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En Afghanistan, la pluie ne tombe plus, la famine guette

Afghanistan

Lien publiée le 17 janvier 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

En Afghanistan, la pluie ne tombe plus, la famine guette (reporterre.net)

En Afghanistan, la pluie ne tombe plus, la famine guette

À cause d’une crise économique gravissime et de mauvaises récoltes dues à la sécheresse, les Afghans sont proches de la famine. Depuis l’arrivée des talibans au pouvoir, la population s’enfonce dans la pauvreté.

Kaboul et environs de Kandahar (Afghanistan), reportage

Sur les hauteurs de Kaboul, à l’ouest de la ville, une mosquée bleue se détache du paysage jaune safran des montagnes. Au pied du lieu de culte, dans le cimetière de Karte Sakhi, des petites silhouettes déambulent entre les tombes. Tous les jours, des dizaines d’enfants s’y donnent rendez-vous pour travailler comme porteurs d’eau : « Je viens depuis deux ans », affirme Mujghan, 9 ans. Avec ses petites mains couvertes de poussière, elle tient un pot rempli d’eau : « Je l’apporte aux gens qui veulent nettoyer la tombe de leurs proches. À chaque pierre tombale lavée, je gagne 10 afghanis (9 centimes d’euros), dit-elle. Les derniers mois, à cause de la crise, je viens très souvent pour aider ma famille. »

Perchée dans les faubourgs de la capitale, non loin du cimetière, la maison familiale de Mujghan est délabrée. Les huit membres de la famille Sayedi cohabitent dans 15 mètres carrés. Le père, Abdulsayed, travaille comme homme d’entretien dans une école publique. « Je n’ai pas été payé depuis l’arrivée des talibans », affirme-t-il. Chassés du pouvoir en 2001 par les États-Unis et une coalition internationale, les talibans dirigent à nouveau le pays depuis la chute de Kaboul, la capitale, en août dernier. À cause des sanctions internationales, l’État n’a désormais plus les moyens de rémunérer les employés de la fonction publique. Mais l’insécurité alimentaire n’est pas seulement due à ces sanctions. Depuis trois ans, divers rapports d’ONG et de médias présents sur place font état d’une crise alimentaire causée par la sècheresse dans les campagnes. Affamés, des milliers de personnes fuient les campagnes.

Muzghan, 9 ans, travaille dans le cimetière de Karte Sakhi à Kaboul. © Florient Zwein/Hans Lucas/Reporterre

Dans ce pays affaibli par plus de quarante ans de guerre, la situation humanitaire était déjà critique avant le retour du mouvement fondamentaliste : « L’Afghanistan est largement dépendant de l’aide internationale », selon la chercheuse en sciences politiques Jasmine Bhatia. Mais le retour de l’Émirat islamique a porté un coup fatal à cette économie fragile. L’été dernier, les États-Unis ont gelé les réserves de la Banque centrale afghane, qui s’élèvent à 9,5 milliards de dollars, soit la moitié du [PIB|produit intérieur brut] afghan, pour qu’elles ne tombent pas entre les mains des talibans. Le système bancaire s’est effondré et l’inflation a gagné le pays. En quelques mois, la monnaie afghane a perdu un quart de sa valeur, faisant exploser les prix alimentaires. Dans le même temps, de nombreuses ONG d’aide internationale ont quitté le pays, privant la population d’une précieuse assistance humanitaire. L’isolement politique de l’Afghanistan (fermeture des frontières avec les pays voisins, activité réduite à l’aéroport de Kaboul) a durement affecté les échanges commerciaux.

Afin d’« assurer un avenir à un pays menacé par une catastrophe humanitaire », les Nations unies ont demandé, mardi 11 janvier, cinq milliards de dollars pour financer l’aide à l’Afghanistan cette année. C’est « l’appel le plus important jamais lancé pour un seul pays », assure l’organisation dans un communiqué.

En bas à droite de la photo, une femme fait la manche pour du pain tard le soir devant une boulangerie de Kaboul. © Florient Zwein/Hans Lucas/Reporterre

« Je n’aime pas faire travailler mes enfants, mais nous n’avons plus le choix », explique Abdulsayed. Son épouse, Raïssa, est assise à ses côtés : « Quand nous le pouvons, nous mangeons des pommes de terre, affirme-t-elle, mais certains jours, nous sautons des repas. » Poussé par le désespoir et la faim, Abdulsayed a envisagé de vendre une de ses filles, Marwa, âgée de 4 ans, « pour 100 000 afghanis », soit 900 euros. Alors qu’Abdulsayed cherchait un « acheteur », un voisin lui a fait don d’un sac de farine, « de quoi tenir quelques semaines », dit le père. Mais avec l’hiver qui commence, il craint, à terme, de devoir vendre un de ses enfants pour survivre. En Afghanistan, la vente de jeunes filles existe depuis longtemps parmi les familles les plus pauvres des régions reculées. Mais, avec la crise, le phénomène s’est propagé aux grandes villes. Elles sont généralement destinées au mariage précoce mais peuvent aussi être intégrées à des réseaux de travail forcé.

« Les cas de bébés malnutris augmentent de jour en jour »

La crise économique se double d’une année de mauvaises récoltes : la famine menace et plus de 60 % des Afghans vivent dans l’insécurité alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial. À l’hôpital Mirwais de Kandahar, dans le service dédié à la malnutrition infantile, les chambres sont surchargées. Accompagnés de leur mère, certains nourrissons doivent partager des lits. D’autres sont allongés sur des couvertures installées au sol, faute de place. Dans un coin de la pièce, la petite Zoya, 5 mois, 2,5 kg, est hospitalisée depuis trois jours. Sa mère soulève son pull. La poitrine du nourrisson est dessinée par des os et un ventre arrondi, signes de malnutrition. « Les cas de bébés malnutris augmentent de jour en jour », dit le docteur Ahmad Ullah Fayzy, qui travaille dans le service. « Les mères qui mangent mal ou pas assez ne donnent plus de lait. Aujourd’hui, nous accueillons quarante-deux enfants. C’est quatre fois plus que l’année dernière à la même période », ajoute-t-il. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 3 millions d’enfants afghans seraient atteints de malnutrition aiguë.

Un bébé souffrant de malnutrition à l’hopital Mirwais de Kandahar (Afghanistan) © Florient Zwein/Hans Lucas/Reporterre

Aujourd’hui, l’hôpital survit grâce à l’aide du Comité international de la Croix-Rouge. Malgré le retour des talibans, un certain nombre d’organisations internationales se sont maintenues. Et elles devraient être amenées à se renforcer car, le 22 décembre dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution facilitant l’assistance humanitaire pendant un an. Mais les moyens manquent encore pour faire face à l’hiver : « Toutes les semaines, des milliers de nouveaux Afghans nous demandent de l’aide », assure Babar Balloch, porte-parole de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). « La force de cette crise est sans précédent. En l’absence de filet de sécurité étatique, de plus en plus d’Afghans vont tomber dans la pauvreté. » Un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) indique que 97 % des Afghans pourraient sombrer dans la pauvreté d’ici mi-2022 si aucune mesure n’est prise.

Deux hommes près d’un réservoir d’eau au milieu des champs dans la région de Kandahar. © Florient Zwein/Hans Lucas/Reporterre

Sur la route menant à Jalalabad, en périphérie de Kaboul, un centre du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) accueille pour une distribution d’argent des Afghans déplacés. « Aujourd’hui, l’UNHCR va donner un peu plus de 500 dollars par famille », indique Ahmad Sattar, qui supervise la distribution. « Deux cents familles vont bénéficier de cette aide. » Au total, 3,5 millions d’Afghans sont déplacés sur une population de 40 millions de personnes, principalement à cause de la guerre. Mais nombreux sont ceux qui fuient aussi la pauvreté due aux mauvaises récoltes agricoles dans les zones rurales. C’est le cas de Faiz Mohammad, originaire de la province de Wardak, venu récupérer un peu d’argent ce jour-là. L’homme a 52 ans, mais avec sa barbe blanche et ses traits tirés, comme beaucoup d’Afghans qui ont connu la guerre et la faim, il en paraît dix de plus. « J’étais paysan, je cultivais du blé et des pommes de terre », raconte-t-il. « Il y a trois ans, il a cessé de pleuvoir. Plus rien ne pousse depuis. » À l’époque, il s’est rendu à Ghazni en quête d’un travail. Sans succès. Il s’est installé à Kaboul il y a cinq mois. « Ma famille avait faim », dit-il en posant sa tête entre ses mains. Il essuie ses joues humides, puis reprend : « Je n’arrivais plus à les soutenir financièrement. Nous sommes victimes de la sècheresse. »

Une distribution d’argent supervisé par l’UNHCR dans la périphérie de Kaboul, en décembre 2021. © Florient Zwein/Hans Lucas/Reporterre

Moins de pluie et des techniques d’irrigation archaïques

Dans les alentours de Kandahar, dans le sud du pays, une petite ferme du village de Reygi borde la route. À quelques mètres de son poulailler, Qudrat est assis sur une couverture, un thé à la main. Il observe ses champs couleur jaunâtre : « Je plante de la nourriture pour animaux et du blé, dit le jeune paysan, mais depuis deux ans, nous avons perdu 70 % de notre production. » Il avale une gorgée de thé et continue : « Ce tuyau d’eau est vide, comme le fossé qui borde mes champs. Ils étaient pourtant remplis d’eau les années précédentes. »

Bien qu’essentielle, l’aide humanitaire d’urgence ne pourra pas régler les problèmes structurels auxquels l’Afghanistan fait face, selon le géographe et directeur de recherche à l’Université Lyon 2 Fabrice Balanche : « La population afghane est de plus en plus nombreuse, et dans le même temps, il pleut de moins en moins. Cela cause des problèmes immenses d’accès à l’eau. » Selon lui, la sècheresse est directement liée au réchauffement climatique : « Depuis les années 1970, on observe une baisse progressive des précipitations dans la région moyen-orientale et dans les pays voisins. » La pauvreté et le manque de formation dans les campagnes renforcent ce stress hydrique : « L’eau est gâchée à cause des techniques d’irrigation archaïques. Il faudrait des arroseurs, une irrigation goutte à goutte. Pour cela, des ingénieurs auraient dû former les paysans. Mais, à cause de la guerre, ils ne sortaient pas de Kaboul. »

Un jeune enfant marchant dans un champ asséché dans la région de Kandahar. © Florient Zwein/Hans Lucas/Reporterre

Les mauvaises récoltes ont principalement renforcé l’insécurité alimentaire dans les campagnes : « 70 % de la population afghane est rurale », note Fabrice Balanche. Non seulement ces ruraux ne peuvent pas profiter de leurs récoltes, en baisse, mais « plus isolés, ils ont aussi moins accès à l’aide humanitaire. » Et pour ceux, dans les grandes villes, qui y ont accès, à terme, l’aide alimentaire risque d’être nuisible à l’économie afghane et à leur pouvoir d’achat : « La nourriture importée par les agences de l’ONU est gratuite. Elle va donc introduire une distorsion sur le marché local, affirme Fabrice Balanche, en conséquence, les prix des produits locaux vont augmenter. Cela n’encourage pas les paysans à produire. »

« Tous les paysans se sont mis à l’opium cette année. »

Pour faire face à la sècheresse, de nombreux paysans se sont tournés vers la culture du pavot à opium. Cette plante, résistante et peu gourmande en eau, leur apporte une sécurité financière. À quelques kilomètres de la ferme de Qudrat, Mohammad la cultive depuis deux ans : « Le blé ne pousse quasiment plus avec le manque d’eau. On a donc décidé de cultiver du pavot. » Racheté par des commerçants locaux, le produit prend ensuite la route de Nimrouz, où il est transformé, puis traverse la frontière avec l’Iran pour alimenter l’Europe en héroïne. Dans son champ, Mohammad est rejoint par une quinzaine de paysans, tous cultivateurs d’opium. L’un d’eux, Samir, tend un sac rempli de semences : « Nous venons de planter des graines pour la prochaine saison », dit-il, sourire aux lèvres. Mohammad se tourne vers ses champs : « On ne pourrait pas survivre sans le pavot. Avec la crise et la sècheresse, tous les paysans se sont mis à l’opium cette année. »