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Covid-19 : La pandémie a accéléré la mainmise des multinationales sur l’économie
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» Covid-19 : La pandémie a accéléré la mainmise des multinationales sur l’économie (les-crises.fr)
À moins que les travailleurs ne s’organisent pour y résister, l’héritage de la pandémie, tout comme l’héritage de la crise financière l’a fait, se soldera par un transfert permanent du pouvoir en faveur du capital.
Source : Jacobin Mag, Grace Blakeley
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Des camionnettes Amazon arrivant dans un centre de livraison à Belfast, Irlande du Nord. (Artur Widak / NurPhoto via Getty Images)
Plusieurs mois après l’annonce par le gouvernement britannique d’un ensemble de mesures de soutien aux petites entreprises pour les aider à faire face aux bouleversements dus à la pandémie et au confinement qui s’en est suivi, les banques qui gèrent le programme gouvernemental de prêts pour l’interruption d’activité due au coronavirus dans les petites entreprises ont lancé un avertissement. Les banques britanniques ont indiqué au gouvernement qu’entre 40 et 50 % des entreprises bénéficiant de ces prêts se trouveraient probablement en situation de défaut de paiement lorsque l’aide serait supprimée, ce qui menaçait de tourner en dérision l’ingénieux système de prêts « rebond » [Bounce Back Loan Scheme, prêts à remboursement différé d’un an, destiné aux petites entreprises et garanti par l’Etat britannique, NdT].
Étant donné que ces prêts sont émis par le gouvernement et que les banques ne font qu’en gérer les dossiers, ces dernières étaient moins préoccupées par l’impact que les défauts de paiement pouvaient avoir sur leurs bilans que par les implications administratives et relationnelles de l’ouverture de procédures d’insolvabilité à l’encontre de centaines de milliers de petites entreprises du Royaume Uni. Le gouvernement, quant à lui,semble allègrement ignorer les impacts négatifs économiques et politiques d’une démarche qu’il n’a pas à faire.
Plus d’un an après le premier avertissement des banques, de nombreuses entreprises qui ont bénéficié du soutien de l’État — et qui jusqu’à présent ont survécu à la pandémie — vont commencer à rembourser leurs prêts. Le dispositif d’indemnisation du chômage partiel touche également à sa fin, ce qui signifie que ces entreprises vont être touchées par une augmentation significative de leurs charges alors que dans le même temps le variant Delta se propage dans tout le pays.
Au cours de la pandémie, les entreprises britanniques ont emprunté plus de 75 milliards de livres sterling par le biais des différents programmes gouvernementaux de prêts aux petites entreprises — principalement par le biais du système de prêts rebonds. Même si les taux d’intérêt sur cette dette sont faibles, cela ne sera pas d’un grand réconfort pour les propriétaires d’entreprises confrontés à une hausse soudaine des charges dans un contexte d’incertitude économique persistante et massive.
Les propriétaires de petites entreprises constituent, bien entendu, le cœur de l’électorat du parti conservateur. Ceux qui, en créant une entreprise, ont adhéré avec le plus d’enthousiasme au rêve néolibéral d’échapper à l’exploitation et à l’asservissement du monde du travail moderne, ont tendance à être très réceptifs aux appels à des interventions du « marché libre » telles que la réduction des taux d’imposition des sociétés et la déréglementation du marché du travail.
Mais même si la gauche ne peut espérer gagner cet électorat, il y a une autre raison pour laquelle nous devrions nous inquiéter de l’effondrement de près de la moitié des entreprises britanniques. Au Royaume-Uni et dans le monde entier, la pandémie a accéléré une tendance à la concentration du marché qui accentue le déséquilibre des pouvoirs entre le capital et le travail.
Même avant la pandémie, le capital était de plus en plus centralisé — un terme marxiste qui signifie l’accumulation d’un plus grand nombre d’activités économiques en quelques grandes unités — bien plus que jamais auparavant.
En 2018, la Resolution Foundation a publié un rapport montrant que « les 100 plus grandes entreprises britanniques représentent désormais près d’un quart (23 %) du revenu total de l’ensemble des entreprises britanniques, en hausse de 25 % depuis 2003-2004 ». Aux États-Unis, Thomas Philippon a apporté la preuve d’une forte augmentation de la concentration du marché à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Philippon a soutenu dans son livre The Great Reversal que la tendance à la concentration du marché se poursuivait à un rythme beaucoup plus rapide aux États-Unis qu’en Europe, mais l’économiste néerlandais Jan Eeckhout a montré dans son livre The Profit Paradox que les deux économies sont en proie au problème de l’emprise du marché.
La concentration du marché a tendance à s’aggraver pendant les crises économiques. Cette observation n’est pas nouvelle — Marx a écrit dans le premier volume du Capital que pendant les crises économiques, « le capital se développe en un lieu jusqu’à former une énorme masse en une seule main, parce qu’ailleurs il a été perdu par beaucoup. »
La crise financière de 2008 et ses conséquences ont entraîné une augmentation de la puissance du marché aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe, à mesure que les entreprises les plus faibles faisaient faillite, et que leurs actifs et marchés étaient absorbés par des concurrents plus grands et plus puissants.
Au cours des dix années qui ont suivi 2008, des taux d’intérêt exceptionnellement bas ont permis aux très grandes entreprises de racheter plus facilement leurs concurrents et aux entreprises plus faibles de survivre sous forme de zombies, se contentant de rembourser les intérêts de leur dette. Lorsque la pandémie a frappé, ces entreprises zombies ont été parmi les premières à disparaître.
Les entreprises plus petites mais encore viables qui ont pu bénéficier d’une aide publique se sont peut-être accrochées jusqu’à présent, mais, avec la suppression de l’aide publique, nous pourrions bien être sur le point d’assister à une nouvelle vague de faillites.
Les faibles taux d’intérêt et les achats d’actifs par les banques centrales devraient continuer à l’avenir, ce qui signifie des coûts d’emprunt bas pour les entreprises les plus puissantes, qui se trouveront alors encore plus à même de racheter leurs concurrents. Compte tenu de l’évolution néolibérale de la politique en matière de concurrence, ce qui veut dire ne plus prendre en compte l’intérêt public, mais se cantonner à veiller à ce que le pouvoir du marché n’ait pas d’incidence sur les prix, il est peu probable que ce comportement anticoncurrentiel fasse l’objet d’une action significative de la part des régulateurs.
Il convient également de garder à l’esprit que si la crise financière et la pandémie ont eu un impact particulièrement déterminant sur la concentration du marché, c’est parce qu’elles se sont alignées sur des tendances technologiques préexistantes. La montée en puissance des géants de la Big Tech, qui profitent d’énormes économies d’échelle et dont les modèles économiques reposent souvent sur la conquête de marchés entiers, est plus que toute autre chose, ce qui a fait du pouvoir de marché un sujet aussi brûlant.
Nous savons que les entreprises qui ont le plus de pouvoir sur le marché sont beaucoup plus susceptibles d’augmenter les prix, de faire baisser les salaires et d’éviter les impôts. Mais le pouvoir du marché se traduit aussi souvent par un pouvoir politique, ce qui signifie que ces entreprises sont les seules à pouvoir façonner les règles qu’elles sont censées suivre. Après quelques cycles de portes tambour [La porte tambour, appelée chez nous pantouflage, est un phénomène de rotation de personnel entre un rôle de législateur et régulateur d’une part et un poste dans l’industrie affecté par ces mêmes législation et régulation d’autre part, NdT], il devient difficile de distinguer la frontière entre l’État capitaliste et l’entreprise monopolistique.
Dans la lutte actuelle entre les travailleurs et les patrons, les propriétaires et les directeurs d’entreprises ayant un grand pouvoir de marché sont nettement avantagés. En vendant souvent leur force de travail au seul grand employeur d’un secteur donné, les travailleurs ont l’impression de n’avoir d’autre choix que d’accepter les conditions que leur offrent les Amazon et les Walmart du monde entier.
À moins que les travailleurs ne s’organisent pour y résister, l’héritage de la pandémie, tout comme l’héritage de la crise financière, se solderont par un transfert permanent du pouvoir en faveur du capital.
Grace Blakeley est rédactrice à la Tribune et l’auteur de Stolen : How to Save the World from financiarisation.
Source : Jacobin Mag, Grace Blakeley – 11-07-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises