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    Mélenchon ou le pari risqué (mais impérieux) de l’alliance des "beaufs" et des "barbares"

    Mélenchon Présidentielles2022

    Lien publiée le 26 octobre 2021

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Édito #31 – Mélenchon ou le pari risqué (mais impérieux) de l’alliance des « beaufs » et des « barbares » - QG Decolonial

    Édito #31 – Mélenchon ou le pari risqué (mais impérieux) de l’alliance des « beaufs » et des « barbares »

    Si Eric Zemmour va partout revendiquant une stratégie d’unification des droites – extrêmes et républicaines – ou pour le dire autrement, l’unité d’un bloc bourgeois radicalisé par une conception suprématiste de la race blanche, Mélenchon, lui, revendique l’unité des classes, sobrement qualifiées de « populaires », ce qui n’est pas faux mais qu’il faut savoir identifier plus précisément par leur formation historique et la division du travail : le prolétariat blanc et le sous prolétariat indigène. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit là de deux projets radicalement opposés puisque le premier est au service d’un capitalisme débridé et aux abois face à la montée des colères et au chaos qu’il génère, tandis que l’autre se veut au service du peuple dans sa version sociale démocrate, c’est à dire non révolutionnaire, mais qu’il faut considérer comme le résultat objectif des rapports de force politique en France : la droitisation continue du champ politique faisant en effet apparaître Mélenchon, qui n’en est pas, comme un affreux bolchévique.

    Si l’alliance des « beaufs » et des « barbares » est sûrement le projet le plus redouté des classes dominantes et, par là, le plus combattu (on a vu l’acharnement avec lequel elles ont promu la loi séparatiste et liquidé les associations musulmanes luttant contre l’islamophobie), si cette alliance, stigmatisée sous le vocable d’ « islamo-gauchiste » est la cible principale du pouvoir et de toutes les formations politiques à droite de l’échiquier, il va donc de soi que c’est bien vers cette unité qu’il faut tendre. C’est, semble-t-il, la voie qu’a choisie Mélenchon dans le cadre de sa campagne présidentielle. En effet, juge son proche conseiller Eric Coquerel, si Mélenchon a raté la première présidentielle, c’est à cause des 600 000 voix manquantes des quartiers populaires que la FI n’a pas su capter. C’est vers eux qu’il faut donc se tourner. Si nous ne pensons pas que le positionnement anti-islamophobe de Mélenchon soit purement opportuniste – celui-ci semble au contraire ancré dans une véritable conviction, à la fois antiraciste mais aussi consciente du rôle que joue l’islamophobie dans une perspective de guerre civile (de basse ou de haute intensité), il aurait tort, d’un point de vue purement électoraliste, de se priver de ce vivier. Après tout, si dans sa stratégie de conquête du pouvoir, la FI prend en compte le vote des banlieues, c’est que celui-ci n’est pas à négliger. Et c’est tant mieux. En revanche, cette alliance qui se matérialiserait dans son programme et qui unifierait les classes populaires le temps d’un scrutin électoral de l’importance des présidentielles, est tout sauf évidente.

    Lors de son débat avec Zemmour, Mélenchon a exprimé une belle et audacieuse idée. Il a dit : »Les gens s’appellent comme ils veulent. Ils le font par tradition familiale. Quand on donne un prénom qui est le nom du Prophète, quand quelqu’un appelle son fils Mohamed, c’est souvent parce que le grand père s’appelait comme ça et quand on donne un prénom à un enfant, c’est parce qu’on veut le placer sous la protection de ce prénom. Il n’y a pas de honte à donner le nom du Prophète à quelqu’un, de même qu’il n’y a pas de problème à s’appeler David ou qu’il y ait des milliers de catholiques qui s’appellent Marie. »

    Sous d’autres cieux, cette idée serait aussi anecdotique que banale. Mais dans une France qui traverse une crise identitaire aigüe, elle est courageuse car elle va à l’encontre de la spontanéité française et de ses affects. Ce faisant, il confirme son évolution antiraciste exprimée lors de la marche contre l’islamophobie de novembre 2019 et par son refus d’aller rejoindre la manifestation de la police devant l’Assemblée Nationale le 19 mai 2021. Pour le coup, l’acte n’est pas seulement courageux, il est risqué. Car certes les voix des quartiers comptent, mais objectivement, pas autant que celles de sa base blanche. Aussi, en cherchant à séduire les Indigènes, ne risque-t-il pas de perdre une partie de ses électeurs blancs ? En effet, ce prénom que les Musulmans chérissent est aussi celui qui concentre le plus de charge raciste et qui signifie tout à la fois, fellagha, sale arabe, terroriste et délinquant. Bref, le prénom qui incarne le plus le délire du grand-remplacement et qui en plus irrite les oreilles anticléricales de gauche.

    Mais si le but est de gagner une élection, la question se pose de l’équilibre à trouver entre satisfaire un électorat majoritairement blanc, de gauche, qui vote mais qui n’est pas insensible aux idées islamophobes et un électorat non blanc plus abstentionniste et moins nombreux. En d’autres termes, Mélenchon n’est-il pas en train de sous-estimer le caractère blanc de son électorat, d’abord préoccupé par son déclassement, ensuite par les questions identitaires et enfin plutôt confusionniste quand il s’agit d’analyser les causes matérielles du terrorisme djihadiste ? Bref, le pari de gagner les voix manquantes sur la base d’une stratégie ostensiblement « pro-musulmane » n’est-il pas risqué compte-tenu des enjeux ?

    Il s’agit assurément d’un véritable dilemme que les stratèges de la FI ne peuvent pas ne pas avoir anticipé. C’est peut-être ce qui explique le repositionnement « plus à gauche » du meeting de lancement de campagne qui a eu lieu le 17 octobre à Reims. Si le chef de la FI a bien insisté sur le fait que « La France se cherche à tâtons à cette heure pour vivre bien, vivre mieux, vivre ensemble, sans haine, sans guerre de religion ! » il a surtout été question d’évasion fiscale, d’hôpitaux, de la retraite à soixante ans, du nucléaire, de la condition des femmes[1]

    Faut-il l’en blâmer ? Force est de reconnaître que faire le pari d’accéder au second tour sans faire le jeu de l’islamophobie, voire même en la combattant, dans un espace politique polarisé, tiraillé par la crise identitaire blanche et saturé par le zemmourisme est une véritable gageure. Il est clair que dans cette période sombre, les Musulmans et les habitants des quartiers auront au moins entendu une parole rationnelle et fraternelle qui amènera peut-être les moins résignés à voter pour Mélenchon. Celui-ci ne sera pas allé jusqu’à condamner les dissolutions d’associations musulmanes qui se succèdent – la dernière en date étant celle du CRI[2] – dans un silence coupable et assourdissant. Si Mélenchon est en effet devenu un compagnon de route qu’il faut respecter pour les efforts politiques qu’il fait, il n’est pas encore un frère. Loin s’en faut. En effet, les indigènes ne doivent jamais perdre de vue que si les organisations blanches se transforment, c’est surtout grâce à leurs luttes. C’est pourquoi, la présidentielle doit être vue comme un moment stratégique : plus que jamais, il faut, savoir lutter contre, avec et séparément.

    [1] https://www.mediapart.fr/journal/france/171021/reims-melenchon-sonne-le-tocsin-de-la-mobilisation

    [2] https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/20/dissolution-de-la-coordination-contre-le-racisme-et-l-islamophobie-pour-discours-haineux_6099241_3224.html