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Les communistes et la présidentielle : une histoire tumultueuse
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les communistes et l’élection présidentielle : une histoire tumultueuse (theconversation.com)
Sociologue et historien, Inrae
Pour la première fois depuis 2007, les communistes ont annoncé que l’un des leurs, Fabien Roussel, secrétaire national du parti, sera candidat à la prochaine élection présidentielle. Vu le contexte de division à gauche, les chances que son dirigeant fasse un score très faible sont importantes.
Malgré tout, cette prise de risque est soutenue par une majorité des adhérents du parti.
Ne pas participer à l’élection du chef de l’État, moment central dans la vie politique française, pénalise en effet toute formation politique d’autant plus si elle cherche, comme le PCF, à s’adresser en priorité aux classes populaires. Celles-ci se mobilisent davantage lors de ce scrutin que lors des autres élections. La campagne pour l’élection présidentielle bénéficie d’une couverture médiatique importante et, par conséquent, d’un intérêt plus prononcé de la part des populations qui sont prises dans la gestion de difficultés de vie et donc éloignées du monde de la politique.
Le PCF en perte de visibilité
En s’effaçant au profil de Jean-Luc Mélenchon lors des deux derniers scrutins, les communistes ont perdu en visibilité, et ils espèrent réaffirmer leurs couleurs à l’occasion de la campagne. C’est d’ailleurs sur cette base que Fabien Roussel est devenu secrétaire national en 2018 : pour la première fois dans l’histoire de ce parti centenaire qui a dominé la gauche française de la Libération à la fin des années 1970, le dirigeant sortant, Pierre Laurent, a été mis en minorité par les signataires d’un texte alternatif dénonçant « l’effacement » du PCF sur la scène politique, notamment lors des élections présidentielles.
L’année précédente, en 2017, seule une faible majorité des adhérents communistes consultés (54 %) avait accordé leur soutien à la candidature de Mélenchon. Ce choix était pourtant soutenu par la direction du parti, malgré l’absence d’entente avec La France insoumise (LFI) sur le programme et les législatives suivantes, durant lesquelles les candidats du PCF durent souvent affronter ceux de LFI.
La candidature de Fabien Roussel pour 2022 était donc attendue en interne même si ce choix peut tout autant renforcer la visibilité du PCF que fragiliser une organisation qui peine traditionnellement à s’affirmer lors de ce type de scrutin.
Un scrutin pour construire l’union de la gauche
Les dirigeants communistes se sont toujours méfiés de cette élection, surtout depuis le référendum de 1962 et le passage au suffrage universel direct. Les communistes, favorables à un régime plus parlementaire, dénoncent alors une élection plébiscite et la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme.
Le PCF n’a pas présenté de candidat à quatre reprises au cours des 10 élections qui se sont déroulées depuis cette date, y compris lorsque son poids politique était conséquent.
Dès 1965, lors du premier scrutin présidentiel au suffrage universel, sa direction décide de soutenir François Mitterrand, alors à la tête de la petite Convention des institutions républicaines, malgré là encore l’absence d’accord programmatique.
Cette décision surprend et soulève des réserves : une composante significative de la base militante, peu séduite par le profil modéré de Mitterand, aurait préféré une candidature communiste. Plusieurs étudiants communistes comme Alain Krivine sont exclus parce qu’ils refusent de soutenir Mitterrand et partent fonder les Jeunesses Communistes Révolutionnaire, ancêtres du NPA.
Le soutien à Mitterrand est justifié au nom de la construction d’une union des forces de gauche et de la désignation d’un candidat qui permet de contourner le Parti socialiste. La direction défend ce choix tactique en dépit des réticences des responsables soviétiques, qui se méfient de Mitterrand, perçu comme plus favorable aux États-Unis que de Gaulle, dont la politique extérieure se rapproche de l’URSS. Pour la première fois, le PCF prend alors nettement ses distances par rapport aux Soviétiques lorsqu’ils présentent sous un jour favorable la candidature de De Gaulle au nom du maintien du statu quo international. Les dirigeants français sont confrontés dans leur stratégie unitaire par la mise en ballotage de De Gaulle par Mitterrand : la gauche sort renforcée de ce scrutin.
Contester la domination politique des élites sociales
En 1969, une candidature unique de la gauche échoue faute d’accords avec des socialistes réticents. Jacques Duclos, membre de la génération fondatrice du PCF, est alors désigné comme le premier candidat communiste à une élection présidentielle sous la Ve République. Né dans une famille modeste (son père est artisan-charpentier et sa mère couturière) d’un village des Hautes-Pyrénées, l’ancien ouvrier boulanger, communiste depuis 1920, fait partie des dirigeants d’origine populaire qui sont à la tête du parti qui se revendique porte-parole de la classe ouvrière.
Jacques Duclos, premier candidat à la présidentielle sous la Vᵉ République issu du PCF, en 1969 (INA).
En présentant des candidats d’origine populaire aux élections, le PCF constitue une entreprise inédite de contestation de la domination politique des élites sociales. Alors que les postes politiques sont traditionnellement monopolisés par les classes socialement dominantes, les militants et élus communistes proviennent en grande partie des milieux populaires qu’ils entendent représenter au sein des municipalités et du Parlement. Avec son accent du Midi et ses origines ouvrières, le candidat communiste à la présidentielle de 1969 tranche dans paysage politique dominé par la bourgeoisie.
Jacques Duclos obtient un score important avec 21,5 % des suffrages alors que le candidat socialiste, Gaston Deferre, avocat de profession, n’en rassemble que 5 %. Arrivé troisième, il manque de 400 000 voix une qualification pour le second tour.
Déclin d’un parti populaire et présidentialisation du régime
Au scrutin suivant, en 1974, François Mitterrand est le candidat de l’Union de la gauche, que les communistes soutiennent sur la base du Programme commun de gouvernement signé deux ans auparavant. Cependant, les communistes, constatant que les socialistes bénéficient le plus de la dynamique unitaire, provoquent la rupture du programme commun en septembre 1977. L’inversion du rapport de force à gauche au profit du Parti socialiste est confirmée lors de la présidentielle de 1981 : Georges Marchais, secrétaire national du PCF, ancien ouvrier syndicaliste de la métallurgie, obtient 15 % des voix contre 26 % pour Mitterrand, avocat de formation, élu au second tour avec le soutien mesuré des communistes. Le PCF réalise alors son plus mauvais score à une élection nationale depuis 1936. Il est entré dans un cycle de déclin électoral dont il ne s’est en quelque sorte jamais remis.
Le PCF perd durant cette période l’essentiel de ses soutiens intellectuels, qui ont longtemps constitué une force singulière du mouvement communiste. Ces intellectuels dénoncent alors le repli sectaire du parti et la faiblesse des critiques portées sur les régimes communistes.
Cependant, au regard de l’effondrement de son audience nationale depuis la fin des années 1970, les positions locales du PCF résistent relativement bien : le nombre de municipalités communistes ne diminue que lentement tout au long des trente dernières années. Aujourd’hui encore le PCF gère une cinquantaine de villes de plus de 10 000 habitants et peut s’appuyer sur des réseaux militants locaux. Il compte environ 40 000 adhérents, présents dans une diversité de territoire, notamment dans de petites villes où les autres forces politiques de gauche et de l’écologie sont quasiment absentes.
Une base militante de plus en plus réduite
La base militante et électorale du parti s’est néanmoins réduite continuellement sous le coup de multiples facteurs liés à l’effondrement de l’URSS mais aussi aux recompositions du tissu industriel et des classes populaires.
La présidentialisation du régime de la Ve République est également un frein au maintien d’une organisation militante ancrée dans les milieux populaires. Elle favorise en effet une personnification du jeu politique et une transformation des partis en machines électorales tournées vers la présidentielle, tout particulièrement depuis le couplage des élections présidentielles et législatives et l’inversion du calendrier électoral en 2001.
La délégitimation des partis et des idéologies politiques, tout autant que la focalisation des débats politiques et médiatiques sur les enjeux électoraux du moment, sont peu propices au déploiement dans le temps et dans les milieux populaires d’un tissu militant structuré.
Une gauche divisée et fragilisée
Marie-Georges Buffet est la dernière communiste à s’être présentée à l’élection présidentielle. En 2007, elle a rassemblé 1,9 % des suffrages, le plus faible score jamais obtenu par le PCF. Les relais du parti dans les quartiers et les entreprises se sont érodés : ses élus locaux proviennent désormais davantage des classes moyennes, notamment de la fonction publique territoriale, tandis que les profils issus du syndicalisme ouvrier se font de plus en plus rares.
Les syndicalistes, en proie à des difficultés dans leur entreprise, prolongent moins facilement leur engagement dans la scène politique qui s’embourgeoise et se professionnalise. La participation du PCF à des gouvernements qui ont privatisé et se sont résignés à accompagner le déclin de l’État social, d’abord en 1983-1984 puis en 1997-2002, a contribué à détourner les classes populaires de ce parti.
Marie-Georges Buffet en 2007.
Pour contrer à cette tendance, la direction du PCF a remis en avant depuis les années 2000 un souci d’ancrage spécifique dans les milieux populaires, avec un discours centré sur le monde du travail et la volonté de promouvoir des syndicalistes et des militants du mouvement social dans les directions. Cette stratégie de retour aux fondamentaux prend du temps et pâtit de la dynamique imposée par la présidentielle.
Démocratie militante et personnalisation du jeu politique
C’est tant pour marquer sa singularité face à Mélenchon que dans l’objectif de renouer avec les classes populaires que Fabien Roussel s’est emparé à son tour des thématiques de l’insécurité et l’immigration, parfois dans un sens conservateur, exprimant une reprise de l’agenda sécuritaire de la droite et du gouvernement.
Sa participation à la manifestation des policiers du 19 mai contre l’institution judiciaire a ainsi provoqué des mécontentements en interne. Elle pose la question de la démocratie militante car il est difficile de savoir si certaines positions de Roussel, qui peuvent surprendre les militants, reposent sur des délibérations collectives.
Là encore, on peut y déceler un effet du jeu de la présidentielle qui personnalise l’action politique et rend difficile le contrôle militant sur les candidats. Cette difficulté à faire vivre un collectif militant se retrouve également dans le camp de Mélenchon, dont les organisations successives (Parti de gauche, LFI) sont surtout mises au service de sa stratégie présidentielle et peinent à se structurer sur le territoire.