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Le communisme existentiel de Jean-Luc Nancy

Lien publiée le 30 août 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Sans dehors, pas de communisme (lundi.am)

« Même le chaos n’est pas entièrement chaotique ;
même le compact laisse passer la lumière ;
même l’individu contient encore une part de nuit »
Frédéric Neyrat, Le communisme existentiel de Jean-Luc Nancy, éditions Lignes.

Il aura fallu lutter contre deux fronts. La transcendance avec ses arrières mondes, ses essences et ses Dieux. L’immanence avec son désir d’absolutisme, son déterminisme, son en soi et son humanisme. Il aura fallu lutter contre deux épuisements. L’épuisement de l’ontologie, l’épuisement de la politique. Il aura fallu trouver une poussée, une pulsion. Il fallait que quelque chose ait lieu. Que le rien soit ouvert sur lui même pour que rien existe.

Il aura fallu lutter contre l’équivalence, l’interconnexion généralisée de tout avec tout. Il aura fallu conjurer la transformation du singulier en particulier et la transformation du rapport en réseaux. Il aura fallu déjouer les oppositions entre philosophie et anti-philosophie. Il a fallu re-commencer, trouver un dehors.

’Ce qui est premier ce n’est pas le principe, l’arché que l’on dénicherait au point le plus reculé du temps comme au sommet le plus éloigné de la hiérarchie des êtres, c’est l’existence. C’est l’existence qu’il s’agit de penser d’abord et avant tout.’

Et d’abord ce qui existe n’existe pas seul. C’est toujours avec. L’existence co-existe. Parce que l’existence est un écart qui l’ouvre au monde, qui la met en rapport, qui la fait exister. Une déchirure à même l’immanence. Un dehors dedans.

Ainsi déjà, de ceci, nous comprenons que le dehors n’est pas supra-extériorité et le dedans n’est pas clôturé sur lui-même. L’immanence est déchirée et l’existant est transi par la liberté, une liberté qui dissout toute essence. La liberté absout l’être dans le partage de l’existence. Elle est déchainement, il n’y a de chose que par elle.

Autrement dit, tout commence par la position originaire d’un au-dehors, d’une ex-position qui fait que l’être est toujours plus qu’un (ouvert, en excès) et plus d’un (jamais seul, en rapport, avec, en co-présence). Le communisme est donc premier, il est déjà là, il n’est pas à faire, il n’est pas un projet. Sauf à vouloir avec lui produire une essence, une essence de l’homme, par exemple. Tel a été sa tentative, son échec, son erreur, sa forclusion.

Non, l’enfer ce ne sont pas les autres qui empêchent l’être d’advenir. La liberté n’est pas l’essence, l’identité à produire. L’enfer, c’est la clôture, et, la liberté, c’est la pulsion, la poussée qui sans cesse fait advenir des singularités à même ce qui ne peut jamais être totalement clôturé, fini. Sans dehors, sans ouverture, il n’y a rien, rien que la mort.

Est-il encore possible de penser un dehors ? N’est-ce pas l’urgence à penser ? Un infini à même le fini. Un dehors qui ne peut qui ne doit pas être mobilisé par la technosphère. Un dehors en reste de toute projection. Depuis la mort de Dieu, il se dit qu’il n’y a plus de dehors. Depuis Marx, se décrit un monde globalisé sans dehors. Tout n’est-il pas qu’interconnections sans reste ?

Ce dehors qu’il s’agit de penser ici, ce dehors dedans, qui écarte et fait l’ex-istence, qui déchire et fait comparaitre, dit l’inéquivalence de l’être à lui-même. Et ’on pourrait nommer idéologie non pas ce qui masque l’aliénation humaine, mais ce qui cherche à remplir l’abîme de l’écart avec des images et des slogans ; et nihilisme ce qui cherche à éradiquer à la fois ces bouche-trous et tout écart... Contre l’idéologie et le nihilisme, on dira que l’objectif de la philosophie de Nancy est de laisser-être l’écart.

L’écart n’est donc, ni sens ultime, ni sens originaire. L’écart est un signifiant-vide. Ni Dieu, ni maître. Ni origine, ni fin. Et chaque fois que ce vide est vécu comme absurde, chaque fois qu’il est combattu au nom de l’absence de sens, ce n’est qu’indécence. Cela s’appelle projet, Dieu, Nation, essence. En définitive, « Dieu n’aura été que le prête nom d’un pur excès. » et l’Humanisme le refus de l’absence de sens ultime ou de sens premier. Tout Dostoïevski se tient là. Toute l’aventure communiste se tient là. Tous les fascismes se tiennent là. S’il faut encore adorer quelque chose, c’est l’excès sur tout être, et s’en tenir à cette adoration sans l’investir.

Voici donc où nous en sommes. Il y simultanément l’être, ce qui l’excède ; et l’avec, sa comparution ; et une béance qui déjoue l’équivalence à la fois de l’être à lui-même et des êtres entre eux ; et la liberté qui dissout l’essence, l’identité, la forclusion. Tout aura donc été dynamité et re-commencé. L’en-commun est premier mais il est ouvert. Le communisme n’est pas un humanisme mais une liberté qui singularise.

Voyons maintenant, ce que cet existentialisme a à nous dire de la politique, de la démocratie, du capitalisme, du communisme et enfin du pouvoir ?

1. De la politique, ceci d’abord : que tout n’est pas politique. Que chaque fois que la sphère de la politique se diffuse dans tout le corps de la société, ce n’est rien d’autre que le fantasme d’une archi-politique, volonté de produire une Communauté Totale. « Toute politique arrimée à une finalité commet l’erreur funeste de vouloir un Sujet absolu, une communauté complète, une identité pure ». Ceci ensuite : que la politique doit garantir l’hétérogénéité comme tel.

2. De la démocratie, ceci : « Démocratie nous oblige à penser le dis – la distance, l’écart – de façon ontologique avant de le penser en terme politique. (…) La démocratie n’est pas une forme politique, mais le nom de ce qui doit faire droit, dans la politique, à ce qui n’est pas politique ». La démocratie, est ce qui maintient la sphère de la politique comme séparée. « Ni Dieu ni maître. Démocratie vaut anarchie ».

3. Du capitalisme, ceci : ce qu’il exploite c’est l’ex-position. Son réseau de la circulation marchande, c’est le rapport réduit à l’interconnexion. Ce qu’il produit par ses opérations de réduction, (du singulier au particulier, du rapport au réseau) c’est l’équivalence. Or, là où il n’y a plus qu’interconnexion et équivalence, il n’y a plus de rapport. «  Le rapport implique la distance et la différence absolue de ce qui est tout autre ». L’écart, la distance peut-être nommé comme l’incommensurable. Contre l’équivalence, il ne s’agit pas de « refonder une hiérarchie, mais une égalité ouverte sur et par l’incommensurable. Cette égalité des incommensurables peut aussi être nommée, communisme de l’inéquivalence. »

4. Du communisme : Nous l’avons dit, il n’est pas une hypothèse à vérifier par une action politique. L’en-commun n’appelle aucune production, aucune incarnation. « La vérité n’est pas un programme, elle est ce qui échappe à tout programme ». Cependant, la politique de la démocratie, c’est de rendre possible un communisme existentiel. Le nous n’est pas à produire, il désigne d’abord l’être-avec. Le « nous » doit se « dés-identifier de tout espèce de « nous ». Il s’agit d’un « nous » dans l’indécision majeure où se tient ce sujet collectif ou pluriel, condamné ( mais c’est sa grandeur) à ne jamais trouver sa propre voix ».

5. Du pouvoir : qu’il est « ce qu’une politique séparée exige pour s’effectuer. Le seul moyen de faire en sorte que la démocratie ne soit pas seulement la démocratie du capital ». La source de ce pouvoir ce n’est pas le Peuple, mais ce qui en lui est plus que lui. L’antagonisme ce n’est pas l’incommensurable. L’incommensurable est ce qui résiste à l’immanentisme et à l’équivalence. L’antagonisme est ce qui résiste à l’exploitation. L’antagonisme suppose un « horizon communiste comme la vérité de l’antagonisme. »

Voici donc où nous en sommes. Démocratie comme ce qui doit maintenir la politique comme séparée. Antagonisme comme ce qui doit démanteler le capitalisme avec le communisme comme horizon, en tant qu’il est la vérité des existants. L’immanence déchirée, le dehors dedans, est une improduction à maintenir comme telle, au sens où elle ne produit que le vide qui fait que l’être est toujours en excès sur lui-même, en inéquivalence à lui-même. Maintenir comme tel ce vide, n’est-ce pas l’enjeu, dans un monde où tout le vivant est appelé au secours de l’Humanité ? La fuite dans le Hors Sol dont parlait Latour dans son petit livre Où atterrir ? pourrait bien être la fuite dans une nouvelle idée de la communauté de tous les vivants, une fuite en avant dans l’interconnexion, dans l’équivalence, le projet funeste d’un nouveau sens terminal. Disons-le simplement, l’Anthropocène n’appelle aucune nouvelle communauté, aucun nouveau projet, aucune nouvelle connexion, mais un démantèlement du capitalisme et une acceptation du vide, de ce qui excède l’être, qui n’a en dernier recours aucun sens à recevoir de la politique. Le communisme n’a pas de sens il est l’existence en tant qu’elle ne se laisse pas réduire et qu’elle reste impensable.

« Il ne suffit pas de dire que l’existence déchire le commun, il faut ajouter que l’être-au-monde, en tant que pratique, questionne l’existence. Art, amour, politique : ces pratiques de l’être-au-monde, ces expériences du surplus, ces formes de vie transies par le dehors sont la mise en jeu de l’existence en tant qu’elle n’est pas que théorique. (…) Dire qu’il y a quelque chose d’impensable dans l’existence signifie d’abord que celle-ci ne peut être seulement précédée par la pensée. Comme l’écrit Kierkegaard, l’existence est « le récif où la pensée pure doit faire naufrage ». Récif et naufrages nomment par l’excès l’endroit où l’existence se fait, pour reprendre un terme central dans la pensée de Surya, expérience – traversée d’un péril. (…) Au revers du dehors interne à la philosophie, l’existence s’éprouve comme le fait expressément libre que seul un hors-savoir peut accueillir ».

Emmanuel Moreira