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Afghanistan : Analyse de Jacques Chastaing
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La base arrière du mouvement des Talibans et la source de sa force est la dictature militaro-islamique du Pakistan. Il y trouve soutien financier, militaire, logistique, ses écoles de formation, un refuge pour ses militants et dirigeants pourchassés, etc.
Or, ce pouvoir militaro-islamique pakistanais a été fortement contesté par un soulèvement populaire massif d’une dimension jamais connue dans l’histoire du Pakistan qui a duré d’octobre 2020 à mars 2021.
Durant cette période, la province de Khyber Pakhtunkhwa, la région frontière avec l’Afghanistan au nord-ouest du Pakistan, qui héberge le cœur de la force des Talibans à partir duquel ils sont repartis à la conquête de l’Afghanistan, a été balayée par une vague de grèves et de manifestations ouvrières comme dans tout le pays, contre le pouvoir islamiste qui a tremblé, et plus particulièrement dans cette région aussi contre les talibans qui se cachaient pour échapper aux fureurs populaires.
Durant 6 mois dans le pays entier, la contestation sociale a occupé l’actualité quotidienne au Pakistan, luttant contre la vague de privatisations, les licenciements, les salaires baissés ou non payés, contre la misère qui frappe ouvriers et paysans ou sans emplois, contre également les violences policières et ethniques, contre la dictature du pouvoir islamique.
Sur ce fond de luttes sociales importantes des ouvriers des aciéries, des enseignants, des personnels de santé, des fonctionnaires, des paysans, des journalistes…, il s’est constitué il y a 6 mois un front politique de 11 organisations d’opposition – le PDM (Pakistan Democratic Movment) dont plusieurs de ses membres avaient déjà fait partie des gouvernements précédents- s’appuyant sur cette colère sociale pour virer le gouvernement en promettant « d’aller le chercher » chez lui dans ses palais de la capitale Islamabad et de l’en sortir par la force de la rue.
En effet, cette opposition unifiée avait promis que si le gouvernement militaro-islamiste ne démissionnait pas de lui-même au 31 janvier 2021, elle appellerait à une longue marche populaire partant de toutes les régions du pays pour converger à Islamabad sur le palais présidentiel de la coalition militaro-islamiste au pouvoir pour le renverser.
Autour de cette perspective révolutionnaire, durant tout l’automne et l’hiver 2020-2021, cette opposition unifiée a suscité l’enthousiasme et d’énormes espoirs au moment même où les paysans indiens menaient un combat parallèle et organisaient eux-mêmes une marche qui devait aboutir sur la capitale Delhi, 5 jours seulement avant le départ de la marche sur Islamabad.
L’opposition a ainsi réalisé des rassemblements géants avec d’énormes foules d’une dimension historique, jamais vus dans l’histoire du Pakistan.
En même temps et de ce fait, sous cette pression populaire, les mouvements insurrectionnels indépendantistes Baloutches, Hazaras et Pachtounes (majoritaires en Afghanistan), laïcs voire se réclamant du marxisme, reprenaient vigueur et manifestaient à leur tour contre le pouvoir islamiste trouvant une extension en Afghanistan avec une dimension anti-Taliban également et une volonté laïque. Une grève générale d’un jour était même organisée en Afghanistan, du jamais vu.
Début mars 2021, sous l’exemple indien, une marche paysanne démarrait au Pakistan se donnant aussi l’objectif de marcher sur la capitale fin mars, date que reprenait l’opposition et fixait précisément le 26 mars comme aboutissement de leur propre marche sur le palais présidentiel – baptisée « longue marche » comme celle de Mao-Tsé-Toung – tandis que les organisations syndicales ouvrières annonçaient qu’elles organiseraient une grève générale à ce moment.
Le pouvoir militaro-islamiste vacillait, l’armée faisait savoir à l’opposition qu’elle était prête à lâcher les islamistes, ses alliés Talibans étaient devenus invisibles et se terraient, au Pakistan comme en Afghanistan.
Mais voilà, il y avait au Pakistan, des élections législatives partielles en février et sénatoriales début mars 2021.
Dans un premier temps, l’opposition unifiée a déclaré qu’elle ne participerait pas à ces élections, qu’elle savait de toutes façons truquées et organiserait une campagne de meetings régionaux destinés à organiser la longue marche sur la capitale. Mais, en s’approchant des dates, l’opposition a déclaré alors qu’il ne fallait pas mener la politique de la chaise vide et qu’elle ferait donc les deux, participer aux élections et préparer la longue marche pour virer le gouvernement par la rue.
Puis, à quelques semaines des élections, elle déclara tout d’un coup qu’elle n’arrivait pas à faire les deux ensemble et donc qu’elle suspendait la « longue marche » pour la durée des élections.
Il y avait cependant encore foule à ses meetings électoraux parce que le peuple pakistanais espérait toujours que les meetings électoraux étaient une étape de la préparation de la longue marche pour virer le gouvernement. Mais il arriva ce qu’il arrive toujours, le pouvoir truqua tant et si bien les élections comme il le fait à chaque fois, que le résultat fut certes en faveur de l’opposition mais très loin de ce qui était espéré alors que tout le monde s’attendait à une forte défaite du pouvoir.
Et tout dégénéra.
L’opposition, furieuse, montrant ce qui la motivait au fond, entra dans une bagarre pour de nouvelles élections non truquées mais aussi dans des querelles internes pour savoir qui des différents partis allait prendre tel ou tel siège au Sénat, notamment la direction du Sénat et la direction de l’opposition au Sénat.
Pour tenter de régler les différents, comme les élections étaient truquées quasi ouvertement, une des leaders de l’opposition proposa une démission collective des sièges d’élus dans tout le pays et de se concentrer uniquement sur la longue marche.
Que n’avait-elle pas dit !
Démissionner de ses postes de députés ou sénateurs ? Il n’en était pas question et l’opposition unifiée éclata repoussant dans la foulée l’idée de vouloir renverser le pouvoir par la rue, seules les élections valaient : la longue marche fut repoussée à un avenir lointain sous des prétextes bidons : il faisait désormais trop chaud, il y allait avoir le ramadan… certains en profitant pour aller discuter avec l’armée dans leur coin et passer des accords secrets privés, etc.
Un moment désarçonné, la vraie opposition dans la rue reprenait néanmoins et les manifestations de cheminots, d’enseignants, de personnels de santé, de paysans, de fonctionnaires ou d’opposition aux violences policières et ethniques continuaient tandis que les paysans, les journalistes en lutte, les victimes de violences ethniques tentaient de reprendre à leur compte le projet de « longue marche » sur Islamabad, pour un pays laïque, libéré des oppressions ethniques, sexuelles, et de l’exploitation capitaliste.
Malheureusement la déception était trop forte et ces tentatives échouèrent, tandis que le pouvoir militaro-islamiste, sauvé in-extremis par la faillite de l’opposition, reprenait du poil de la bête et profitait de la faillite de l’opposition pour accélérer ses privatisations et autres contre-réformes et son emprise policière sur le pays.
Les Talibans se montraient à nouveau sur le terrain de la défaite ouvrière. On connaît la suite.
Jacques Chastaing, le 16-08-2021.