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Présidentielle 2022 : une nouvelle méthode pour sonder le cœur des électeurs

Présidentielles2022

Lien publiée le 4 janvier 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Présidentielle 2022 : une nouvelle méthode pour sonder le cœur des électeurs (marianne.net)

« Marianne » lance un partenariat exclusif avec Cluster17, un nouvel institut de sondage fondé sur une méthodologie novatrice. Jean-Yves Dormagen, fondateur de Cluster17, nous explique l'originalité de sa démarche.

C'est une overdose devant laquelle nul citoyen ne peut rester indifférent : chaque semaine, chaque jour, chaque minute, les sondages pleuvent à l'approche de la présidentielle, et le moindre pourcentage de variation nourrit les analyses des commentateurs. Face à cette inflation d'études d'opinion, à la fiabilité parfois douteuse, certains médias ont décidé de dire stop : Ouest-France a ainsi claironné son refus de « participer à la grande manip », et « ne réalisera aucun sondage politique avant la présidentielle » tout en « évitant de perdre du temps à commenter ceux des autres ».

Mais l'équation est complexe. Bien qu'on puisse les juger envahissantes, les enquêtes d'intentions de vote sont devenues incontournables dans la vie politique : de très nombreux Français les utilisent pour faire leur choix au premier tour, et les équipes de campagne ont les yeux rivés dessus en permanence.

Pour cette campagne présidentielle, Marianne se lance dans une expérience : notre journal lance un partenariat avec Cluster17, un nouveau venu dans le monde des instituts d'opinion aux méthodes inédites, qui vient d'être reconnu par la Commission des sondages. Nous publions d'ailleurs ce mardi 4 janvier le premier sondage d'intentions de vote de l'année. Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier et fondateur de Cluster17, nous décrit sa démarche originale, basée sur un nouveau concept : l'analyse de la vie politique française par « clusters » correspondant aux grands systèmes d'opinion qui cohabitent dans le pays.

Marianne : En quoi Cluster17 se différencie-t-il d'un institut de sondage classique ?

Jean-Yves Dormagen : Cluster17 est un « laboratoire ». Nous nous inscrivons dans une démarche où la recherche occupe une place essentielle. La clusterisation, qui est à la base de notre projet, est le fruit de plusieurs années de recherche et d’expérimentations. Il y a, me semble-t-il, trop de distance, aujourd’hui, entre le monde de la recherche et le monde des sondages. Cela n’a pas toujours été le cas. La méthode des sondages a été développée et théorisée dans le monde universitaire, par des chercheurs exceptionnels tels que Paul Lazarsfeld. Il ne faut pas non plus oublier que le plus ancien Institut français, l’Ifop, a été créé par Jean Stoetzel, un pur produit du système universitaire français, normalien, agrégé de philosophie, professeur à la Sorbonne, fondateur de la Revue Française de Sociologie, qui avait découvert la force des sondages lors d’un séjour académique aux États-Unis. Il faut aussi se rendre compte que la quasi-totalité des recherches quantitatives en sciences sociales repose sur des sondages. C’est cette relation entre recherche et sondages qui constitue l’ADN de Cluster17.

Comment avez-vous constitué vos 16 clusters ?

J-Y. D. : Les clusters reposent sur un principe très simple : les systèmes d’opinion sont le facteur le plus déterminant des préférences politiques en général et des orientations électorales en particulier. Ces systèmes d’opinions se repèrent particulièrement bien via les positions des individus sur les enjeux les plus clivants. Et ces systèmes sont stables et n’évoluent que très lentement. Dis-moi quelles sont tes positions sur la peine de mort, sur la redistribution économique, sur les élites politiques et les riches, sur le nucléaire… et je te dirai pour qui tu es susceptible de voter et pour qui il n’y a aucune chance que tu votes. C’est à partir de ce principe que nous avons conçu le test permettant d’identifier les 16 groupes constitutifs de l’électorat français en 2022.

Et votre échantillon ?

J-Y. D. : Nos échantillons sont constitués de façon tout à fait traditionnelle. Notre objectif – commun à tous ceux qui réalisent des sondages – est de constituer des échantillons représentatifs. En l’occurrence des échantillons représentatifs de l’électorat français. Pour cela, nous appliquons la méthode dite des « quotas » à partir des caractéristiques de la population des inscrits telles que les établissent les enquêtes de l’INSEE.

Quelle plus-value apporte la clusterisation pour analyser les mouvements électoraux ?

J-Y. D. : Nous sommes partis du constat que les catégories traditionnelles ne fonctionnaient plus pour comprendre les préférences électorales. Les grandes classes sociales ou le clivage gauche/droite ont largement perdu le pouvoir explicatif qui étaient le leur dans le cadre de l’ancien ordre électoral. Que ce soit en France ou à l’étranger, les chercheurs ont depuis longtemps constaté la fin du « vote de classe ». On est loin des années 1970, une époque où les ouvriers représentaient 40 % de la population et votaient aux deux-tiers pour les partis de gauche ; une époque où le clivage gauche/droite structurait et dans une certaine mesure stabilisait le vote.

« Les clusters permettent de comprendre pourquoi la gauche traditionnelle est si faible, par exemple, ou pourquoi les thématiques identitaires sont aussi centrales dans la campagne électorale. »

Aujourd’hui, nombre d’individus ne s’identifie plus à ce clivage et parmi ceux qui se reconnaissent encore dans ces catégories les préférences politiques sont particulièrement dispersées. Ainsi, parmi les électeurs qui s’identifient encore à la gauche, certains votent Mélenchon, d’autres Jadot, mais aussi une part conséquente Macron et, dans une moindre mesure, Le Pen. Il n’y a plus de correspondance claire entre positionnement politique et vote.

Dans ce contexte marqué par la fluidité et l’instabilité, les clusters permettent, je crois, de retrouver de l’intelligibilité et de remettre un certain ordre. Ils permettent de comprendre – et même dans une certaine mesure d’anticiper – qui vote pour qui et pour quelles raisons. Chaque cluster constitue une unité de base de l’électorat français. Chaque cluster constitue une île de l’archipel électoral pour reprendre la fameuse métaphore de Jérôme Fourquet. Les clusters permettent ainsi de comprendre finement la demande électorale, donc de comprendre l’état des forces en présence, mais aussi qui est en concurrence avec qui et sur quel segment de l’électorat. Ils permettent de comprendre pourquoi la gauche traditionnelle est si faible, par exemple, ou pourquoi les thématiques identitaires sont aussi centrales dans la campagne électorale.

Les sondeurs connaissent souvent des difficultés pour mesurer la variation de la participation. Quelle est la démarche de Cluster17 ?

J-Y. D. : En effet, les sondages éprouvent des difficultés à mesurer l’abstention et même plus globalement à étudier ce phénomène. Cela n’a rien de nouveau et cela n’est pas un problème spécifiquement français. Dès les années 1960, les Américains se sont rendu compte que l’on ne pouvait pas étudier l’abstention par de simples sondages. Les données du problème sont assez simples à comprendre : les individus les plus éloignés de la politique, les plus indifférents aux élections sont aussi ceux qui présentent le plus de probabilité de ne pas vouloir participer à un sondage sur… les élections. En conséquence, il y a toujours nettement plus de votants dans les échantillons que dans la réalité et les abstentionnistes qui participent aux enquêtes sont aussi en moyenne plus politisés. C’est un biais méthodologique difficilement évitable.

« Notre méthode permet de tenir compte de l’électorat potentiel dans sa diversité, à un moment de la campagne où il n’est pas encore possible d’estimer scientifiquement ce que sera le niveau de participation effectif. »

C’est pourquoi il faut mettre en œuvre des dispositifs de sondages plus sophistiqués mobilisant les listes d’émargements, ainsi que le fait l’INSEE, dont les enquêtes sur la participation sont absolument remarquables et permettent à la France de disposer des données les meilleures sur la sociologie du vote.

Les sondages sont surtout performants pour étudier les votants. Concernant la composition des échantillons en fonction de la participation déclarée, les instituts n’adoptent pas, aujourd’hui, les mêmes méthodes. Certains ne retiennent que les électeurs se déclarant « certains » d’aller voter. Cela peut conduire à conserver moins de 60 % des répondants. Et cela revient à surreprésenter certains profils de répondants : plus âgés, plus diplômés, plus politisés… Nous avons fait un autre choix méthodologique.

Nous retenons, à ce stade de la campagne, tous les répondants qui déclarent une intention d’aller voter et qui expriment un choix à la présidentielle. Mais nous pondérons leur vote en fonction du niveau de certitude d’aller voter déclarée sur une échelle de 0 à 100. Quel sera le niveau d’abstention le 10 avril prochain ? Personne ne peut répondre à cette question. La mobilisation dépendra du scénario de campagne mais aussi du contexte sanitaire que personne ne peut anticiper. La méthode que nous avons choisie permet de tenir compte de l’électorat potentiel dans sa diversité, à un moment de la campagne où il n’est pas encore possible d’estimer scientifiquement ce que sera le niveau de participation effectif, et par conséquent qui doit être inclus et qui doit être exclus des échantillons.