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    Où va le mouvement contre le pass sanitaire ? Le point de vue d’Anasse Kazib

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    Lien publiée le 21 août 2021

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Où va le mouvement contre le pass sanitaire ? Le point de vue d'Anasse Kazib (revolutionpermanente.fr)

    Depuis le 12 juillet dernier et les annonces de la mise en place du passeport sanitaire par Emmanuel Macron, nous avons vu surgir chaque samedi des mobilisations toujours plus importantes et ce en plein été. Où va le mouvement et comment devons-nous y intervenir pour éviter que la contestation saine contre la politique de Macron ne se transforme en une mobilisation noyautée par les réseaux complotistes et l’extrême-droite ?

    Les effets politiques de la gestion sanitaire et de la crise organique

    On ne peut comprendre cette mobilisation contre le pass sanitaire, sans faire un retour en arrière sur les derniers mois que nous venons de vivre depuis le début de la pandémie en février 2020. La population a été marquée au fer rouge par la gestion catastrophique sinon criminelle du gouvernement d’Emmanuel Macron. Nous retenons souvent les nombreuses déclarations des ministres, tantôt expliquant que ce n’était qu’une grippette, que le masque ne servait à rien ou encore que la crise était derrière nous alors qu’elle n’avait même pas vraiment démarrée.

    Pourtant ce sont les conditions désastreuses dans lequel a travaillé le personnel hospitalier et l’absence de moyen pour soigner les malades, qui auront été un des éléments les plus marquants de cette crise. Soignants portant des masques périmés depuis plus de 10 ans ou encore habillés de sacs poubelles pour se protéger du Covid, transferts de patients par TGV fautes de lits suffisants… La sixième puissance mondiale est apparue démunie du fait des conséquences de la casse du service public de santé, incapable de fabriquer des masques ou des respirateurs artificiels et contrainte de confiner toute sa population pour limiter la catastrophe sanitaire.

    Mais cette crise sanitaire est arrivée dans une séquence déjà compliquée pour le pouvoir, après deux mois de grève contre la réforme des retraites, précédés d’une année de mouvement des gilets jaunes. La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer ce que nous appelons la « crise organique », que les éditorialistes ou sociologues analysent comme une crise de la « confiance » vis-à-vis de la parole politique et des institutions. Pascal Perrineau, professeur et chercheur à Science Po, parle ainsi de « défiance des gens d’en bas contre ceux d’en haut ». Une défiance qui ne se voit pas uniquement dans les sondages ou la mobilisation, mais également dans l’abstention record que nous venons de connaître lors des élections régionales. Cette situation est indissociable de quarante années de réformes néo-libérales, de crise et de chômage de masse, qui ont conduit à un rejet des institutions et au sentiment d’être trahi depuis des années.

    Ainsi, ce qui semble dominer par-dessus tout et expliquer le mouvement actuel c’est cette perte de confiance vis-à-vis de la parole politique et de ce qui s’apparente à ses relais. Une colère renforcée par l’attitude bonapartiste de Macron à gouverner par coup de force. Il n’est pas anodin que cet autoritarisme de Macron et de son gouvernement, même si je ne partage pas cette définition, soit perçu par les nombreux manifestants comme une forme de « dictature ». Une partie de la population, qui n’a pas pris part aux luttes des vingt dernières années, découvre aujourd’hui que la démocratie « bourgeoise » -tel que nous la définissons en tant que marxiste- est en réalité capable d’être violente et autoritaire.

    Une colère contre l’autoritarisme nourrie par la défiance sanitaire et vaccinale

    Les premiers résultats de l’enquête par questionnaire réalisée par Nicolas Lebourg dans les manifs anti-pass sanitaire à Perpignan montrent bien que : « L’actuel mouvement paraît dès lors prolonger une série de doute sur le caractère post-démocratique de notre pays : contournement du « non » au référendum de 2005 (…), imposition en 2016 de la Loi Travail par la force contre les manifestants et le 49-3 à l’Assemblée nationale, mouvement des Gilets jaunes réclamant le « référendum d’initiative citoyenne » et sa répression vigoureuse (…). On ne saurait renvoyer les manifestants à une unique motivation de « peur » et d’« irrationalité » face aux vaccins : il y a bien une question politique posée due à l’évolution de l’usage de nos institutions et à l’exigence accrue de participation au politique d’une population plus éduquée qu’antérieurement. »

    Pour autant, le chercheur note « il y a bien, derrière le rejet du passe, fait au nom des libertés fondamentales, une culture partagée anti-vaccin qui transparaît ». De même, sur Révolution Permanente, nous pointions le 24 juillet le fait que : « le refus des mesures autoritaires de Macron demeurent en général marquées par un prisme individualiste vis-à-vis de la vaccination, incarné par le slogan « liberté », ainsi que par une profonde défiance voire une opposition explicite au vaccin. Un terrain propice aux récupérations réactionnaires sur lequel surfent les secteurs mentionnés plus haut. »

    Une défiance et une confusion qui s’expliquent facilement. Face à un événement aussi déstabilisant et inédit qu’une pandémie mondiale, la crise des institutions, renforcée par la gestion anti-démocratique et catastrophique du gouvernement et par le manque de transparence, a favorisé la diffusion massive de contre-discours jouant sur les peurs et les contradictions du gouvernement pour propager des idées complotistes et attiser les doutes légitimes d’une partie de la population, à l’image du fameux pseudo-documentaire Hold-up. Ces éléments se retrouvent logiquement, bien qu’à des degrés divers, dans le mouvement, et ce depuis le 17 juillet. Ils ont nourri les accusations portées contre le mouvement, désigné comme purement « anti-vax » ou « complotiste » par une partie de la gauche.

    Cette logique rejetant en bloc le mouvement est erronée. En effet, le mouvement demeure marqué par son hétérogénéité, et par des niveaux d’adhésion aux idées complotistes très variés. Le militantisme complotiste y est minoritaire, tandis que les travailleurs et travailleuses défiantes envers le gouvernement sont probablement majoritaires. Force est de constater cependant qu’après plus d’un mois de mobilisation, le mouvement continue de se limiter à dénoncer le pass sanitaire avec une forte défiance contre le vaccin. Une dynamique qui constitue une différence essentielle avec le mouvement des gilets jaunes, ancré dans la question sociale, et qui facilite la récupération de la colère par l’extrême-droite et les réseaux complotistes.

    Face à l’extrême droite et les réseaux complotistes, le mouvement ouvrier doit intervenir d’urgence

    Le poids de l’extrême-droite dans la mobilisation, y compris parmi ses figures, constitue une autre différence avec le mouvement des Gilets jaunes. Comme l’a synthétisé Paul Morao : « A Paris, Florian Philippot, ancien bras droit de Marine Le Pen, a ainsi réuni dans ses propres manifestations plusieurs milliers de personnes ces trois dernières semaines. Des groupuscules d’extrême-droite se sont également rendus aux manifestations. Outre Civitas, qu’on a pu voir défiler à Nantes, divers groupuscules nationalistes violents étaient présents : l’Action Française à Orléans, « Bordeaux Nationaliste » à Bordeaux, les Zouaves dans la manifestation de Philippot à Paris le 17 juillet, la Ligue du Midi à Montpellier… Enfin, les organisations et figures covidosceptiques qui ont émergé au cours de la pandémie, et dont les liens avec l’extrême-droite sont avérés à l’image de RéinfoCovid, Bon Sens et de personnalités comme Alexandra Henrion-Caude, Louis Fouché ou encore Martine Wonner, ont également répondu à l’appel. »

    Ainsi, loin de moi l’idée de voir ces mobilisations en les idéalisant. Au contraire, je pense qu’il y’a un réel danger depuis le départ à laisser l’extrême-droite et les réseaux complotistes prendre du terrain dans ces mobilisations. Cependant, dans Le gauchisme, Lénine écrivait : « Il faut savoir consentir tous les sacrifices, surmonter les plus grands obstacles, afin de faire un travail de propagande et d’agitation méthodique, persévérant, opiniâtre et patient justement dans les institutions, sociétés, organisations - même tout ce qu’il y a de plus réactionnaires - partout où il y a des masses prolétariennes ou semi-prolétariennes. » Aucun mouvement, qui plus est spontané, n’est « chimiquement » pur.

    La question qui se pose est donc de savoir comment dialoguer avec la colère dans la rue tout en s’affrontant à cette présence réactionnaire. C’est là que le rôle des directions syndicales est totalement en contradiction, avec ce qu’il faudrait faire. Le mouvement ouvrier aurait rôle central dans le fait de changer l’orientation de ces mobilisations, pourtant les directions syndicales font comme avec les gilets jaunes en ne cherchant pas à se lier à ces manifestations et se contentant de laisser chacun à sa volonté individuelle de manifester. De l’autre côté, elles se couvrent de quelques tracts et communiqués pour les sites internet afin de garder une bonne image.

    La réalité c’est que nous savons quand les directions syndicales veulent mobiliser et quand elles ne veulent pas. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas dans les différents cortèges ici et là des syndicalistes ou encore des appels de quelques unions locales et de fédérations.. Cela ne serait cependant pas pareil si demain la direction de la CGT, de Solidaire et de FO appelaient ensemble à lutter contre le gouvernement en paralysant l’économie par la grève. Cela changerait de fait profondément le caractère de ces mobilisations d’un point de vue de l’orientation politique, mais également de la possibilité de lutter contre la récupération de l’extrême-droite.

    En outre, laisser les militants syndicaux intervenir en tant que « simple citoyen », comme certains disent, peut avoir des conséquences dangereuses. La logique populiste visant à penser que le plus important est l’unité de tous pour gagner amène à une forme de dilution dans le mouvement, sans mener la bataille contre l’extrême-droite, et à énormément de confusionnisme. Nous avons vu par exemple des pompiers syndiqués chez SUD défiler à Marseille aux côtés de prêtres intégristes proches de Civitas ou bien encore le responsable de l’union locale CGT à Laon tenir le parapluie à un membre du Rassemblement National prenant la parole au micro. On a également pu voir des figures complotistes comme Richard Boutry se faire tendre le micro par des soignants en grève. Cela témoigne du risque important, lorsqu’il n’y a aucune boussole politique, que l’extrême-droite en profite pour se « rougir », se positionnant comme celle qui a lutté contre le gouvernement, pendant que les directions syndicales étaient aux abonnés absents. Nous avons vu d’ailleurs des messages par dizaine sur internet, d’adhérents signifiant qu’ils jetaient « leur carte » car leur syndicat n’appelait pas à se mobiliser, rappelant les nombreux messages similaires à l’époque du mouvement des gilets jaunes.

    A l’inverse, des militants syndicaux et politiques cherchent sur le terrain à s’opposer à l’extrême-droite et à former des pôles alternatifs. C’est le cas à Metz, à Avignon mais aussi à Paris ou des Gilets jaunes et collectifs ont refusé de laisser la colère à Florian Philippot. Mais ces efforts locaux ne peuvent suffire. Or, on ne peut être antiraciste, antifasciste et laisser une majorité de travailleurs et de primo-manifestants, qui sont venus pour lutter contre l’autoritarisme de Macron, aux mains de l’extrême-droite. C’est pour cela qu’il faut intervenir et accepter de batailler politiquement. Je le dis et le répète, il n’y a aucune unité possible avec nos ennemis, ni aujourd’hui ni demain. Aucune lutte ne sera possible avec l’extrême-droite qui est présente dans les mobilisations pour créer de la confusion et tirer vers ses rangs le plus de gens possible. Ce travail elle est incapable de le faire dans des mobilisations syndicales habituelles, mais elle espère pouvoir le faire dans des mobilisations spontanées et sans direction politique par les grandes organisations syndicales ou politiques.

    On se rappelle comment l’extrême-droite, et déjà à l’époque Florian Philippot ainsi que Nicolas Dupont-Aignan avaient essayé de se ranger du côté des gilets jaunes au démarrage, mais le caractère très radical du mouvement ainsi que l’intervention d’ouvriers, de militants syndicaux et de groupes antifascistes avait permis de lutter contre les nombreux groupes identitaires ou encore royalistes présents au début de la mobilisation. C’est notamment dans ce sens qu’avec le Comité Adama et le collectif des cheminots de l’Intergare nous avions lancé plusieurs appels à manifester et soutenir le mouvement des gilets jaunes, rassemblent plus de 4000 personnes le 8 décembre au départ de Saint-Lazare pour l’Acte 4.

    Lutter contre la gestion du gouvernement et le discours anti-vaccinal !

    Comme nous l’avons dit, les mobilisations contre le pass sanitaire ne sont pas des mobilisations de complotistes ou encore « d’anti-vax ». Cependant, on peut affirmer qu’il y a une tendance de plus en plus importante à suivre le discours des anti-vax ou à refuser de s’y opposer pour ne pas diviser. Or, de même qu’il faut lutter contre la stratégie autoritaire de Macron avec le pass sanitaire et surtout la gestion catastrophique du gouvernement, de même qu’il faut lutter contre l’extrême-droite, il est essentiel de défendre un discours clair sur le terrain de la stratégie sanitaire.

    La classe ouvrière a été en première ligne face au Covid. Ce sont notamment les personnes issues des classes populaires, ainsi que de l’immigration qui ont payé le plus lourd tribut face au Covid et qui encore aujourd’hui sont celles qui ont le moins accès à la vaccination. Alors que la pandémie a fait plus de 4 millions de morts dans le monde depuis le printemps 2020 et qu’aujourd’hui le variant delta rappe durement de nombreux pays avec un niveau de contagiosité 10 fois supérieur au virus initial, on ne peut capituler face à des théoriciens du complot, qui expliquent que le Covid n’est qu’une invention ou encore que tout cela est exagéré pour un virus qui ne tuerait que les personnes fragiles. Ceux-ci surfent sur la défiance et la logique individualiste qui prévaut, incarnée par le slogan « liberté », qu’ils alimentent en retour.

    Oui, nous sommes contre le pass sanitaire et appelons à lutter contre sa mise en place, car c’est une stratégie une fois de plus autoritaire et surtout qui n’est en rien efficace pour faire face à la crise sanitaire, un permis de réprimer les salariés. La loi votée au parlement s’accompagne d’ailleurs de décisions contradictoires avec les enjeux de santé publique comme le déremboursement des tests PCR ou encore le fait de ne plus isoler les personnes vaccinées en cas de contact avec une personne positive au Covid. Mais il faut aller plus loin, et mettre au centre la question de la stratégie sanitaire pour en finir avec l’épidémie. Sur ce plan, on peut entendre dans les manifestations l’idée selon laquelle « que l’on soit vacciné ou non, l’essentiel est de lutter contre le pass sanitaire ». De fait, il y a bien un certain nombre de personnes vaccinées dans les manifestations. Pourtant il faut reconnaitre que la pression anti-vax y est très forte, et les mots d’ordre favorables à la vaccination rares. Pire, au-delà des mots d’ordre contre le pass sanitaire, on a pu voir de nombreux manifestants dénoncer la vaccination, parfois avec des slogans et des symboles antisémites. Dans ce cadre, une pression s’exerce pour ne pas se prononcer sur la vaccination. Cette pression se ressent y compris sur l’ensemble des organisations syndicales et politiques de gauche qui sont favorables à la vaccination, mais ne le disent que du bout des lèvres afin d’éviter de cliver, quand elles n’entretiennent pas volontairement une ambigüité.
    A l’inverse, il y a urgence à prendre nos responsabilités pour lutter contre la logique anti-vaccinale et convaincre ceux qui doutent ou ont des interrogations légitimes concernant le recul ou les effets secondaires. Cela passe par revendiquer la nécessité d’une campagne massive et pédagogique en faveur de la vaccination, entre les mains des travailleurs et du mouvement ouvrier. A l’international, il faut également lutter pour la levée des brevets et permettre d’en finir avec la scandaleuse inégalité d’accès aux vaccins par l’expropriation sous contrôle ouvrier des grands groupes pharmaceutiques.

    Si nous défendons la vaccination, nous savons par ailleurs qu’elle ne suffit pas à elle seule et qu’elle ne justifie pas le relâchement important du gouvernement, qui entend se déresponsabiliser de toutes futures vagues, en laissant la responsabilité de la crise sanitaire aux personnes non vaccinées. En ce sens, nous devons également revendiquer des moyens pour la santé ainsi qu’une véritable stratégie pour limiter les contaminations, le fameux tester-tracer-isoler qu’a abandonné le gouvernement. Or, c’est bien en intervenant dans le mouvement là où c’est possible, en organisant nos propres mobilisations là où c’est nécessaire qu’on doit défendre cette logique, et non pas en distribuant les bons et les mauvais points de l’extérieur.