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Afghanistan: L’aboutissement de la défaite de l’impérialisme

Afghanistan

Lien publiée le 21 août 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Afghanistan : L’aboutissement de la défaite de l’impérialisme | LIT-QI (litci.org)

Les forces de l’organisation politico-militaire des talibans sont entrées dans la capitale Kaboul et ont pris le pouvoir. Avant cela, les talibans avaient pris la plupart des villes de l’intérieur face à une armée nationale en déroute. Simultanément, le dernier contingent de troupes étasuniennes restant dans le pays a commencé son retrait (sur ordre du président Joe Biden) et a tenté d’assurer la fuite de milliers de personnes sur des vols aériens, dont l’ancien président afghan Ashraf Ghani et de nombreux responsables du régime renversé. Quelle est la signification de ces évènements ?

Secrétariat international de la LIT-QI

17 août 2021

Certains médias de gauche ont décrit cette situation comme équivalente à la défaite étasunienne dans la guerre du Vietnam dans les années ’70. D’autres publications soulignent et réfutent le caractère profondément réactionnaire et oppressif de l’ancien régime taliban (1996-2001) à l’égard des femmes et des minorités ethniques. En même temps, les médias reflètent un intense débat concernant le bilan de ce qui s’est passé et le bien-fondé de la décision de Biden, dans les instances impérialistes de renseignement et d’élaboration politique. [1] Face à ce tableau complexe, qu’en est-il de l’analyse et de la politique des socialistes révolutionnaires ?

La « guerre contre le terrorisme » de Bush

Nous commencerons par rappeler que ce qui se passe actuellement est le dernier épisode d’une longue histoire qui a commencé en 2001, lorsque le président étasunien de l’époque, le républicain George Bush Jr, a profité de l’effet politique produit par les attentats contre les tours jumelles à New York le 11 septembre de cette même année pour faire avancer le Projet pour le Nouveau Siècle américain. Bush lança la « guerre contre le terrorisme » visant ce qu’il appelait « l’axe du mal » (les gouvernements de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, de la Corée du Nord et de l’Iran, entre autres).

Le premier épisode de cette guerre fut l’invasion de l’Afghanistan en octobre 2001 pour renverser le gouvernement taliban (accusé d’avoir aidé les auteurs du 11 septembre), avec une participation minoritaire de troupes britanniques et d’autres pays. Cette coalition fut baptisée Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF). L’étape suivante a été l’invasion de l’Irak en mars 2003 pour renverser le gouvernement de Saddam Hussein (accusé de posséder des « armes de destruction massive »).

Les deux régimes ont été renversés, mais l’impérialisme a été contraint de maintenir des occupations militaires permanentes qui ont dû faire face à des guerres de libération nationale de plus en plus défavorables pour eux. [2] Pour tenter d’inverser cette dynamique, l’impérialisme a doublé la mise et a même envoyé 100 000 soldats en Afghanistan au début de l’administration de Barack Obama. Mais ce pari n’a pas fonctionné et le cours de la guerre en Afghanistan menait presque inévitablement à une défaite de l’impérialisme (tout comme en Irak), ce qui était déjà reconnu par la bourgeoisie impérialiste elle-même, sa presse et les chefs militaires. Ces années-là est apparu le concept de « syndrome de l’Irak » (par analogie avec l’issue de la guerre du Vietnam) pour caractériser la situation résultant d’une défaite et la nécessité de bifurquer vers d’autres alternatives. [3]

Un changement de cap d’Obama

C’est au cours de ces années qu’a eu lieu le point crucial de la défaite militaire impérialiste. Une fois de plus, l’impérialisme a reçu la même leçon qu’au Vietnam. Lorsqu’il s’agit d’une action militaire rapide contre des pays plus faibles, sa supériorité militaire et technologique est efficace, comme lors du renversement des régimes des talibans et de Saddam Hussein. Mais si ces actions se transforment en occupations et en guerres qui s’étendent dans le temps, contre une résistance nationale, elles finissent par être très négatives pour l’impérialisme. Comme expression de cette défaite, en 2014, l’ISAF a été dissoute, les forces des autres pays ont été retirées, et seuls les soldats étasuniens sont restés.

Obama avait déjà amorcé un virage à 180° : le retrait progressif des troupes étasuniennes pour laisser un maximum de 10 000 hommes sur la base de Bagram, essentiellement, d’une part, pour protéger Kaboul, les institutions du régime fantoche et les quartiers les plus centraux, et d’autre part, pour mener des opérations d’« assassinat ciblé » contre les dirigeants talibans. L’objectif stratégique était de se retirer.

Dans ce cadre, Obama a simultanément promu la construction d’une « Armée nationale afghane » (ANA) capable de soutenir le régime de Kaboul et de contenir les talibans, en fournissant des armes, de l’entraînement et un vaste financement. En théorie, elle disposait de 300 000 soldats bien armés et entraînés. Mais elle s’est avérée être un « château de cartes», surtout à l’intérieur du pays, où ses unités étaient commandées par des chefs de tribu régionaux (transformés en « seigneurs de la guerre ») qui mentaient souvent sur le nombre de soldats qu’ils possédaient afin de garder plus d’argent pour eux.

Dans les années qui ont suivi, ces chefs ont cédé les quartiers généraux régionaux face à toute offensive forte des talibans et ont souvent conclu des accords avec l’ennemi. Lorsque la décision de Biden de retirer les troupes étasuniennes de Bagram fut connue, cet effondrement s’est accéléré, facilitant le contrôle du territoire afghan par les talibans et leur progression vers Kaboul.

« On part ».

À ce stade, il convient de noter que la politique de retrait définitif de l’Afghanistan avait déjà été prise par Donald Trump au motif qu’il ne fallait pas dépenser des efforts dans des « guerres inutiles », dans des régions qu’il ne jugeait pas stratégiques pour les intérêts étasuniens.

« Après toutes ces années, il est temps de ramener nos gens chez eux » a déclaré le président étasunien de l’époque. Qui plus est : « en février 2020, les États-Unis et les talibans ont signé un « accord pour ramener la paix » en Afghanistan » (sans la participation du régime afghan). Près de 5000 militants talibans ont été libérés dans les mois qui ont suivi l’accord.

En d’autres termes, Trump a beau crier aujourd’hui que le résultat aurait été « plus réussi » avec lui au pouvoir, Biden n’a rien fait de plus que de poursuivre et de concrétiser une décision politique que l’impérialisme étasunien avait prise il y a plusieurs années. Dans ce cadre, il a conclu un accord (de facto ou explicite) avec les talibans, en vertu duquel ces derniers ont retardé leur entrée dans Kaboul pour permettre aux troupes étasuniennes de partir, et aux responsables du régime afghan renversé de fuir par l’aéroport. Bien que ce ne soit pas l’objet de cet article, disons que la politique de Biden à l’égard de l’Afghanistan est conforme aux objectifs stratégiques qu’il a définis pour son gouvernement : tenter de résoudre les problèmes économiques et sociaux à l’échelle nationale, et se concentrer sur la confrontation avec la Chine dans sa politique internationale.

Une première définition

Nous avons dit que certaines organisations de gauche qualifient l’entrée des talibans à Kaboul de « nouveau Vietnam » et comparent même deux photos d’un hélicoptère militaire étasunien survolant les ambassades respectives. Mais si nous ne retenons que le message véhiculé par cette comparaison de photos, nous obtenons une image déformée de la réalité.

Nous faisons une première définition : il y a bien une défaite de l’impérialisme étasunien dans sa politique d’invasion des pays et d’imposition de sa volonté militairement. Par conséquent, tout comme nous soutenons la résistance nationale du peuple afghan contre l’impérialisme, nous commémorons cette défaite comme un triomphe des luttes des masses. C’est la démonstration qu’il est possible de vaincre l’impérialisme et que celui-ci n’est pas une force invincible, mais qu’il a de profondes faiblesses. Cette définition est centrale pour le bilan de ce qui s’est passé au cours des vingt dernières années. En ce sens, nous pouvons établir certains parallèles avec la guerre du Vietnam.

Cependant, comme nous l’avons analysé, ce qui se passe maintenant est l’aboutissement de cette défaite qui, en substance, avait déjà eu lieu des années auparavant (comme en Irak) et dont les effets les plus importants avaient déjà été produits au cours de ces années. Citons d’une part la crise politique de l’impérialisme étasunien et le recentrage de la politique de Bush par Barack Obama, et d’autre part la grande poussée révolutionnaire dans le monde arabe et musulman à partir de 2011. C’est au cours de ces années que l’«effet Vietnam » s’est produit.

Ce à quoi nous assistons est un point final « au ralenti », et depuis lors, « beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ». Quiconque s’attend à ce que le triomphe des talibans déclenche automatiquement et mécaniquement une dynamique mondiale ou régionale immédiate semblable à celle qu’a ouvert le Vietnam, ou la propagation rapide d’une nouvelle poussée révolutionnaire dans le monde arabo-musulman, risque d’être déçu. La dynamique mondiale et régionale sera beaucoup plus complexe et contradictoire.

Dorénavant, le problème, ce sont les talibans.

Enfin, il existe une autre différence très importante. La défaite de l’impérialisme au Vietnam a donné naissance à un nouvel État ouvrier dans le pays unifié, bien que bureaucratisé, dirigé par le Parti communiste vietnamien.

Il est impossible que cela se produise en Afghanistan et la cause profonde de cela est la nature des talibans. Cette organisation est devenue la direction politico-militaire de la résistance nationale à l’impérialisme et a ensuite été l’artisane de la défaite impérialiste. C’était une lutte très progressiste des masses afghanes et c’est pourquoi nous la soutenons.

Cependant, nous ne pouvons pas négliger deux aspects. D’une part, cette nature bourgeoise des talibans les empêche d’être cohérents jusqu’au bout dans la lutte contre l’impérialisme. D’autre part, les talibans ont déjà dirigé le pays entre 1996 et 2001, avec un régime que nous qualifions de « dictature théocratique », avec des lois fondées sur une interprétation extrême et intolérante de la charia islamique.

Ces lois étaient durement oppressives-répressives à l’égard des femmes : celles-ci étaient obligées de porter la burqa comme vêtement en public ; elles ne pouvaient pas conduire de voiture ; les écoles pour les filles de plus de 8 ans étaient supprimées (avant cet âge, les filles ne pouvaient apprendre à lire et à écrire que dans le cadre de l’étude du Coran) ; elles ne pouvaient pas se rendre aux consultations de médecins masculins sans la présence d’un homme qui les accompagnait (ce qui signifiait qu’elles n’étaient souvent pas soignées pour diverses maladies) ; etc.

Le régime taliban a également commis plusieurs massacres contre les minorités ethniques, religieuses et linguistiques du pays, « notamment parmi les chiites et la population hazara, qu’ils considéraient comme des « sous-hommes » parce qu’ils étaient « non croyants », n’ayant selon eux aucun droit ».[4] C’est précisément ce caractère répressif et réactionnaire du régime dictatorial des talibans qui a fait que certains secteurs moyens et même populaires des grandes villes, notamment de Kaboul, ont préféré l’occupation étasunienne et le régime fantoche, et leur ont apporté un certain soutien et une certaine collaboration. L’image de nombreux habitants de Kaboul désireux de fuir la ville en est le reflet.

Nous avons donc cette combinaison contradictoire : un triomphe de la résistance nationale afghane contre l’impérialisme (même si, comme nous l’avons dit, cela s’est passé au ralenti), mais en conséquence, l’installation presque certaine d’une nouvelle dictature théocratique. Nous nous réjouissons de ce triomphe, mais, en même temps, nous pensons que la tâche à laquelle sont maintenant confrontées les masses afghanes (en particulier les femmes et les minorités opprimées) est la lutte contre cette dictature.

En bref, l’aboutissement d’une défaite impérialiste vient d’avoir lieu. Cela renforce les luttes des travailleurs et des masses dans le monde contre l’impérialisme et nous appelons à un redoublement de ces luttes. Dans le même temps, une organisation arrive au pouvoir dont le projet est d’installer une dictature théocratique. Par conséquent, la tâche qui commence en Afghanistan est la lutte contre le nouveau gouvernement.

Notes :

[1] Sur ce dernier point, voir le dossier publié sur <https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/experts-react-the-taliban-has-taken-kabul-now-what/ > ou le reportage de la chaîne britannique BBC News sur <https://www.bbc.com/mundo/noticias-internacional-57762858>.

[2] Voir l’article de Martín Hernández ¿Qué guerra es esta? dans la revue Marxismo Vivo n° 4 (décembre 2001), et l’article d’Alejandro Iturbe publié sur <https://litci.org/es/la-reaccion-democratica-del-sindrome-de-vietnam-al-sindrome-de-irak/>.

[3] Sur la situation en 2009, nous recommandons la lecture des articles de Bernardo Cerdeira dans le dossier Medio Oriente. Un nuevo e inmenso Vietnam para el imperialismo, publié dans la revue Marxismo Vivo n° 22 (décembre 2009).

[4] Yousufzai, Rahimyllah, « Pakistani Taliban at work« , The News (18.12.1998).