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L’électorat senior : une terre de mission pour Jean-Luc Mélenchon

Mélenchon

Lien publiée le 20 décembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

L’électorat senior : une terre de mission pour Jean-Luc Mélenchon (theconversation.com)

Se voulant fidèle à la mémoire de celui qu’il aimait appeler affectueusement « le vieux », en référence à la façon dont les partisans de Léon Trotski nommaient ce dernier, Jean-Luc Mélenchon demeure persuadé, dans ce contexte de multiplicité des candidatures à gauche dont le total des intentions de vote se situe à un niveau historiquement bas, qu’il est le seul de son camp à pouvoir accéder à la présidence de la République, et cela à sa troisième tentative, comme François Mitterrand avant lui.

« La victoire est possible », voilà quels furent ses mots pleins d’optimisme, le 17 octobre 2021 à Reims, à l’occasion de son discours de clôture de la Convention de « l’Union populaire », qui devait marquer le début d’une étape nouvelle dans la longue vie politique du « tribun-poète », qui aura 71 ans en 2022.

Pour réussir là où il échoua en 2017, il a été décidé de s’émanciper de « la France insoumise », le « parti-mouvement » créé le 10 février 2016, jugé aujourd’hui inadapté pour permettre le nécessaire « élargissement » de sa base électorale.

Une « nouvelle stratégie » pour être compétitif sur le marché électoral

Une « nouvelle stratégie globale » serait donc née en cette année 2021 pour tenter de conférer une majorité électorale à ses solutions qu’il présente comme majoritaires en France. Elle a été baptisée « l’Union populaire ».

Celle-ci ne veut en aucun cas s’apparenter à une tactique de « front unique » d’organisations.

Pour Jean-Luc Mélenchon, crédité entre 8,5 et 10 % selon les enquêtes, « l’unité », aussi désirable soit-elle, ne se fera pas « par en haut » suite à un compromis programmatique audacieux entre les gauches, comme ce fut le cas en juin 1972 avec cette fameuse « union sans unité » autour du « Programme commun de gouvernement ». Elle se fera à la base, autour de la personne du leader charismatique et d’un programme politique, le sien, « l’Avenir en commun », objet incontournable de la transaction entre un candidat et ses électeurs.

En ce sens, si Jean-Luc Mélenchon et les insoumis ont fait le choix souverain de changer de structure organisationnelle, en délaissant la France insoumise au profit d’une « Union populaire » aux contours encore flous, la stratégie demeure en réalité inchangée. Il s’agit en effet de reprendre, en l’actualisant, la stratégie populiste de gauche qui permit de réunir sept millions de voix il y a cinq ans.

Sans le vote des jeunes, point de salut

En prenant ces dernières semaines longuement la parole devant cette jeunesse dite « qualifiée », que ce soit à l’ESCP Business School ou à Sciences Po Paris, ou en défendant récemment la proposition d’une allocation d’autonomie de 1,063 euros pour les jeunes qui étudient à la faculté et en lycée professionnel, le tribun populiste de gauche s’évertue à (re)mobiliser ceux qui avaient largement contribué à sa performance historique au premier tour de la dernière élection présidentielle où « le destin lui passa entre les doigts » à 600 000 voix près.

Jean-Luc Mélenchon propose une allocation jeunesse de 1,063 euros.

Pour espérer créer la surprise le 10 avril prochain, et ipso facto se qualifier au second tour, Jean-Luc Mélenchon entend de nouveau s’appuyer sur le vote des jeunes, sur les cinq millions de primo-votants, et plus particulièrement sur la jeunesse étudiante qui n’a jamais été aussi nombreuse qu’en cette rentrée 2021 avec plus de 2 816 000 d’inscrits à l’Université.

En 2017, dans un contexte de forte abstention, Jean-Luc Mélenchon pu se réconforter en ce soir de défaite d’avoir progressé de 10 points chez les moins de 35 ans par rapport à 2012 où il avait déjà obtenu des scores significatifs dans ces tranches d’âges : 16 % des 18-24 ans avaient voté pour lui en 2012 contre 11 % des 25-34 ans.

La catégorie des 18-34 ans constitua 54 % de son électorat, soit plus de 3,5 millions de voix. Il obtient 24 % chez les 25-34 ans et une percée remarquable dans la catégorie des primo-votants (18-24 ans) où il atteignit la barre des 30 %, devançant tous ses rivaux, aussi bien Emmanuel Macron (18 %) que Marine Le Pen (21 %), pourtant longtemps présentée comme « la candidate favorite des jeunes ».

Les jeunes, une condition pour la suite

Comme le démontre la sociologue Anne Muxel, il n’y avait pas d’écart significatif, en 2017, selon le statut social et le niveau de diplôme des jeunes qui se sont tournés vers le candidat de la France insoumise. Si des zones de faiblesse persistent, notamment auprès des jeunes ruraux de classes populaires, cette « jeunesse peu visible » dont le vote reste davantage orienté vers la droite nationaliste, il n’en demeure pas moins que ce fut sa force d’avoir su rassembler des électeurs jeunes issus de tous les milieux sociaux, ceux-là même qui, habituellement, ne se croisent pas, ne se côtoient pas, ne se fréquentent pas.

Ainsi, la capacité de Jean-Luc Mélenchon à convaincre, autant par son programme que par la restauration de son image aujourd’hui à nouveau abîmée, des pans entiers de cette classe d’âge (les 18-34 ans), qui avait largement contribué aux performances électorales du Parti communiste français dans les années 1970, sera-t-elle a priori une condition nécessaire pour espérer accéder au second tour de l’élection présidentielle de 2022.

Le vote des retraités : un constat éloquent

Si en 2017, au premier tour, il apparaissait clairement que plus on était jeune, plus on avait de probabilité d’accorder sa voix à Jean-Luc Mélenchon, le constat, en revanche, était éloquent en ce qui concerne le vote des seniors. En effet, parmi les plus de 65 ans ayant voté au premier tour de la présidentielle de 2017, seuls 12 % plébiscitèrent le candidat de la France insoumise, bien que cela représentât quatre points supplémentaires par rapport à 2012.

Le déséquilibre générationnel au sein de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon n’est pas spécifique à ce dernier. Un phénomène comparable se retrouve dans l’électorat des autres membres de sa famille politique, que ce soit celui de Jeremy Corbyn, de Podemos ou de Bernie Sanders.

Une militante soutien Bernie Sanders le 28 octobre 2021 dans le New Jersey lors d’un rassemblement. Les jeunes adhèrent globalement plus facilement au programme du leader démocrate que l’électorat plus âgé. Yana Paskova/AFP

La structure générationnelle de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon en 2017 se rapproche par ailleurs sensiblement de celui de Marine Le Pen, qui atteignit 14 % des suffrages chez les plus de 65 ans grâce aux suffrages des plus modestes d’entre eux. A contrario, François Fillon dût ses 19,7 % de suffrages exprimés, en dépit de « ses affaires », à la surmobilisation d’un électorat du troisième et du quatrième âge dont le tropisme droitier, établi depuis longtemps par les études, se trouva confirmé à cette occasion.

Le pronostic optimiste de ceux qui postulaient que le renouvellement générationnel, autrement dit que l’arrivée progressive à la retraite des cohortes appartenant à la « génération 68 » entraîne un gauchissement profond et durable du vote des seniors semble avoir été infirmé, cette fois-ci.

Pourtant, en 2012, comme François Mitterrand en 1988, le candidat socialiste François Hollande était parvenu à réaliser des performances notables, en se classant deuxième chez les plus de 65 ans avec 30 % des voix au premier tour et 45 % au second, ce qui contribua à faire battre Nicolas Sarkozy, le même, qui, cinq ans auparavant, l’avait largement emporté face à Ségolène Royale grâce à la mobilisation massive en sa faveur des seniors (2 électeurs sur trois parmi les plus de 60 ans s’étaient portés sur son nom).

L’impossibilité de gagner sans « le pouvoir gris »

Il semblerait qu’il devenu presque impossible d’espérer triompher de la règle majoritaire, et par là même de remporter une élection présidentielle, sans convaincre, sinon la majorité des retraités, au moins une minorité importante d’entre eux. En effet, le poids démographique des seniors n’a cessé de s’accroître depuis vingt ans autant du fait de l’allongement de l’espérance de vie à la naissance et en bonne santé, que de l’arrivée dans cette classe d’âge des générations issues du « baby-boom ». Ainsi, les personnes âgées d’au moins 65 ans représentaient-elles 20,5 % de la population française au 1er janvier 2020. Et cela ne va pas s’arrêter : en 2027, les seniors représenteront 22,5 % de la population, et 25 % en 2040, tandis qu’ils constituent déjà présentement un tiers des votants.

En s’appuyant prioritairement sur le vote des jeunes gens, Jean-Luc Mélenchon peut, certes, espérer se qualifier pour le second tour (le seuil de qualification risque d’être abaissé du fait de la concurrence entre les deux candidats de la droite nationaliste, Éric Zemmour et Marine Le Pen), mais celui-ci ne saurait suffire pour l’emporter.

S’il décide de poursuivre ses efforts pour rallier à lui cette « plaque sensible de la société », la jeunesse étudiante et diplômée, il devrait, afin d’élargir de façon décisive sa base électorale, s’adresser également aux 60–85 ans, qui, de plus en plus nombreux, constituent la classe d’âge la moins abstentionniste à chaque élection. En 2017, près de 30 % des moins de 35 ans ne s’étaient pas déplacés au 1er tour, contre « seulement » 16 % des 60-69 ans et 12 % des plus de 70 ans.

Bien que le vote senior soit souvent synonyme de vote conservateur, de vote « libéral-autoritaire », Jean-Luc Mélenchon perdrait énormément à se résigner à cette tendance à « la droitisation des attitudes politiques au fil de l’âge ». En dépit de l’existence persistante d’un « effet patrimoine » qui demeure un des facteurs explicatifs du vote à droite, tandis qu’en moyenne le niveau de vie et de patrimoine des seniors a considérablement augmenté depuis 1965, pourquoi une partie significative de ces électeurs âgés et très âgés, serait-elle a priori imperméable aux grilles de lectures du réel et aux propositions réformatrices de Jean-Luc Mélenchon ?

Être capable de parler de la vieillesse dans notre société pétrie d’âgisme

Outre sa défense en faveur de l’inscription dans la Constitution « du droit à mourir dans la dignité », le candidat Jean-Luc Mélenchon a manifesté récemment son vif intérêt pour ceux qu’il évoque d’ordinaire si peu en tant que tels dans ses nombreuses prises de parole, en se rendant, suite à un courrier d’une pensionnaire de 95 ans, à l’Ehpad de Jarny.

Celui qui a toujours voulu assumer le rôle de passeur en s’entourant de jeunes gens, que se soit au temps où il était dirigeant au Parti socialiste, et à présent au sein de la France insoumise, pour s’assurer que le fil de l’histoire ne sera pas rompu une fois son retrait de la vie partisane intervenu, serait sans doute inspiré de s’adresser directement aux femmes et aux hommes de sa génération dans le cadre d’un discours fondateur, comme le fit en son temps le dirigeant socialiste, Jean Jaurès, à destination de la jeunesse.

En se rendant davantage visible, en popularisant des propositions ambitieuses qui viseraient autant à diminuer les inégalités sociales dans la vieillesse) que de transformer les conditions de travail et d’existence des centaines de milliers de femmes qui prennent soin des personnes âgées en perte d’autonomie chez elles (auxiliaires de vie sociale, aides à domicile, aides-ménagères), tout en déconstruisant les nombreux stéréotypes à visée régressive sur les « vieux », le candidat de la gauche radicale pourrait possiblement se rendre davantage audible auprès d’une partie de cet électorat clé.

Il s’agirait, enfin, comme l’énonçait l’intellectuelle et militante féministe Simone de Beauvoir dans son essai sur La vieillesse(1970), de « briser la conspiration du silence » autour de « la situation scandaleuse des vieux dans la société », afin qu’un grand débat s’ouvre à l’occasion de cette campagne présidentielle au sujet des nombreuses conséquences économiques et sociales du fait de la seniorisation accélérée de nos sociétés modernes, et de facto aux besoins humains et matériels qui seraient nécessaires de mobiliser pour répondre, enfin, de façon satisfaisante, juste et humaine à « l’un des changements sociaux les plus importants du XXIe siècle ».


Co-auteur de cet article, Hugo Melchior est chercheur indépendant en histoire politique contemporaine, auteur de plusieurs articles sur la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon.

Manuel Cervera-Marzal vient de publier « Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise » (éditions La Découverte)