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Héritages de la Commune de 1871
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http://www.zones-subversives.com/2021/06/heritages-de-la-commune-de-1871.html
Malgré les commémorations historiques, la Commune reste un moment qui dérange. Cette insurrection ouvrière est parvenue à renverser le pouvoir bourgeois, avant un brutal retour à l'ordre. Néanmoins, la mémoire de la Commune reste vivante à travers ses figures plus ou moins anonymes, mais aussi dans les luttes actuelles.
La commémoration de la Commune permet de faire revivre ce soulèvement révolutionnaire. Mais les célébrations officielles risquent de muséifier ce moment de révolte. Une plongée dans les archives permet de découvrir les personnes qui ont participé à la Commune. En dehors de l’anarchiste Louise Michel ou des militants internationalistes, beaucoup restent largement anonymes. Les témoignages et les archives permettent de découvrir des personnalités et d’incarner cette insurrection.
Une autre manière de rendre vivante la Commune reste l’archivage des références toujours présentes à cette révolte passée. Dans les manifestations récentes, des banderoles, des tags et des slogans évoquent la Commune. Ce qui montre que cet épisode résonne encore dans la société moderne. Partout dans le monde s’expriment des désirs de justice, de dignité, d’égalité. La Commune peut alors devenir une perspective et un projet de société. Ludivine Bantigny rend hommage à cette révolte ouvrière dans le livre La Commune au présent.
Bouillonnement contestataire
La bourgeoisie n’a cessé de dénigrer la Commune. Même les écrivains méprisent le bas peuple qui se soulève. Les ouvriers révoltés sont comparés à des animaux et sont considérés comme fous. « C’est fréquent en fait, tu sais, cette manière de pathologiser tout ce qui ne rentre pas dans le rang, tout ce qui récuse l’ordre social et politique, le fragilise et le met à nu », souligne Ludivine Bantigny. La biologie et la psychologie permettent de dépolitiser ce mouvement.
L’Insurgé, le roman de Jules Vallès, permet de s’immerger dans l’agitation révolutionnaire. Il se place du côté des ouvriers qui luttent contre l’injustice sociale. Il décrit la vie quotidienne dans la misère. Mais il se plonge aussi dans les réunions, les clubs et les débats animés.
Eugène Pottier reste surtout connu pour ses chansons. Pour lui, la société reste divisée en deux classes qui s’opposent. Il ne cesse d’attaquer la bourgeoisie, mais aussi l’exploitation et la propriété. « Alors tu célèbres les grèves, notamment celles des ouvrières. Un soulèvement te paraît nécessaire : une sédition populaire », indique Ludivine Bantigny.
La fin du Second Empire est secouée par d’importantes grèves. Même si ces luttes semblent largement spontanées, l’Association Internationale des travailleurs (AIT) est prise pour cible par le régime. Ensuite, une guerre est déclenchée avec la Prusse. Paris est assiégé, avec des problèmes de ravitaillement et de chômage. Beaucoup d’ouvriers rejoignent la Garde nationale pour la paye. Un gouvernement de « Défense nationale » se compose de républicains qui veulent avant tout contenir la révolte.
Auguste Vermorel participe à la Commune, mais il garde à l’esprit l’échec de la révolution de 1848. Une insurrection ouvrière permet de renverser la monarchie. Mais le nouveau pouvoir républicain et démocratique oublie les revendications sociales. « Les révolutions qui ont simplement pour résultat de faire passer le pouvoir en d’autres mains, peuvent bien lui donner une certaine satisfaction morale, mais elles ne profitent en réalité qu’à ceux qui remplacent les pouvoirs déchus », observe Auguste Vermorel.
Le gouvernement Thiers réduit les libertés et permet à nouveau les expulsions de logement. Le 18 mars, une insurrection éclate. La Garde nationale, largement composée d’ouvriers, refuse de tirer sur les manifestations. Les prolétaires s’emparent des bâtiments publics de la ville de Paris. Le pouvoir est obligé de fuir à Versailles.
Insurrection ouvrière
La Commune organise la solidarité et le ravitaillement avec des distributions gratuites de nourriture. L’armée permanente et la police sont supprimées au profit de la Garde nationale. Les expulsions de locataires sont interdites. Des logements vides sont réquisitionnés, même si la Commune tient à son image de respect de la légalité. « Mais les décrets sur les loyers et les logements réquisitionnés suffiront à vous faire haïr, tant l’ordre établi, et la propriété avec, en est ébranlé », souligne Ludivine Bantigny.
L’Internationale insiste sur l’abolition du salariat qui apparaît comme un « esclavage déguisé ». Le travail n’est pas considéré comme un contrat entre un salarié et son patron, mais comme un rapport de subordination et d’exploitation. La Commune prend de nombreuses mesures pour améliorer les conditions de travail. Pourtant, la suppression du travail de nuit pour les ouvriers boulangers provoque des débats. Certains veulent laisser aux entreprises la négociation, ce qui repose sur l’illusion du libre choix des salariés face au patron.
Comme dans tous les soulèvements de masse, les femmes participent activement à la Commune. Mais elles s’organisent également contre le patriarcat. L’Union des femmes vise à briser les divisions et les rivalités pour favoriser l’entraide et la solidarité. Mais ces femmes évoquent également l’égalité salariale. « Comme toi, elles insistent sur le travail, le rapport d’exploitation où elles sont prises, avec salaires réduits et double journée. Dans les grandes grèves et les luttes sociales, les femmes occupent toujours une place centrale », rappelle Ludivine Bantigny.
L’insurrection de la Commune connaît une postérité importante. Ce moment de révolte devient une référence pour les mouvements sociaux actuels. Pendant Nuit debout, la Place de la République est rebaptisée Place de la Commune. Pendant le mouvement étudiant de 2018 est créée une improbable « Commune de Tolbiac ». Des pancartes et des tags pendant les manifestations évoquent également la Commune. Mais c’est la révolte des Gilets jaunes qui semble directement faire écho à la Commune.
Ce soulèvement des classes populaires provoque le mépris mais surtout la peur de la bourgeoisie. Ce mouvement permet également une libération de la parole. « La révolte révèle. Elle rend visible les invisibles qu’on n’entend pas dans les médias mais qui parfois ont leurs poètes. Cette parole porte une détresse sociale, rend concrètes et sensibles des situations qui sinon sont réduites à des statistiques », observe Ludivine Bantigny. La lutte comprend également une dimension joyeuse qui vise à sortir de la détresse et de la passivité.
Actualité de la Commune
Ludivine Bantigny s’appuie sur ses solides connaissances historiques pour proposer un livre original. Elle adopte un style épistolaire avec des lettres écrites à des acteurs et actrices du soulèvement de la Commune. Ce qui donne un style direct et permet de rendre actuel ce moment insurrectionnel. En revanche, Ludivine Bantigny ne rentre pas dans le détail des événements historiques. Son livre apparaît comme un hommage à la Commune, pour en montrer son actualité.
Il manque néanmoins, une analyse de cette révolte ouvrière pour comprendre les causes de son échec, et ne pas les reproduire. Ludivine Bantigny s’en remet à Henri Lefebvre sur ce sujet. Le souci de respectabilité et le respect de la légalité reste le principal travers de la Commune. Les ouvriers, largement dénigrés par la bourgeoisie, ne veulent pas davantage apparaître comme des sauvages. Ils s’attachent donc au respect des formes de la démocratie bourgeoise. Un exemple souvent cité reste leur refus de prendre le contrôle de la Banque de France.
Ludivine Bantigny, figure intellectuelle de la gauche radicale, montre bien le bouillonnement contestataire de la Commune. Les débats et les courants politiques du mouvement ouvrier s’agitent durant cette période. La grande force de Ludivine Bantigny consiste à s’attacher à la diversité et au pluralisme de tous ces courants. Sa faiblesse, c’est de refuser d’en pointer les limites. Ludivine Bantigny reste un reflet de l’idéologie de la gauche radicale qui mêle réformisme, citoyennisme etintersectionnalité.
L’historienne refuse de critiquer le proudhonisme, cet anarchisme de petits propriétaires. Les coopératives et le crédit populaire sont considérés comme levier pour combattre la logique capitaliste. Pourtant, il n’est jamais question d’abolir l’argent et de réorganiser l’économie pour satisfaire les besoins fondamentaux de manière gratuite.
Dans un autre style, Ludivine Bantigny fait allégeance à l’inévitable Bernard Friot, avec son mélange de stalinisme et d’administration à la française. Les hiérarchies de salaires et l’autoritarisme de son projet de société ne semble pas déranger l’historienne. Les luttes anti-travail et les débats au sein du mouvement ouvrier autour de l’abolition du salariat semblent également ignorés par cette mouvance friotiste.
Ensuite, Ludivine Bantigny se réfère à la tarte à la crème du municipalisme libertaire et du communalisme. Les exemples du Rojava, du Chiapas et même desZAD sont même évoqués comme modèles. L’alternative locale est alors censée se répandre. La Commune n’est plus une lutte des classes et une insurrection qui vise à détruire l’exploitation capitaliste. C’est au contraire une forme d’autogestion du capital qui se contente de créer quelques îlots censés échapper à la logique du capital. Ce qui semble peu probable en l’absence d’un processus de transformation radicale de l’ensemble des rapports humains à l’échelle globale.
Contre les arnaques vendues par la gauche citoyenniste et intersectionnelle, il semble important de souligner l’importance de la lutte des classes et de perspectives de rupture avec le capitalisme. La démarche de l’autonomie ouvrière et des révoltes qui reposent sur l’auto-organisation reste l’héritage le plus décisif de la Commune.
Source : Ludivine Bantigny, La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps, La Découverte, 2021
Extrait publié sur le site de la revue Contretemps
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Une correspondance par-delà le temps. La Commune au présent, publié sur le site de Paul Masson le 17 mars 2021
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