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L’État détruit l’Office national des forêts, ses agents se rebellent
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’État détruit l’Office national des forêts, ses agents se rebellent (reporterre.net)
Cinq cents agents de l’ONF ont manifesté jeudi 25 novembre à Paris. Leur grief ? Le gouvernement sabre dans les effectifs alors que les forêts françaises sont indispensables à la lutte contre le changement climatique.
Leurs anoraks kakis et leurs écussons sont plus courants dans les futaies qu’à la capitale, et pourtant. Jeudi 25 novembre, dès 9 h, quelque cinq cents agents bravaient la froidure matinale devant le siège de l’Office national des forêts, dans le 12e arrondissement de Paris. Ils protestaient contre la suppression de près de cinq cents postes d’ici 2025 prévue dans le contrat État-ONF 2021-2025. « Il a été voté cet été en conseil d’administration, à une voix près. Nous demandons sa renégociation », précise Loukas Benard, secrétaire national de la CGT forêt. S’il était appliqué, il porterait les effectifs de l’Office à moins de 8 000 fonctionnaires en 2025 — ils étaient 16 000 en 1986.
Ce contrat est une nouvelle étape de trois décennies de démantèlement de l’institution chargée de la gestion des forêts publiques. « Tous les derniers projets de loi de finances prévoyaient des suppressions de postes. Celui pour 2020 en entérinait 95, rappelle Mathilde Panot, députée (La France insoumise) du Val-de-Marne, venue soutenir les manifestants. Quant à la loi Asap [d’accélération et simplification de l’action publique] de 2020, elle a légalisé l’embauche de contractuels pour remplacer les fonctionnaires. »
À la manifestation de l’ONF. © Émilie Massemin/Reporterre
Ces coupes rases dans les effectifs ont profondément fragilisé l’établissement. Les agents ne sont plus assez nombreux pour accomplir toutes leurs missions. Après une première carrière à l’armée de terre, François Roy est entré à l’ONF en 2001. Il travaille dans la forêt de Fontainebleau, en Seine-et-Marne. « Il y a vingt ans, nous étions 23 ou 24 agents de terrain. Aujourd’hui, nous sommes officiellement 18, mais le plus souvent 17, calcule-t-il. Nous sommes obligés de prioriser et de privilégier le plus rentable, comme la production de bois. Et encore, Fontainebleau, très visitée, reste relativement protégée. Le reste, comme les études sur la biodiversité, est laissé de côté. »
Le départ du cortège de l’ONF vers Bercy. © Émilie Massemin/Reporterre
L’agent au bouc grisonnant, représentant syndical Forêt publique UNSA, déplore aussi le nombre croissant de contractuels. « Ils sont plus précaires et donc plus dociles, observe-t-il. Quand on demande à un contractuel de couper 100 000 m3 au lieu des 90 000 préconisés par le technicien ou la nature, il s’exécute. »
Ravageurs, sécheresse... Face au changement climatique, « il va falloir des moyens »
Thomas Ligeon, technicien forestier entré en 2015 à l’ONF et affecté au Châtillonnais, dans le nord de la Côte-d’Or, déplore quant à lui la « filialisation » de l’Office : « L’établissement est cassé en plusieurs secteurs. L’agence “travaux” emploie de moins en moins de fonctionnaires. L’agence “études” est également en train d’être privatisée. » Ce processus prive les agents d’évolutions de carrière, regrette-t-il. « Le poste d’expert arbre conseil — sorte de médecin des arbres capable de diagnostiquer certaines maladies, par exemple — était très recherché. Il va disparaître car il est en cours de privatisation. »
Ceci, alors que les forêts françaises subissent déjà les conséquences du changement climatique et sont harcelées par les ravageurs, l’impitoyable scolyte en tête. Loukas Benard a pu l’observer sur son triage de Varennes-sur-Amance, qui regroupe treize forêts communales et une domaniale de Haute-Marne, et où les hêtres souffrent le martyre à cause de la sécheresse. « Les hêtres de la région Grand Est, en tout cas ceux âgés de 50 à 100 ans, étaient habitués à recevoir 1 100 à 1 300 millimètres de précipitations par an. S’ils sont limités à 800 millimètres annuels, et soumis en plus à de fortes chaleurs, qui les font transpirer davantage, ils se retrouvent en danger de mort. » Cette essence pourrait ainsi perdre la moitié de ses effectifs d’ici 2100, alerte l’agent. Moralité, « il va falloir des moyens supplémentaires pour s’adapter si l’on veut maintenir le taux de boisement actuel de 30 % de notre pays. »
Loukas Benard : « La marche pour la forêt de 2018 a impulsé la question dans le débat public. © Émilie Massemin/Reporterre
Face à ces enjeux, la politique de gestion reste largement inadaptée. Marion Schmitt, entrée en 2017 « par l’avant-dernier concours organisé par l’ONF » et syndiquée Snupfen, s’est levée à 4 h 10 pour attraper le car ralliant Paris depuis la Franche-Comté. Elle dénonce des financements déconnectés des réalités du terrain. « Il y a bien eu des financements dans le cadre du plan de relance [1] mais tout va trop vite. Il exige de replanter immédiatement après une coupe, alors qu’il vaudrait mieux laisser à la nature le temps de se régénérer un peu, estime-t-elle. Globalement, aujourd’hui, il faut tout faire vite, vite, vite, à l’opposé du rythme très lent de la forêt. » De toute manière, la filière bois en général et l’ONF en particulier n’ont plus les moyens de mettre ce plan en œuvre, assure Thomas Ligeon : « Faute d’ouvriers et de moyens, nous devons passer par des pépinières et des entreprises externes pour replanter. Or elles ne sont pas forcément compétitives ni présentes sur tout le territoire. »
Quelque cinq cents agents se sont retrouvés devant le siège de l’Office national des forêts à Paris. © Émilie Massemin/Reporterre
« Tout rentabiliser » : voilà la politique du gouvernement
Cet état des lieux accable David Salmon, sénateur (Europe Écologie — Les Verts) d’Ille-et-Vilaine, venu à la rencontre des manifestants. « L’ONF est la victime emblématique d’un gouvernement qui tient un discours de façade de lutte contre le changement climatique et poursuit par-derrière une gestion comptable court-termiste consistant à tout rentabiliser », soupire-t-il. Il préconise à l’inverse de renforcer le service public forestier pour préserver la forêt comme « commun » ainsi que ses multiples fonctions — celle de puits de carbone notamment. « Si des coupes sont mal faites, la forêt peut à l’inverse devenir émettrice de gaz à effet de serre », alerte-t-il.
« 50 ans de capitalisme sauvage menacent 700 ans de gestion forestière », lit-on sur la banderole d’Anthony Routhier, Élise Gouret et Thomas Ligeon. © Émilie Massemin/Reporterre
Les raisons de se mobiliser ne manquent pas, mais des années de lutte âpre et infructueuse et de dégradation des conditions de travail ont laissé les agents exsangues. « Beaucoup de collègues sont désabusés et le nombre de manifestants n’ira pas croissant, témoigne François Roy. Je pense que c’est désormais aux Français de prendre le relais pour préserver les forêts pour leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Le problème est qu’ils ne réalisent pas la dégradation de l’état des arbres, la chute des populations d’oiseaux et d’insectes. » Loukas Benard, lui, se montre plus optimiste : « La marche pour la forêt de 2018 a impulsé la question dans le débat public. Depuis, des associations se sont mobilisées, comme Canopée ou SOS forêt. Récemment, près de 135 000 personnes ont signé une pétition de soutien à l’ONF. » Recommandations de la Convention citoyenne pour le climat, alertes du Haut Conseil pour le climat, Appel pour des forêts vivantes… Indéniablement, le travail de mobilisation et de sensibilisation sur l’importance des forêts mené par les agents de l’ONF a donné naissance à de multiples jeunes pousses.
L’Assemblée nationale s’est fait l’écho de cette prise de conscience. Mathilde Panot en a fait un combat personnel. En septembre 2019, la députée lançait, avec d’autres parlementaires, des associations, des syndicats et le journaliste de Reporterre Gaspard d’Allens, la commission d’enquête citoyenne « Forêts, bien commun ». Un an plus tard, la députée (La République en marche) du Nord Anne-Laure Cattelot remettait son rapport de mission parlementaire aux ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique.
Mathilde Panot, députée LFI du Val-de-Marne, est l’une des initiatrices de la commission d’enquête citoyenne « Forêts, bien commun ». © Émilie Massemin/Reporterre
Le projet de loi de finance pour 2020 a failli représenter une — petite — victoire pour l’Office : « Les députés ont voté pour notre amendement annulant la suppression de 95 postes à l’ONF. Contre l’avis du gouvernement, ce qui est très rare. Malheureusement, le gouvernement a demandé un nouveau vote et les députés de la majorité se sont rangés », se souvient la députée insoumise du Val-de-Marne. La route est encore longue pour faire entendre la voix de la forêt et de ses travailleuses et travailleurs. La proposition de loi pour un encadrement strict des coupes rases, déposée par Mathilde Panot en juillet 2020, n’a pas eu de suites.
Pas question pour autant de baisser les bras. Peu après 11 h, le cortège s’élançait vers le ministère de l’Économie au son de la sono et des cornes de chasse. Mathilde Panot, elle, prépare l’échéance des Assises internationales de la forêt, organisées par l’Institut La Boétie le 3 décembre prochain, « pour montrer que, face aux attaques très fortes contre la forêt, on peut faire différemment ». Avant de laisser le mot de conclusion à l’écrivain disparu Romain Gary : « La liberté est fille des forêts. C’est là qu’elle est née, c’est là qu’elle revient quand ça va mal. »