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Dans les Alpes, des chercheurs sondent les "archives des lacs" pour prévoir les crues

écologie

Lien publiée le 7 février 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Dans les Alpes, des chercheurs sondent les « archives des lacs » pour prévoir les crues (reporterre.net)

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Quelles conséquences a le bouleversement climatique sur les crues en montagne ? Dans les Alpes, les phénomènes extrêmes pourraient être plus fréquents sur des zones très localisées.

Les crues extrêmes qui frappent les Alpes pourraient ne plus être aussi rares. Elles arrivent habituellement une fois par siècle, mais, réchauffement climatique oblige, elles vont se multiplier dans certaines zones. C’est ce qu’a montré une équipe internationale de chercheurs animée par le scientifique français Bruno Wilhelm de l’Institut des géosciences et de l’environnement de l’Université Grenoble Alpes. Un réchauffement de 0,5 °C à 1,2 °C est associé à une réduction de 25 à 50 % de la fréquence des crues « moyennes » dans les Alpes, apprend-t-on dans leur article publié fin janvier dans Nature Geosciences. Mais sur certains « petits bassins versants de montagne », les crues « extrêmes » pourraient, à l’inverse, être plus régulières, alertent les chercheurs.

Voilà dix-sept ans que Bruno Wilhelm s’intéresse à la question. Depuis l’inondation de Sainte-Agnès, un village isérois dans le massif de Belledonne, à cause d’une grosse crue du Vorz. Le maire s’était alors tourné vers lui : ces crues allaient-elles être plus fréquentes ? Comment s’y adapter ? Des réponses s’esquissent.

Des prélèvements ont été effectués au fond de trente-trois lacs alpins. © Bruno Wilhelm (Université de Grenoble Alpes)

Le scientifique identifie deux types de crues. Les premières dites « moyennes » correspondent aux crues décennales, celles qui se produisent en moyenne une fois tous les dix ans. L’étude révèle qu’elles se produisent moins souvent quand la température est plus élevée. Et ce, sur l’ensemble du massif des Alpes. Les secondes, les crues « extrêmes », sont beaucoup plus rares. Elles surviennent en moyenne une fois par siècle et peuvent causer de forts dégâts matériels et humains. Pour celles-ci, les scientifiques ont enregistré des résultats divergents, selon les sites.

Certaines régions ont ainsi révélé moins de crues en période chaude, suggérant une diminution du risque pour les années à venir. Mais, à l’inverse, sur d’autres « petits bassins versants de montagne », les crues extrêmes ont été plus fréquentes avec une montée de la température de 0,5 à 1,2 °C. Ce fut par exemple le cas dans la vallée de l’Arve, au-dessus de Chamonix, ou dans celle du Guil, dans le Queyras. Dans les deux cas, il s’agit « de petites zones de quelques kilomètres carrés alimentées par des petits cours d’eau vifs, tels que des torrents »« Ceux-ci sont nourris par les pluies et réagissent très rapidement aux aléas climatiques, ajoute le chercheur. C’est très différent des grandes rivières qui produisent des crues avec une montée des eaux plus lente qui laisse le temps aux populations de se mettre en sécurité. »

Les données sur ces évènements extrêmes sont moins robustes que celles sur les crues moyennes, car les sites étudiés sont moins nombreux. Le chercheur note tout de même que l’intensification du phénomène semble toucher les régions où les crues sont déclenchées par des orages estivaux violents, orages qui pourraient être exacerbés par le réchauffement. « Il s’agit notamment de torrents des Alpes du Nord », souligne-t-il. La nature du couvert végétal et l’altitude en revanche semblent peu influencer la fréquence de ces crues.

Des archives naturelles au fond des lacs

Pour étudier le risque de crues associé au changement climatique, les hydrologues rencontrent deux difficultés principales. D’abord, les données disponibles ne couvrent que des périodes très courtes. Au mieux, elles remontent sur cinquante ou soixante ans. Ensuite, les stations d’observation sont rares en montagne. Pour pallier ces difficultés, les scientifiques français, suisses, allemands et italiens qui ont mené ce travail ont eu l’idée d’étudier « des archives naturelles » situées au fond des lacs. « À chaque crue, la rivière érode le sol et les berges et transporte des sédiments jusqu’à l’aval. Jusqu’au lac, s’il y en a un. Les sédiments s’y déposent alors en couches successives où ils sont parfaitement conservés », explique Bruno Wilhelm.

Grâce aux prélèvements effectués au fond de trente-trois lacs alpins, les chercheurs ont identifié et daté les dépôts qui s’y trouvaient pour reconstituer l’histoire des crues survenues au cours des périodes froides et chaudes de l’ère industrielle, du dernier millénaire et de l’Holocène. Ces « carottages » ont permis de documenter près de 7 800 crues, au cours des 10 000 dernières années. Des crues « moyennes » décennales, et d’autres « extrêmes » centennales enregistrées aux quatre coins des Alpes, dans des conditions de température et d’humidité variées (climats atlantique, méditerranéen et continental).

Les trois périodes étudiées ont permis d’observer l’influence de la hausse des températures : durant l’ère industrielle (de 1800 à l’an 2000), une hausse de 0,5 °C a été enregistrée, au cours du dernier millénaire (de 950 à 1850) l’augmentation a atteint 1 °C, et durant une partie de l’Holocène (-9000 à -1000) +1,2 °C. [1]

Les « carottages » ont permis de documenter près de 7 800 crues, au cours des 10 000 dernières années. © Cécile Pignol (EDYTEM, CNRS, USMB)

« Les scénarios [actuels] prévoient un réchauffement climatique de 2 à 4 °C [depuis l’ère préindustrielle] ! », compare, inquiet, Bruno Wilhelm. L’évolution de la température dans la région est d’autant plus préoccupante que les zones montagneuses, telles que les Alpes, sont particulièrement sensibles au changement climatique. En atteste un taux de réchauffement plus élevé dans ces régions que pour le reste du globe. Dans les Alpes, il est de 2 °C entre la fin du XIXe et le début du XXIe siècle et s’accélère depuis 1970. À cela s’ajoute un risque d’inondation plus élevé, notamment en raison de crues soudaines favorisées par des pluies importantes et des reliefs pentus propices à un écoulement rapide de l’eau.

Pour Bruno Wilhelm, il est aujourd’hui impossible de savoir précisément comment évoluera le risque de crue en réponse à de telles températures. Avec son équipe, il planche au développement d’une modélisation numérique de l’évolution des crues avec la hausse des températures, afin de prédire l’effet du réchauffement climatique. Un modèle qu’il faudra consolider. « Pour tester la fiabilité du modèle, nous essaierons de prévoir l’évolution des crues survenues ces mille dernières années », explique-t-il. Si le modèle ne se trompe pas, c’est qu’il est fiable. Sinon, il faudra le modifier.

« Les sédiments s’y déposent alors en couches successives où ils sont parfaitement conservés. » © Bruno Wilhelm (Université de Grenoble Alpes)

« La coulée frappe les murs des maisons et peut causer des dégâts importants »

Ces premiers résultats doivent encourager à « davantage étudier l’évolution du risque dans les petits bassins versants jusqu’ici peu considérés », insistent les chercheurs. Car la gestion du risque dépend aussi de la topographie du milieu. « Une crue sur des petits bassins versants de montagne est très différente de celle d’une grande rivière, explique Bruno Wilhelm. Le débordement d’un torrent entraine souvent beaucoup de sédiments, qui peuvent doubler le volume de la coulée et l’alourdir. Celle-ci vient ensuite frapper les murs des maisons et peut causer des dégâts bien plus importants. »

Pour parer à ce type de danger, des aménagements existent. Des « plages de dépôts » — une zone plate sur le parcours de la coulée pour que les sédiments s’y déposent — par exemple sont plus adaptés que les digues ou les champs d’inondations contrôlées, explique M. Wilhem. Reste que, pour l’instant, les données manquent. « Même si les élus sont conscients du risque de crues sur leur territoire, il est toujours difficile de dimensionner ces ouvrages de protection par manque de mesures in situ », regrette le chercheur.

Notes

[1] Il ne s’agit pas d’une augmentation linéaire de la température mais d’un écart maximum entre la période la plus froide et la période la plus chaude.