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Capital et guerre : Evergrande et AUKUS, signaux d’alerte
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Deux évènements importants, par rapport à l’évolution mortifère du capitalisme mondial, se sont produits cette semaine.
Mardi 14 septembre, le n°2 de l’immobilier chinois Evergrande, a fait savoir qu’il n’était pas en mesure de payer une échéance d’intérêts prévue le 20 septembre, mettant à l’ordre-du-jour le risque de ce qui serait la plus grande faillite au monde depuis Lehman Brothers le 15 septembre 2008. C’est bien sûr le pouvoir chinois (comme dans tout autre grand pays impérialiste) qui décidera entre liquidation, renflouement et nationalisation.
La spéculation immobilière intriquée à l’État, au crédit, à la finance, aux rentes foncières et à la corruption, constitue le foyer central du capitalisme chinois et de son intégration au marché mondial des capitaux, et l’effondrement du cours des actions d’Evergrande porte déjà un coup global à la « prospérité » de la première région industrielle du monde qu’est le secteur de Shenzhen/Guangzhou/Hong-Kong.
Deuxième grand évènement, Mercredi 15 septembre, le président nord-américain Joe Biden et les premiers ministres britannique, Boris Johnson, et australien, Scot Morrison, proclamaient une nouvelle alliance, un « partenariat stratégique » comportant l’engagement de Washington et Londres à équiper l’Australie en matière de sous-marins à propulsion nucléaire, d’intelligence artificielle, de technologies quantiques et de cybersécurité, autrement dit de cyber-guerre. Avec un sigle : AUKUS (Australie, United Kingdom et United States). Corollaire immédiat, l’Australie va s’équiper en sous-marins à propulsion nucléaire auprès de Washington et de Londres, et casse le contrat signé avec la France et le groupe français Naval Group, « leader européen du naval de défense », d’environ 31 milliards de dollars, pour la fourniture à l’armée australienne de sous-marins à propulsion non nucléaire.
Cette « trahison », cette « félonie », a provoqué un caca nerveux diplomatique français d’autant plus formidable qu’il est impuissant, avec rappel des ambassadeurs à Washington et Canberra (mais, notons-le, pas à Londres), dénonciation de Joe Biden comme ne valant pas mieux que Trump, etc.
Des intérêts financiers sont en jeu (que paieront au final les salariés des secteurs liés à la « défense »), mais les motivations premières de cette affirmation militaro-diplomatique des impérialismes « anglo-saxons » sont avant tout politico-militaires. Il y a un enchainement du retrait US d’Afghanistan, qui, bien que programmé, a pris la forme d’une panique catastrophique, à l’affirmation de l’AUKUS par les sous-marins nucléaires. Tout se passe là comme si la lourde défaite continentale, eurasiatique, de l’impérialisme US, devait être rapidement compensée dans l’espace maritime, dit « indopacifique ». L’impérialisme chinois suivi de l’impérialisme russe prend le dessus en Asie centrale, mais l’impérialisme nord-américain suivi de l’impérialisme britannique et de l’ex-colonie australienne rappelle et renouvelle sa puissance maritime et donc globale, planétaire. Et le mythe géopolitique de l’Indopacifique répond à la non moins mythique Eurasie.
La crise « de confiance » avec Londres, manifeste lors de la fuite hors de Kaboul, devait d’ailleurs être rattrapée très vite ; c’est chose faite, dans une relation qui, en fait, confirme le second rang de l’impérialisme britannique dont les contradictions seront au final aggravées.
Et, donc, l’impérialisme français s’est fait écraser les pieds au passage, et il couine d’autant qu’il jouait ces temps-ci l’allié zélé en mer de Chine, et n’est en rien récompensé. Scot Morrison, l’homme qui se fout des incendies qui détruisent son pays du moment que c’est la bourse qui flambe, n’a qu’un seul sens, celui des affaires. Et ce sens lui dit que la France est dévaluée et devient un machin déplacé dans le Pacifique Sud. Au passage ceci signifie que la Nouvelle-Calédonie est jugée inviable dans le cadre français, cela à moyen terme, voire à court terme.
Notons que la Nouvelle-Zélande a manifesté sa désapprobation envers ces grandes manœuvres en faisant savoir qu’il était par avance interdit aux sous-marins australiens à propulsion nucléaire de pénétrer ses eaux territoriales.
La logique de Washington, Londres et Canberra est l’encerclement maritime de la Chine, ce qui implique de renforcer les coopérations militaires avec, notamment, l’Inde et le Japon. L’encerclement maritime devient d’autant plus urgent que l’encerclement continental est en échec, la contre-révolution des talibans comme la contre-révolution de Tatmadaw (larmée birmane) étant adossée à la Chine.
D’une certaine façon, l’AUKUS répond aux « nouvelles routes de la soie » de Xi Jinping. Mais si celles-ci sont une nouveauté planétaire, manifestant les besoins d’investissements des capitaux chinois, l’AUKUS, malgré sa force et son ampleur géographique, n’est que la répétition bégayante de vieux schémas, entre des vieux partenaires affligés d’une même sénescence.
Pour autant, le capitalisme chinois, s’il tente de forcer le passage, n’est pas plus juvénile. Le mode de production capitaliste est mondial et ses tendances pourrissantes, baisse du taux général de profit, éviction de la production de centaines de millions d’humains et surexploitation des autres, destruction de la biosphère saisie comme un réservoir et une poubelle sans limite au service du taux de profit, financiarisation, rente, corruption, béquilles étatiques … sont criantes précisément dans la dernière grande puissance impérialiste de son histoire sanguinaire, qu’est la Chine.
Deux points chauds émergent au premier plan dans l’affrontement Chine/EU : le Pakistan, intégré aux « routes de la soie » chinoises, et la mer de Chine.
Dans les deux cas, la lutte sociale de celles et de ceux d’en bas cherche à rattraper et dépasser l’affrontement inter-impérialiste et la guerre menaçante. La résistance aux talibans en Afghanistan, les mouvements sociaux au Pakistan, le mouvement paysan indien, offrent l’autre issue, celle de la paix et du genre humain, gérant ses ressources en Boni Patres Familias comme disait … Marx !
De même, la connexion entre la lutte armée des peuples du Myanmar et la lutte démocratique à Hong-Kong porte elle aussi cette issue. L’histoire pèse, certes, pour l’intégration de Hong-Kong et de Taiwan à la nation chinoise. Mais l’oligarchie du PCC n’a pas réalisé les tâches appelées, par antiphrase, « démocratiques bourgeoises », et les populations de Hong-Kong et de Taiwan ne veulent pas aujourd’hui être intégrées à une nation chinoise construite par en haut. Elles portent pour tous les Chinois l’aspiration à la démocratie et à la construction nationale par en bas. C’est pourquoi nous ne devons soutenir ni la pression impérialiste US et son emprise sur le Japon, la Corée du Sud et Taiwan, ni les poussées impérialistes chinoises au contrôle de toute la zone. Le risque de guerre est ici le plus élevé, mais les aspirations démocratiques des peuples aussi. Le développement capitaliste chinois est incompatible avec elles.
Les développements dont traitent cet article doivent être compris dans le cadre plus vaste de l’impasse capitaliste planétaire, et des formes inédites combinant « mondialisation » et fractionnement des marchés, qui émergent actuellement. J’y reviendrai dans un prochain article.
VP, 18/09/21.