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Erik Olin Wright et les stratégies anticapitalistes

Lien publiée le 3 septembre 2021

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Erik Olin Wright et les stratégies anticapitalistes

Les militants de gauche se contentent d'un discours qui tourne à vide, avec quelques réformettes insignifiantes. Pourtant, il reste indispensable de penser des stratégies de transformation sociale. Dans un contexte de crise économique et écologique, il devient urgent de sortir du capitalisme. 

Les constats sur la brutalité du monde marchand sont nombreux. En revanche, peu d’intellectuels avancent des pistes pour sortir du capitalisme. Le sociologue Erik Olin Wright s’aventure à penser les stratégies de transformation sociale. Ce marxiste se penche sur l’analyse des classes sociales. Mais son livre phare, Utopies réelles, explore les diverses expériences alternatives qui tentent de s’extraire de l’emprise marchande.

Cet ouvrage a suscité de nombreux débats et discussions, dans des milieux intellectuels et militants. Il ouvre diverses pistes pour changer le monde. Il tente d’articuler des stratégies institutionnelles, alternativistes et révolutionnaire. Le sociologue se réfère à un socialisme démocratique ouvert. Il revient sur ces débats dans son livre Stratégie anticapitalistes pour le XXIe siècle.

                             

Critique du capitalisme

Malgré l’opulence et la société de consommation, le capitalisme favorise également la pauvreté et les inégalités sociales. Ensuite, ce système économique provoque une catastrophe écologique. Sortir du capitalisme apparaît donc comme indispensable. « L’anticapitalisme n’est pas seulement possible en tant que position morale vis-à-vis des méfaits et des injustices du monde dans lequel nous vivons, il l’est aussi en tant que position pratique, afin de construire une alternative pour le plus grand épanouissement humain », souligne Erik Olin Wright. Le capitalisme désigne une économie de marché, mais aussi une structure de classe qui oppose exploiteurs et exploités.

Le capitalisme se heurte à diverses formes de résistance, notamment sur le lieu de travail. Ces luttes sont guidées par des intérêts de classe. Les patrons et les ouvriers n’ont pas les mêmes intérêts, comme le montrent les conflits autour du salaire ou du temps de travail. Mais la situation semble confuse pour les cadres et les travailleurs indépendants qui n’ont pas forcément intérêt à défendre le capitalisme. L’anticapitalisme repose également sur des valeurs morales. Surtout, pour inventer des alternatives désirables, il semble important de définir les valeurs sur lesquelles s’appuie la société nouvelle.

Liberté, égalité, fraternité restent les valeurs fondatrices issues de la Révolution française. Le principe d’égalité doit permettre un égal accès aux conditions qui permettent une existence épanouie. La Déclaration d’indépendance des Etats-Unis insiste sur le droit au bonheur. Le mouvement socialiste repose sur la satisfaction des besoins. La liberté renvoie à l’autonomie et à l’autodétermination. Les individus doivent pouvoir déterminer les conditions de leur propre vie. Dans la sphère publique, la liberté renvoie à la possibilité de participer à la prise de décision collective. La solidarité exprime le souci d’autrui. Ces valeurs d’égalité, de liberté et de solidarité doivent permettre d’analyser toute forme d’institution et de structure sociale.

Le capitalisme apparaît comme un système économique qui empêche la réalisation des valeurs d’égalité, de liberté et de solidarité. Le capitalisme alimente les inégalités sociales et la souffrance humaine. Certains possèdent le capital tandis que la plupart doivent se vendre sur le marché du travail. Le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs par les patrons. L’appauvrissement des prolétaires repose sur l’enrichissement des riches. Le capitalisme repose sur la compétition, mais aussi sur des crises et de l'instabilité. Le travail se révèle pénible et fastidieux, avec des tâches désagréables et sans intérêt.

La propagande bourgeoise associe le capitalisme et la liberté. Pourtant le droit repose sur la défense de la propriété privée du capital. Les exploités subissent leurs conditions de travail et de vie. Le pouvoir reste concentré dans les mains d’une classe dominante. Ensuite, dans les entreprises, c’est le patron qui impose ses décisions.

Le capitalisme repose sur la défense de ses intérêts personnels et s’oppose à la solidarité. Ce système encourage la concurrence, la peur et la cupidité. Les patrons cherchent avant tout la maximisation de leurs profits, sans se préoccuper de leurs salariés. La logique de compétition impose d’écraser les autres pour réussir. Cet individualisme concurrentiel empêche la solidarité de classe indispensable pour détruire le capitalisme. Néanmoins, face à ce système économique, aucune alternative viable ne se dessine. « En bref, soit la destination n’est pas engageante, soit il n’y a pas de chemin pour s’y rendre », souligne Erik Olin Wright.

Pendant plusieurs années, la RD 281 a été interdite à la circulation et demeurait surveillée par des opposants au projet d'aéroport.

Stratégies anticapitalistes

Plusieurs stratégies pour sortir du capitalisme s'esquissent, avec leurs avantages et leurs inconvénients. La stratégie révolutionnaire repose sur l’écrasement du capitalisme. Ce système économique n’est pas réformable et doit être totalement détruit à travers un processus de rupture. Karl Marx insiste sur les contradictions du capitalisme qui semble plus fragile qu’il n’y paraît. Les crises économiques révèlent la possibilité d’un effondrement du capitalisme. Néanmoins, la stratégie de rupture rend inévitable la violence révolutionnaire qui se heurte à la répression et peut déboucher vers des dérives autoritaires.

Un autre courant insiste sur l’importance d’une période de transition, avec des réformes étatiques imposées par en haut. La planification et des nationalisations illustrent ce programme. Cette stratégie suppose un parti socialiste de masse, élu et réélu, sans résistance de la bourgeoisie. La stratégie social-démocrate vise à neutraliser les méfaits du capitalisme à travers un Etat régulateur. Ce courant insiste sur la législation sociale et la redistribution des richesses. Néanmoins, la social-démocratie traite les symptômes du capitalisme sans s’attaquer aux causes profondes des inégalités sociales. Ce modèle keynésien a existé uniquement durant la période des Trente glorieuses.

La stratégie de résistance au capitalisme ne nécessite pas la prise du pouvoir d’Etat. Ce sont les mouvements sociaux qui permettent d’atténuer les conséquences du capitalisme. La stratégie de la fuite refuse toute forme d’affrontement révolutionnaire ou réformiste. Elle consiste à se réfugier dans une micro société alternative. Les entreprises coopératives ou le mouvement hippie illustrent cette stratégie. Même si ce choix d’un mode de vie individuel ne propose aucune perspective sociale.

Ces diverses stratégies peuvent se combiner. Le communisme révolutionnaire propose de résister au capitalisme avant de l’écraser. Le socialisme démocratique propose des réformes dans une perspective de transition. Le mouvement ouvrier englobe ces diverses stratégies, avant d’abandonner la perspective d’une rupture. Cependant, dans les mouvements sociaux du XXIe siècle, s’expriment des sensibilités libertaires. Les nouvelles luttes se tiennent à distance des partis et de la stratégie de la prise du pouvoir d’Etat.

La stratégie d’érosion suppose de développer des activités non marchandes pour sortir progressivement de l’économie. Le passage du féodalisme au capitalisme s’est produit de manière graduelle. Ce processus repose sur la diffusion d’activités non marchandes. « Des activités économiques alternatives, où prévalent des relations démocratiques et égalitaires, émergent dans les niches d’une économie dominée par le capitalisme », imagine Erik Olin Wright.

Projet de société alternatif

Les mouvements sociaux actuels s’opposent à des injustices sociales, mais ils ne portent aucun véritable projet alternatif. Certes, ces luttes incarnent de nombreuses valeurs démocratiques et sociales. Mais elles ne s’accordent sur aucun projet de société. Longtemps, c’est le socialisme qui a incarné l’alternative. Les différents courants du mouvement ouvrier débattent sur les moyens de parvenir au socialisme. Mais tous s’accordent sur ce projet de collectivisation des moyens de production et sur la satisfaction des besoins qui doit primer sur la logique de profit. Néanmoins, des régimes autoritaires comme l’URSS se réclament d’un socialisme réduit à l’étatisation de l’économie. Ce qui contribue à discréditer ce concept. Même si le socialisme reste l’alternative au capitalisme la plus claire.

Pour éviter toute forme de centralisation et de bureaucratie, le socialisme doit hybrider divers types de structures économiques. Planification participative, entreprises publiques, coopératives, entreprises privées gérées de manière démocratique, marchés et autres formes plus institutionnelles doivent coexister. « En tout état de cause, dans une économie postcapitaliste durable, l'architecture des institutions économiques évoluera grâce à l’expérimentation et la délibération démocratiques », précise Erik Olin Wright.

Le revenu de base inconditionnel (RBI) doit permettre à chaque personne de recevoir de quoi satisfaire ses besoins essentiels. Ce revenu est versé sans contrepartie et financé par une fiscalité redistributive. Ce RBI doit permettre de limiter les contraintes du marché du travail. Il permet aux coopératives, aux activités artistiques et agricoles de ne plus s’enfermer de la nécessité du profit pour perdurer. Ensuite, les coopératives, l’économie sociale et solidaire et la démocratisation des entreprises doivent être encouragées. Ce projet de société articule économie marchande et accès aux biens et services à travers l’Etat et les services publics, coopératives en peer-to-peer et autres formes de gratuité.

Ce projet de société peut se développer à travers une stratégie d’érosion. Mais il suppose malgré tout la prise du pouvoir d’Etat. Pourtant, cet appareil reste lié au capitalisme. La classe dirigeante reste une composante de la haute bourgeoisie dont elle défend les intérêts. Ensuite, l’Etat doit s’appuyer sur le capitalisme pour se financer. Sa bureaucratie et son administration défendent une logique capitaliste. L’état de droit repose sur la propriété privée. Ce projet de société repose donc sur une démocratisation de l’Etat. La décentralisation doit favoriser une prise de décision locale. Ensuite, la participation populaire doit se développer. Des budgets participatifs et des assemblées citoyennes peuvent émerger.

Social-démocratie renouvelée

 

Le sociologue Laurent Jeanpierre propose une postface qui déplore la faiblesse de l’anticapitalisme. Les partis qui s’en réclament restent des sectes sans influence. Surtout, les nombreuses insurrections qui éclatent à travers le monde ne débouchent vers aucune perspective anticapitaliste. Les militants se réfugient dans la propagande, l’activisme et la convergence des luttes à travers un gauchisme qui tourne à vide. La réflexion d’Erik Olin Wright tranche avec la mélancolie de gauche. Le sociologue ne propose pas un simple programme avec son éternel catalogue de revendications, mais un véritable projet de société alternatif. Cette réflexion stratégique, renouvelée par Isabelle GaroEtienne Balibar ou Jérôme Baschet, demeure centrale et décisive.

Erik Olin Wright parvient à renouveler la stratégie réformiste et social-démocrate. Il tente de sortir des vieux programmes, comme celui de la France insoumise, qui reposent uniquement sur le renforcement de l’Etat. Ensuite, Erik Olin Wright propose un véritable projet de société. Ses diverses pistes de réformes s’inscrivent dans une vision globale. Cette perspective d’ensemble tranche avec les catalogues de revendications portés par les partis et les syndicats. Erik Olin Wright insiste également sur la satisfaction des besoins plutôt que sur une idéologie fumeuse.

Cependant, Erik Olin Wright reste figé dans un cadre réformiste qui semble ni réaliste ni désirable. Le sociologue regroupe diverses pistes stratégiques à la mode. Mais il manque un recul historique et un recul critique sur ces impasses. La prise du pouvoir d’Etat a montré toute ses limites, comme la gauche en France qui se contente de quelques réformes avant de s’aligner sur la gestion du capital. Les exemples récents de Podemos en Espagne, de Syriza en Grèce ou du chavisme auVenezuela se révèlent également peu concluants. Erik Olin Wright semble naïf et ne propose aucune analyse critique de l'État ou de la démocratie représentative. La séparation entre dirigeants et dirigés n’est pas remise en cause. La logique bureaucratique et la force d’inertie de l’administration d’Etat restent de sérieux obstacles pour la transformation sociale depuis les institutions.

Erik Olin Wright minimise également l’importance de la logique marchande. Il propose un modèle proudhonien pas vraiment nouveau de multiplication des coopératives et des mutuelles. Pourtant, ces structures existent depuis longtemps en France et restent soumises à la logique marchande. Les mutuelles et coopératives demeurent des entreprises en concurrence sur un marché et ne peuvent déboucher que vers une autogestion du capital. Le sociologue valorise les alternatives concrètes sans évoquer leurs sérieuses limites. L’abolition de la valeur et de la marchandise semble indispensable pour sortir de la logique de concurrence et de rentabilité.

        

     

Stratégie révolutionnaire

Erik Olin Wright articule transformation depuis les institutions et alternatives locales dans une stratégie de l’érosion. Là encore, rien de nouveau. Cette perspective s'apparente à la bonne vieille stratégie gradualiste chère aux sociaux-démocrates. Il manque au sociologue un regard historique. La social-démocratie, loin d’éroder le capitalisme, se plie progressivement à la logique institutionnelle pour perdurer et se renforcer. La répression de la révolution allemande de 1918 découle de cette stratégie de respectabilité bourgeoise. Ce n’est pas la contestation qui érode le capitalisme, mais le capitalisme qui érode la contestation.

Erik Olin Wright balaye d’un revers de la main la stratégie de rupture. Certes, le modèle de la révolution russe sert de repoussoir. Mais une analyse historique sérieuse ne doit pas se contenter de déplorer des bains de sang. La dynamique des soviets et de l’auto-organisation reste centrale dans le processus de rupture. Toute forme de bureaucratisation et de centralisation doit être combattue. La rupture ne se conforme pas au modèle bolchevik et autoritaire. Il existe aussi une perspectivecommuniste libertaire, largement ignorée et non discutée par Erik Olin Wrigh.

Cette stratégie de rupture semble au final la plus réaliste. Elle doit s’apparenter à un processus révolutionnaire qui vise à remettre en cause toutes les formes d’exploitation, de hiérarchies et d’oppression. Elle doit s’inscrire dans une logique globale de transformation de tous les aspects de la vie quotidienne. Comme le souligne Erik Olin Wright, la satisfaction des besoins reste la priorité pour rendre tout projet politique acceptable. Mais ce processus de rupture doit également remettre en cause toutes les logiques qui imposent une vie mutilée. L’argent, le travail, la marchandise, l’Etat et la société de classe doivent être supprimés pour permettre un monde qui valorise l’épanouissement individuel et collectif. Erik Olin Wright souligne que la question du bonheur reste centrale. Il est temps de la prendre au sérieux.

Une autre dimension semble centrale pour ne pas sombrer dans l’utopie déconnectée du monde réel. La stratégie révolutionnaire ne doit pas être élaborée par des groupuscules d’intellectuels et de militants confinés dans leur laboratoire idéologique. Cette stratégie doit être discutée collectivement dans le cadre desmouvements sociaux et de la lutte des classes. Actuellement, d’importantes révoltes sociales se développent. Les Gilets jaunesle Hirak algérien ou le soulèvement auChili doivent s’emparer de ses débats stratégiques. Se contenter de la solution institutionnelle et réformiste apparaît clairement comme une impasse. La force de ces mouvements doit déboucher vers un processus révolutionnaire porté par l’auto-organisation et le désir de vivre pleinement.

Source : Erik Olin Wright, Stratégie anticapitalistes pour le XXIsiècle, traduit par Christophe Jaquet et Rémy Toulouse, La Découverte, 2020

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Pour aller plus loin :

Radio : Les utopies réelles, en lieu et place de la Révolution, émission diffusée sur France Culture le 18  avril 2020

Laurent Jeanpierre : « Former un engrenage socialiste », publié sur le site de la revue Ballast le 28 février 2021 

Dylan Riley, Quelle(s) stratégie(s) pour l’anticapitalisme ?, publié sur le site de la revue Contretemps le 19 octobre 2020

Ulysse Baratin, Éroder le capitalisme, publié dans la revue en ligne En attendant Nadeau le 13 février 2021

Lionel Meneghin, Comment peut-on être encore anticapitaliste au XXIe siècle ?, publié sur le site du magazine Forbes le 6 novembre 2018

Philippe Vion-Dury, Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle, publié sur le site du magazine Socialter le 1er février 2021

Jérôme Baschet, Quels espaces libérés pour sortir du capitalisme ?, publié dans la revue EcoRev' N° 46 en 2018

Julien Talpin, La vie rêvée des sociétés, publié sur le site La Vie des Idées le 11 décembre 2017

Ugo Palheta, Erik Olin Wright : reconstruire le marxisme, publié sur le site La Vie des Idées le 12 mars 2019

Vincent Farnea et Laurent Jeanpierre, « Des utopies possibles aux utopies réelles. Entretien avec Erik Olin Wright », publié dans la revue Tracés n°24 en 2013

Pierre Chaillan, Erik Olin Wright : « Les rapports de classe se sont historiquement complexifiés », publié dans le journal L'Humanité le 20 octobre 2017

Articles d'Erik Olin Wright publiés sur le site de la revue Contretemps