d’abord en question ce que beaucoup, dans ces traditions souterraines du monde anglophone et francophone, ont considéré comme la base de l’irréconciliabilité entre ces écoles en soutenant que l’anti-humanisme de Rancière et l’humanisme négatif de Backhaus et Reichelt sont d’un registre différent et ne rendent donc pas leurs interprétations respectives de la méthodologie et de la théorie sociale de Marx incompatibles. Je donne ensuite un exemple de la façon dont les aspects de ces deux nouvelles lectures peuvent être considérés comme ayant été utilisés de manière fructueuse par un exposé interprétatif de l’une des œuvres récentes les plus importantes de la théorie marxienne allemande, La science de la valeur de Michael Heinrich, en indiquant la possibilité de les utiliser dans la théorie marxienne anglophone et francophone. J’espère que cette large discussion suscitera de l’intérêt pour ces nouvelles lectures et fera progresser le type de travail qui s’en inspire dans le monde anglophone et francophone 3.
Le marxisme occidental est né dans une période de crise existentielle de la vision du monde engendrée par la régression marquée du mouvement ouvrier en raison d’un certain nombre d’événements historiques mondiaux qui ont remis en question cette dialectique logico-historique. Ces derniers constituent un point de critique dans ce qui est considéré comme le texte fondateur du marxisme occidental : Histoire et conscience de classe de Georg Lukács, qui, selon Elbe, rompt avec le marxisme traditionnel « du point de vue de la théorie sociale et de la méthodologie ».
Comme le note Elbe, la théorie sociale de Lukács « est la première à comprendre le caractère du pouvoir capitaliste comme Marx l’a fait – anonyme, objectivement médiatisé et ayant une vie propre ». Cependant, la méthodologie de Lukács « évite une reconstruction de la théorie du capitalisme de Marx ». Au contraire, la déclaration de Lukács selon laquelle « le chapitre traitant du caractère fétichiste de la marchandise contient en lui-même l’ensemble du matérialisme historique » 4 est révélatrice d’une méthodologie qui considère son interprétation du fétichisme de la marchandise comme posant « le problème structurel central de la société capitaliste sous tous ses aspects « 5. Il en résulte une « combinaison analogique d’une théorie de la valeur réduite à la forme valeur ‘quantifiante’ (en raison de l’influence exercée par la critique culturelle de la monnaie par Simmel) et un diagnostic, inspiré par Max Weber, de la tendance formelle-rationnelle de l’objectivation du processus de travail et du droit moderne » qui fournit une théorie sociale en généralisant ces propriétés à une myriade d’aspects objectifs et subjectifs de la société capitaliste.
Suite à la publication des Manuscrits de 1844 de Marx, ces aspects de la pensée de Lukács ont été formalisés par le marxisme hégélien de l’humanisme marxiste. Par un tour de force interprétatif qui a nié les faits historiques, on a souvent affirmé que la théorie de la réification de Lukács avait découvert la théorie de l’aliénation, malgré le fait que la théorie de Lukács ait été formulée avant la découverte des Manuscrits. Malgré les objections de Lukács lui-même 6, d’après une telle interprétation, les aspects méthodologiques et relatifs à la théorie sociale dans la théorie de la réification ont donc été plus ou moins greffés sur la théorie de l’aliénation de Marx. Cela a abouti au courant hégémonique de l’humanisme marxiste qui, même dans sa forme la plus sophistiquée – dans l’œuvre d’Henri Lefebvre par exemple – a lu la théorie du fétichisme de Marx comme la forme économique de l’aliénation, formulant une théorie sociale correspondante en généralisant une opposition quantitative-qualitative à un ensemble de phénomènes sociaux objectifs et subjectifs qui n’étaient pas abordés dans le Capital afin de fournir un diagnostic du malaise social universel, de l’ennui et de la déshumanisation 7.
Comme je l’ai indiqué plus haut, Perry Anderson souligne que les travaux d’Althusser et d’Adorno dans les années 1960 partagent certains points de similitude intrigants :
« La Dialectique négative d’Adorno, élaborée pour la première fois lors de conférences à Paris en 1961 et achevée en 1966, reproduit toute une série de motifs que l’on peut trouver dans Pour Marx et Lire le Capital d’Althusser… entre autres thèmes, Adorno …. attaque la focalisation philosophique sur l’aliénation et la réification comme une idéologie à la mode, susceptible d’un usage religieux ; le culte des œuvres du jeune Marx au du jeune Marx au détriment du Capital ; les conceptions anthropocentriques de l’histoire et la rhétorique ramolissante de l’humanisme qui les accompagne. » 8
Si ces parallèles méritent une attention particulière 9, ils peuvent être rapidement dégagés dans ce qui suit. L’affirmation d’Althusser selon laquelle « toute la théorie à la mode de la ‘réification’ qui repose sur une projection de la théorie de l’aliénation que l’on trouve dans les textes de jeunesse, en particulier les Manuscrits de 1844, sur la théorie du ‘fétichisme’ du Capital » se reflète dans le commentaire d’Adorno selon lequel « le terme ‘aliénation’ est récemment devenu à la mode à l’Est comme à l’Ouest, grâce à la vénération du jeune Marx aux dépens de l’ancien, et grâce à la régression de la dialectique objective vers l’anthropologie ». (Histoire et liberté, p. 265) 10.
Comme je vais maintenant le montrer, ces critiques parallèles ont été reprises sur le plan méthodologique et socio-théorique par les Nouvelles lectures de Marx réalisées par les élèves d’Althusser et d’Adorno, centrées sur des lectures ésotériques d’un Marx centré sur le Capital qui soutenaient que la théorie du fétichisme relevait de la genèse méthodologique d’une théorie sociale des formes sociales de domination autonomes et inversées.
II
C’est ce que l’on peut constater dans le cas de Rancière en se concentrant sur sa contribution à Lire le Capital 11. « Le concept de ‘critique’ et la critique de l’économie politique » fournit sa critique du marxisme-humanisme et d’une lecture de Marx centrée sur le Capital qui se concentre sur sa théorie de la valeur et les questions connexes du fétichisme, de la méthodologie et de la théorie sociale 12.
À la suite d’Althusser, Rancière soutient que le Marx des débuts a réalisé une critique de l’économie politique sur la base de l’anthropologie feuerbachienne qui se situait encore dans un « discours idéologique ». Selon la lecture de Rancière, une telle critique « est suspendue à la manière dont … le sujet, l’objet et la méthode sont liés ensemble ». Ici, l’objet de la critique est « une expérience dont le sujet est l’humanité » 13. Un tel objet est lié à la méthode de la critique parce que l’humanité (le sujet) a été « aveuglée » par les contradictions qui génèrent une telle expérience. La méthode de cette critique anthropologique consiste donc à identifier ces contradictions, ce qu’elle fait en identifiant la contradiction fondamentale qui les sous-tend : l’aliénation. Ce faisant, la critique saisit que l’aliénation découle d’une inversion sujet-prédicat qui sépare l’humanité de sa propre essence. Cette séparation se réalise dans les divisions sociales et l’identification de l’essence humaine à ces divisions, dans lesquelles ces essences sont aliénées et deviennent des pouvoirs autonomes.
Une telle notion de critique, toujours selon Rancière, se déploie au niveau de l’économie politique dans les Manuscrits de 1844. La critique de l’économie politique par le premier Marx prend ici les catégories de l’économie politique comme un donné. Au lieu d’examiner la relation entre la forme et le contenu, cette version précoce de la critique se concentre sur la substance qui sous-tend ces catégories. Le travail aliéné, en tant que substance non reconnue de la propriété privée, est exemplaire de cette séparation aliénée. Pour Rancière, la critique précoce de l’économie politique par Marx est donc menée de ce point de vue anthropologique. La méthode et la théorie sociale qui correspondent à ce point de vue sont centrées sur la séparation entre l’essence humaine et les sphères sociales aliénées.
Bien qu’il note que des vestiges de ce point de vue persistent dans le Marx tardif, Rancière affirme qu’il y a un « changement dans la fonction de la structure d’incarnation » dans le concept de critique entre le premier et le dernier Marx 14. Dans sa « lecture symptomale » 15 du Capital, Rancière tente de justifier ce changement en déchiffrant un système ésotérique caché derrière le récit exotérique sur lequel s’appuie la lecture marxiste humaniste dominante qu’il critique. Selon Rancière, une telle lecture révèle qu’une « réorganisation du champ conceptuel de Marx, qui constitue le passage du discours idéologique du jeune Marx au discours scientifique » du Marx tardif 16.
Dans cette « réorganisation », le « discours scientifique » de la critique de l’économie politique du Marx tardif remplace le point de vue anthropologique du Marx précoce. Rancière soutient qu’alors que dans les Manuscrits les équations qui posent la contradiction se référaient toutes à l’équation « fondamentale » : essence humaine = être étranger, c’est-à-dire qu’elles indiquent comme cause à la séparation entre le sujet humain et son essence 17, le Capital possède une « causalité métonymique » 18. Selon Althusser, dans cette notion de causalité, « la structure n’est pas une essence extérieure aux phénomènes économiques qui viendrait en modifier l’aspect et les formes et les rapports et qui serait efficace sur eux comme cause absente, absente parce qu’extérieure à eux » 19. Au contraire, cette causalité métonymique explique la connexion interne entre les rapports sociaux de production et les processus sociaux. Ainsi, pour Rancière, dans la critique tardive de l’économie politique par Marx, « nous n’avons plus affaire à une causalité anthropologique référée à l’acte d’une subjectivité » 20. Au contraire,
« ce qui détermine la connexion des effets (les rapports entre les marchandises), c’est la cause (les rapports sociaux de production) pour autant qu’elle est absente. Cette cause absente, ce n’est pas le travail comme sujet, c’est l’identité du travail abstrait et du travail concret en tant que sa généralisation exprime la structure d’un certain mode de production capitaliste. » 21
Selon Rancière, cette théorie de la causalité métonymique est également ce qui distingue la théorie de la valeur du Marx tardif de celle de Ricardo. Rancière soutient que Ricardo (comme le premier Marx) prend les catégories de l’économie politique comme un donné et se concentre sur la substance qui les sous-tend, sans examiner la relation entre la forme et le contenu. Pour Ricardo, le travail est donc la substance transhistorique de la valeur. Peu importe sous quelle forme cette substance apparaît. En revanche, selon Rancière, la démarche scientifique du Marx tardif consiste à poser la question » critique » de savoir pourquoi le contenu du travail prend la forme de la valeur.
C’est cette lecture de la théorie de la valeur de Marx comme « théorie de la forme » qui relie la notion de causalité métonymique de Rancière à la problématique de la méthodologie de Marx, à la théorie du fétichisme et à la conception des deux comme faisant partie intégrante d’une théorie sociale de la domination sociale abstraite. Car, comme nous l’avons signalé plus haut, la causalité métonymique porte sur la relation entre le travail social (les rapports sociaux de production) et la forme dans laquelle il apparaît nécessairement (les rapports entre les marchandises). Dans la suite de l’analyse de Rancière, cette forme provient nécessairement du caractère historiquement spécifique de ces relations sociales (l’identité entre le travail abstrait et le travail concret) de sorte que
« le travail se réprésente [nécessairement] dans la valeur, il revêt la forme de la valeur des marchandises » 22, par conséquent, la valeur « revêt la forme d’une chose ». Le rapport contenu/forme, en tant qu’il s’agit du « rapport de détermination interne et le mode d’existence » est réalisé dans la forme d’apparition (Erscheinungsform) de cette détermination » 23.
Contrairement aux méthodologies employées par Lukács et l’humanisme marxiste, Rancière ne généralise pas simplement la relation entre travail abstrait et travail concret à la société capitaliste. Il souligne plutôt que la question de la méthodologie est liée à la méthode de présentation de Marx, qui procède à travers les trois volumes du Capital en ce que « le développement des formes de la production bourgeoise – qui constitue l’objet propre du Capital – est ainsi pensé comme le développement de formes de mouvement pour la contradiction primitive, l’opposition du travail abstrait et du travail concret » 24. Ainsi, la théorie de la valeur chez Marx, et sa dimension socio-théorique, progresse tout au long de la présentation du Capital de sorte que « la théorie des formes et le développement des formes » acquièrent une « précision » et s’achèvent à la fin du livre III « où ces formes se manifestent à la surface de la production capitaliste » 25.
Rancière démontre dans son exposé la manière dont cette idée de causalité métonymique est relayée dans l’argumentation de la première partie du Capital et réalisée dans la théorie du fétichisme et les concepts afférents d’apparence, de matérialisation et d’inversion. Dans l’analyse de Rancière, « le concept de fétichisme dans le Capital pose un problème que l’on peut d’abord formuler sous la forme naïve : de quoi s’agit-il ? » 26. Comme le montrent les réponses de Rancière – « nous ne comprendrons en fait le fétichisme que si nous le pensons dans la continuité de ce que nous avons dit sur la structure du procès et sur le développement de ses formes » 27 – une telle compréhension s’appuie sur la distinction faite par Rancière entre le jeune Marx et le Marx tardif et sur sa notion de causalité métonymique de la présentation. Contrairement aux figures majeures de l’humanisme marxiste, Rancière n’interprète pas l’exposé de Marx sur la marchandise en termes d’opposition entre des choses quantitatives et des humains qualitatifs déshumanisés par la production de ces choses. Il ne suit pas non plus d’autres types de marxisme occidental et n’utilise pas une telle interprétation de la marchandise pour rendre compte des aspects objectifs et subjectifs socialement dominants de la société capitaliste. Au lieu de cela, cette lecture se concentre sur la centralité que la section sur le fétichisme revêt dans la méthode de présentation de Marx, en soutenant qu’une bonne compréhension de cette section au regard des autres sections de la première partie, révèle ce qui différencie la théorie de la valeur de Marx de la théorie ricardienne de la valeur. Plus encore, contrairement aux idées dominantes selon lesquelles le fétichisme consiste en une théorie de l’aliénation ou de l’idéologie qui peut être généralisée à la totalité de la société à partir de la première partie du livre I du Capital, Rancière souligne que le concept de fétichisme fait partie intégrante de l’exposé de Marx sur la réalité sociale objective « très spéciale » du capitalisme et qu’il se développe de l’abstrait au concret tout au long du Capital. Par conséquent, dans la lecture de Rancière, Marx expose « le fétichisme en faisant la théorie de la structure qui fonde la forme de chose prise par les caractères sociaux du travail » 28. En vertu de la place qu’elle occupe dans cette présentation méthodologique de la causalité métonymique, la théorie du fétichisme de Marx décrit la « réalité » sociale « phénoménale » dans laquelle les structures de la production sociale capitaliste sont réalisées et simultanément mystifiées.
Cette « réalité phénoménale » est par conséquent une théorie de la domination sociale, ce qui, selon Rancière, différencie davantage le Marx tardif du jeune Marx. Alors que le jeune Marx utilisait le terme Gegenstand de manière sensualiste pour décrire un monde caractérisé par la séparation de l’essence humaine en sphères aliénées, dans le Marx tardif, « par ce concept de réalité il faut entendre précisément l’espace où se manifestent les déterminations de la structure (espace de l’objectivité fantomatique) » 29. Par conséquent, Gegenstand est utilisé pour décrire la Gegenständlichkeit des marchandises ; « leur caractère sensible-suprasensible est la forme dans laquelle ils apparaissent comme manifestations de caractères sociaux » 30, comme manifestation de la structure de la réalité sociale capitaliste, qui la dissimulent en même temps 31. Cette réalité sociale sensible-suprasensible est générée par la nécessaire apparence inversée de l’« objectivité fantomatique » dans laquelle « le mécanisme de l’apparence (Schein) est généré par le décalage entre la constitution des formes et leur perception » 32, ce qui conduit à une réalité sociale inversée « fondée sur la structure du processus lui-même » 33. Par conséquent,
« la figure qui dans la critique antrhopologique désignait le procédé de la spéculation désigne ici le processus qui se déroule dans le champ même de la réalité. Par ce concept de réalité (Wirklichkeit), il faut entendre précisément l’espace où se manifestent les déterminations de la structure (espace de l’objectivité fantomatique) » 34.
Plutôt qu’un monde caractérisé par la séparation, comme dans le jeune Marx, ces déterminations de la structure se manifestent donc dans cet espace de la réalité sociale comme une série de chiasmes interconnectés qui articulent une forme abstraite et autonome d’inversion et de subjectivation. Pour Rancière, cette détermination consiste en un double mouvement : la « réification des déterminations sociales de la production et la subjectivation de ses bases matérielles » 35 dans lequel la « subjectivation de la chose » et « l’acquisition par la chose de la fonction de moteur du procès » s’inversent pour déterminer les personnes comme « porteurs » ou « supports » de la structure que leurs rapports constituent 36. Dans ce procès, une telle fonction n’appartient pas à un sujet ou à l’action réciproque d’un sujet et d’un objet, mais aux relations de production « qui sont radicalement étrangers à l’espace du sujet et de l’objet où ils ne peuvent trouver que des ‘supports’ » 37. De plus, « les propriétés que reçoit la chose ne sont pas les qualités d’un sujet, mais le pouvoir moteur des rapports de production. C’est en tant qu’elle a hérité du mouvement que la chose se présente comme sujet » 38.
Chez Rancière, ce chiasme se développe au cours de l’exposé de Marx, depuis son niveau le plus abstrait dans « la détermination la plus simple du mode de production capitaliste » jusqu’à son niveau le plus concret dans « le monde enchanté, le monde renversé et placé sur la tête » de la formule trinitaire 39. Cette dernière « incarne » le chiasme entre la personnification des choses et la réification des personnes – les déterminations sociales de la production et la personnification (Versubjektivierung) des fondements matériels de la production – qui caractérisent les « modes d’existence » de l’ensemble du mode de production capitaliste et les concepts connexes d’inversion et de support.
Par conséquent, pour Rancière, la théorie du fétichisme de Marx désigne la réalité phénoménale de l’objectivité fantomatique dans laquelle les structures de ce type « très spécial » de production sociale capitaliste sont réalisées et simultanément mystifiées. Cette forme phénoménale d’apparence – issue de la contradiction entre le travail concret et le travail abstrait inhérente aux rapports sociaux spécifiques de production capitalistes – personnifie les choses et constitue les sujets en tant que supports, déterminant leur action et leur conscience. Contrairement à la méthodologie et à la théorie sociale marxistes occidentales, Rancière propose une lecture du fétichisme du point de vue de la « théorie de la forme et du développement des formes », qui relève d’une théorie sociale des formes fantomatiques de la réalité sociale, générées par le rapport de production et incarnées dans des choses personnifiées présentées à différents niveaux de concrétion dans le Capital. Ce faisant, il critique également l’interprétation marxiste humaniste de Marx et sa théorie sociale de l’aliénation du point de vue d’une interprétation centrée sur le Capital de Marx qui postule une rupture et des avancées méthodologiques et théoriques ultérieures dans la critique mature de l’économie politique de Marx.
III
Comme je vais le montrer, la nouvelle lecture du Capital de Rancière présente des similitudes frappantes avec les travaux de Backhaus et Reichelt, à une exception notable près : plutôt que de postuler une rupture entre le jeune Marx « anthropologique » et le dernier Marx « scientifique », Backhaus et Reichelt plaident pour une continuité dans ce que l’on peut appeler le point de vue anthropologique négatif et la « structure squelettique » du concept de critique de Marx et de sa théorie de la domination sociale. Néanmoins, comme je vais essayer de le montrer, cette exception n’est pas une opposition aussi irréconciliable et diamétralement opposée qu’il n’y paraît. En premier lieu, ce point de vue anthropologique négatif s’oppose à l’humanisme marxiste et à sa théorie sociale de l’aliénation. En second lieu, la structure squelettique de ce point de vue consiste en une conception minimale de l’essence humaine qui s’inscrit dans la continuité d’une notion de critique et d’une théorie de la domination sociale qui présente plus de similitudes avec le Marx tardif de Rancière qu’avec le jeune Marx. Enfin, l’interprétation de Marx centrée sur le Capital de Backhaus et Reichelt soutient que le Marx tardif comporte des avancées méthodologiques et socio-théoriques par rapport au jeune Marx et au marxisme occidental, dans la mesure où la théorie du fétichisme relève de la genèse méthodologique d’une théorie sociale des formes sociales de domination autonomes et inversées.
Cela peut être constaté d’abord en résumant ce que Reichelt appelle la « construction » de la théorie de la réalité sociale de Marx, qui, selon lui, sert de « squelette organisateur » qui traverse toute l’œuvre de Marx, bien que « revêtu de divers costumes » 40. Cette « construction » consiste en plusieurs caractéristiques majeures qui forment la structure de la théorie de la domination sociale de Marx. Elles sont les suivantes : (1) Marx conçoit la réalité sociale comme constitutive de formes qui sont créées par un processus de constitution sociale ; (2) ce processus de constitution sociale est un processus dynamique et contradictoire dans lequel l’essence doit apparaître et se cacher dans l’apparence ; (3) ces formes de réalité sociale sont constitutives d’un monde sensible-suprasensible et inversé dans lequel les individus sont dominés par les abstractions qu’ils constituent collectivement.
Le « squelette organisateur » de Reichelt repose donc sur une notion d’anthropologie dans la mesure où elle considère la constitution sociale comme une propriété humaine essentielle liée à une théorie de la domination sociale dans laquelle la réalité sociale est caractérisée par un monde sensible-suprasensible dans lequel l’essence apparaît nécessairement sous des formes inversées. Pourtant, cette notion d’anthropologie diffère de l’interprétation humaniste de Marx et de l’interprétation par Rancière du jeune Marx, car elle ne sert pas de point d’appui à une critique d’un monde divisé dans lequel l’essence et l’apparence sont séparées. Lorsqu’il affine la distinction, Reichelt affirme que « les premières conceptualisations de Marx, et en particulier la réflexion sur le travail aliéné, l’aliénation de l’être générique, etc. … sont dans une certaine mesure les contre-concepts des formes existantes d’une société inversée ». Au lieu d’être la base positive de la critique de Marx, comme dans l’humanisme marxiste, ces concepts sont une « image négative en miroir » de ce monde inversé. Cela signifie que la dimension anthropologique de Marx que Reichelt et Backhaus considèrent comme persistante dans le jeune Marx et le Marx tardif pourrait être considérée comme relevant d’un registre différent de celui du modèle de Rancière de la critique humaniste du jeune Marx.
On peut le voir plus en détail en consultant Some Aspects of Marx’s Concept of Critique in the Context of his Economic-Philosophical Theory, dans lequel Backhaus décrit ce qu’il considère comme les caractéristiques du « point de vue anthropologique ou critique » de Marx. Comme Rancière, Backhaus estime que Feuerbach a eu une influence importante sur la conception de la critique chez le jeune Marx. Cependant, la caractérisation de l’influence de Feuerbach par Backhaus est sensiblement différente, comme on peut le voir dans les trois façons dont il soutient que Feuerbach a eu « une certaine influence » sur le concept de critique de Marx : (1) l’inversion sociale peut être saisie parce que l’essence peut être conçue indépendamment de ses formes d’apparition ; (2) la conception de l’essence comme un processus de constitution humaine qui apparaît sous des formes « aliénées » et contradictoires ; et (3) sa méthode critico-génétique comme la dérivation de ces formes d’apparition aliénées et contradictoires de la constitution sociale humaine 41.
Par conséquent, alors que Backhaus conçoit indubitablement le point de vue critique de Marx comme anthropologique, sa conception de l’anthropologie, une fois de plus, est ancrée dans une notion différente et beaucoup plus minimale de l’essence humaine que l’analyse de Rancière du jeune Marx. Comme dans le cas de Reichelt, cet aspect anthropologique du point de vue critique de Marx ne se rapporte pas à la notion de Rancière de ce point de vue, c’est-à-dire « essence de l’homme = être étranger à l’homme ; c’est-à-dire qu’elle renvoyaient, comme à leur cause, à la scission entre le sujet humain et son essence » 42 dans le sens où l’anthropologie de Marx est la base d’une notion de la séparation d’une conception positive de l’expérience subjective de l’essence humaine d’une humanité déshumanisée. On peut plutôt dire que la notion de Backhaus de l’anthropologie de Marx est minimale dans la mesure où elle conçoit l’essence humaine comme une activité sociale générique, non individualiste, dans laquelle les relations sociales humaines constituent collectivement une société qui, à l’instar de Reichelt, apparaît sous des formes contradictoires et inversées. De plus, dans une autre différence avec l’analyse de Rancière du jeune Marx, la méthode de critique liée à cette conception de l’anthropologie ne révèle pas que la substance des institutions sociales est l’essence humaine aliénée, mais déduit comment les « formes » inversées sont socialement constituées. Ainsi, la conception de Backhaus et Reichelt de l’anthropologie de Marx n’est pas un humanisme marxiste ; elle ne s’intéresse pas non plus à une « causalité anthropologique référée se référant à l’acte d’une subjectivité » 43 au sens où Rancière la décrit, mais à la constitution sociale de formes perverties d’objectivité négative.
Ceci pose une interprétation de la relation entre la méthode critique et la théorie de la domination sociale du jeune Marx et du Marx tardif qui s’oppose à l’humanisme marxiste, tout en soulignant davantage de continuités que la rupture posée par Rancière. On pourrait dire que, tandis que l’humanisme marxiste a interprété Marx dans la perspective de ses premiers travaux et que Rancière postule un changement de paradigme, Backhaus et Reichelt plaident pour un enrichissement de leur définition paradigmatique. Ainsi, Reichelt caractérise ce processus d’enrichissement en ce qui concerne la structure squelettique de la théorie de la domination sociale de Marx comme suit :
« Même dans sa dissertation sur la philosophie naturelle de Démocrite et d’Épicure, Marx a poursuivi un programme de décryptage de la société en tant que forme « organique » [naturwüchsige] d’individualisation croissante. Marx se concentre sur les formes, d’abord sur les formes de conscience (c’est-à-dire la religion, la philosophie, la moralité, le droit), puis plus tard sur les formes ou les catégories de l’économie politique.
Pour Marx, l’accent mis sur les formes est identique à la critique des formes inversées de l’existence sociale, une existence constituée par la pratique de la vie des êtres humains. des êtres humains. Toutes ces formes se présentent comme la forme inversée d’une « communauté » qui est extérieure aux individus et dont ils doivent s’émanciper pour pouvoir interagir entre eux en tant qu’individus ».
En outre, Backhaus plaide pour une continuité du concept de critique chez Marx :
« Marx emploie l’expression « formes perverties » dans son double sens, d’une part comme essence mystique et énigmatique, et d’autre part comme sphère extérieure à l’homme, déplacée ou transposée. … Si l’on remplace « rapport social » par « apparence d’humanité » et les choses en tant que « chose de valeur » par la chose en « différence d’humanité » qui, en tant que chose transcendantale, est transposée dans une sphère « hors de l’homme », alors devient suffisamment claire la continuité du caractère fondamental de la critique de l’économie par Marx depuis les premiers écrits jusqu’au Capital. »
Par conséquent, de ce point de vue, les Manuscrits de 1884 ne représentent pas le fondement philosophique de l’œuvre ultérieure de Marx, et ils n’ont pas été mis au rebut. Au contraire, pour reprendre les termes de Backhaus, ils « contiennent de nombreux indices qui montrent que Marx » précise son programme critique « pour aboutir à une nouvelle forme de critique ». Pour Backhaus, comme pour Rancière, cette forme de critique est la critique de l’économie politique, qui a été en grande partie entièrement développée par le dernier Marx au cours de la rédaction du Capital.
Backhaus présente pour la première fois ces affirmations dans son texte La dialectique de la forme valeur. Dans cet essai fondateur, Backhaus affirme que la théorie de la valeur-travail a été reprise ou critiquée sous une forme grossièrement simplifiée et souvent totalement déformée ». Comme Rancière, Backhaus affirme que la littérature secondaire n’a pas réussi à saisir que la théorie de la valeur de Marx diffère de la théorie ricardienne de la valeur, consistant en une théorie sociale de formes autonomes et inversées qui se déploient « de l’abstrait au concret » dans les trois livres du Capital. Faisant écho à la notion de « théorie de la forme et présentation des formes » de Rancière, Backhaus affirme que la théorie de la valeur de Marx peut être trouvée dans la « dialectique de la forme-valeur ».
C’est ce que démontre Backhaus dans sa brève reconstruction de la première partie du livre I du Capital. Cette reconstruction est fondée sur l’affirmation de Backhaus selon laquelle la « méthode dialectique [de présentation] de Marx ne peut se limiter à ramener la forme d’apparence à l’essence ; elle doit montrer en outre pourquoi l’essence revêt précisément telle ou telle forme d’apparence ». Contrairement aux comptes rendus qui comprennent la première partie, section III, comme une « preuve supplémentaire » de l’argument de Marx dans les deux premières sections, cela conduit Backhaus à soutenir que la section sur la forme-valeur est un élément essentiel de la présentation de Marx parce qu’elle montre que « la valeur ne peut pas être exprimée » mais apparaît nécessairement sous une « forme inversée, à savoir comme le rapport de deux valeurs d’usage ».
Comme l’affirme Backhaus, la méthode de présentation de Marx lie également la section sur la forme-valeur à la théorie du fétichisme, les trois particularités de la forme-équivalent révélant le secret de l’« apparente objectictivité de la forme-chose qui confère aux marchandises leur caractère mystique ». Une telle interprétation contraste fortement avec la caractérisation par Backhaus des interprétations marxistes humanistes du fétichisme dans lesquelles :
« Les auteurs se réfèrent à certaines phrases du chapitre sur le fétichisme du Capital et les interprètent, conceptuellement et aussi pour la plupart terminologiquement, à la manière de l’Idéologie allemande, un manuscrit dans lequel la signification de la théorie de la valeur du travail était encore inconnu. La citation habituelle est la suivante : pour les producteurs, « les rapports sociaux de leur travail privé apparaissent pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des rapports immédiats, mais des rapports de force. C’est-à-dire non pas comme des rapports sociaux immédiats de personnes dans leur activité de travail mais plutôt comme des rapports personnels et des rapports sociaux de choses ». De cette citation, on peut lire simplement que les rapports sociaux se sont « autonomisés » vis-à-vis des individus. Un commentaire qui constitue le thème des premiers écrits et qui est devenu un lieu commun de la critique culturelle conservatrice sous le mot d’ordre d' »aliénation » ou de « dépersonnalisation ». »
Selon Backhaus, une telle interprétation, qui régresse au point de vue du jeune Marx (c’est-à-dire de l’humanisme marxiste) et de sa théorie sociale (« l’aliénation » !), ne tient pas compte du fait que « le rôle de la critique de l’économie politique… n’est pas de décrire simplement ce fait réel, mais d’analyser sa genèse » 44. Pour Backhaus, au contraire, « le sens propre de la « critique des catégories économiques » consiste à montrer les conditions sociales qui rendent nécessaire l’existence de la forme-valeur » 45. Ainsi, contrairement aux interprétations néo-ricardiennes et marxistes traditionnelles de la théorie de la valeur-travail, Backhaus fournit une analyse de ces conditions sociales en se basant sur la genèse de la « structure » du « rapport social des choses ».
Pour ce faire, Backhaus rejoint une nouvelle fois Rancière en soulignant que : « l’analyse de la structure logique de la forme-valeur ne doit pas être séparée de l’analyse de son contenu historique et social ». Il poursuit également en écho à Rancière en affirmant que « la théorie classique de la valeur-travail ne posait toutefois pas la question des circonstances historiques et sociales de ce travail qui se présente comme « créateur de valeur ». La conversion du travail en une forme qui lui est étrangère n’est pas prise en compte ». Par conséquent, nous trouvons encore une autre similitude avec Rancière, lorsque Backhaus déclare que Ricardo et les interprétations néo-ricardiennes de Marx « ne posent pas la question de savoir pourquoi, dans la production de marchandises, le travail est exprimé comme la valeur d’échange des produits, comme une propriété qui semble être une chose qu’ils possèdent » 46.
En revanche, selon Backhaus, la théorie monétaire de la valeur de Marx repose sur une contradiction sociale fondamentale et historiquement spécifique. « La raison cachée de l’existence du calcul de la valeur… [se trouve] dans la contradiction… entre le travail privé et le travail social « . Faisant écho à l’explication de Rancière par la causalité métonymique – dans laquelle ce qui détermine la connexion entre les effets (les relations entre les marchandises) est la cause (les relations sociales de production) – Backhaus affirme que « le dédoublement de la marchandise en marchandise et en monnaie est d’abord déchiffré lorsqu’on peut montrer que cette relation antagoniste entre les choses exprime une relation entre les personnes qui est structurée de manière similaire et antagoniste ». Cette « contradiction fondamentale » « s’exprime » dans « la contradiction dérivée suivant laquelle l’échange d’activités et de produits doit être médiatisé par un produit particulier et simultanément universel ».
De plus, étant donné que « ces « relations sociales de personnes » doivent être définies de telle sorte que, à partir de leur structure, la « relation de choses » antagoniste devienne compréhensible » 47, cette « contradiction » a une « signification primordiale » pour l’interprétation par Backhaus de la « théorie sociale » de Marx et pour la présentation méthodologique de cette théorie au-delà de la première partie 48. Dans ce cas, Backhaus affirme que « l’analyse de la forme de la valeur est pertinente à trois niveaux : elle est le point de confluence de la sociologie et de la théorie économique ; elle inaugure la critique de l’idéologie par Marx et une théorie spécifique de la monnaie qui fonde la primauté de la sphère de production par rapport à la sphère de circulation et donc des rapports de production vis-à-vis de la « superstructure » » 49.
Cela signifie que dans le cas de la précédente, faisant à nouveau écho à Rancière,
« la « chose sensible suprasensible » désigne une « réalité sui generis » qui ne peut être réduite ni aux aspects technologiques et physiologiques du processus de travail, ni au contenu de la conscience ou de l’inconscience humaine. L’objectivité abstraite de la valeur est pour Marx l’objectivité sociale par excellence. Par le fait que cette dimension de la réalité est simultanément subjective et objective, elle se distingue de tous les liens sociaux qui sont uniquement constitués par l’action consciente ».
En conséquence, « la valeur est le sujet » de cette « réalité inversée » sui generis de la domination sociale abstraite.
Pour Backhaus, comme pour Rancière, on peut donc dire que la théorie de la valeur de Marx est une théorie de la forme et de la présentation des formes. Comme ce dernier, il propose, avec Reichelt, une interprétation de Marx centrée sur le Capital qui s’oppose à l’interprétation marxiste humaniste du Capital et à la théorie sociale qui y correspond. En outre, Backhaus et Reichelt soutiennent également que la méthode ésotérique et la théorie sociale que Marx a formulées dans le Capital – en tant que présentation génétique d’une théorie expliquant comment un type de travail historiquement spécifique apparaît nécessairement dans des formes inversées de domination – représentent des avancées par rapport à ses premiers travaux.
Étonnamment, ces similitudes sont largement passées inaperçues dans les mondes anglophone et francophone. Au contraire, là où ces traditions sont entrées en contact, la question de l’humanisme et de l’anti-humanisme a donné lieu à des polémiques entre ceux qui s’inspiraient de ces nouvelles lectures 50. C’est regrettable car, bien que ces nouvelles lectures marquent des avancées par rapport aux types précédents de marxisme occidental, de la manière que j’ai indiquée, aucune n’est complète ou cohérente en soi. Cependant, les raisons de cette opposition ne semblent pas être aussi radicalement opposées que leurs positions respectives pourraient le laisser croire. En effet, comme je l’ai montré, le raisonnement de Rancière sur la rupture entre le premier et le dernier Marx se fonde sur une notion positive de l’anthropologie et sur un mode de critique correspondant qui, selon moi, est d’un registre différent de l’aspect socio-anthropologique minimal du raisonnement de Backhaus et Reichelt sur la continuité de la notion de critique et de la théorie de la domination sociale de Marx.
Se pose alors la question des moyens par lesquels ces nouvelles lectures pourraient se compléter mutuellement. Par exemple, d’une part, l’idée de constitution sociale de Backhaus et Reichelt pourrait peut-être être utilisée pour rendre compte de ce qui compose la contradiction fondamentale entre travail concret et travail abstrait, que Rancière n’aborde pas vraiment 51. D’autre part, étant donné que la vision initiale de Backhaus et Reichelt selon laquelle la méthode dialectique ésotérique de Marx pouvait simplement être reconstruite en s’appuyant sur les textes où elle n’était pas occultée – tels que les Grundrisse, la Version primitive et la première édition du Capital – a finalement été jugée naïve lorsque leurs travaux ultérieurs ont permis de constater que les problèmes de la méthode de Marx étaient « légion », la nouvelle lecture de Rancière pourrait peut-être aider à résoudre certains de ces problèmes. Par exemple, le point de vue de Rancière selon lequel l’accumulation primitive est la condition historique préalable aux rapports sociaux capitalistes qui est nécessairement présupposée dans la présentation de Marx, pourrait être utilisé pour expliquer le prérequis historique qui informe le raisonnement logique de Backhaus et Reichelt sur le Capital, de la même manière que Werner Bonefeld l’a soutenu. Enfin, il y a la question de la mise en relation de la théorie sociale que tous deux identifient dans le Capital avec la société capitaliste, qui, comme toujours, est une question délicate et controversée qui pourrait bien s’appuyer sur les deux contributions.
IV
L’utilisation la plus productive de ces nouvelles lectures se retrouve dans La science de la valeur de Michael Heinrich. Comme Heinrich le note lui-même, « après toutes les discussions de la fin des années 1960 et des années 1970 », la Science de la valeur « était une tentative de déterminer le noyau scientifique spécifique du projet de Marx de Critique de l’économie politique ». Comme je vais essayer de le montrer, l’interprétation marquante de ce noyau scientifique par Heinrich peut être considérée comme rassemblant des éléments des nouvelles lectures discutées plus haut.
Ceci est d’abord évident dans l’analyse qu’il fait de la critique dans le jeune Marx et le dernier Marx. À la suite de Rancière, Heinrich postule que le Marx tardif a rompu avec une notion d’humanisme fondée sur l’anthropologisme et l’individualisme. Comme Rancière, Heinrich soutient que l’anthropologie de Marx a défini le point de vue de sa première critique, qui consistait en une notion positive de l’essence humaine et une idée de séparation. Heinrich soutient également que Marx a rompu avec cet anthropologisme dans les Thèses sur Feuerbach. Pourtant, comme je l’ai dit, une rupture dans cette conception de l’anthropologisme n’est pas la même chose qu’une rupture dans l’interprétation de Backhaus et Reichelt de l’anthropologie de Marx. De plus, le raisonnement de Heinrich sur la rupture de Marx avec l’individualisme est compatible avec la notion de constitution sociale humaine de Backhaus et Rancière, et pourrait même s’en inspirer, dans la mesure où Heinrich affirme que le Marx tardif a rompu avec l’individualisme au profit d’une théorie dans laquelle « la société ne consiste pas en individus, mais exprime la somme des relations dans lesquelles les individus existent. Ainsi, la société n’est pas constituée d’individus, la société est l’échantillon des relations des individus. Lorsque vous voulez comprendre la société, vous devez commencer par les relations et non par les individus » 52. L’interprétation de ces questions par Heinrich peut alors être considérée comme anti-humaniste dans le sens où il soutient que Marx a rompu avec une notion positive de l’anthropologie, mais sa notion de la rupture de Marx avec l’individualisme possède également une théorie de la société qui suit la conception de la constitution sociale de Backhaus et Reichelt.
En outre, on peut considérer que le raisonnement de Heinrich sur la théorie de la valeur de Marx réunit des éléments de la notion de science de Rancière et de la notion de critique de Backhaus. Dans le premier cas, Heinrich décrit « le projet fondamentalement nouveau de Marx d’une critique de l’économie politique » comme un « projet qui n’était pas seulement destiné à ajouter une nouvelle théorie aux théories existantes, mais à pratiquer une critique de toute une science, à opérer une révolution scientifique ». Cette critique scientifique consiste en une « double entreprise de critique des catégories de l’économie politique classique et de résolution des problèmes formulés sur la base de ces catégories ». Contrairement à Backhaus et Reichelt, Heinrich affirme que « Marx n’a pas toujours réussi à se dégager du discours de l’économie politique classique, de sorte que son argumentation présente de nombreuses ambivalences et problèmes ». Par conséquent, la critique de l’économie politique n’est pas un système complet qui peut être reconstruit ; elle doit être déconstruite. En ce sens, les éléments de la critique scientifique de Marx et sa rupture avec l’économie politique doivent, d’une certaine manière, être lus de manière symptomatique afin de les séparer des cas dans lesquels ils se superposent aux éléments néo-ricardiens de Marx.
Cela se reflète dans la compréhension de la théorie de la valeur de Marx qui suit les deux conceptions des nouvelles lectures sur la manière dont la théorie de la valeur de Marx diffère de la théorie ricardienne de la valeur : » La présentation de la forme sociale spécifique du travail telle qu’elle se reflète dans les diverses manifestations économiques, de la forme marchandise du produit du travail au profit et à l’intérêt, est le noyau réel de la théorie de la valeur du travail de Marx « . L’analyse par Heinrich de la présentation et du contenu de cette théorie peut également être considérée comme utilisant des aspects des deux nouvelles lectures.
Sur la question de la méthodologie, on peut considérer que Heinrich suit la déclaration de Rancière contre Backhaus et Reichelt selon laquelle le mode de présentation du Capital n’est pas conforme à la dialectique hégélienne 53. On pourrait plutôt dire qu’Heinrich suit Backhaus dans un sens plus spécifique, en soutenant que le mode de présentation de Marx est dialectique dans le sens où il déploie les « structures fondamentales de la relation de capital », en précisant « à quel moment et à quel égard l’observation historique doit entrer en scène », en suivant le développement théorique afin d’expliquer les conditions préalables qui informent ce type particulier de travail social ou lorsque « tout autre développement conceptuel n’est plus possible ».
En outre, on peut dire que l’analyse de la valeur par Heinrich réunit les éléments fondamentaux des interprétations de Rancière et de Backhaus. Dans l’œuvre de Heinrich, la valeur est présentée comme se développant à partir de la contradiction fondamentale entre le travail concret et le travail abstrait, qui culmine dans une théorie monétaire de la valeur qui relie les trois livres du Capital. Pour Heinrich, la valeur en tant qu’abstraction réelle consiste donc en un travail abstrait et se réalise dans l’échange. Par conséquent, selon l’interprétation de Heinrich, la monnaie n’est pas « un appendice de la valeur… La théorie de la valeur de Marx est plutôt une théorie monétaire de la valeur » 54. Cela est dû au fait qu’une théorie monétaire de la valeur est nécessaire pour expliquer comment les marchandises sont liées les unes aux autres dans l’acte d’échange dans lequel la valeur est réalisée et comment la monnaie 1) fonctionne pour mesurer la valeur, et 2) sert de moyen de circulation de la valeur. La monnaie sert donc à unifier la production et la circulation en fournissant les moyens de la valorisation capitaliste.
Enfin, à la suite des deux nouvelles lectures, Heinrich insiste sur le fait que le fétichisme n’est pas une forme de fausse conscience ou d’aliénation. Il souligne plutôt que la théorie du fétichisme de Marx est une théorie à multiples facettes de la domination sociale « objective » dans laquelle les marchandises possèdent une « spectralité » et une « objectivité de valeur » 55 constituées par la réification des relations sociales dans lesquelles les choses deviennent personnifiées et fonctionnent comme les porteurs de valeur tandis que les individus sont dominés comme les porteurs de ces relations. Comme le souligne Heinrich, ces éléments de la théorie du fétichisme ne consistent pas simplement en un fétichisme de la marchandise, mais s’appliquent également à la monnaie et au capital et culminent dans la formule trinitaire.
Conclusion
J’ai soutenu que les nouvelles lectures de Marx développées par Rancière et Backhaus et Reichelt possèdent des similitudes frappantes qui ont été négligées. Comme je l’ai montré, ces deux nouvelles lectures fournissent une interprétation de Marx centrée sur le Capital qui s’oppose à l’interprétation du Capital par l’humanisme marxiste, à sa méthodologie et à sa théorie sociale de l’aliénation. Comme je l’ai également montré, ces deux nouvelles lectures conçoivent la théorie de la valeur de Marx comme une « théorie de la forme et du développement des formes » dans laquelle la présentation génétique d’une théorie sur la façon dont un type de travail historiquement spécifique apparaît nécessairement dans des formes inversées « fantasmagoriques » de domination sociale abstraite se déploie à travers les trois volumes du Capital. Pourtant, comme je l’ai également indiqué, si ces deux nouvelles lectures offrent des avancées méthodologiques et théoriques par rapport aux types précédents de marxisme occidental, elles se heurtent à des problèmes qui leur sont propres. J’ai soulevé la possibilité que ces problèmes puissent être surmontés en s’appuyant sur ces deux nouvelles lectures. À cette fin, j’ai essayé de désamorcer les motifs d’opposition entre elles en faisant valoir que la conception de l’anthropologie avec laquelle elles opèrent se situe à un registre différent et n’exclut donc pas la compatibilité possible de leurs interprétations méthodologiques et théoriques sociales de Marx. Comme je l’ai montré en outre, on peut dire que d’importants ouvrages en Allemagne se sont inspirés de ces traditions de manière productive. J’espère que les points que j’ai soulevés contribueront à ce que la théorie marxienne anglophone et francophone fasse de même.
Traduit par Ivan Jurkovic
1Chris O’Kane est professeur associé au département de sciences politiques de l’université du Texas Rio Grande Valley. Il travaille sur la théorie critique. Avec Beverly Best et Werner Bonefeld, il est l’éditeur de The SAGE Handbook of Frankfurt School Critical Theory. Il coédite avec Werner Bonefeld Critical Theory and the Critique of Society pour les Presses académiques de Bloomsbury.
2J’utilise le terme de théorie du fétichisme pour faire référence à ce que Marx traite pour la première fois dans la sous-section 4 du chapitre 1 du livre 1 du Capital. Dans cet usage, la théorie du fétichisme fait référence au(x) concept(s) spécifique(s) du fétichisme ainsi qu’aux relations sociales réifiées, au travail abstrait, à l’abstraction réelle, etc. J’utilise cette définition large parce qu’elle permet de faire référence aux interprétations telles que celles de la ‘réification’ et de l »aliénation’ inspirées par cette sous-section dans les interprétations méthodologiques et de théorie sociale de Lukács, des marxistes humanistes, de Ranciere et de Backhaus. Je me concentre sur la théorie du fétichisme en raison de son importance dans chacune de ces lectures.
3Cet article est une version révisée d’une communication présentée dans le cadre d’un séminaire sur les nouvelles lectures du capital après 1968 lors de la conférence annuelle de Historical Materialism. Comme le titre l’indique, la réflexion visait à rassembler les nouvelles lectures du capital développées dans les années 1960. Les révisions que j’ai apportées tentent d’atteindre cette objectif en allongeant la longueur du texte. Cependant, son intention reste la même : offrir une discussion large et spéculative sur l’importance de ces nouvelles lectures, leurs affinités et leurs possibles compatibilités, plutôt qu’une étude marxologique ou philologique ciblée. C’est pourquoi nous avons choisi de poser un certain nombre de questions sur un mode spéculatif, bien qu’elles pourraient faire l’objet d’articles individuels sur un mode plus marxologique.
4p.170.
5p.83.
6Voir l’introduction à Conscience et lutte de classe.
7C’est dans le domaine de la vie quotidienne que Lefebvre oppose deux types de loisirs « distincts » : le type quantitatif, dans lequel le « loisir » est intégré à la vie quotidienne (la lecture des journaux quotidiens, la télévision, etc.) et est propice à un profond mécontentement, et le type qualitatif : « l’attente du départ, le besoin d’évasion, la volonté de s’échapper par la mondanité, les vacances, le LSD, la débauche de folie ».
8P. Anderson, Considerations on Western Marxism, p. 72.
9En effet, on pourrait dire de façon provocante que Fredric Jameson est le seul universitaire notable qui examine Althusser et Adorno, et encore, c’est en fonction de la façon dont ils sont utilisés dans le propre projet de Jameson.
10En outre, les critiques d’Althusser sur l’interprétation humaniste de Marx, dans laquelle « les manuscrits économico-philosophiques ont nourri toute une interprétation éthique ou (ce qui revient au même) anthropologique de Marx – faisant du Capital, avec son sens de la perspective et son apparente « objectivité », le simple développement d’une intuition de jeunesse qui trouve son expression philosophique majeure dans ce texte et dans ses concepts : surtout dans les concepts d’aliénation, d’humanisme, d’essence sociale de l’homme, etc. (Pour Marx p. 155-6) se reflètent dans le point de vue d’Adorno selon lequel « le discours sur l »auto-aliénation’ est indéfendable… ce discours est devenu le fonds de commerce des apologistes qui suggèrent sur un ton paternel que l’homme a apostasié, qu’il s’est écarté de l’être-en-soi qu’il avait toujours été. Alors qu’en fait, il n’a jamais été cet être-en-soi, et ce qu’il peut attendre de ses recours n’est donc que la soumission à l’autorité, ce qui lui est étranger. Ce n’est pas seulement en raison des thèmes économiques de Das Kapital que le concept d’auto-aliénation n’y joue plus aucun rôle ; il a un sens philosophique » (Dialectique négative). Voir aussi la critique d’Adorno selon laquelle l’interprétation humaniste de la réification est « la forme de réflexion de la fausse objectivité ; centrer la théorie sur elle, une forme de conscience, rend la théorie critique idéalement acceptable pour la conscience dominante et l’inconscient collectif ». C’est à cela que les textes antérieurs de Marx, contrairement au Capital, doivent leur popularité actuelle, en particulier parmi les théologiens » et sa remarque sur le recours « abusif » à une essence inaliénable de l’homme qui a été longtemps aliénée. Ce n’est pas l’homme qui a créé les institutions, mais des hommes particuliers dans une constellation particulière avec la nature et avec eux-mêmes ». Dans le jargon de l’authenticité.
11La contribution de Rancière a une histoire particulière et malheureuse. Elle a été présentée aux côtés des autres contributions à Lire le Capital au cours d’un séminaire sur le Capital tenu à l’École Normale Supérieure au début de l’année 1965 et publié en 1965. Cependant, il n’a pas été pris en compte dans la traduction ultérieure de Lire le Capital. La dernière partie de la contribution de Rancière a été publiée sous la forme d’un article de journal en 1976 et l’ensemble de la contribution en 1989.
12J’ai choisi de me concentrer sur la contribution de Rancière à Lire le Capital car, comme je le montre par la suite, elle propose une analyse de la théorie de la valeur de Marx en rapport avec la théorie du fétichisme, la méthodologie et la théorie sociale. À cet égard, elle constitue une exception à la minimisation par Althusser et Balibar du fétichisme et de son importance pour ces questions connexes.
13Lire le Capital, PUF, 1996, 3e édition 2014, p. 85.
14Ibid., p. 124-126.
15L’expression d’Althusser, ibid., pp. 22-30.
16Ibid., p. 111.
17Ibid., p. 98-99.
18Ibid., p. 121.
19Ibid., p. 405.
20Ibid., p. 121.
21Ibid., p. 121.
22Ibid., p. 117.
23Ibid., p. 119.
24Ibid., p. 132.
25Ibid., p. 146.
26Ibid., p. 171.
27Ibid., p. 171.
28Ibid., p. 126.
29Ibid., p. 125.
30Ibid., p. 123.
31Ibid., p. 181.
32Ibid., p. 143.
33Ibid., p. 191-192.
34Ibid., p. 125.
35Ibid., p. 141.
36Ibid., p. 183.
37Ibid., p. 183.
38Ibid., p. 183.
39Ibid., p. 181.
40Reichelt 2005, 57 et Reichelt 2000.
41Backhaus, 2005.
42Lire le Capital, op. cit., p. 120.
43Ibid., p. 121.
44La dialectique de la forme valeur, p.104
45Ibid., p.107.
46Ibid., p.107.
47Ibid., p.112.
48Ibid., p.107
49Ibid., p. 112.
50Voir à ce sujet le polémique entre l’Open marxism et le marxisme althussérien comme on le trouve dans Le livre de Simon Clarke One-Dimensional Marx.
51L’utilisation de la notion de constitution sociale humaine de cette manière pourrait également atténuer les doutes ultérieurs de Rancière concernant les « distorsions » de l’entreprise scientifique althussérienne et son affirmation ultérieure d’une continuité étroite entre le premier et le dernier Marx, dans laquelle « le discours de l’illusion » dans le Capital « n’est plus le produit d’une séparation, mais toujours la simple intensification d’un processus d’illusion qui est en même temps le processus de constitution de la réalité. La position de la science est ainsi située par le mouvement même qui pose le discours critique ». Comment utiliser Lire le capital.
52 Die Wissenschaft vom Wert, p.714-15
53Ainsi, alors que Reichelt voit « la théorie de la valeur de Marx comme un déchiffrage matérialiste de l’esprit du monde de Hegel », Rancière soutient qu’elle combine une méthode de présentation qui s’inspire de Hegel avec des éléments historiques qui ne le font pas.
54Ibid., p. 63.
55Ibid., p.72.