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    Pour une contre-histoire de la Commune de Tolbiac

    Tolbiac

    Lien publiée le 13 septembre 2021

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Pour une contre-histoire de la commune de Tolbiac (lundi.am)

    Cet article fait suite à la publication dans lundimatin du témoignage d’un militant mobilisé lors de l’occupation du centre Pierre Mendès France, alias Tolbiac, survenue au printemps 2018 dans le cadre de la lutte contre l’instauration de Parcoursup. Plus précisément, il y répond, en tentant de suivre le cheminement de l’auteur, dont la mémoire a visiblement été bien altérée par le passage du temps. Le ton est volontiers polémique, car nous concevons l’antagonisme comme étant au cœur de la politique – ou de moins de la nôtre. On ne démêle pas un nœud gordien en lui passant la pommade : on le tranche d’un coup net et puissant. Seule une critique radicale de l’expérience de la commune de Tolbiac nous permettra d’en écrire l’histoire.

    GORGIAS NARCISSIQUE

    Presque rien ne manque au triomphe du révisionnisme. Ni la misère stylistique, ni la bêtise politique. Ni l’aporie de la pensée fétichiste. Écrire l’histoire de la commune de Tolbiac au prétérit : il fallait oser. Il nous est impossible de ne pas condamner fermement l’assujettissement à cette culture moribonde de la littérature pompeuse auquel s’abaisse notre candidat au Prix Pulitzer, et qui culmine dans la manifestation de son orgueil faussement dissimulé de tribun de la plèbe presque innocemment émerveillé – presque – devant son propre discours, qu’il nous fait l’honneur de citer. Que notre aspirant greffier nous pardonne : n’ayant que peu d’attrait pour la démocratie bourgeoise et ses formes, nous avons oublié de garder la trace de nos interventions et devrons nous contenter de critique politique. Critique de la nature et de la forme de ces assemblées générales où notre orateur se sent libre de dispenser ses oraisons, mais dont il ne propose aucune analyse.

    Ces assemblées présentent pourtant d’étranges ressemblances avec les assemblées bourgeoises du monde entier, ne serait-ce que dans leur fonctionnement – laissons de côté, pour aujourd’hui, l’étude des comportements collectifs et de l’organisation architecturale des espaces de discussion : des militants professionnels qui négocient des places dans une tribune maîtresse de l’horloge qui dispense la parole, des organisations structurées qui rusent pour occuper le plus de temps possible au micro et faire avancer leur agenda, des étudiantes et des étudiants non-militants qui quittent l’assemblée parce que la tribune leur a annoncé vingt minutes d’attente avant de leur céder la parole, ou pire encore, parce que la tribune modifie les propositions concrètes et pratiques selon leurs desseins. Sans parler du culte de la majorité à 50% voix + 1, chimère effrayante de notre Gorgias narcissique. Cet assembléisme suspect qui accompagne sa fanfaronnade, son attrait assumé pour les foules assises face aux tribunes, ne laissaient que peu de place au doute à son sujet.

    Nous reconnaissons dans la figure démagogue que l’auteur dresse de lui-même la représentation diplomatique de la société hiérarchique devant elle-même, où toute autre parole est bannie. C’est la plus vieille spécialisation sociale, celle du pouvoir. Le plus moderne y est aussi le plus archaïque. Derrière les références presque publicitaires à l’actualité immédiate, à la culture populaire marchandisée et à la sous-culture politique intégrée, le tribun reste ce qu’il fut toujours, et sera jamais : Gorgias narcissique frappé par la foudre de son éloquence creuse, aveugle devant la misère économique, politique, psychologique et intellectuelle de son auditoire galvanisé d’ennui.

    RÉVISIONNISME FÉTICHISTE

    Notre Gorgias dopé à la figure de style est un menteur doublé d’un fétichiste. D’abord, nous ne respections pas « Tolbiac » – difficile de savoir si l’auteur la considère comme une entité, un symbole, un concept ou une divinité. Nous ne la respecterons jamais. Ni elle, ni aucune autre faculté bourgeoise. Cela peut paraître étonnant pour un étudiant en double-licence histoire-science politique, mais nous n’éprouvons que mépris envers ceux qui s’entêtent à voir dans nos paroles et dans nos gestes une quelconque forme ou tentative de réhabilitation de l’université et de son savoir bourgeois. « Tolbiac » n’a pas non plus été un « lieu de vie et d’éducation pour tou.te.s ». Cet autre mensonge éhonté consacre un peu plus le révisionnisme fétichiste de l’auteur, incapable de regarder en face notre échec cuisant à transformer cette vieillerie d’appareil idéologique mal huilé et désastre architectural qu’est « Tolbiac » en un espace autre qu’un espace de séparation et de spécialisation. Les énormes difficultés rencontrées par les camarades chargé.es de sécuriser l’occupation pendant les soirées incontrôlables – ou plutôt sur qui on déchargeait la responsabilité de le faire – devraient suffire à attester des contradictions qui traversaient l’hétérogénéité et le « liant » que l’auteur tient pour idoles.

    UN AUTONOME CHEZ LES TROTSKISTES

    À ce propos, nous gardons un souvenir amusé de la soirée organisée par le NPA, dont les membres n’ont eu de cesse de dénoncer l’indiscipline et le manque d’organisation des occupantes et des occupants. En effet, le NPA ne voyait pas d’un bon œil les blocages et les occupations, leur préférant les tribunes des assemblées générales et les interventions à la chaîne pour appeler à rejoindre les manifestations hebdomadaires. Mais le 14 avril, les rôles s’inversaient : le petit parti trotskiste organisait une grande soirée de soutien à la grève des cheminot.es, et formait un service d’ordre pour en assurer la sérénité. Ce service d’ordre a enchaîné les réunions de crise à une vitesse effarante : pratiquement une toutes les 1h30. Dans la panique, ses membres avaient même embarqué avec un militant autonome, qui s’était bien marré. Une barrière avait été disposée en travers du hall pour contenir la soirée à la fosse (en extérieur) et au palier de l’amphi N (en intérieur), qui présentait un double avantage : d’abord, il y avait accès à des toilettes ; ensuite, la sécurité incendie, qui avait déjà agressé physiquement des occupantes, pouvait plus facilement nous épier. La barrière n’a pas fait long feu, déclenchant la première réunion de crise. Puis, le service d’ordre appris qu’un groupe de personnes était parti en manifestation sauvage depuis Tolbiac et s’apprêtait à y revenir. Nouvel élan de panique : et si la police les poursuivait ? Parce qu’il ne fallait surtout pas que les forces de l’ordre viennent gâcher la fête, les militants trotskistes s’empressèrent de bloquer l’entrée de la rue Baudricourt en coinçant des chaises en haut de la barrière, afin d’empêcher les personnes de l’extérieur de l’escalader. C’est à ce moment que le camarade autonome intervint : il les réprimanda et leur fit enlever les chaises. Le clou du spectacle fut sans aucun doute le moment où le service d’ordre tenta de fermer l’entrée principale, rue de Tolbiac, en laissant des gens à l’extérieur du site. Ils furent vite freinés dans leur élan par un joyeux binôme, dont la stature aida sans doute les arguments. Mais revenons-en à nos moutons.

    Le peu d’étudiants que le projet d’université « ouverte » [1] a permis de réunir, l’absence quasi-systématique de personnes non-étudiantes aux séminaires organisés dans ce cadre, sont autant de réalités enfouies sous le tapis. Une écriture honnête de « l’histoire » de la commune de Tolbiac aurait tout intérêt à s’emparer d’emblée de ses échecs : échec à sortir du rez-de-chaussée pour investir les étages, dont l’accès avait été bloqué par l’administration et la sécurité du site, et auxquels seule une poignée d’occupantes et d’occupants habiles ont pu avoir accès ; échec à tenir en respect les opportunistes et les bureaucrates qui utilisèrent l’occupation comme tremplin pour promouvoir leurs agendas ; échec à ouvrir le site aux exclus du savoir respectable que l’université « ouverte » continua d’y dispenser malgré son vernis pseudo-révolutionnaire ; échec à subvertir la faculté de sorte que l’étudiant et l’étudiante y soient tout autant légitimes et tout aussi peu suspectes que les trimards venus se réchauffer autour d’un café à 50 centimes. Échec, aussi, à constituer une force de politisation et à forger des liens pérennes en dehors des cercles militants.

    Le mensonge est décidément partout : non, nous n’avons jamais aimé ni animé le quartier ; certains ont même tout fait pour s’en protéger, comme nous aurons l’occasion d’en reparler plus tard. En attendant, nous ne pouvons que rappeler le fait que plusieurs militants ont proposé d’aller à la rencontre des habitants du quartier pour présenter ce qui se déroulait à Tolbiac, et mettre le site à disposition des différentes initiatives solidaires qu’il aurait pu accueillir. Non pas pour que Tolbiac devienne le centre politique du XIIIe arrondissement, et encore moins par amour de l’architecture du quartier et de ses petits commerçants, mais simplement pour que l’occupation dépasse la cadre étudiant dans laquelle elle s’embourbait. Notre Gorgias était visiblement trop occupé à recopier son discours pour suivre ce qui se passait véritablement et donner son avis sur la proposition. À moins que ce ne fut la satisfaction des désirs de son âme qui urgeait un peu trop fort.

    MISÈRE DE LA RADICALITÉ ÉTUDIANTE

    « Nous » voulions tout, notre fin limier du prétérit l’a affirmé. Il a oublié de préciser les contours de cette totalité : la préservation de la fonction de spécialisation de l’université, une forme de contrôle étudiant en plus, et l’élargissement temporaire et contrôlé du public propre à sa double-licence à quelques éléments exogènes disciplinés. Il ne restait alors qu’à ranger la stratégie et la radicalité entre les banderoles et les slogans. Sans doute ce renoncement à toute forme de radicalité tant critique et pratique se manifeste-t-elle de manière plus évidente encore dans le traitement réservé par l’auteur aux manifestations d’antagonisme qui surgissaient régulièrement çà et là, et qui rythmèrent la vie de l’occupation. Insignifiants, vulgaires, balayés d’un revers de la main comme des épiphénomènes indignes de faire l’histoire. Exit les engueulades des assemblées générales. Exit les altercations des comités de mobilisation. Exit les gueulantes de celles et ceux sur qui reposait la sécurité du site, des tours de garde aux garde-manger. Exit, aussi, le racisme ordinaire et le mépris de classe carabiné.

    Pourtant, le développement et l’avenir de l’occupation, comme de toute expérience politique où s’expriment des contradictions et des antagonismes, devait nécessairement dépendre de leur résolution. Il n’y a décidément rien à attendre en matière de politique et de critique radicale, si l’on en pouvait encore douter, des conscrits des formations en science politique, où le politique finit de se confondre avec la communication. Nous mettons à leur disposition une réflexion née de l’expérience de l’organisation de la vie de la commune de Tolbiac, au ton volontairement folklorisé, rédigée trois mois après l’évacuation de l’occupation par les forces de l’ordre :

    « L’assemblée générale soumet les décisions concrètes à une logique parlementariste, avec sa majorité à 50% et une voix, et son pouvoir exécutif monté en tribune – où ont l’habitude de siéger les professionnels des instants interminables.

    De plus, la reproduction de ce schéma contribue à la neutralisation des élans positifs, qu’il soumet à la sanction d’une légitimité autoproclamée, entièrement fondée sur le consensus du consensus. Quiconque souhaite sincèrement pendre part à la mobilisation doit se plier à la rigidité formaliste de cette plateforme qui, si elle parvient à générer une certaine médiocrité formatée, n’autorise en rien le déploiement et l’épanouissement d’une praxis véritablement révolutionnaire.

    Quant aux autres plateformes (comités de mobilisation, d’action et d’initiative, etc), elles ne sont jamais que des expédients dérivés des assemblées générales. Elles ne tardent jamais à succomber aux velléités des éléments les plus immobilistes.

    * * *

    La première tâche de notre mobilisation doit être la création d’une organisation de base, au service de l’action et de la lutte révolutionnaire. Pour commencer, le pouvoir décisionnaire de l’assemblée générale doit être confisqué par les autres plateformes. Celles-ci sont bien plus légitimes, puisqu’elles n’offrent pas à la réaction la capacité de s’organiser. L’anti-autoritarisme est un principe d’organisation qui nous concerne, c’est-à-dire qu’il s’applique dans notre propre camp. L’appliquer à nos ennemis politiques est tout à fait absurde, car il est un outil d’organisation et de lutte, et pas seulement une valeur morale.

    * * *

    Comme on ne construit pas sur des luttes de factions, nous avons besoin de liberté de discussion et d’unité d’action. Les plateformes d’organisation de la lutte offrent un cadre de débat et de discussion. Les décisions collectives, majoritaires ou consensuelles, doivent être respectées : les succès et les échecs d’une position ou d’une proposition la rendront majoritaire ou minoritaire. »

    ENNEMI ENDOGÈNE, ENNEMI EXOGÈNE

    Force est de constater que, pour consciencieux qu’il soit lorsqu’il s’agit de mémoriser les paroles de l’Hymne des Femmes et d’en partager le souvenir, notre écrivain préféré ne fait à aucun moment allusion à la grève féministe du travail domestique, lancée par les camarades victimes du patriarcat pour protester contre la charge mentale et la répartition genrée des tâches sur le site. Idem pour le lock-out de l’espace cuisine, soigneusement passé sous silence lui aussi, décidé par une poignée d’occupants et d’occupantes éreintées, excédées de constater les abus – pourtant bien gravés dans la mémoire de l’auteur, eux – et qui se sont résignées à jouer les vigiles pour protéger les denrées alimentaires. Ces personnes l’ont fait la mort dans l’âme, conscientes qu’il s’agissait là d’un aveu d’échec : il n’était pas juste question de personnes malveillantes, mais bien de l’incapacité politique du cadre autogestionnaire de Tolbiac à faire régner une certaine forme d’autodiscipline.

    Force est de constater, également, la teinte d’hygyénisme et d’égocentrisme qui pousse l’auteur à appuyer autant sur sa participation logique aux tâches ménagères, tout en se plaçant immédiatement dans un rapport d’extériorité dès qu’il s’agit d’évoquer la saleté des lieux – notre sang, leur sueur. Cette ambivalence nous rappelle, s’il est possible de les avoir oubliées, les aspirations véritables de l’auteur : incarner une représentation démagogique et diplomatique de « Tolbiac ». Il fallait bien que ce soit quelqu’un capable de captiver les amphithéâtres et de se laver les dents trois fois par jour.

    Pas comme ces saboteurs de l’extérieur, envahisseurs parasitaires exogènes caractérisés par l’assouvissement frustré et animal de leur besoin de « se vider ». Il y aurait beaucoup à dire sur le racisme plus ou moins conscient de cette diatribe dont tout le monde se serait volontiers passé. Il y eut, d’ailleurs, beaucoup à dire sur les manifestations de racisme plus ou moins ordinaire qui rythmèrent l’expérience de l’occupation des personnes non-blanches, participantes occasionnelles comme à temps plein. Pas de quoi faire histoire, visiblement.

    DE LA LÂCHETÉ EN MILIEU ÉTUDIANT

    Étonnamment, donc, celles et ceux accusés de ne pas « respecter » « Tolbiac » s’avèrent être les ennemis extérieurs, rejetés du système universitaire et suspects permanents du rez-de-chaussée de la faculté occupée, sur qui n’a cessé de planer la sempiternelle présomption de culpabilité chaque fois qu’un téléphone branché dans un recoin perdu s’égarait – le coup des voleurs de téléphone a décidément de l’avenir devant lui – ou que des biscuits n’étaient pas rangés à leur place. Ingratitude, également, de ces bandes de narvalos virilistes, tantôt parias tantôt camarades, toujours bons à assurer la sécurité des occupants respectables retranchés dans leur lâcheté et vautrés dans leur suffisance à déléguer.

    Un occupant fit l’amère expérience de cette délégation de la violence, accompagnée d’une critique de façade de la spécialisation endossée par une partie de ses camarades : mandaté par une congénère béni-oui-oui pour exfiltrer un élément indésirable, il découvrit in extremis que l’énergumène était en possession d’une arme blanche. Tournant les talons sans délai pour en informer sa mandataire, notre infortuné la surprit bien au courant de l’existence du couteau, à se repaître d’avoir envoyé au casse-pipe un vulgaire assigné-bourrin, enrôlé malgré lui dans ce qui ne constitue aujourd’hui qu’une lointaine et malheureuse anecdote, mais qui manqua de peu de passer à la postérité comme un drame. Sans doute, la disparition de notre aventurier-malgré-lui eût moins marqué notre auteur que celle du vidéoprojecteur « à plusieurs milliers d’euros », dont il faudrait aujourd’hui faire le deuil. Sa destruction présumée – ou son vol, car après tout, sans accuser personne, il faut bien rappeler le nombre d’éléments exogènes et endogènes indésirables qui passaient alors dans les parages – fut à coup sûr une atteinte à nos personnes, à notre réputation et à notre Ministère chéri, sans qui ce vidéoprojecteur n’aurait jamais été là, ni n’aurait projeté autant de PowerPoints soporifiques à autant de légions d’étudiants assommés. Espérons que les infâmes saboteurs de matériel public soient un jour retrouvés et passés par la corde. Assurément, ce ne seront pas les mêmes qui parvinrent à rétablir le courant en trompant la vigilance des agents de sécurité et en atteignant le générateur aux sous-sols...

    MOMENT INTERLUDE INCONGRU

    Miracle ! Au moment d’évoquer « l’affaire LCI » dans sa sous-partie intitulée « Divisions », il semble que nous rejoignions l’auteur comme nous le firent visiblement ce jour-là dans l’amphithéâtre où nous déboulâmes en trombe – avertis par un camarade alors que nous roupillions dans l’amphi-dortoir. Mais cette convergence est de courte durée. A peine le temps de s’en réjouir – en essayant d’oublier le ton pathétiquement sur-dramatisé et victimaire du passage – que l’auteur se vautre à nouveau dans une métaphore animalière, en manquant selon nous l’essentiel : il n’y a de bêtes immondes que les bureaucrates, à la face desquels tous les crachats sont bons à revendiquer.

    QUELQUES CORRECTIONS SUPPLÉMENTAIRES

    Nos souvenirs et ceux de l’auteur diffèrent quant à l’identité des étudiants sortis manu militari de l’amphi N en pleine AG. Il nous semble en effet qu’il s’agissait davantage de militants de la Cocarde étudiante, syndicat issu d’une tendance droitière des Républicains ralliés au Rassemblement National – contrairement à l’UNI (Union Nationale Inter-universitaire), qui est de droite mais pas (encore) extrême, et dons les clowns d’adhérents n’ont jamais à notre connaissance porté la confrontation sur le terrain de la violence. Il va sans dire que ni l’UNI ni la Cocarde ne sont des nids d’espions, contrairement à ce que pense visiblement notre Gorgias paranoïaque. Ce qui est certain, et que nous tenons à rappeler ici, c’est que ces pitres n’ont en aucun cas été les instigateurs de l’échauffourée ce jour-là. Au contraire. La camarade qui enjamba les rangées leur a calé son pied dans les dents. Un autre s’est jeté dans le tas depuis quelques rangées derrière. C’est à ce moment-là que nous avons rejoint la mêlée qui s’est achevée par une leçon de respect à l’extérieur, devant les portes de l’amphithéâtre.

    N’en déplaise à l’auteur, la violence était omniprésente tout au long de l’occupation, elle en devenait presque banale. Elle a toujours été, et sera toujours, le lot quotidien de l’action politique révolutionnaire. Dans le hall de Tolbiac, c’est la violence qui s’imposait à nous. Notre plus grand échec est certainement d’avoir trop attendu, de n’avoir pas osé prendre acte de cet état de fait, et de nous être enfermés au milieu d’ennemis : opportunistes intraitables, organisations bureaucratiques, agents de sécurité chargés de nous contenir au rez-de-chaussée, sécurité incendie habituée à malmener les occupants, patrouilles policières à l’extérieur, fêtards bourrés et dangereux. Face à ceux qui se comparent aux Communards de 1871 dans leur pédanterie crasse et ridicule, nous portons le souvenir analytique de nos échecs. Quant aux regrets, nous n’en éprouvons qu’un : celui de ne pas avoir assumé une violence à la hauteur des enjeux de la mobilisation, de nos ambitions et de nos mots d’ordre.

    Puisqu’il s’agit ici d’histoire, il nous semble important d’en raconter une : celle de la soirée du 12 avril. Ce soir-là, l’occupation éphémère de la Sorbonne avait fait son heure. La police, qui craignait un repli stratégique massif vers Tolbiac, s’était positionné à ses abords par précaution. A l’intérieur, il y avait du monde. Beaucoup de monde. La fanfare, aussi. A l’extérieur, les gens affluaient : la forte présence policière avait fait croire à tous, nous compris, que le moment de l’évacuation était venu. Dans l’urgence, nous nous sommes emparés d’une corde avec laquelle nous avons attaché le portail au préau : cachée derrière les banderoles accrochées aux grilles du site, la corde devait empêcher les forces de l’ordre de débloquer la grille, les obligeant à emprunter la petite porte et à s’engager dans les escaliers à la queueleuleu. Puis, nous avons rassemblé des sacs de projectiles et les avons confiés à des camarades, en cagoule et anonymes, en leur indiquant les amphis d’été : une personne au tir, une seconde à l’affût pour sonner la retraite et informer les autres postes de défense de l’avancée policière. Le portail arrière, rue Baudricourt, était renforcée et prête à sombrer sous un déluge de projectiles en tout genre. Nous avions même barricadé l’espace entre le rebord de l’amphi d’été situé au-dessus de l’amphi N et la tour que le jouxte. Et nous avons attendu, sous tension. Nous pouvons affirmer sans grand risque de nous tromper que notre plus grande erreur fut d’attendre. Nous aurions dû lancer les festivités. Sans doute aurions-nous dû écourter notre séjour à Tolbiac immédiatement après, mais la fin du voyage n’en aurait que plus grande.

    LES MOTS DE LA FIN

    Nous ne commenterons pas la dernière partie de l’article, consacrée au blocage des partiels après l’évacuation de l’occupation. Nous nous contenterons d’énoncer ce qui nous paraît constituer les seules revendications pragmatiques face à ce que l’auteur appelle « l’Institution », et que nous identifions comme l’appareil idéologique bourgeois universitaire : des diplômes gratuits pour l’ensemble des personnes présentes sur le territoire national, un hélicoptère et un million de dollars américains. Tout le reste n’est que dérive bureaucratique, trahison sociale-démocrate ou idéalisme gauchiste.

    Toute tentative d’écrire l’histoire d’une expérience politique doit nécessairement s’atteler à produire un raisonnement politique concernant les forces en présence et leurs intérêts contradictoires, la conjoncture de cette expérience (temporalité, localisation, possibilités et contraintes liées à l’architecture des lieux), le degré de violence qui s’y exprime et les enjeux de sa gestion, ses perspectives et ses limites. Ce raisonnement manque à l’article publié sur Lundi Matin, contrairement à la pédanterie science-piste qui empêche l’auteur de dépasser ses intuitions, parfois justes.

    L’intelligence politique doit être collective. Sans doute, la plus grande réussite de l’occupation de Tolbiac fut-elle d’avoir permis à certaines de ses composantes de dépasser leurs préjugés, d’affiner leurs capacités d’adaptation et d’organisation – bref, de progresser par et dans la pratique indépendamment des structures ordinaires, moribondes et sclérosée de l’agitation estudiantine faussement radicale.

    * * *

    Juillet 2021,

    Pour les brutes, les brebis galeuses, les pirates du fond de l’amphi.

    Construisons l’unité d’action ! (28 juillet 2018)

    [1] Tentative d’auto-organiser des séminaires, des conférences et des débats ouverts aux personnes non-étudiantes, afin que le site occupé conserve sa fonction universitaire. Ce respect de l’institution, réformée sous un vernis démocratique éphémère, devait aussi servir à légitimer l’occupation – mais auprès de qui ?