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Télétravail, chômage, réorganisation de la production : pandémie et effet d’aubaine

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Lien publiée le 16 octobre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Télétravail, chômage, réorganisation de la production : pandémie et effet d’aubaine | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)

Marlène Benquet, sociologue au CNRS, est intervenue à l’université d’été du NPA pour analyser les liens entre la pandémie et l’organisation du travail.

L’Anticapitaliste : Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur l’organisation du travail et de l’emploi ?

Marlène Benquet : Le gouvernement a prétendu mettre en place des mécanismes dits protecteurs des travailleurs et travailleuses sur les plans sanitaire, économique et social. En fait, il a profité de cette période pour faire passer des réformes qui fragilisent directement les conditions de travail et d’emploi et encourager le développement de la flexibilité du travail.

En pratique, deux grands moments législatifs ont encadré le travail en période de Covid.

Conformément aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». L’ordonnance du 26 mars 2020, valable jusqu’au 30 septembre 2021, ne protège pas les salariéEs et au contraire fragilise leurs conditions de travail et d’emploi : elle autorise par exemple les employeurs à mobiliser une partie des congés et/ou repos des salariés. Ainsi, les employeurs peuvent imposer jusqu’à 8 jours de congés payés à ses salariés (contre 6 depuis mars 2020) en ne respectant un délai de prévenance que d’un jour franc au minimum (contre un mois auparavant).

En ce qui concerne les autres congés (repos, RTT, jours portés sur un compte épargne temps, à l’exception des congés pour événements familiaux, l’employeur peut imposer unilatéralement jusqu’à 10 jours de congés en respectant un délai de prévenance d’un jour franc au moins.

L’aménagement du poste de travail peut être imposé par l’employeur qui peut exiger du salarié de télétravailler jusqu’à la fin de la période d’incubation.

En cas de contamination d’un salarié, les mesures suivantes devront être prises : équipement des personnes en charge du nettoyage des sols et surfaces avec port d’une blouse à usage unique et de gants de ménage (le port de masque n’est pas obligatoire !), entretien des sols et des surfaces en privilégiant une stratégie de lavage-désinfection humide, nettoyage avec un bandeau de lavage unique imprégné d’un produit détergent, rinçage à l’eau potable avec un autre bandeau de lavage à usage unique, un temps de séchage suffisant, désinfection avec de l’eau de javel diluée avec un bandeau de lavage à usage unique, et il n’y a pas d’obligation pour les entreprises en termes d’aération sur le lieu de travail alors même que c’est là la clé de la contamination.

Dès lors que ces mesures sont mises en œuvre par l’employeur, la seule circonstance qu’un salarié a été contaminé ne suffit pas à considérer qu’il s’agit d’un motif raisonnable pour exercer son droit de retrait.

Quel rôle ont joué les mesures économiques dans la foulée du « quoi qu’il en coûte » ?

Le Plan de relance, intitulé que les gouvernements de tous les pays ont donné aux sommes déversées dans l’économie, « argent magique » dont seul 0,8 % est destiné aux plus précaires, représente 100 milliards débloqués par le gouvernement français, 130 milliards par l’Allemagne. Le Monde du 8 septembre 2020 commente : « En quelques semaines, avec une vitesse et une détermination qu’on ne lui connaissait guère, l’Allemagne s’est affranchie de tabous qui formaient le cœur de sa politique économique depuis des années. ». En France, « le budget voté au mois de juin prévoit l’émission de nouvelles dettes, portant l’endettement total de l’année 2020 à 218,5 milliards d’euros, du jamais vu. »

Ce même virage s’observe dans la plupart des pays européens : les banques centrales européennes tiennent guichets ouverts devant le système bancaire et les grandes entreprises. 

Mais il s’agit d’un plan de relance purement financier qui ne comprend aucune prise de contrôle de l’État dans l’économie. L’État ne pallie pas directement les défaillances de l’investissement privé par des investissements publics. Cette situation est très différente de celle de la France au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale où, pour permettre à l’économie capitaliste de redémarrer après les destructions de la guerre, l’État a pris le contrôle d’une part des entreprises du pays.

Que les sommes accordées aux entreprises prennent la forme d’aide ou de crédit, elles ne s’accompagnent d’aucune contrepartie. Les propriétaires de l’entreprise touchent l’argent public, l’utilisent pour s’acquitter d’une part importante des dépenses en salaires, loyers ou autres, sans obligation de consacrer une part des sommes à l’investissement productif, sans obligation de ne pas licencier ou de ne pas fermer de sites et sans contrainte de ne pas le verser aux actionnaires. Par ailleurs, ce plan de relance ne s’accompagne d’aucune contrepartie sociale ou écologique pour les entreprises.

À l’opposé, on constate une augmentation brutale de la pauvreté notamment au travers de l’augmentation du nombre de familles dépendant de la distribution alimentaire. Des difficultés attestées par la faillite de 62 000 entreprises en 2020 dans le petit commerce soit une augmentation de 32 %. Une incertitude pour les travailleurs de l’industrie, de l’hôtellerie, du spectacle ou du tourisme…

Et quel impact sur l’emploi ?

Il y a tout d’abord les destructions d’emplois. Au plus fort de la crise, lors du premier confinement du printemps 2020, le patronat a détruit plus de 700 000 emplois en un temps record. Une baisse encore plus marquée pour les emplois précaires (intérimaires, CDD) avec, dans l’intérim, 78 000 emplois équivalents temps plein détruits en 2020. Ensuite le chômage avec, de juillet à septembre 2020, 628 000 chômeurs de plus soit 2,7 millions au total.

Puis, le développement du chômage partiel. Fin 2020 : 1,6 million de salariéEs au chômage partiel notamment dans trois secteurs : l’hébergement-restauration (470 000 salariéEs concernés), les services aux entreprises et le commerce (240 000 salariéEs chacun). Beaucoup de salariéEs se sont tournés vers des secteurs qui ont connu un essor avec la crise sanitaire, tels que la livraison à domicile et la vente à distance. Cela a conduit à un boom du nombre de micro-entrepreneurs, qui sont 650 000 à avoir nouvellement adopté ce statut entre août 2020 et août 2021, soit 41 % de plus que l’année précédente.

…et les conditions de travail ?

Les travailleurs/ses les plus exposéEs au Covid sont les ouvrière et ouvriers du secondaire ou du tertiaire : soignants, puis éboueurs, salariés des centres de tri des déchets, conducteurs de bus, chauffeurs routiers, caissiers, agents de sécurité des commerces et transports en commun, salariés des abattoirs et de la transformation de la viande, des pompes funèbres, enseignants, forces de l’ordre, personnels pénitentiaires, assistantes maternelles, conducteurs, facteurs/et livreurs sur courte distance, les chauffeurs de taxi et de VTC, tous les personnels de commerce d’alimentation. La géographie de la maladie montre aussi que les territoires les plus denses et pauvres ont aussi été les plus touchés par le Covid. L’absence d’organisation de la protection de la grande majorité de ces salariéEs qui a prédominé pendant des mois avec l’obligation de continuer à travailler, à se déplacer.

Quel bilan, provisoire, de la généralisation du télétravail ?

Globalement le développement du travail est une bonne affaire pour le patronat. En effet, pour beaucoup de nouveaux télétravailleurs/ses, le télétravail a signé l’extension et l’intensification du travail. Ce qui déterminait sa durée, ce n’était plus un nombre d’heures imposées, même annualisé, mais les tâches fixées par l’employeur. Le télétravail rend très difficile le droit et la possibilité à la déconnexion. Les télétravailleurs/ses ont globalement de plus longues journées de travail que les travailleurs sur site et sont plus productifs.

En outre, il crée de fortes difficultés à séparer la vie privée de la vie professionnelle et entraîne une réduction des liens avec les collègues. Une situation particulièrement difficile pour les jeunes actifs/ves dont les logements sont souvent trop petits et qui peinent à apprendre leur nouveau métier sans contact réel avec d’autres : 81 % des 25-30 ans sondéEs après le confinement souhaitaient retourner sur site.

Une bonne affaire donc pour les employeurs car il permet la réduction des coûts et l’individualisation du travail.

A contrario, la réduction de l’empreinte écologique est un argument sans certitude. Si le coût écologique des transports notamment individuels devrait certes diminuer avec l’extension du télétravail, l’éclairage, le chauffage, la restauration, consomment plus d’énergie en étant individualisés au niveau des foyers qu’en étant collectifs.

Au total, à ce jour, on ne peut pas avoir d’avis tranché sur le télétravail en lui-même car ses effets sur les travailleurs dépendent du contexte dans lequel il est mis en place : des conditions de travail des salariés, de leurs conditions de vie (pièce pour travailler, présence des enfants, solitude ou non), de leur conditions de santé physique et mentale, des modalités d’application selon les entreprises (prise en charge par l’entreprises des couts du télétravail (imprimante, encre, ordi, connexion internet, mais aussi gaz, électricité, chèque déjeuner…), etc.

Mais, plus globalement, le gouvernement a profité de la déstabilisation sociale pour faire passer des réformes qui fragilisent des travailleurs ?

Tout d’abord le pouvoir a tenté de maintenir la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage décidée en 2019. Celle-ci vise à durcir les règles d’indemnisation et à lutter contre les recours excessifs aux contrats courts. La réforme fut reportée, avant que le gouvernement ne décide finalement de l’appliquer au 1er juillet 2021, avec plusieurs aménagements. Le durcissement des conditions d’ouverture de nouveaux droits (il faudra avoir travaillé six mois sur les 24 derniers, au lieu de quatre mois actuellement) n’entrera en vigueur qu’en cas de retour à de meilleures conditions économiques. Mais, bonne surprise, le Conseil d’État suspend en juin dernier le cœur de la réforme, estimant que les « incertitudes sur la situation économique » ne permettent pas de mettre en place les nouvelles règles. Le gouvernement est alors contraint de prolonger le dispositif actuel jusqu’au 1er septembre. Mais en juillet dernier, Emmanuel Macron assure malgré tout que la réforme sera « pleinement mise en œuvre dès le 1er octobre ».

La réforme des retraites, stoppée par la pandémie n’est toujours pas officiellement reportée avec les menaces de report de l’âge de départ à la retraite, mise en place d’un fonctionnement systémique par points, régime unique qui viendrait remplacer les régimes spéciaux. « Je ne lancerai pas cette réforme tant que l’épidémie ne sera pas sous contrôle et la reprise bien assurée » a déclaré le chef de l’État.

Cela s’inscrit dans une tendance de fond de modification des relations dans l’emploi ?

Ces changements vont dans le sens d’une évolution plus générale du salariat vers l’individualisation du travail, vers l’auto-entreprenariat, où un contrat de type commercial se substitue au contrat de travail.

Le salariat est associé à l’existence de conditions de travail communes, à l’appartenance à un collectif de travail. L’ensemble est associé à des protections collectives et à des capacités de résistances collectives.

Les travailleurs/ses autoentrepreneurs/ses sont en réalité des salariéEs, comme vient de le montrer une série de décisions très importantes – dont celle rendue il y a quelques semaines par la Cour de cassation requalifiant un chauffeur Uber en salarié –, mais ils ne bénéficient d’aucune des protections du salariat, notamment les limitations du temps de travail, les congés et l’indemnisation chômage.

Propos recueillis par Robert Pelletier