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En Italie, l’exceptionnelle résistance des anti-pass: reportage par Giannina Mura
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En Italie, l'exceptionnelle résistance des anti-pass: reportage par Giannina Mura (qg.media)
Fortement frappée par le Covid début 2020, l’Italie de Mario Draghi est devenue le pays pionnier pour l’obligation vaccinale des soignants, et désormais pour l’ensemble des salariés, suscitant de très puissantes résistances dans de nombreuses villes du pays. Contrairement à la France, de grands noms de la pensée de gauche comme Giorgio Agamben y ont pris partie contre le pass vaccinal, et des directeurs d’institutions prestigieuses ont présenté leur démission pour ne pas avoir à le mettre en oeuvre. Reportage de QG au pays où les anti-pass n’ont pas baissé les bras
Après avoir fait de l’Italie le premier pays à rendre obligatoire la vaccination du personnel de santé, le gouvernement Draghi a fait pression sur tous les Italiens pour se faire vacciner contre le Covid en imposant par décret, le 23 juillet 2021, l’obligation de pass sanitaire pour accéder aux lieux publics clos (bars, cinémas, musées, restaurants…) dès le 6 août.
Jusqu’à aujourd’hui, 54,7% des plus de 12 ans ont effectué un cycle complet de vaccination. Le nouveau Green Pass (nom du pass vaccinal en Italie), valable neuf mois pour les vaccinés, six pour les guéris du Covid, et 48 heures pour les testés négatifs, est la « condition pour garder l’activité économique ouverte », a annoncé l’exécutif.
Les philosophes Giorgio Agamben et Massimo Cacciari ont été les premiers intellectuels de renom à s’insurger contre cette « condition », dont ils ont dénoncé les périls par une lettre ouverte publiée le 26 juillet dernier dans la revue de l’Institut Italien d’Etudes Philosophiques de Naples. Ils alertaient : « La discrimination d’une catégorie de personnes, qui deviennent automatiquement des citoyens de série B, est en soi un fait gravissime, dont les conséquences peuvent être dramatiques pour la vie démocratique ». Ils mettaient aussi en garde contre la transformation du vaccin « en une sorte de symbole politico-religieux », ce qui « en plus d’être une dérive anti-démocratique, va à l’encontre des preuves scientifiques ». Car, interrogent-ils, comment peut-on imposer, subrepticement via le pass, la vaccination au plus grand nombre, sans tenir compte des dangers, compte tenu du fait que les vaccinés peuvent transmettre le virus et tomber malades, et que, par ailleurs, les fabricants ont déclaré leur incapacité à prévoir les dommages et effets collatéraux à long terme du vaccin ?
« Les philosophes Giorgio Agamben (à droite de l’image ici) et Massimo Cacciari ont été les premiers intellectuels de renom à s’insurger contre cette « condition », dont ils ont dénoncé les périls par une lettre ouverte publiée le 26 juillet dernier »
Les deux philosophes s’inquiètent surtout des effets du pass sur la santé du corps social: « Tous sont menacés par ces pratiques discriminatoires. Paradoxalement, les porteurs du pass encore plus que les non-vaccinés (qu’une propagande de régime voudrait faire passer par des ennemis de la science et même promoteurs de pratiques magiques), du moment que tous leurs mouvements seront contrôlés ». D’où leur appel à un sursaut de la conscience démocratique.
Mais leur appel a déclenché plutôt le dédain des divers leaders d’opinion qui nient en bloc tout danger despotique ou effet discriminatoire de l’obligation du pass sanitaire. Paolo Flores D’Arcais, directeur de « MicroMega », revue historique de la gauche, dans une lettre publiée le 27 juillet sur le site de sa revue, le compare ainsi au permis de conduire, au port d’armes, ou à l’interdiction de fumer dans les lieux publics clos. Pour lui, « tenir à distance ceux qui ne veulent pas se faire vacciner n’a rien de discriminatoire, c’est une mesure élémentaire minimale de défense de la liberté et de la vie des autres ».
Parmi les rares intellectuels qui ont alors soutenu Agamben et Cacciari, le philosophe Andrea Zhok, professeur de Philosophie morale à l’Université La Statale de Milan, constatera, dans un article du 28 juillet, le clivage entre la situation sanitaire qui n’apparaît pas particulièrement critique et « une pression propagandiste terrifiante par tout l’establishment, qui martèle incessamment le devoir de se vacciner. Cette persuasion moralisatrice, alimentée par 100% des médias et par 90% de la classe politique a un impact dévastateur sur l’opinion publique » affirme-t-il.
Puisque le pass sanitaire a été « conçu comme un dispositif pour imposer de manière oblique une sorte d’obligation vaccinale sans en assumer la responsabilité », ceux qui refusent, « bien que légalement tolérés, sont jugés impurs, et il devient légitime, et même conseillé, que s’abatte sur eux le mépris » explique-t-il. Ainsi, la stigmatisation galopante des non-vaccinés, traités comme des sous-humains, « traîtres à la patrie dans l’effort de guerre contre le virus », fait couler la haine à flots sur les réseaux sociaux. Et d’avertir: « Nous arrivons à un seuil vraiment dangereux » lorsque le pouvoir déchaîne ses forces dans des campagnes agressives contre une partie de la population, qui agit dans le respect de la loi et exerce sa liberté légitime.
Le gouvernement aurait dû plutôt procéder à une « estimation calibrée des moyens et des fins sans s’ériger en juge moral », et « jouer avec les cartes démocratiques de l’argumentation, du pluralisme, de la bonne information », au lieu d’adopter « le raccourci autoritaire de la propagande, de la distorsion et de la diabolisation » insiste le philosophe.
Face aux critiques, Massimo Cacciari renchérit dans une tribune publiée par La Stampa le même jour, amplement diffusée sur d’autres sites web. L’Italie, explique-t-il, vit depuis plus de vingt ans dans un état d’exception qui « conditionne, fragilise, limite les libertés et les droits fondamentaux. Et ce dans un contexte global où la crise de l’idée même de représentation s’amplifie ». Et, comme en France, les états d’urgences se succèdent « sans la volonté précise d’en sortir politiquement et culturellement ». Ainsi, « au lieu d’une information adéquate, on procède par alarmes et diktats, au lieu d’exiger connaissance et participation, on produit une inflation de règles confuses, contradictoires et souvent complètement impuissantes ». L’imposition du Green pass risque de ce fait de devenir « un moyen subreptice de prolonger à l’infini – peut-être avec des vaccinations répétées – une sorte de micro-lockdown », ouvrant la voie à une société du « Surveiller et punir ».
La vaccination doit faire l’objet d’un libre choix, maintient-il, ajoutant : « un choix est libre seulement quand il est conscient. Nous sommes libres seulement quand nous décidons sur la base de données précises, en calculant rationnellement les coûts et les bénéfices pour nous et pour les autres. » Et de prévenir : « Tant que nous subirons toute mesure ou toute norme, sans en demander la raison, et sans en considérer toutes les conséquences possibles, la démocratie se réduira à la plus vide des formes, à un fantôme idéel ».
C’est justement en jugeant l’obligation du pass comme une mesure disproportionnée et injustifiée que Fabrizio Masucci, le président et directeur du musée le plus visité de Naples, le Museo Capella Sansevero, a fait un « pas de côté », annonçant, le 2 août, sa démission. Les musées « ne doivent pas être utilisés comme des moyens pour atteindre des objectifs étrangers à leur fin », surtout si une telle instrumentalisation compromet la cohésion sociale, a-t-il asséné.
Fabrizio Masucci, directeur du musée le plus visité de Naples, le Museo Capella Sansevero, a annoncé le 2 août, sa démission. Les musées « ne doivent pas être utilisés comme des moyens pour atteindre des objectifs étrangers à leur fin » a-t-il asséné.
Rappelant que les protocoles sanitaires adoptés en font les lieux publics clos à plus bas risque de contamination, il affirme que seules des évaluations épidémiologiques spécifiques aux musées lui auraient permis de continuer à diriger une institution qui soit contrainte de renoncer à la parité dans le traitement de ses visiteurs. La vocation muséale de lieu d’inclusion et d’accès égalitaire à l’art et à la culture « devrait être sacrifiée uniquement après avoir épuisé tout effort possible pour éviter une telle blessure » a affirmé Masucci. D’où sa décision de quitter – après plus de dix ans –la direction de son musée. Et d’inviter les autorités à reconsidérer cette obligation, afin de permettre aux musées de rester un « port neutre » où « les visiteurs, entourés de la beauté, puissent recommencer à connaître et à se reconnaître sans étiquettes ».
Ce « simple geste de cohérence », s’il n’a pas eu l’effet espéré, apparaît comme la quintessence de la « dissidence individuelle » prônée par le poète et musicien Francesco Benozzo, célèbre professeur de philologie romane à l’université « Alma Mater Studiorum » de Bologne. Avec Luca Marini, professeur de Droit international, de droits humains et de bioéthique à l’université de Rome « La Sapienza », il est l’un des rares universitaires à avoir contesté publiquement la gestion de la crise sanitaire, dès mars 2020.
Ensemble, ils ont signé un appel à la communauté académique contre la nouvelle extension du Green Pass qui, à partir du 1er septembre 2021 fut rendu obligatoire pour les étudiants universitaires et le personnel enseignant et administratif des écoles et des universités afin d’accéder à leur lieu d’étude et de travail.
Publié le 8 août 2021, sous forme de lettre au médiéviste Franco Cardini, leur appel part d’un constat amer : « Dans le silence assourdissant et gêné des recteurs, des organismes académiques, des syndicats et des associations, l’école et l’université ont été frappées par une mesure (le décret-loi du 6 août 2021) qui concrétise sur le plan juridique la plus grave violation des droits humains perpétrée de 1945 jusqu’à aujourd’hui. Pour notre façon de ressentir et de penser, nous nous considérons, maintenant, en tant que citoyens italiens et en tant que professeurs universitaires, des persécutés politiques et nous agirons en tant que tels à l’avenir. »
Ils regrettent que l’Université n’ait initié aucun débat sur l’état d’urgence, « se limitant à censurer et à pointer du doigt comme théoriciens du complot, négationnistes ou antiscientifiques, certaines positions exprimées par des chercheurs, professeurs et collègues du personnel technico-administratif ». Néanmoins, ils gardent l’espoir que « du monde universitaire, surgissent des personnalités institutionnelles et des voix capables de discuter de manière critique des méthodes et des mesures que tout étudiant en cours de civisme serait capable, si non manipulé, de reconnaître comme disproportionnées et illogiques. »
Quelques jours plus tard, les deux récidivent envoyant, le 14 août 2021, un appel aux Présidents de la République, du Conseil des ministres, du Sénat, de la Chambre des députés et de la Cour Constitutionnelle. Le but ? Mettre en avant les aspects critiques de la campagne vaccinale en cours, soulignant, entre autres, la contradiction entre celle-ci et les principes généraux du droit international et de bioéthique, parmi lesquels « le principe de précaution ». Ils alertent également sur les dérives possibles des mesures gouvernementales, sur leur impact concernant les droits, les libertés individuelles et le rapport entre gouvernants et gouvernés.
Le 29 août, Benozzo appelle ses collègues des écoles et des universités à déserter les cours et à s’abstenir de travailler à la rentrée. Il incite notamment les possesseurs de Green pass à devenir l’élément perturbateur inattendu pour « le dispositif de domination ». Et enchaîne : « Je vous invite à vous demander s’il y a encore un sens à vous voir comme des enseignants, des professeurs, des personnes libres au sein d’une institution libre, face à ce chantage qui vous oblige à obéir à une règle insensée, condamnant ceux de vos collègues qui s’y opposent à être exclus des cours. ». Et de prédire : « de ces temps sombres, il y aura des choses que nous ne regretterons pas et d’autres que nous regretterons. Chacun saura choisir lesquelles. Je crois que beaucoup, ou tout, dépendra des gestes individuels et des choix clairs. Je crois que beaucoup, ou tout, dépendra de vous ».
La plupart déclineront l’invitation, mais Benozzo et Marini sont de moins en moins seuls. L’appel des professeurs universitaires contre « la nature discriminatoire du Green Pass », lancé début septembre par 150 d’entre eux, dépasse les 1.000 signatures en quelques semaines. Son but ? Réaffirmer la notion d’université comme « lieu d’inclusion » et ouvrir « un débat sérieux et approfondi » sur les dangers du pass. Le mouvement des étudiants, Studenti contro il Green Pass, qui voit le jour au mois d’août, se constitue rapidement en réseau reliant les nombreux groupes locaux. Et multiplie les manifestations et les actions en collaboration avec les professeurs et les autres opposants au pass sanitaire, allant des cours en extérieur dans diverses universités jusqu’aux actions de solidarité avec les étudiants et le personnel sans Green pass. Comme à Bologne, le 5 octobre, en soutien de Benozzo qui, à partir du 5e jour sans pass, sera suspendu et privé de salaire.
Francesco Benozzo, célèbre professeur de philologie à Bologne. En France, très rares sont les universitaires qui prendront partie contre le pass sanitaire
A la veille du vote au parlement du 9 septembre 2021 pour la transposition en loi des décrets sur l’extension du Green pass, le mouvement lance un appel aux parlementaires. Déplorant l’absence d’un véritable débat public et politique en matière de vaccination, obligation vaccinale et passeport sanitaire d’un point de vue scientifique, juridique et éthique, il y propose une analyse serrée. Entre autres, il souligne que ce décret-loi viole la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, dont l’article 1 (« la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ») et l’article 3 (droit à son integrité physique et mentale, comprenant le consentement libre et éclairé des personnes soumises à des traitements médicaux). Comment peut-il y avoir consentement libre, interroge-t-il, lorsque le Green Pass devient une condition préliminaire pour la reconnaissance de droits inaliénables et que le consentement est soumis à un chantage politique ?
De plus, pour imposer l’obligation, le vaccin doit avoir démontré sa capacité à améliorer la santé du vacciné et celle des autres, sans détériorer la santé de l’inoculé, et il faut également prévoir une indemnisation adéquate en cas d’effets secondaires graves. Il constate que le Green pass ne satisfait pas ces conditions, d’où l’illégitimité de toute obligation vaccinale directe ou indirecte. Malgré cela, « la discrimination d’État actée avec le Green pass prive 30% des Italiens de leurs droits fondamentaux », et conditionne les droits fondamentaux de tous à l’obligation des « se vacciner régulièrement, en dépit des principes de droit qui imposent un consentement libre et éclairé aux traitements sanitaires ».
Face à cette « atrophie de la liberté », les étudiants s’activent pour renforcer le corps social, comme l’exprime Giulia, diplômée en droit, et porte-parole du mouvement le 18 septembre à Turin.
Le 9 septembre, Sara Cunial est l’une des 34 députés (sur les 295 présents) à voter contre la transposition en loi des décrets. Cette agricultrice bio de la Vénétie, élue dans les listes du Mouvement 5 étoiles (M5S), et exclue en 2019 pour ses critiques publiques adressées au parti, est une opposante de la première heure de l’état d’urgence. Lors de ce vote, elle s’élève à nouveau contre le gouvernement : « Vous ne pouvez plus dire que votre stratégie est le vaccin sur base volontaire, puisque vous forcez peu à peu tout le monde, indirectement, via le chantage social et le harcèlement moral. Vous utilisez la pandémie comme prétexte pour les réformes sociales, économiques et du travail, sous le signe des « larmes et du sang » que votre plan de relance exige comme rançon. »
« Generazioni Future », organisation de référence du mouvement de défense des biens communs, s’insurge aussi contre le pass. Le 3 septembre, elle interpelle les confédérations syndicales CGIL, Cisl et Uil : « Comment pouvez-vous ignorer que la pandémie est le moyen pour étendre le chantage de classe à toute la société, et que le Green Pass, dispositif odieux de discrimination et de surveillance, est au service des politiques gouvernementales et non un moyen de protection contre la contagion ? »
Et de renchérir : « La gravité de l’utilisation du travail et du salaire comme armes de chantage, pour obtenir la participation à un essai de vaccination expérimentale corrompu par des intérêts milliardaires, vous met directement en cause. » Face à une situation où « il n’y a plus de temps à perdre », « Generazioni Future » appelle le syndicat à « revoir les termes du dialogue avec le gouvernement », abandonner « une attitude de soumission » et « retrouver la force et clarté pour redevenir un sujet qui défend véritablement tous les travailleurs ».
L’ambiance à Trieste, Italie, lors d’une manifestation anti-Green Pass
Malgré les manifestations spontanées, pacifiques et autogérées, qui se tiennent tous les samedis dans les villes italiennes depuis le 31 juillet, les recours en justice, et les innombrables appels, le gouvernement ne revient pas en arrière. Pire, le Conseil des ministres a approuvé à l’unanimité, le 16 septembre 2021, le décret-loi qui fait de l’Italie le premier pays au monde où seule la possession du pass permettra aux citoyens d’accéder à leur lieu de travail (privé et public, y compris le parlement).
23 millions d’Italiens sont concernés. L’objectif ? Pousser les non-vaccinés à se rendre au centre de vaccination pour dépasser 80% d’inoculés au sein de la population à la mi-octobre. Car, à partir du 15 octobre, les salariés sans pass seront interdits d’entrée, considérés comme en « abandon de poste », et privés de salaire jusqu’à ce qu’ils le présentent. Les syndicats confédéraux demandent la prise en charge des tests par les employeurs (car « on ne doit pas payer pour travailler »), ou à défaut, l’imposition de la vaccination obligatoire pour tous. En vain.
La manifestation du 25 septembre dernier a rempli la piazza San Giovanni de Rome, place emblématique de l’histoire syndicale, de femmes et d’hommes qui se sentent abandonnés par le manque d’action des syndicats confédéraux. Organisée sous le slogan « travail et liberté » par diverses associations (Fronte del Dissenso, No Paura day, Ancora Italia, entre autres), elle revendiquait l’abolition du Green Pass et de l’état d’urgence, la liberté de choix et non l’obligation vaccinale, mais aussi une « économie de la solidarité sociale, contre le néolibéralisme et la domination de la finance ».
Les interventions qui se succèderont à la tribune attestent de ce premier essai d’alliance entre travailleurs en lutte, étudiants, professeurs, médecins, avocats et autres professionnels. La plus retentissante d’entre elles viendra de la commissaire adjointe de la police de Rome, Nunzia Alessandra Schilirò.
Ancienne chef de la section de la brigade mobile chargée des crimes sexuels, réputée pour sa résolution de cas difficiles de féminicides, cette fonctionnaire de la Criminalpol monte à la tribune « en tant que libre citoyenne », poussée par « la gravité sans précédents du moment historique », et bien consciente du risque qu’elle prend pour sa carrière. Elle qualifie le Green pass d’incompatible avec la Constitution italienne et avertit : « La désobéissance civile est un devoir sacré lorsque l’État devient despotique ou corrompu, le citoyen qui s’accommode d’un tel État en devient complice ».
A Trieste la participation aux manifestations devient de plus en plus importante. Ici celle du 25 septembre 2021
A l’approche du 15 octobre 2021, du Nord au Sud de l’Italie, les mobilisations se sont intensifiées. Par leur ampleur, elles ont commencé à fortement inquiéter les autorités. Et les violences en marge de certaines manifestations, comme le 9 octobre à Rome, ont fait réapparaître le spectre des années de plomb. Mais, plus que par des extrémistes de droite, ou de gauche, comme les martèlent certains médias, ces manifestations apparaissent surtout peuplées par des gens communs, déçus par la politique traditionnelle et les partis anti-système (Lega et M5S), unis par l’opposition au pass sanitaire et à l’obligation vaccinale, et par l’urgence de défendre leurs vies saccagées.
Les mots d’ordre « touche pas au travail », « grève générale », « non au chantage au travail » ont résonné d’un bout à l’autre de la Péninsule. A Trieste, le porte-parole de la coordination des travailleurs du port (CLPT), Stefano Puzzer, a annoncé que, à partir du 15 octobre, les dockers bloqueraient le port jusqu’à l’abolition du Green Pass, appelant tous les dockers du pays à faire de même. Les soutiens arrivent de tous les secteurs. Mais, le 15 octobre 2021 le blocage de l’Italie n’aura finalement pas eu lieu. Peur de l’autorité de contrôle des grèves qui, décrétant le débrayage illégal, avait annoncé des sanctions ?
A Trieste, des milliers d’opposants au pass sont arrivés de partout, pour confluer vers le vaste rassemblement au port, provoquant un fort ralentissement de l’activité pendant trois jours. Ce fut aussi le début d’une nouvelle forme de solidarité qui ne sera pas brisée lorsque, le 18 octobre, les forces de l’ordre délogèrent la foule présente sur les lieux à coup de matraques et gaz lacrymogènes.
Le célèbre chant Bella Ciao, devenu un hymne à la résistance dans le monde entier, entonné par des anti-pass en Italie
Si la mobilisation continue, la découverte de cas positifs parmi des manifestants, deux semaines plus tard, a offert aux autorités l’occasion pour en limiter le périmètre. Le 9 novembre, le ministère de l’intérieur a émis une directive prévoyant désormais seulement des « rassemblements statiques », ou des parcours décidés par les autorités hors des centres villes, et ce jusqu’à la fin de l’état d’urgence.
Face à ce nouveau tour de vis, la nécessité de l’union et d’une organisation représentative de l’opposition qui grandit, mais reste « dispersée » à travers des rendez-vous hebdomadaires sans effets sur les décisions gouvernementales, se fait pressante.
« Generazioni Future » a déjà organise à Turin, le 10 novembre dernier, une conférence sur « les politiques pandémiques » à laquelle ont participé des professeurs universitaires et autres intellectuels, médecins, ou politiciens « dissidents ». Le but? Jeter les bases pour la naissance d’une coordination qui vise à déconstruire le paradigme dominant d’un point de vue scientifique et à construire une culture politique commune en s’alliant avec les autres opposants au Green Pass afin de sortir de la crise dans laquelle s’enfonce le pays.
Pour Nunzia Alessandra Schilirò la sortie de cette crise ne peut avoir lieu qu’en redonnant à « l’énergie féminine » sa juste place dans la société. Dans ce but, elle a lancé la coordination « Venere vincerà ». Première étape : une manifestation de femmes le 14 novembre dernier à Florence. L’adhésion a dépassé les attentes. De milliers d’Italiennes provenant de toutes les régions ont saturé la Piazzale Michelangelo (capacité : 48.000 personnes) et les rues voisines.
Nunzia Alessandra Schilirò, commissaire adjointe de la police de Rome, figure de la lutte anti-pass en Italie
« Nous devons mener la lutte, parce que nous sommes le symbole de l’union » a-t-elle lancé depuis la tribune. L’appel à l’unité et aux actions communes est désormais à l’ordre du jour dans toutes les manifestations. Mais l’union entre les diverses âmes du mouvement semble encore loin. Le durcissement des règles d’usage du pass qui restreindra encore plus l’espace social des non-vaccinés à partir du 6 décembre prochain et l’extension de l’obligation vaccinale à d’autres catégories professionnelles, annoncée par le gouvernement le 24 novembre, lui impulsera-t-elle l’élan décisif ?
Giannina Mura, journaliste, correspondante internationale pour QG