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À quoi ressemblaient les élections en France avant les sondages

Lien publiée le 7 novembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

À quoi ressemblaient les élections en France avant les sondages (franceculture.fr)

Difficile aujourd’hui d’imaginer une campagne électorale sans sondage. Et pourtant, la France s'est passée des études d'opinion dans la plupart de ses élections avant 1965. Alors, était-ce mieux avant ? Un sondeur, Frédéric Micheau, et une historienne, Anne-Laure Ollivier, répondent.

Réunion publique avec Léon Blum dans les années 1930 : une époque où la vie politique se passait de sondages.

Réunion publique avec Léon Blum dans les années 1930 : une époque où la vie politique se passait de sondages.• Crédits : Keystone-France / Gamma-Keystone - Getty

En France, les sondages font partie de la vie politique depuis 1965 au moins. Cette année-là, l’élection présidentielle se joue pour la première fois au suffrage universel direct et les études d’opinion se font une place dans la campagne. Malgré les critiques dont ils sont déjà l’objet, les sondages répondent à une demande d’une partie des médias et des candidats qui veulent savoir ce que pense le peuple avant et après les élections. Or, ce besoin de savoir existait bien avant l’invention et la généralisation des sondages : l’historienne Anne-Laure Ollivier et le directeur-général adjoint d’Opinion Way Frédéric Micheau décrivent comment les hommes politiques s’y prenaient pour faire campagne et gouverner.

Avant 1965

Tout d’abord, les sondages n’apparaissent pas d’un seul coup lors de l’élection présidentielle de 1965 : “On trouve des sondages sur la vie politique dès l’après-guerre, réalisés et conduits notamment dans la revue imprimé ‘Sondage’ de l’Ifop”, explique Anne-Laure Ollivier. L’Institut français d’opinion publique (Ifop) est créé en 1938 : “C’est l’entreprise pionnière des sondages en France mais elle a préféré pendant longtemps se concentrer sur les études marketing plutôt que sur les sujets électoraux car les dirigeants y voyaient un risque d’image pour leur société en cas d’erreur”, ajoute Frédéric Micheau. Les sondages voient juste pour le référendum constitutionnel d’octobre 1945 mais ils se trompent pour le suivant, en mai 1946 : “La dernière vague d’enquête annonce un score de 54% pour le ‘oui’ mais c’est le ‘non’ qui l’emporte avec près de 53% des voix”, complète Frédéric Micheau, “l’Ifop décide alors de ne plus publier de sondages préélectoraux pendant une quinzaine d’années”.

Mais ces sondages d’avant référendum font figure d’exception dans la vie politique française et les autres scrutins ne se prêtent pas aux sondages. Avant 1965, l’élection du président de la République se fait au suffrage indirect, via le vote des parlementaires et des élus locaux, et ce durant toute la IIIe République (1870-1940) et la IVe (1946-1958). La seule élection nationale a lieu au moment des législatives pour élire les députés “mais sans véritablement de campagne à l’échelle du pays”, explique Anne-Laure Ollivier. “Il y a des thèmes nationaux portés par les partis politiques, qui se structurent dans la première partie du XXe siècle. Mais malgré la volonté de ces partis, les professions de foi des candidats sont rarement la transcription stricto sensu des programmes nationaux : il y a une sélection en fonction de ce qu’on pense être les préoccupations de la circonscription.”

Dessin d'un votant pour l'élection d'un député en 1906 à Paris.

Dessin d'un votant pour l'élection d'un député en 1906 à Paris.• Crédits : Universal History Archive - Getty

Comme en 2021, les candidats et les élus font le choix de porter certains thèmes plutôt que d’autres : ceux qui les arrangent politiquement, qui correspondent à leurs convictions ou qu’ils considèrent être les préoccupations des électeurs. 

Par exemple, on a longtemps dit que les élections législatives de 1956 avaient été dominées par un thème : la guerre d’Algérie. Or, en regardant les professions de foi des candidats dans les circonscriptions, les historiens ont constaté que le pouvoir d’achat était le sujet numéro un. On doit probablement cette erreur à une Une du magazine L’Express qui avait titré sur un sondage affirmant que l’Algérie était la première préoccupation des électeurs… Or, en regardant le sondage, on constate effectivement que 25% des personnes interrogées disent que l’Algérie doit être le problème urgent à régler. Mais on lit aussi que les questions relatives au pouvoir d’achat ou à la politique économique et sociale sont fractionnées et que réunies, elles font plus de 25%... Les candidats à la députation ne se trompent donc pas en mettant en tête le pouvoir d’achat dans leurs professions de foi mais encore faut-il savoir bien lire les sondages. On voit déjà comment certains médias s’emparent de ces études pour en faire une forme d’instrument d’intervention dans la campagne électorale. Et nous sommes bien avant l’élection présidentielle de 1965.                              
Anne-Laure Ollivier

Comment connaître les préoccupations des électeurs

Sous les IIIe et IVe Républiques, les candidats se présentent dans une circonscription qu’ils se doivent de connaître par cœur : un territoire qu’ils labourent et sillonnent s’ils y sont déjà élus, et bien souvent comme cumulards à l’époque, maire ou conseiller général en plus du poste de député. “Une campagne, même aujourd’hui, se prépare bien avant l’élection, c’est une question de labour, il faut parcourir et encore parcourir le territoire à la rencontre des électeurs”, explique Anne-Laure Ollivier.

Pour cela, il faut fréquenter les lieux de sociabilité, les cafés où on lit la presse et où des réunions publiques se tiennent  sous la IIIe République - on ne dit pas encore “meetings”. “Ce sont des lieux qui vous permettent de vous faire connaître en tant que candidat et également d’appréhender les questions brûlantes : grèves, manifestations, etc.”, précise Anne-Laure Ollivier. “Les journaux et leurs sièges sont également des endroits où les campagnes se jouent. À Marseille, par exemple, la vie politique se structure autour de trois journaux : Le Méridional pour la droite, La Marseillaise pour le Parti communiste et Le Provençal, qui appartient au maire, Gaston Defferre, pour le Parti socialiste et au-delà… Ces journaux couvrent les campagnes mais ils les financent aussi ; c’est l’âge d’or de la presse régionale".

Plusieurs personnes lisant la presse à Marseille en 1948.

Plusieurs personnes lisant la presse à Marseille en 1948.• Crédits : Ivan Dmitri / Michael Ochs Archives - Getty

Autre levier à la disposition des candidats : une connaissance pointue de la carte électorale. Il s’agit des résultats détaillés de chaque élection précédente : municipales, cantonales, législatives… Les circonscriptions et les modes de scrutin sont souvent différents mais les résultats précédents donnent malgré tout une idée du rapport de force politique. “À une époque plus récente, où les sondages existaient, François Mitterrand était un connaisseur hors-pair de la carte électorale française”, explique Anne-Laure Ollivier. “C’était quelqu’un qui parcourait de façon incessante la France, qui tissait sa toile depuis son retour à l’Assemblée nationale en 1962 à coup de banquets, en réunissant les élus locaux ; il était sans arrêt en train de se déplacer aux quatre coins du pays et les sondages n’ont pas changé sa manière de faire”.

De son côté, le gouvernement peut aussi mesurer les préoccupations des Français grâce aux rapports des préfets, qui les envoient régulièrement au ministre de l’Intérieur. “Au moment des élections, les préfets eux-mêmes font systématiquement des pronostics sur l’ordre ou le score des candidats en se basant sur les rapports de police, les enquêtes sur les meetings…” 

Autre moyen : jusqu’en 1889, les candidats avaient aussi la possibilité de présenter des candidatures multiples, dans plusieurs circonscriptions à la fois. C’est ce que fit le général Boulanger cette année-là pour en faire un instrument de plébiscite mais cette disposition fut supprimée par la suite. À l’échelle locale sous la IVe République, la méthode du vote préférentiel avec panachage permettait également de mesurer la popularité de certaines personnalités : les électeurs avaient la possibilité de rayer des noms ou d’en rétrograder.