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Violences policières : les images accablantes des abus et mensonges de la CSI 93

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Lien publiée le 17 décembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Violences policières : les images accablantes des abus et mensonges de la CSI 93 – Libération (liberation.fr)

30 mai 2019 : six policiers de la compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine-Saint-Denis procèdent à un contrôle d’identités devant une épicerie de Saint-Ouen. Le comportement violent des agents, ayant donné lieu à plusieurs mises en examen, est capté par une caméra de surveillance. «Libération» révèle l’intégralité des images.

Jonathan S. à Paris en septembre 2020. (Martin COLOMBET/Photo Martin Colombet pour Libé)

Les faits qui suivent se déroulent le 30 mai 2019, rue Claude-Monet, à Saint-Ouen. Ils ont mené à l’ouverture d’une instruction, toujours en cours, sur les policiers de la compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine-Saint-Denis (CSI 93). Ce jour-là, six policiers de la section Alpha 2 interviennent devant une épicerie. Deux caméras installées sur la devanture du commerce captent la scène. Libération publie l’intégralité de cette séquence et révèle les éléments de l’enquête judiciaire menée sur ces faits.

L’intervention des agents de la CSI 93 débute par un contrôle d’identité, sans justification légale apparente, mais banal. Une dizaine de personnes, noires et arabes, sont devant le commerce. Certains font de la musculation, d’autres discutent. Parmi eux se trouvent, Louqmane T., 19 ans, et Jonathan S., 35 ans. Ce dernier est accroupi quand les policiers, Riadh B., Loïc P., Yohann P., Olivier D., Jean-Baptiste D. et Bruno R., de la section Alpha 2 de la compagnie, arrivent devant lui. Les agents lui demandent de se lever, ce qu’il fait après quelques mots échangés. Quelques secondes plus tard, le brigadier-chef Riadh B. sort un sac plastique de sa poche, le jette discrètement aux pieds de Jonathan S. puis le ramasse et le brandit.

Ce moment, Jonathan S. s’en souvient parfaitement. «Dans un premier temps, je me dis que c’est un contrôle de routine, comme d’habitude, qu’ils vont contrôler et repartir, confie-t-il à LibérationEt finalement, ce n’est pas ce qui s’est passé.» Le geste de Riadh B. est capté par les caméras de l’épicerie. «Au moment où il ouvre le sac, je vais nettement distinguer des sachets d’herbe», poursuit Jonathan S. Il se dit alors qu’«on ne voit ça que dans les films, dans les séries américaines».

«Trouver de l’air pour respirer»

Louqmane T. sort alors son téléphone portable pour filmer les faits. C’est à ce moment que le policier Loïc P. s’approche de lui et s’empare de l’appareil. Il expliquera dans son audition, devant le juge d’instruction, que l’agent lui demande le code de déverrouillage de son téléphone : «Je lui ai répondu qu’il n’y avait pas de code. Il est parti faire un tour et est revenu en disant qu’il avait bien remarqué qu’il y avait un code. Il a essayé de faire le Face lD [le système de reconnaissance faciale du téléphone, ndlr] avec mon visage, en approchant le téléphone.» Selon son témoignage, la manœuvre échoue. Quelques secondes plus tard, les violences des agents débutent.

Jonathan S. est mis au sol par une «Chicago», une technique consistant «à tirer violemment vers soi, et par derrière, les jambes d’un individu, provoquant ainsi sa chute au sol, ventre et face contre terre», selon le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Il se débat, puis est étranglé pendant plus d’une minute. «Mon seul objectif à ce moment-là, c’est de trouver de l’air pour respirer, l’air ne passe plus.» Louqmane T. est frappé au visage à plusieurs reprises, il se défend, puis est mis au sol par les agents où il reçoit une décharge de Taser pendant cinq secondes, selon les données du rapport d’analyse du pistolet à impulsion électrique. Le premier s’en tire avec dix jours d’incapacité totale de travail (ITT), notamment à cause d’une côte cassée, le second un jour d’ITT.

Mais les faits dont ils sont victimes ne se limitent pas à ces violences. Jonathan S. et Louqmane T. − dont le téléphone n’a jamais été retrouvé − sont aussi placés en garde à vue par les policiers. Riadh B., Loïc P. et Olivier D. déposent des plaintes pour outrage, rébellion et violences à l’encontre des deux interpellés et pour menaces de mort à l’encontre de Louqmane T. Les deux risquent alors la prison.

Dans le procès-verbal d’interpellation, les policiers assurent que Jonathan S. «faisait de grands gestes en criant que personne ne procédera à son contrôle», qu’il «refuse la palpation», qu’un agent avait «tenté de raisonner l’individu en vain», que Jonathan S. «avait saisi violemment la main» d’un policier qu’il avait «tirée» vers lui. Concernant Louqmane T., il aurait pour sa part essayé «de s’interposer avec virulence à l’interpellation». Autant d’éléments qui seront démentis par les images de vidéosurveillance.

Version des faits mensongère

Alors que les agents avaient une réquisition pour faire constater leurs blessures au service médico-judiciaire d’Argenteuil, ils préfèrent consulter un médecin libéral dont le cabinet se trouve à Alfortville, dans le département voisin du Val-de-Marne. Le préjudice est alors évalué à dix jours pour Riadh B. et Olivier D., pour lesquels le médecin retient notamment un «syndrome anxieux sévère», huit jours pour Loïc P. qui n’a aucune blessure physique mais souffre d’un «syndrome anxieux réactionnel» et d’un «choc émotionnel».

Les fichiers vidéo des caméras de l’épicerie sont rapidement récupérés par des proches et mettent fin au piège des agents. «Si y avait pas eu ces images, ça aurait été beaucoup plus grave, livre Jonathan S. Ma voix n’aurait pas compté dans un tribunal.» Avec leur avocate, Me Raffaëlle Guy, les deux hommes portent plainte, une enquête est ouverte pour tentative d’entrave à la justice, faux en écriture publique, violences volontaires en réunion ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours, infraction à la législation sur les stupéfiants et vol. Le tout par personne dépositaire de l’autorité publique. Quelques semaines plus tard, un juge d’instruction est désigné et des investigations poussées sont lancées.

Les agents sont placés en garde à vue en juillet 2020. Ils vont soutenir une version des faits inexacte sur l’attitude des personnes contrôlées devant l’épicerie. Riadh B. s’embourbe dans ses explications sur l’utilisation d’un sachet de stupéfiants. Dans un rapport administratif rédigé peu de temps après les faits à la suite de la diffusion d’une séquence de l’interpellation sur Snapchat, il assure qu’il s’agissait d’un «sac en plastique […] ne contenant que des sachets de conditionnement vides». Mais, face à l’IGPN, il déclare qu’il s’agit du «sac de goûter» de l’un de ses collègues. Bref, en tout cas, pas de cannabis. Il affirme l’avoir jeté pour «débloquer la situation» et «faire réagir». Jonathan S. et Louqmane T. sont, eux, catégoriques : le sac contenait bien de l’herbe de cannabis.

Explications déroutantes

Les auditions des policiers arrivés sur place quelques instants après la section Alpha 2 vont aussi fragiliser les dénégations de Riadh B. et de ses collègues. Plusieurs affirment que l’interpellation visait bien une détention de cannabis. «Un des collègues de la CSI a dit quelque chose comme il avait un sac de stupéfiants”», dit par exemple le brigadier-chef Grégory P., de la BAC. «Ils ont juste dit qu’ils avaient fait un dealer», dit aussi Jean-Philippe C., également de la BAC.

Les explications de Loïc P. à propos du fait qu’il empêche Louqmane T. de filmer et s’accapare son téléphone sont aussi déroutantes. «Je trouve accablant qu’on puisse filmer les fonctionnaires de police de si près et qu’après ça se retrouve sur les réseaux sociaux. Avant tout, je voulais que [Louqmane T.] me montre ce qu’il avait filmé.» Les enquêteurs lui demandent à quel moment a-t-il «rendu le téléphone» ? «Je ne saurais pas vous dire.»

Le 2 juillet 2020, Riadh B., LoÏc P., Yohann P. et Olivier D. ont été mis en examen. Présumés innocents, un contrôle judiciaire leur interdit d’exercer la profession de policier. Contactés par le biais de leurs avocats, ils n’ont pas souhaité nous répondre. Qu’en est-il du côté de l’administration ? Le ministère de l’Intérieur, la Direction générale de la police nationale et la préfecture de police de Paris n’ont pas donné suite à nos questions.