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Travailleurs saisonniers : exploitation maximale
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Peut être vous souvenez-vous du coup de chaud qu’a connu « l’agriculture française » au mois de mars 2020. Au cœur de l’épidémie de Covid et face à la restriction des déplacements des travailleurs saisonniers, les exploitants agricoles ont craint de ne pas être en mesure de trouver la main d’œuvre nécessaire pour récolter fruits et légumes.
Les pontes de la filière ont alors fait jouer à plein leur pouvoir de pression. S’en est alors suivi un pathétique appel, sur le plateau de BFMTV, de Didier Guillaume (alors ministre de l’Agriculture) à "l’armée de l’ombre des hommes et des femmes" qui "n’ont plus d’activité" à investir les champs et les serres. En parallèle la plate forme numérique "des bras pour ton assiette" (perso on préfère une fourchette et un couteau) proposait la mise en relation d’agriculteurs en demande de main d’œuvre avec des volontaires désireux de leur venir en aide voire de décrocher un CDD. Si le bilan exact de l’opération reste difficile a établir, on peut sans aucun doute relever l’échec de l’initiative. En effet alors que près de 300 000 personnes s’étaient inscrites sur la dite plate forme, on dénombrait fin juin 2020 moins de 1000 missions proposées. Quant aux "chanceux" qui avaient pu être recrutés, près d’un sur trois n’était pas allé jusqu’au bout de leur mission jugeant que celle-ci ne correspondait pas à leur attente ou trouvait le travail trop dur.
Cet épisode a eu un mérite, celui de mettre en évidence l’invisibilité des travailleur·ses temporaires de l’agriculture dans l’espace public. Le modèle « agro-industriel » qui garantit aux consommateurs d’avoir toute l’année des fruits et légumes à foison et à bas prix s’appuie en effet sur une production intensive sous serres et en plein champs, sur une distribution reposant sur une logique de « flux tendus » et, à la base de cette filière, sur une main-d’œuvre migrante précarisée assurant ainsi la performance économique des secteurs agricole et agro-alimentaire. Censée répondre au besoin de main d’œuvre « temporaire » des exploitations agricoles françaises, la présence annuelle de ces travailleur·ses étranger·ères est en réalité une donnée invariable de l’agro-industrie intensive et exportatrice. En effet, ce statut de « travailleur saisonnier » ne décrit pas une réalité liée au cycle des saisons mais la nécessité capitaliste de réduire les coûts dans le cadre d’une production intensive.
Rare sont les occasions de revenir sur cette population laborieuse. Dans le département des Bouches-du-Rhône, un collectif le CODETRAS s’attache depuis 20 ans à trouver des moyens de défenses et de luttes de ces "ombres" qui ne sont malheureusement pas encore une armée.
Dans un document de 40 pages il revient sur son histoire et sur les modalités de son action. Bonne pâte, Courant Alternatif vous en propose une synthèse [1].
PRÉSENTATION ET HISTOIRE DU CODETRAS
Stricto sensu, CODETRAS est l’acronyme de « COllectif de DEfense des TRAvailleurs Saisonniers », mais il arrive assez souvent de le décliner en « Collectif de défense des travailleurs étrangers ». Avec auto dérision et humilité il se définit lui-même comme un groupe d’activistes et de (crypto) juristes dont les motivations premières, contrecarrer l’offensive du capitalisme mondialisé dans le champ de la déréglementation du travail se retrouvent réduites a posteriori à celle d’un combat juridique savamment préparé et intelligemment mené mais qui ne s’inscrit dans aucune tradition de lutte d’émancipation et dont l’issue, bien que largement positive, n’ouvre aucune perspective d’extension (du domaine de la lutte).
L’existence du CODETRAS dans le département des Bouches-du-Rhône relève d’une longue histoire car si l’isolement des travailleurs étrangers dans l’agriculture n’a jamais été absolu, leur défense a rarement donné lieu à des manifestations de solidarité considérables. Formellement la structure trouve son origine dans la constitution d’une mission du Forum Civique Européen (FCE) pour enquêter sur la situation à la suite des émeutes racistes de février à El Ejido en Andalousie en fevrier 2000. Suite à cette mission, en août 2001, le FCE et la LDH (Arles) organisaient au Mas Granier, dans la Crau, trois journées d’étude sur « L’exploitation de la main d’œuvre dans l’agriculture intensive en Europe ».
Les premières actions visaient à faire partager une indignation fondatrice et, partant, rendre visible au plus grand nombre une situation somme toute très discrète. A l’intention du grand public, le CODETRAS a organisé de nombreux débats et participé à ceux organisés par d’autres sur le thème de l’exploitation de la main d’œuvre étrangère dans l’agriculture productiviste ou sur des questions connexes. Au premier de ces débats, organisé à Arles le 5 février 2003, le public comportait nombre d’exploitants agricoles qui affichaient leur animosité à l’égard des intervenants et des pratiques d’intimidation comme celle consistant à filmer l’assistance. D’autres modalités de l’action culturelle ont été empruntées : expositions de reportages photographiques, concerts de chanteurs et musiciens marocains et projections de films documentaires. Sur ce dernier point, le CODETRAS a largement contribué à la réalisation d’un documentaire qui souligne la relation entre l’exploitation des ouvriers saisonniers et la « malbouffe ».
En matière d’information écrite, deux documents ont été publiés : le « Mémorandum », rédigé très tôt pour dresser un état général de la situation, suivi par « Les Omis », un livre noir en forme de galerie de portraits d’ouvriers et d’une ouvrière dont les histoires constituaient autant d’illustrations des multiples formes de l’exploitation subie. Un troisième document essentiel a été porté à la connaissance générale ; il s’agit d’un rapport administratif classifié « secret » et découvert par hasard en mars 2005.
Ce rapport intitulé « Enquête sur l’emploi des saisonniers agricoles étrangers dans les Bouches-du-Rhône » présente les résultats d’une enquête diligentée en urgence au mois d’août 2001 par deux inspecteurs généraux sur l’ordre de leurs ministres (Emploi-Solidarité et Agriculture) afin de résoudre une énigme. Dans le département des Bouches-du-Rhône, au hit parade du chômage, comment expliquer que les agriculteurs demandent chaque année le droit d’importer 4 000 travailleurs étrangers du Maghreb (Maroc et Tunisie), soit 60% de l’ensemble des départements français ?
Dans le jargon administratif où l’euphémisme tient lieu de franc parler, son diagnostic est accablant ; en clair, il peut se résumer en trois constats :
- 1. Les entreprises agricoles emploient massivement, à la place des travailleurs permanents, les étrangers saisonniers sous contrat « OMI » car ils sont structurellement incapables de se révolter contre les conditions d’emploi et d’existence indignes qui leur sont faites ;
- 2. Cette pratique dure depuis longtemps tous gouvernements confondus ; elle s’accompagne de nombreuses illégalités ;
- 3. Face à ce coup de force permanent du lobby des entreprises agricoles, les pouvoirs publics sont impuissants quand ils ne sont pas complices.
LES BOUCHES-DU-RHÔNE, CŒUR DE LA PRODUCTION AGRICOLE FRANÇAISE.
Le territoire des Bouches-du-Rhône compte 4 200 exploitations agricoles. Cette agriculture a connu l’évolution caractéristique de la « modernisation » : concentration des exploitations, mécanisation accélérée, recours croissant aux engrais et produits de traitement. La culture intensive des fruits et légumes sont dominantes ; localisées pour l’essentiel au Nord (Comtat, Basse vallée de la Durance) et à l’Ouest (Crau, Nord de l’Étang de Berre).
Pour plusieurs cultures de légumes, les Bouches-du-Rhône sont au premier rang des départements français ; notamment les tomates et les salades qui représentent respectivement 1/3 et 1/5 de la production nationale. Le département est aussi au 1er rang pour les superficies de légumes cultivées sous serres (avec 1/3 des surfaces en serres chauffées). Concernant les cultures fruitières,les Bouches-du-Rhône sont au premier rang des départements français pour la superficie des vergers. Par exemple pour les pêches, les poires et les olives la production constitue un quart de la consommation française. Plus de 80 % des surfaces sont irriguées et 15 % protégées contre le gel.
Le recours à la main d’œuvre saisonnière est important puisqu’elle assure les deux tiers du temps de travail. Plus de huit exploitations sur dix embauchent des saisonniers.
L’INTRODUCTION DES TRAVAILLEURS SAISONNIERS EN FRANCE
L’immigration de travail s’inscrit dans deux cadres législatifs et réglementaires superposés : le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et le Code du travail. Cette conjugaison de deux sources de droit particulièrement complexes est une source de difficultés considérables dans leur application et une porte ouverte à l’arbitraire administratif.
L’initiative de l’immigration revient à l’employeur qui doit demander à la Direction départementale du travail une autorisation de travail pour la personne qu’il a l’intention d’embaucher et qui réside à l’étranger ; le dossier fourni à l’appui de cette demande permet à l’administration de vérifier si le projet de contrat de travail garantit l’égalité de traitement avec un travailleur français et , surtout, si l’activité de l’entreprise et le type d’emploi à pourvoir sont ceux où l’on observe une pénurie de travailleurs sur le marché local de l’emploi si tel n’est pas le cas, la demande sera rejetée, sinon, elle pourra être acceptée, la décision étant prise in fine par le préfet qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; nanti de son autorisation, l’étranger devra se présenter au consulat de France de son lieu de résidence pour demander un visa d’entrée sur le territoire français ; arrivé en France, le salarié devra se présenter à la Préfecture de son nouveau domicile pour demander le titre séjour correspondant à sa situation, en l’occurrence une carte de séjour temporaire (CST), mention « travailleur saisonnier ».
Cette carte pluriannuelle est valable trois ans, elle est renouvelable sous conditions.
Lorsqu’il s’agit de travailleurs saisonniers, le schéma général se décline de façon spécifique sur plusieurs points importants. D’abord, la durée du contrat de travail ne peut excéder six mois. Le visa d’entrée ayant alors une durée de validité identique à celle du contrat de travail, il tient lieu de titre de séjour ; en d’autres termes, le travailleur saisonnier est tenu de quitter le territoire français à l’expiration de son contrat. Ensuite, le Code du travail prévoit une dérogation à la règle des six mois : à titre exceptionnel le contrat peut être conclu pour une durée de huit mois, maximum absolu. Enfin, le contrat de travail est dérogatoire au droit commun du travail car l’emploi saisonnier est une des situations où le Code du travail autorise contrat de travail à durée déterminée (CDD) au lieu du contrat à durée indéterminée (CDI) qui, faut-il le rappeler, est la règle générale.
Tous les employeurs utilisent ce type de contrat qui présente, pour eux, des avantages supplémentaires offerts par la législation sur les CDD. En effet, lorsque l’emploi est saisonnier, aucune prime de précarité n’est due en fin de contrat et le salarié ne peut se prévaloir d’aucun droit au renouvellement de son contrat pour les saisons futures. De surcroît, la jurisprudence a consacré l’impossibilité de requalification du CDD en CDI, même après un nombre considérable de saisons successives au même poste chez le même employeur. Bingo pour les tauliers .
Une autre particularité importante concerne les modalités de la procédure d’introduction ; il s’agit de l’intervention de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFFI). Cet organisme public dispose de délégations à l’étranger, notamment dans les pays avec lesquels la France a passé depuis longtemps des accords bilatéraux de main d’œuvre, en l’occurrence le Maroc, la Tunisie. Ces antennes jouent un rôle d’assistance et de contrôle. Les travailleurs sont enregistrés et, à leur retour, ils devront venir pointer immédiatement sous peine de devenir inéligibles à un contrat pour les saisons futures.
DANS LES BOUCHES-DU-RHÔNE UNE PRATIQUE LÉGÈREMENT DIFFÉRENTE
Dans le département des bouches-du-Rhône des acteurs supplémentaires et des pratiques administratives de contournement de la réglementation au profit des employeurs sont apparus au cours du temps.
Par exemple les syndicats d’employeurs où la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) est largement dominante. Outre sa représentation très majoritaire, elle dispose de solides appuis auprès des élus politiques qui lui ouvrent l’accès direct aux pouvoirs exécutif (cabinets ministériels) et législatif (députés et sénateurs) traditionnellement attentifs, en France, aux doléances du monde paysan. Une forme de concertation a été mise en place par la Préfecture sous forme de réunions périodiques. Le scénario de ces réunions relève du rituel. La FDSEA exige plus de facilités pour l’introduction de saisonniers étrangers tandis que la CFDT et la CGT insistent sur la priorité de la protection des emplois existants et dénoncent la conversion d’emplois permanents en emplois saisonniers.
Face au préfet dont il s’agit d’influencer les décisions, le rapport de force est totalement déséquilibré. Les protestations des syndicats ouvriers ne pèsent rien au regard des exigences des employeurs qui, outre leurs relais politiques, disposent d’une capacité d’action redoutée par toutes les Préfectures de France, celle d’une armée de tracteurs prompts à bloquer les autoroutes ou faire marche sur le chef-lieu et de commandos habiles à déverser des produits invendables dans les rues, saccager, voire incendier, les locaux administratifs en toute impunité. En clair la FDSEA est chez elle à la préfecture. Résultat la dérogation à titre exceptionnelle est devenue la règle, certaines années plus de la moitié des contrats ont duré 8 mois. Dans la pratique, cela a consisté : d’une part, à accepter les demandes de dérogation pour des contrats en cours et non pas seulement avant leur signature ; d’autre part, à ne pas vérifier sérieusement la légitimité de ces demandes.
Ainsi l’emploi saisonnier de main d’œuvre étrangère et l’application qui en est faite dans les Bouches-du-Rhône se traduisent dans les statistiques d’introduction de travailleurs étrangers mais elles ont des incidences considérables sur deux autres plans :elles brouillent le sens de l’épithète « saisonnier » et, surtout, elles font le lit d’un statut dégradé des travailleurs.
L’examen de l’annuaire statistique OMISTATS révèle des variations en étroite dépendance avec les décisions de politiques migratoires et les changements institutionnels. A partir de 1992, les saisonniers étrangers sont pratiquement tous non communautaires et les agriculteurs des Bouches-du-Rhône “importent” en moyenne 3800 ouvriers chaque année ce qui représente, jusqu’en 2001, 50 à 60% de l’effectif national ; proportions considérables, sans commune mesure avec le poids économique de l’agriculture départementale, mais directement imputables à l’activisme de la FDSEA. Près de 90% des ouvriers sont de nationalité marocaine, les autres étant essentiellement Tunisiens. Selon les années, les prolongations sont autorisées pour 30 à 60% des contrats.
TRAVAILLEURS SAISONNIERS OU PROLÉTAIRES PRÉCAIRES ?
La catégorie « saisonniers » dont il a été question jusqu’ici est purement administrative. Parmi les travailleurs étrangers, elle sert à distinguer de façon assez précise ceux dont le droit au séjour et au travail en France est limité à un employeur pour une durée inférieure à l’année. Elle implique automatiquement l’inclusion dans la catégorie plus vaste des « saisonniers » au sens juridique du Code du travail avec toutes ses conséquences, notamment la possibilité de CDD au rabais comme on l’a vu précédemment. Mais la définition juridique du travail saisonnier est très floue. Ainsi, on parle de saison d’hiver ou d’été pour les périodes de pointe des activités de loisirs à la montagne ou à la mer, ou encore de saison des soldes pour les cinq semaines de braderie des invendus en des invendus en janvier et en juillet. En matière d’agriculture, l’archétype est la saison des vendanges (pendant deux mois à l’automne) ou, plus généralement, les périodes clés des cycles végétaux ou animaux : cueillette des fruits, agnelage des ovins, « amours » des cervidés, etc.
Mais ce sens commun hérité du passé n’est plus en phase avec le développement du capitalisme productiviste et mondialisé qui a horreur des contraintes, spécialement des contraintes naturelles. Ainsi, s’en affranchir est un des impératifs majeurs de l’agriculture dite moderne. Cela se traduit notamment par la création de variétés végétales de plus en plus précoces ou tardives et par des installations de climat artificiel. Et puis on le sait tous, il n’y a plus de saisons ! On continue pourtant de qualifier de « saisonniers » des emplois qui durent presque toute l’année (dans les serres climatisée, par exemple) et, partant, les travailleurs qui les occupent.
Il arrive que ces travailleurs fassent l’objet de déclarations officielles louangeuses sur leurs aptitudes au travail et leur rôle clé dans la viabilité de l’agriculture. Mais cette reconnaissance verbale épisodique ne se traduit pas dans la considération dont ils sont l’objet au quotidien que ce soit au titre de salariés ou au titre de membres à part entière du monde rural.
UNE RELATION SALARIALE A LIMITE DU SERVAGE
La subordination de l’employé à l’employeur qui caractérise toute relation salariale relève, dans le cas des saisonniers étrangers, de l’assujettissement. A la précarité inhérente au CDD s’ajoute la menace de ne pas voir le contrat renouvelé l’année suivante ; menace latente et souvent explicitée à la moindre friction qui peut aussi inclure l’inscription du salarié sur une liste noire informelle qui fermera la porte des employeurs collègues. Certes, tous les employeurs ne brandissent pas cette menace en permanence, mais il n’en reste pas moins qu’ils sont tous conscients du pouvoir exorbitant que leur confère indirectement la réglementation via l’impératif de leur démarche annuelle pour demander l’autorisation de travail qui déterminera le droit au séjour du salarié. Nombreux sont ceux qui manifestent ce pouvoir dans des pratiques de surexploitation, souvent constitutives d’infractions à la législation du travail, parfois de délits au sens du code pénal. Au premier chef, ce sont les dispositions légales et réglementaires concernant le temps de travail qui ne sont pas respectées : dépassement des durées maximum de travail quotidiennes ou hebdomadaires, ignorance des temps de repos, cadences de travail excessives,…Viennent ensuite les illégalités relatives à la rémunération du travail : heures supplémentaires payées au tarif normal, salaire de base fixé au SMIC indépendamment de la qualification et de l’ancienneté, prélèvement sur le salaire des redevances (en totalité ou en partie) dues par l’employeur ou encore payement partiel du salaire mensuel, le solde étant versé, sans les intérêts, en fin de contrat. Enfin les normes d’hygiène (dans les logements mis à disposition par les employeurs) et de protection (notamment au cours de la préparation et de l’épandage des produits phytosanitaires hautement toxiques) sont rarement respectées.
Les services de l’État,concourent de façon le plus souvent passive au maintien de l’état de sujétion. Ainsi, le préfet se retranche derrière une interprétation littérale des textes pour refuser une application conforme à leur esprit en matière de régularisation comme l’attribution des titres de séjour permanents à des saisonniers habituels depuis plus de 10 ans ou en cas de transformation du contrat saisonnier en CDI. Il conforte le pouvoir de chantage des employeurs en autorisant l’introduction de nouveaux salariés en remplacement de salariés dont le contrat n’a pas été renouvelé. La Direction du travail tolère la dégradation en contrats saisonniers de CDI ou de CDD occupés par des étrangers résidents réguliers en France. L’Inspection du travail se résigne à ses moyens dérisoires. Mais d’autres services publics apportent leur concours, tels les parquets des TGI qui classent sans suite les signalements d’infractions commises par les employeurs alors qu’ils autorisent toutes les procédures de reconduite à la frontière des travailleurs sans papiers interpellés lors des opérations de police et de gendarmerie « dans les champs ». De façon indirecte, même Pole Emploi en ne cherchant pas sérieusement à placer en priorité les chômeurs locaux, contribue à maintenir en pression la demande de travailleurs saisonniers étrangers.
Par des pratiques misérables, les organismes dits « sociaux » trahissent leurs missions vis à vis d’une population qu’ils estiment probablement incapable de percevoir les préjudices subis et , par conséquent, d’en exiger réparation. Le cas le plus révoltant est celui de la Mutualité sociale agricole (MSA) des Bouches-du-Rhône qui interrompt illégalement la couverture du risque maladie dès la fin du contrat de travail au prétexte juridiquement faux qu’on ne pourrait verser de prestation à des assurés en situation de séjour irrégulier. Les ASSEDIC ne sont pas en reste qui perçoivent sans sourciller les cotisations (salariales et patronales) pour couvrir un risque de chômage inexistant puisque les saisonniers étrangers sont tenus de quitter le territoire français au lendemain de leur dernier jour de travail. Tout aussi consternant, les organismes de formation professionnelle acceptent de financer, au titre de la formation sur le tas, des périodes de travail ordinaire ; si le salarié n’y perd rien en termes de revenu, il n’acquiert aucun savoir faire supplémentaire tandis que son employeur économise quelques journées de salaire.
La précarité foncière des saisonniers étrangers les expose également à d’autres formes d’exploitation exercées par d’autres exploiteurs. Par exemple, les propriétaires immobiliers qui leur louent très cher des logements inconfortables ne satisfaisant à aucune norme sanitaire ou encore les intermédiaires qui organisent des trafics de contrats multiformes, de la simple « commission » réclamée pour une garantie de renouvellement du contrat à la vente de contrats autorisés en nombre supérieur aux besoins réels de l’employeur complice. Le prix à payer pour de tels contrats est de l’ordre de plusieurs mois de salaires (5 000 € est une somme courante) ; il s’agit donc d’un investissement qui ne sera « rentabilisé » qu’après de nombreuses saisons, si toutefois le contrat est renouvelé gratuitement chaque année. Que de nombreux ouvriers courent le risque donne la mesure de l’importance des enjeux à la clé pour eux et leur famille au pays.
Enfin, d’un point de vue général, la quasi totalité des élus locaux se désintéressent de la situation des ouvriers saisonniers étrangers qui vivent pourtant une grande partie de l’année dans leur circonscription. Ils reflètent en cela l’indifférence quasi générale de leurs électeurs qui n’ont même pas la reconnaissance du ventre. Car, somme toute, si l’économie rurale continue de fonctionner, c’est dû en bonne part au travail des « OMIS », ces êtres transparents dans la vie sociale quotidienne. Tout bien pesé, pour les saisonniers, la situation décrite ci-dessus peut se résumer en deux formules : des relations de travail à la limite du servage et des relations sociales à la limite de l’apartheid.
Jean-Mouloud, travailleur saisonnier de la viticulture (des fois)
Notes
[1] Pour les lecteur·trices souhaitant approfondir le problème, l’Égrégore a consacrée deux émissions au CODETRAS en accès libre sur ce site. Précisons également que si cet article est une re-pompe des écrits du CODETRAS il n’engage évidement que son auteur