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"Don’t look up" : une métaphore discutable de la catastrophe climatique

cinema écologie

Lien publiée le 11 janvier 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

« Don’t look up » : une métaphore discutable de la catastrophe climatique (reporterre.net)

«<small class="fine d-inline"> </small>Don't look up<small class="fine d-inline"> </small>» : une métaphore discutable de la catastrophe climatique

Le film « Don’t look up » cartonne sur Netflix. Il dépeint l’inaction des politiques et l’inconsistance des médias face à l’imminence d’une catastrophe. Une métaphore de la réaction de la société au changement climatique ? « Don’t look up » en offre toutefois une lecture simpliste.

Une comète sur l’écran d’un télescope. Des calculs minutieux. Et une certitude : une comète large de 9 kilomètres entrera en collision avec la Terre et la détruira entièrement dans six mois. C’est l’information pour le moins alarmante qu’apportent deux astronomes, la jeune Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) et l’expérimenté Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) à Washington. Pendant 2 h 20 de film, les deux protagonistes vont tenter d’alerter politiques, médias et la société dans son ensemble du péril en cours. 

Deux semaines seulement après sa sortie le 24 décembre, Don’t look up : déni cosmique d’Adam McKay bat des records d’audience. Troisième au box-office de la plateforme Netflix, il affiche aussi la meilleure audience sur sa première semaine d’exploitation. Au-delà du changement climatique, cet engouement ne viendrait-il pas du fait que la société qu’il dépeint nous parle à tous ?

Inaction politique, médias inconsistants, scientifiques inaudibles

Avec une approche très étasunienne, le film décrit d’abord une réponse politique inconsistante face à un événement qui s’annonce catastrophique. Affublée du rôle de présidente des États-Unis, Meryl Streep campe un personnage irresponsable qui joue de ses décisions politiques au gré des besoins électoraux ou des intérêts financiers de ses collaborateurs. Rappelant le ton de la mandature de Donald Trump — dont l’un des faits notoires fut d’exclure les États-Unis de l’Accord de Paris —, la dirigeante n’hésite pas à manipuler les scientifiques pour ses besoins électoraux.

Dans une série de tweets, la climatologue Valérie Masson-Delmotte a dénoncé ces manipulations politiques, se basant sur sa propre expérience : « [Le film] illustre aussi la manière dont, malgré eux, les scientifiques peuvent se retrouver instrumentalisés dans un storytelling politique, pour un intérêt spécifique, et non l’intérêt général. »

Meryl Streep interprête la présidente des États-Unis dans « Don’t look up ». Capture d’écran YouTube/Netflix

Autre milieu crûment décrit, celui des médias télévisuels. Comment traiter une information sérieuse quand le ton est au divertissement ? Là aussi, la fiction a fait réagir la climatologue : « J’ai aussi souffert de cette dissonance lors d’interventions dans les médias, avec la question de la manière d’aborder des enjeux graves liés au changement climatique dans un monde médiatique qui cherche la distraction, les aspects simplistes, la dispute, le tout entre deux publicités favorisant la surconsommation ». Le ton des présentateurs télé, incarnés notamment par Cate Blanchett, rappelle celui des talk-shows étasuniens, mais la difficulté de faire passer un message sérieux (et parfois alarmant) se pose aussi dans les médias français.

Dans un tweet, le journaliste Daniel Schneidermann a rappelé l’intervention de la journaliste Salomé Saqué sur le plateau de l’émission 28 minutes : parlant avec fougue de l’urgence climatique, elle suscite les sarcasmes de ses interlocuteurs. « [Le film] pose la question de la formation des scientifiques pour les aider à s’exprimer dans les médias (media training), et la difficulté de journalistes (animateurs de talk-shows) ou de décideurs politiques (et leurs conseillers) à intégrer les connaissances scientifiques », a aussi tweeté Valérie Masson-Delmotte.

L’une des émissions du film. Capture d’écran YouTube/Netflix

Dernier personnage emblématique du film : Peter Isherwell (Mark Rylance), un magnat des nouvelles technologies armé de puissants arguments financiers pour orienter la décision politique. Les internautes se sont amusés au jeu du comparatif et y ont reconnu Jeff BezosElon Musk ou encore Bill Gates. Ce protagoniste porte « un discours récurrent sur de soi-disant solutions technologiques dont la faisabilité n’est pas démontrée et les effets indésirables non évalués », a commenté Valérie Masson-Delmotte.

Une lecture simpliste de la société et du changement climatique

Bien que les points communs entre cette société caricaturée et la vie réelle soient multiples, il convient de toutefois nuancer le propos. Non, le changement climatique ne détruira pas toute vie sur Terre d’ici six mois. Non, la réponse au changement climatique ne sera pas unique. Et non, nous ne sommes pas simplement dirigés par de méchants et cupides politiques, pas plus que la société dans son ensemble ne suit aveuglément les messages que les « puissants » dispensent.

Comme le souligne la climatologue, la réponse à la crise climatique ne sera pas binaire. « La réalité est bien plus complexe, avec des enjeux majeurs concernant les inégales responsabilités, vulnérabilités, impacts et capacités à agir », a-t-elle expliqué. Une analyse partagée par le rédacteur en chef de Socialter, Philippe Vion-Dury : « En choisissant un météore, McKay reconduit l’imaginaire très problématique de l’apocalypse, autrement dit du “délai”. »

À la différence de la comète, le danger du changement climatique n’est pas imminent, il est déjà présent. Plus question de l’éviter, mais plutôt d’en diminuer sa portée et de s’adapter. « Ce point n’a rien de superflu, puisque c’est à partir de cela qu’il faut penser les modalités de l’action », a-t-il souligné.

Randall Mindy, joué par Leonardo DiCaprio. Capture d’écran YouTube/Netflix

Il a également dénoncé une lecture simpliste de la société dans laquelle coexisteraient « les prolos (aisément manipulables, bêtes, aigris, etc.), les ultra-riches (les 1 %) et la classe moyenne éduquée ». Une vision qui met l’accent sur des individus au détriment « des actions collectives et des mécanismes de solidarité », selon Valérie Masson-Delmotte. Dans une analyse partagée sur les réseaux sociaux, le sociologue Stefan Aykut s’interroge : il n’existerait « aucun groupe organisé, de parti, de syndicat, de mouvements sociaux » ? Des préoccupations légitimes telles que l’emploi ou la justice sociale n’apparaissent que de manière anecdotique dans le film, alors qu’elles ancrent les citoyens dans des problématiques sociales complexes et les poussent à agir.

Il alerte aussi sur la réponse scientifico-centrée à la crise climatique au détriment des aspects sociétaux : « Même si les exigences du mouvement climatique pour un changement rapide et profond sont basées sur la science et factuellement correctes. [... ces données] s’avèrent souvent insuffisantes pour opérer les profonds changements sociétaux nécessaires. Dans ce cadre, c’est bien une solution globale de tous les pans de la société qui est nécessaire ». Sans oublier qu’« écouter la science » ne constitue pas une stratégie politique en soi. D’abord parce qu’il existe de nombreuses voies possibles vers la neutralité climatique. Mais aussi parce que « la problématique des énergies fossiles repose sur des relations de pouvoir politico-économiques ». Dans ce contexte, Stefan Aykut estime que « la politique climatique ne consiste pas à appliquer la science, mais à perturber le pouvoir et à former des coalitions ».

Un choix éditorial audacieux pour Netflix

Don’t look up constitue un choix audacieux pour une plateforme en ligne. Dans son enquête L’insoutenable usage de la vidéo en ligne, publiée en 2019, le groupe de réflexion français The Shift Project alertait sur le niveau alarmant des gaz à effet de serre produits par les vidéos en ligne. En 2018, celles-ci ont généré quelque 300 millions de tonnes de CO2, soit 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon l’étude, 34 % étaient dues aux vidéos à la demande, notamment les films et séries de Netflix ou d’Amazon Prime. Plus globalement, la consommation énergétique du numérique s’accroît de 9 % par an.