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La comparaison de Tapie à Rastignac par Macron est abjecte.

Lien publiée le 4 octobre 2021

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La comparaison de Tapie à Rastignac par Macron est abjecte. (mediapart.fr)

Nous ne le dirons jamais assez : les références aux figures de la littérature classique par les hommes de l'ordre libéral français - Macron en tête - sont un travestissement du sens de ces oeuvres et partant une abjection.

J’ai déjà écrit sur ce blog désormais un peu en déshérence un papier pour contester la mainmise de tous les petits roquets et chacals de la finance - dont Macron en tête de gondole - sur la figure de Rastignac le personnage de Balzac. Thréard a quant à lui comparé Tapie à Jean Valjean (et BHL aussi, sur Twitter), ce qui est risible et constitue une injure à Victor Hugo. Si Tapie est Jean Valjean, il est un Jean Valjean qui ne culpabilise pas d’avoir volé à Petit Gervais sa pièce au début des Misérables et dans une scène pourtant essentielle pour la suite du roman.
Dans le roman de Hugo, après ce vol, Valjean qui a déjà rencontré Myriel le curé de Digne bascule et se convertit au bien - chrétien en l’espèce - dans une figure qui rappelle la conversion de Paul mais d’autres aussi notamment via les larmes. Ces larmes sont celles d’une compassion pour l’humanité, le retour sur le chemin du cœur et l’adhésion aux Béatitudes. Rien de tout ça chez Tapie. Tapie, c’est la force, la gagne, le mépris des pauvres gens. Aucun rapport avec Jean Valjean. Tapie, c’est Thénardier devenu ministre. Au lieu de faire les poches des blessés et des morts à Waterloo, il aura crucifié des usines et ruiné les vies de leurs ouvrières et ouvriers. S'acharner sur le cas Thréard, plumitif d'extrême-droite, c’est facile, ça. Relevons surtout que l’élite financière est un ramassis d’incultes étouffés par leur morgue de classe mais ne sachant pas lire.
Venons en à Rastignac. Celui-ci apparaît dans plusieurs romans de Balzac mais il est surtout central dans Le Père Goriot qui constitue le Bildungsroman dont il est le héros - et Goriot le personnage objet de l'intrigue.
Ce roman qui se déroule sous Louis XVIII est l’illustration des thèses de Marx dans Le Manifeste. « La dissolution des vieux liens dans les eaux glacées du calcul égoïste » explique que Goriot finisse seul. Celui-ci, dépossédé de sa fortune puis abandonné par ses filles adorées - Delphine et Anastasie - au dernier étage - celui des pauvres - de la pension où il réside, meurt presque seul, entouré uniquement de l'étudiant en droit Rastignac et de l'étudiant en médecine Bianchon. La "loi d'airain du capital" dont parle Karl Marx est ici illustrée.
Quand Macron compare Tapie à Rastignac, c’est immonde et absurde à divers titres. Rastignac pleure Goriot. Il est horrifié par le spectacle de ces filles uniquement intéressées par l’argent que leur père leur donne sans compter (il y a dans tout ça évidemment un écho du Roi Lear de Shakespeare). Il versera « sa dernière larme de jeune homme » à l’enterrement de Goriot.
Entre temps, il a discuté avec Vautrin qui lui a expliqué que dans la vie, on ne réussit que par le génie ou la corruption. Rastignac a d’abord été choqué par ce cynisme mais encerclé par l’épaisse réaction de la Restauration, il finit par abandonner ses illusions romantiques et se rallie à l’air du temps en devenant, définitivement pourrait-on dire, l’amant de Delphine de Nucingen née Goriot. Notons que Vautrin méprise le travail qui ne rapporte rien dans la société capitaliste. Bel aveu en creux de Macron dans la mise en avant du Rastignac rallié au cynisme de Vautrin car en effet, seule la corruption enrichit. De fait, tout le discours sur le travail ou "la valeur travail" est un abject enfumage de classe.
Après ce roman, Rastignac n’intéressera plus Balzac dont cependant la figure du jeune homme qui échappe à un destin socialement broyé en optant sciemment pour la corruption aura d’autres échos - y compris renversés - dans La Comédie humaine. Ainsi Lucien Chardon (de Rubempré) mais aussi Daniel d’Arthez de l'incorruptible Cénacle qui, lui, ne cède pas sur son désir de probité et d'indépendance intellectuelles mènent-ils des existences qui interrogent la notion funeste et sinistre de la réussite, de la gagne.
Le Rastignac dont se gargarise Macron n’est en vérité que le déchet du héros qu’Eugène aurait pu être. Eugène est déjà, avant Lucien Chardon, une illusion perdue.
Macron a pour les pauvres de ce pays le même rapport que les résidents de la Pension Vauquer ont à Goriot. Enfin, il ne comprend même pas le propos de Balzac. C’est un véritable imbécile qui en comparant Tapie à Rastignac crache à la face des "derniers de cordée" son amour de la corruption.