Agenda militant
Ailleurs sur le Web
- Un vieil homme en colère, un Ukrainien dérangé et la Troisième Guerre mondiale (20/11)
- Escalade militaire : les impérialistes américains sont-ils devenus fous ? (20/11)
- La presse sénégalaise sous le charme d’Ousmane Sonko (19/11)
- Production du Doliprane : nationalisation de l’industrie pharmaceutique ! (18/11)
- La victoire de Trump, par-delà les fantasmes (18/11)
- Législatives Sénégal, le triomphe du Pastef d’Ousmane Sonko (18/11)
- Les données politiques et syndicales du Tous Ensemble (18/11)
- Clémence Guetté - Voyage en Antarctique : le vlog ! (18/11)
- "J’espère mourir avant" : la chanson de GiedRé (17/11)
- Mélenchon : "Mon engagement pour le pacs a changé ma vision de l’humanisme" (16/11)
- Inondations en Espagne : les profits avant les vies humaines (16/11)
- Animateurs précarisés, enfants en danger (16/11)
- Vencorex, se battre jusqu’au sauvetage de tous les emplois ! (16/11)
- Allemagne, le gouvernement s’est effondré (16/11)
- Point de conjoncture de l’Institut la Boétie (16/11)
- Israël : Le génocide comme moyen, la colonisation pour un unique objectif (16/11)
- Hommage à Madeleine Riffaud (16/11)
- Exigeons la pleine transparence des comptes… de l’État et des entreprises (16/11)
- Ne désespérez pas : Trump n’est pas invincible (15/11)
- Violences à Amsterdam : 24 heures d’hystérie et de naufrage médiatique (15/11)
- La peur : instrument du pouvoir et passion imaginaire - Roland Gori (13/11)
- Industries chimiques en grève: mobilisation générale à Vencorex et Arkema (13/11)
- Face à la vague de licenciements : passer à l’offensive ! (13/11)
- Une leçon américaine (13/11)
- Au cœur de la logique coloniale, la terreur et le régime d’exception (13/11)
Liens
- Notre page FaceBook
- Site de la france insoumise
- Site du NPA-Révolutionnaire
- Site anti-k.org
- Le blog de Jean-marc B
- Démocratie Révolutionnaire
- Fraction l'Étincelle
- Révolution Permanente (courant CCR)
- Alternative Communiste Révolutionnaire (site gelé)
- Ex-Groupe CRI
- Librairie «la Brèche»
- Marxiste.org
- Wiki Rouge, pour la formation communiste révolutionnaire
Roubini: La menace de la stagflation est réelle
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Nourial Roubini
NEW YORK – Depuis plusieurs mois, je préviens que le mix actuel de politiques monétaires, budgétaires et de crédit, qui demeurent très accommodantes, stimulera excessivement la demande globale et conduira à une surchauffe inflationniste. Pour aggraver le problème, des chocs d'offre négatifs à moyen terme réduiront la croissance potentielle et augmenteront les coûts de production. Combinées, ces dynamiques de l'offre et de la demande pourraient générer une stagflation, une hausse de l'inflation en période de récession, comme dans les années 1970. A terme, elles pourraient même conduire à une grave crise de la dette.
Jusqu'à récemment, je me suis concentré davantage sur les risques à moyen terme. Mais maintenant, on peut faire valoir qu'une stagflation « légère » est déjà en cours. L'inflation augmente aux États-Unis et dans de nombreuses économies avancées, et la croissance ralentit fortement, malgré des mesures massives de relance monétaire, budgétaire et de crédit.
Il existe désormais un consensus sur le fait que le ralentissement de la croissance aux États-Unis, en Chine, en Europe et dans d'autres grandes économies est le résultat de goulots d'étranglement de l'offre sur les marchés du travail et des biens. Selon la version optimiste des analystes et des décideurs de Wall Street, cette légère stagflation sera temporaire et ne durera que le temps nécessaire pour que les goulots d'étranglement de l'offre se résorbent.
En fait, plusieurs facteurs expliquent la mini-stagflation de cet été. Pour commencer, le variant Delta augmente temporairement les coûts de production, réduit la croissance de la production et limite l'offre de main-d'œuvre. Les travailleurs, dont beaucoup reçoivent toujours les allocations de chômage majorées qui expireront en septembre, hésitent à retourner sur le lieu de travail, surtout maintenant que Delta fait rage. De plus, ceux qui ont des enfants doivent parfois rester à la maison, en raison des fermetures d'écoles et du manque de services de garde d’enfants abordables.
Du côté de la production, Delta perturbe la réouverture de nombreux secteurs de services et sème la pagaille dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, les ports et les systèmes logistiques. Les pénuries d'intrants clés tels que les semi-conducteurs entravent encore davantage la production de voitures, de produits électroniques et d'autres biens de consommation durables, augmentant ainsi l'inflation.
Pourtant, les optimistes insistent sur le fait que tout cela est temporaire. Une fois que Delta s'estompera et que les prestations expireront, les travailleurs retourneront sur le marché du travail, les goulots d'étranglement de la production se résorberont, la croissance de la production s'accélérera et l'inflation sous-jacente – qui atteint désormais près de 4 % aux États-Unis – retournera vers la cible de la Réserve fédérale américaine de 2 % d'ici l'année prochaine.
Du côté de la demande, l’hypothèse est que la Réserve fédérale américaine et d'autres banques centrales commenceront à mettre fin à leurs politiques monétaires non conventionnelles. Combiné à un certain degré de freinage budgétaire l'année prochaine (lorsque les déficits devraient être moins importants), cela réduira supposément les risques de surchauffe et maintiendra l'inflation sous contrôle. La légère stagflation d'aujourd'hui céderait alors la place à un scénario idéal – une croissance plus forte et une inflation plus faible – d'ici l'année prochaine.
Mais que se passera-t-il si cette vision optimiste se révèle erronée et que la pression stagflationniste persiste au-delà de cette année ? A cet égard, il convient de noter que diverses mesures font état d’une inflation non seulement largement au-dessus de son objectif, mais également de plus en plus persistante. Par exemple, aux États-Unis, l'inflation sous-jacente, qui exclut les prix volatils des aliments et de l'énergie, devrait toujours avoisiner les 4 % d'ici la fin de l'année. Les politiques macroéconomiques devraient également rester laxistes, à en juger par les plans de relance de l'administration Biden et la probabilité que les économies faibles de la zone euro enregistrent d'importants déficits budgétaires même en 2022. De plus, la Banque centrale européenne et de nombreuses autres banques centrales des économies avancées restent pleinement engagées à poursuivre encore longtemps leurs politiques non conventionnelles.
Bien que la Fed envisage de réduire son assouplissement quantitatif (QE), elle restera probablement accommodante et en retard dans l'ensemble. Comme la plupart des banques centrales, elle a été attirée dans un « piège de la dette » par la flambée des dettes privée et publique (en pourcentage du PIB) ces dernières années. Même si l'inflation reste supérieure à son objectif, une sortie prématurée du QE pourrait provoquer un crash des marchés obligataire, du crédit et des actions. Cela soumettrait l'économie à un atterrissage brutal, forçant potentiellement la Fed à faire marche arrière et à reprendre le QE.
Après tout, c'est ce qui s'est passé entre le quatrième trimestre de 2018 et le premier trimestre de 2019, à la suite de la précédente tentative de la Fed de relever les taux et de réduire le QE. Les marchés du crédit et des actions se sont effondrés et la Fed a immédiatement arrêté le resserrement de sa politique. Puis, lorsque l'économie américaine a subi un ralentissement causé par la guerre commerciale et une légère crise du marché des pensions quelques mois plus tard, la Fed est revenue pleinement à la baisse des taux et à la poursuite du QE (sans le dire ouvertement).
Tout cela s'est produit une année complète avant que la COVID-19 ne bouleverse l'économie et ne pousse la Fed et d'autres banques centrales à s'engager dans des politiques monétaires non conventionnelles à une échelle sans précédent, pendant que les gouvernements créaient les plus gros déficits budgétaires depuis la Grande Dépression. Le véritable test du courage de la Fed viendra lorsque les marchés subiront un choc dans un contexte de ralentissement économique et d'inflation élevée. Très probablement, la Fed se dégonflera et fermera les yeux.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, les chocs d'offre négatifs sont susceptibles de persister à moyen et long terme. On en distingue déjà au moins neuf.
Pour commencer, il y a la tendance à la démondialisation et à la montée du protectionnisme, la balkanisation et la relocalisation des chaînes d'approvisionnement éloignées, et le vieillissement démographique des économies avancées et des principaux marchés émergents. Des restrictions d'immigration plus strictes entravent la migration des pays du Sud les plus pauvres vers le Nord plus riche. La guerre froide sino-américaine ne fait que commencer, menaçant de fragmenter l'économie mondiale. Et le changement climatique perturbe déjà l'agriculture et provoque des flambées des prix des denrées alimentaires.
De plus, les pandémies mondiales persistantes conduiront inévitablement à une plus grande autonomie nationale et à des contrôles à l'exportation pour les biens et matériaux clés. La cyberguerre perturbe de plus en plus la production, mais reste très coûteuse à contrôler. Et la réaction politique face aux inégalités de revenus et de richesse incite les autorités fiscales et réglementaires à mettre en œuvre des politiques renforçant le pouvoir des travailleurs et des syndicats, ouvrant la voie à une croissance accélérée des salaires.
Alors que ces chocs d'offre négatifs persistants menacent de réduire la croissance potentielle, la poursuite de politiques monétaires et budgétaires accommodantes pourrait déclencher un désancrage des anticipations d'inflation. La spirale salaires-prix qui en résulterait inaugurerait alors d’un environnement de stagflation à moyen terme pire que celui des années 1970 – lorsque les ratios dette/PIB étaient inférieurs à ce qu'ils sont actuellement. C'est pourquoi le risque d'une crise de la dette stagflationniste continuera de planer à moyen terme.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
----------------------------------------------------------------
Voir aussi ce texte de KENNETH ROGOFF
Retour aux années soixante-dix ? by Kenneth Rogoff - Project Syndicate (project-syndicate.org)
Retour aux années soixante-dix ?
CAMBRIDGE (MASS.) – Après le retrait désastreux des États-Unis hors d’Afghanistan, les parallèles entre les années 2020 et les années 1970 vont bon train. Une inflation élevée et persistante est-elle devenue beaucoup plus probable ? Récemment encore, j’aurais répondu qu’il y avait assurément peu de chance pour qu’elle s’installe. Aujourd’hui, je serais moins catégorique, surtout à l’échéance de quelques années.
Beaucoup d’économistes semblent considérer que l’inflation est un problème qui ne concerne que les technocrates, et la plupart des banquiers centraux aimeraient pouvoir penser comme eux. En réalité, les causes d’une inflation prolongée s’enracinent dans des problèmes d’économie politique, et la longue liste des similitudes entre les années 1970 et la période actuelle devient alors troublante.
À l’intérieur, après une séquence marquée par un président des États-Unis qui défie les normes institutionnelles (Richard Nixon en fut la version des années soixante-dix), une personnalité parfaitement décente entre en fonctions (c’était alors le cas de Jimmy Carter). À l’extérieur, les États-Unis souffrent une humiliante défaite infligée par un adversaire beaucoup plus faible mais beaucoup plus déterminé (le Nord-Vietnam dans les années soixante-dix, les talibans aujourd’hui).
Sur le front économique, l’activité mondiale connaît un ralentissement prolongé de productivité. Selon la magistrale étude réalisée par Robert Gordon, économiste à Northwestern University, sur les rapports entre innovation et croissance, The Rise and Fall of American Growth, les années soixante-dix marquent un tournant dans l’histoire économique des États-Unis en raison du ralentissement brutal des innovations réellement déterminantes. Aujourd’hui, même si les pessimistes en matière de productivité sous-estiment grossièrement les gains phénoménaux qu’apportera la nouvelle génération des biotechnologies et de l’intelligence artificielle, un grand nombre de travaux concluent à un ralentissement de la productivité au XXIe siècle, et la pandémie semble désormais infliger un autre coup dur.
L’économie mondiale a souffert dans les années soixante-dix un important choc d’offre, lorsque les pays du Moyen-Orient ont augmenté massivement les prix demandés au reste du monde pour le pétrole. Aujourd’hui, le protectionnisme et les retraits constatés sur les chaînes mondiales d’approvisionnement constituent un choc d’offre négatif dont les conséquences sont tout aussi lourdes.
Enfin, à la fin des années soixante et soixante-dix, la hausse importante des dépenses publiques ne fut pas compensée par une augmentation des impôts pour les contribuables les plus fortunés. Cette hausse des dépenses provenait pour partie des programmes de la « Grande Société », mis en place dans les années soixante sous la houlette du président des États-Unis Lyndon B. Johnson ; elle s’amplifia par la suite avec l’explosion des coûts de la guerre du Vietnam. Johnson, tout d’abord, puis Nixon, ne montrèrent guère d’empressement à augmenter les impôts, craignant l’un et l’autre d’y perdre une part de leur capital politique. Ces dernières années, les baisses d’impôts de Trump, tout d’abord, puis les mesures d’aide d’urgence face à la pandémie et aujourd’hui les projets progressistes d’extension de la protection sociale ont frappé ou frapperont de plein fouet le budget fédéral. Les plans de financement de ces dépenses par les hausses d’impôts sur les plus fortunés ne suffiront probablement pas, tant s’en faut, à rétablir l’équilibre.
Il est vrai que malgré toutes ces similitudes, les banques centrales d’aujourd’hui, prêtes à remonter les taux d’intérêt si les pressions inflationnistes s’emballaient, offrent un rempart contre l’inflation. Dans les années soixante-dix, rares étaient les pays qui pouvaient compter sur une banque centrale indépendante et, dans le cas des États-Unis, elle ne se comporta pas comme elle était censée le faire, puisqu’une expansion monétaire effrénée entretint alors l’inflation. Aujourd’hui, les banques centrales relativement indépendantes sont devenues la norme presque partout dans le monde. Il est également vrai que les taux d’intérêt très bas actuellement pratiqués fournissent aux gouvernements des pays riches une marge de manœuvre beaucoup plus importante que celle dont ils disposaient dans les années soixante-dix pour gérer les déficits.
D’un autre côté, les difficultés posées par les besoins de populations vieillissantes sont devenues beaucoup plus pressantes au cours des cinquante dernières années (du moins dans les économies avancées et en Chine). Les financements insuffisants des caisses de retraite publiques constituent sans doute une menace quantitativement beaucoup plus grave pour la solvabilité du budget que la dette publique. Dans le même temps, les pressions sociales poussant à l’augmentation des dépenses publiques et des revenus de transfert se sont considérablement renforcées, partout dans le monde, tandis que la question des inégalités se fait dans nombre de pays plus politique et plus vive, alors que le renforcement de la croissance passe au second plan. En outre, la lutte contre les changements climatiques et contre les autres atteintes à l’environnement renforcera selon toute vraisemblance les pressions budgétaires et ralentira la croissance.
La hausse brutale des dettes publiques rendra inévitablement plus coûteuse sur le plan politique la hausse des taux d’intérêt nominaux par les banques centrales si les taux réels commencent à augmenter un peu partout dans le monde. La hauteur des dettes nourrit déjà, aujourd’hui, les hésitations de certaines banques centrales quant à une hausse des taux d’intérêt censée accompagner le retour à la normale après la pandémie. Les dettes privées, qui se sont elles aussi envolées lors de la crise sanitaire, posent peut-être un problème plus préoccupant. Une cascade de faillites privées aurait d’énormes conséquences budgétaires, puisqu’elle réduirait les recettes fiscales et renchérirait la protection sociale.
Avant toutefois de nous montrer trop pessimistes, rappelons-nous que les années soixante-dix furent suivies par les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, et par une forte reprise de la croissance dans les économies avancées, quoique cette dernière n’ait pas concerné autant de monde que l’auraient souhaité les responsables politiques. Malheureusement, les années 2030 sont encore loin.
Il est certainement possible de relever les défis économiques auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, et l’inflation n’est pas nécessairement vouée à monter en flèche. Les principaux banquiers centraux, comme Jay Powell de la Réserve fédérale des États-Unis et Christine Lagarde de la Banque centrale européenne, n’ont plus grand-chose de commun avec le très docile président de la Fed que fut Arthur Burns dans les années soixante-dix. Tous deux sont entourés d’équipes superbes. Mais toutes les banques centrales subissent des pressions constantes, et il leur sera difficile de faire indéfiniment cavalier seul, surtout si les responsables politiques sont affaiblis ou s’enferrent dans des situations désespérées.
L’humiliante défaite de l’Amérique en Afghanistan est un grand pas vers la reconstitution des conditions idéales pour que surgisse une nouvelle tempête qui conduirait au même ralentissement de la croissance et à la même inflation préoccupante que celles qui marquèrent les années soixante-dix. Voici quelques semaines, une légère inflation apparaissait encore comme un problème surmontable. Aujourd’hui, les risques et les enjeux sont plus élevés.
Traduit de l’anglais par François Boisivon