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Pourquoi très peu ont vu venir l’inflation

économie

Lien publiée le 24 janvier 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Les économistes mainstrean et postkeynésiens n'ont rien vu venir en effet. Pourtant, il n'y a pas d'argent magique. Il ne suffit pas d'injecter de l'argent par milliards pour faire repartir l'activité, car nous vivons dans une économie capitaliste qui ne vise pas à satsifaire les besoins, mais à maximiser le taux de profit. Injecter de l'argent par milliards ne fait pas remonter le taux de profit, et donc ne permet pas de relancer la production. Cela crée de l'inflation financière (quand cet argent alimente les transactions financières) ou sur les biens et services (quand cet argent est dépensé).

Pourquoi très peu ont vu venir l’inflation - Annotations (free.fr)

« En 2008, alors que la crise financière mondiale ravageait les économies à travers le monde, la Reine Elizabeth II, en visite à la London School of Economics, avait demandé "pourquoi personne n’a vu cela venir ?". La forte inflation de l’année 2021 - en particulier aux Etats-Unis où la hausse sur une année des prix à la consommation a atteint les 7 % en décembre, un niveau qui n’avait pas été observé depuis quatre décennies – doit susciter la même question.

L’inflation n’est généralement pas aussi mauvaise qu’une crise financière, en particulier quand les hausses de prix coïncident avec une amélioration rapide de l’économie. Et tandis que les crises financières peuvent être de façon inhérente imprévisibles, la prévision de l’inflation est une pièce de la modélisation macroéconomique.

Mais alors pourquoi presque personne n’a vu juste concernant l’inflation américaine l’année dernière ? Une enquête menée auprès de 36 prévisionnistes du secteur privé en mai indiquait une prévision d’inflation médiane de 2,3 % pour l’année 2021, mesurée par les dépenses personnes de consommation excluant l’énergie et les produits alimentaires ou l’indice des prix à la consommation, l’indicateur ciblé de facto par la Réserve fédérale. Dans l’ensemble, le groupe estimait qu’il y avait 0,5 % de chances que l’inflation excède les 4 % l’année dernière. Selon l’indicateur de l’inflation sous-jacente, cette dernière s’est élevée à 4,5 %.

Le comité fédéral d’open market de la Fed n’a pas fait mieux, aucun de ses 18 membres n’ayant anticipé une inflation supérieure à 2,5 % en 2021. Les marchés financiers semblent aussi avoir manqué celle-ci, les cours obligataires rapportant des prédictions similaires. De même du côté du FMI, du CBO, de l’administration Biden et même de beaucoup d’économistes conservateurs.

Une partie de cette erreur collective tient aux développements que les prévisionnistes n’ont pas anticipés ou pas pu anticiper. Le président de la Fed, Jerome Powell, parmi bien d’autres, a blâmé la variant Delta du coronavirus pour avoir ralenti la réouverture de l’économie et pour avoir poussé l’inflation à la hausse. Mais Powell et les autres avaient auparavant affirmé que l’accélération de l’inflation au printemps 2021 avait été alimentée par une réouverture plus rapide qu’attendu, dans la mesure où la vaccination avait réduit le nombre de contaminations. Il est improbable que ces deux excuses soient correctes. L’émergence du variant Delta, comme la pandémie en 2020, a probablement maintenu l’inflation à un niveau plus faible qu’elle n’aurait sinon atteint.

Les perturbations des chaînes de valeur ont été un autre développement inattendu qui a apparemment pris de court les prévisions d’inflation. Mais si la pandémie a entraîné des goulots d'étranglement, la plupart sont apparues l'année dernière, les productions manufacturières américaine et mondiale rebondissant d'un coup.

Cela nous amène à une source plus importante d’erreur de prévisions : ne pas avoir pris suffisamment au sérieux nos modèles économiques. Les prévisions basées sur l’extrapolation du passé récent sont presque toujours aussi bonnes, voire meilleures, que celles basées sur une modélisation plus sophistiquée. L’exception apparaît quand il y a des intrants économiques qui sont bien en-dehors du champ de l’expérience récente. Par exemple, le soutien budgétaire d’un montant extraordinaire de 2.500 milliards de dollars pour soutenir l’économie américaine en 2021, représentant l’équivalent de 11 % du PIB, est le plan de relance le plus large depuis la Seconde Guerre mondiale.

Un modèle simple de multiplicateur budgétaire aurait prédit que la production moyenne les trois derniers trimestres de 2021 serait 2 à 5 % supérieure aux estimations prépandémiques du potentiel. Pour penser qu’une relance budgétaire de cette magnitude ne provoquerait pas d’inflation, il fallait croire soit qu’un large ajustement était possible en quelques mois, soit que la politique budgétaire était inefficace et qu'elle n’accroîtrait pas la demande globale. Ces deux hypothèses ne tiennent guère la route.

Les modèles économiques nous donnent aussi une raison essentielle pour croire que divers facteurs réduiraient le potentiel de l’économie américaine en 2021. Ceux-ci incluent les morts prématurées, la réduction de l’immigration, le manque d’investissement en capital, les coûts d’adaptation de l’économie à la pandémie, les sorties de la vie active provoquée par celle-ci et toutes les difficultés que l’on rencontre en réassemblant rapidement une économie qui a été déchirée. De telles contraintes rendent très probable qu’un supplément de demande pousserait l’inflation encore plus haut.

Un dernier ensemble d’erreurs tient au fait que nos modèles manquent d’intrants ou d’interprétations clés. Lorsque les gens s’appuient sur les modèles économiques, ils utilisent souvent une courbe de Phillips pour prédire l’inflation ou les changements de l’inflation en se basant sur le taux de chômage. Mais ces cadres n’ont guère pris en compte le fait que le taux de chômage naturel a probablement augmenté, du moins temporairement, en conséquence de la récession pandémique.

Surtout, le chômage n’est pas la seule façon de mesurer le mou de l'activité économique. Les estimations concernant la période prépandémique montrent que le taux de départs volontaires et le ratio nombre de chômeurs sur nombre de postes vacants sont de meilleurs indicateurs de l’inflation des salaires et des prix. Ces indicateurs de mou suggéraient déjà des tensions au début des années 2021, en particulier au printemps.

Avec le recul, le modèle mental que je trouve le plus utile pour réfléchir aux évolutions de l’année 2021 consiste à appliquer des multiplicateurs budgétaires au PIB nominal, à les utiliser pour prédire quel montant de la relance budgétaire serait dépensé et à essayer ensuite de prédire le PIB réel en comprenant quelle est la capacité productive de l’économie. La différence entre les deux est l’inflation. Les multiplicateurs indiquaient que les dépenses totales en 2021 augmenteraient fortement, alors que les contraintes de production suggéraient que la production n’augmenterait pas autant. La différence correspond à une inflation plus élevée.

Qu’est-ce que cela nous suggère concernant l’inflation en 2022 ? Au lieu de faire des prévisions inertielles partant du principe que le futur ressemblera au passé, prendre au sérieux nos modèles signifie tenir compte des niveaux élevés de demande globale, des contraintes continues sur l’offre et même des marchés du travail avec des tensions plus fortes avec des salaires nominaux augmentant rapidement et des anticipations d’inflation révisées à la hausse. Certains types d’inflation, notamment des prix des biens, sont susceptibles de ralentir cette année, mais d’autres, notamment l’inflation des prix des services, vont probablement accélérer.

Je m’attends par conséquent à une autre année d’inflation significative pour les Etats-Unis, peut-être pas aussi élevée qu’en 2021, mais probablement dans l’éventail compris entre 3 et 4 %. Mais la leçon la plus importante pour les prévisions que l’on peut tirer de l’année dernière est qu’il faut faire preuve d’humilité. Nous devons tous ajouter de larges bandes d’erreurs autour de nos prévisions et être prêts à actualiser nos prévisions à mesure que la situation économique change. »

Jason Furman, « Why almost no one saw inflation coming », 21 janvier 2022. Traduit par Martin Anota