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    Retour sur le débat Mélenchon — Roux de Bézieux

    Lien publiée le 13 février 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Retour sur le débat Mélenchon — Roux de Bézieux — Le Club (mediapart.fr)

    Ce billet a été écrit collectivement par les économistes qui participent à l'Union Populaire

    Jeudi 10 février, Jean-Luc Mélenchon a débattu avec le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, lors de l’émission Élysée 2022 de France 2. À cette occasion, ce dernier a tenté de montrer en quoi les politiques d’offre, reposant sur la réduction des coûts de production (le « coût du travail » en particulier), les baisses d’impôts et les politiques de compétitivité, devaient être poursuivies. Celui-ci en a profité pour réclamer plus de « libertés » pour ces mêmes entreprises afin qu’elles puissent être le moteur de la transition écologique.

                Les entreprises et leurs propriétaires sont pourtant les principaux bénéficiaires du « quoi qu’il en coûte ». En effet, la crise sanitaire n’a pas empêché les dividendes de repartir à la hausse, tandis que la progression des salaires reste (très) faible et la reprise de l’investissement timide (graphique 1).

    Graphique 1 : Évolution trimestrielle des dividendes reçus par les ménages, de l’investissement des entreprises, des salaires et des prestations depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron

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    De même, si le taux de marge des entreprises, qui représente la part des profits bruts dans la valeur ajoutée (l’excédent brut d’exploitation) a chuté à la suite de la crise financière de 2008 et suite aux conséquences de la pandémie, il a augmenté suite aux mesures prises par l’État depuis 2013 (CICE, baisse des cotisations patronales et « aides Covid »). Il apparaît donc que les entreprises ont bien profité de « l’assistanat » de l’État (graphique 2). 

    Graphique 2 : Évolution trimestrielle du taux de marge des sociétés non financières

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    Le financement des conséquences de la crise sanitaire est davantage supporté, via la fiscalité, par les ménages que par les entreprises. Ce mouvement d’allègement de la fiscalité des entreprises au détriment des ménages, qui s’est accentué depuis la crise financière, est une conséquence de l’intensification des politiques de compétitivité revendiquées par le Medef et le gouvernement actuel et correspond bel et bien à choix politique (graphique 3).

    Graphique 3 : Évolution trimestrielle des impôts, nets des subventions, payés par les ménages et les entreprises

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    Ainsi, contrairement au discours affiché, Emmanuel Macron n’est absolument pas le président du pouvoir d’achat puisqu’il enregistre en la matière le pire résultat[1] depuis 1974, derrière Nicolas Sarkozy. Il s’inscrit en fait dans la voie ouverte par Nicolas Sarkozy, et poursuivie par François Hollande, de baisse des impôts sur les entreprises, et ce sans contreparties. Pire, il s’agit d’un gouvernement au service des plus grandes entreprises (graphiques 4 et 5), sans que cela se traduise en hausse des salaires, ce que confirme la quasi-stagnation du SMIC depuis 2015 (graphique 5).

    Graphique 4 : Évolution du pouvoir d’achat du revenu disponible ajusté des ménages, pour chaque présidence française depuis 1974

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    Graphique 5 : Évolution trimestrielle du SMIC horaire corrigé de l’inflation

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    La réalité des préoccupations des entreprises

                Comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon au cours de ce débat, la réalité des entreprises n’est pas celle dépeinte par le patron du Medef. En effet, les enquêtes de conjoncture de l’Insee montrent que, sur le long terme, les principales difficultés des entreprises (et ce sont elles qui le disent), ne viennent pas du côté de l’offre mais sont à trouver du côté de la demande. « Remplir les carnets de commandes » est nécessaire afin d’assurer des débouchés pour leur production (graphique 6). Certes, les enquêtes de conjoncture récentes pointent un niveau élevé des difficultés d'offre : 60 % des industriels déclarent avoir de grandes difficultés de recrutement, comparables à celles qui prévalaient pendant le boom de l'emploi au moment de la mise en œuvre des 35 h (graphique 7). De même, 35 % des industriels déclarent des difficultés d'approvisionnement (ils sont 83 % dans l'industrie automobile, chiffre qui doit être mis en relation avec la pénurie de composants électroniques) (graphique 8).

    Graphique 6 : Évolution annuelle des difficultés des entreprises, en % des répondants (panel d’entreprises dans l’industrie)

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    Graphique 7 : Évolution annuelle des difficultés de recrutement (panel d’entreprises dans l’industrie)

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    Graphique 8 : Évolution annuelle des difficultés d’approvisionnement (panel d’entreprises dans l’industrie)

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    Le patronat utilise cette tension sur l’offre, qui est très largement conjoncturelle, pour demander un nouveau programme de « réformes structurelles ». Celles-ci supposeraient de continuer à flexibiliser le marché du travail et à demander des baisses de la fiscalité pour augmenter leurs marges. Or, les réponses concrètes à ces problèmes supposent plutôt de sécuriser les chaînes d'approvisionnement et de renforcer les conditions de travail, notamment dans certains secteurs très précarisés.

    Il est important de rappeler qu’il y a plus de 6 millions de demandeurs d’emplois et moins de 300.000 emplois vacants. Donc même si certains patrons ont du mal à recruter, ce n’est pas une explication du chômage de masse. S’il y a des pénuries sectorielles de main-d’œuvre, l’effort doit porter sur la formation, tant dans les filières professionnelles que dans l’enseignement supérieur. Et, afin de limiter le nombre d’emplois vacants, les entreprises peuvent aussi augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail afin de les rendre plus attractifs. Puisqu’elles promeuvent la compétitivité, les entreprises doivent aussi se montrer compétitives dans leur capacité à attirer une main-d’œuvre performante.

    En définitive, les « barrières à l’emploi » avancées par le Medef (le code du travail, le smic, de trop hauts salaires, tout ce qui protège les travailleurs) n’en sont pas. Au contraire, des travailleurs mieux formés, en meilleure santé et mieux protégés seront plus productifs et épanouis dans leur vie professionnelle, ce qui sert les intérêts des entreprises. Celles-ci réclament d’ailleurs une main d’œuvre mieux formée, ce qui passe par l’accroissement du niveau des qualifications, le renforcement des connaissances théoriques et pratiques indispensable à la réalisation de la bifurcation écologique, et nécessite un enseignement public de qualité, accessible à tous (via la gratuité des études comme cela est proposé par le programme L’avenir en commun (AEC)) et émancipateur, donc non assujetti aux désidératas du Medef. L’enseignement public n’a pas à former les jeunes à des postes, prêts à l’emploi. C’est à l’employeur d’assurer la formation finale sur le poste.

    Les politiques de compétitivité ont joué contre l’emploi

    Geoffrey Roux de Bézieux a rappelé que les entreprises françaises, dans le cadre de la mondialisation libérale, doivent faire face à une concurrence internationale qui imposerait de renforcer les politiques de compétitivité. Outre le fait que ce type de politique est mené depuis 20 ou 30 ans sans résultat tangible (le déficit commercial français a plutôt tendance à se détériorer), il convient de rappeler qu’il n'y a que 11,6% d'entreprises exportatrices en France (dont la plupart sont des grandes entreprises)[2], ce qui veut dire que la très grande majorité des entreprises produisent pour le marché national[3]. Les politiques de compétitivité promues ne servent en définitive que quelques (très) grandes entreprises et pénalisent nombre de nos TPE-PME. En ciblant uniquement la baisse du coût du travail (soit la compétitivité-coût), elles ont accentué la désindustrialisation française en raison du positionnement de nos entreprises sur la production de biens pour lesquels elles ne pouvaient justement pas rivaliser par les coûts. Cependant, le problème principal de l’industrie française n’est pas la compétitivité-coût, mais la compétitivité hors coût. Cette dernière suppose des salariés qualifiés et compétents, donc bien payés, ce qui est contraire à toute la politique actuelle de baisse des cotisations sociales sur les bas salaires qui poussent les entreprises à privilégier le travail non qualifié.

                Comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon, il temps pour la puissance publique de reprendre les commandes de l’économie alors que le libre marché vanté jusqu’à présent a créé une grande instabilité économique et sociale et s’est montré incapable d’engager la bifurcation écologique qui s’impose pourtant. La planification écologique permettrait de répondre aux craintes des entreprises en leur assurant une plus grande visibilité, en particulier grâce à la commande publique, et en favorisant une réindustrialisation ciblée et stratégique afin de réaliser une bifurcation écologique de notre économie créatrice de nombreux emplois non délocalisables.

                Le soutien aux entreprises doit donc être conditionné à certains engagements, en particulier en termes d’emplois (qualité et quantité) et de protection de l’environnement (notamment en appliquant le principe de la « règle verte » selon laquelle on ne prélève pas davantage à la nature que ce qu’elle est en état de reconstituer). Cela implique d’en finir avec les aides sans conditions (tel le CICE par exemple) qui conduisent à des dispositifs inefficaces et qui mettent à mal le financement de la protection sociale[4].

    L’AEC propose d’instaurer un protectionnisme écologique et solidaire pour protéger nos PME qui travaillent exclusivement pour le marché national et font face à une concurrence déloyale que la baisse des charges ne compensera jamais car la concurrence internationale est construite sur un quadruple dumping : écologique, social, fiscal et démocratique. Des politiques industrielles peuvent aussi être menées afin de développer des secteurs de biens complexes pour lesquels la France a (encore) des atouts et qu'elle pourrait elle-même éventuellement exporter (ce que propose notamment l’AEC pour l’économie de la mer). Cette réflexion doit par ailleurs se combiner avec la question du positionnement de la France sur les industries nécessaires à la transition écologique, et pour lesquelles il faut en priorité pouvoir se positionner et « monter en gamme ».

    [1] Sur la période 2017-2020 puisque nous ne disposons pas des données pour 2021 et 2022.

    [2] En 2019, 4,6% des microentreprises, 29,5% des PME et 72% des grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire sont des entreprises exportatrices. S l’on considère l’ensemble des entreprises françaises, 11,6% d’entre elles sont exportatrices.

    [3] Selon l’Insee, la consommation importée ne représente en 2019 « que » 19% de la consommation totale. Elle provient principalement d’Allemagne (13,0 %), des États-Unis (8,0 %), de Chine (7,7 %), du Royaume-Uni (6,7 %), d’Espagne (6,5 %), d’Italie (6,2 %) et de Belgique (5,4 %).

    [4] Ces aides ont été captées à 30% par un petit nombre de très grandes entreprises qui pourtant continuent de licencier. Elles n’ont pas vraiment bénéficié aux TPE-PME : les entreprises de moins de 25 salariés obtiennent en moyenne 3.000€ de CICE ; celles de 25 à 250 salariés : 36.000€ ; celles de 250 à 5000 salariés : 706.000€ ; celles de +5000 salariés : 20 millions d’€. Ces grandes entreprises n’en ont pourtant pas besoin car elles font des bénéfices, distribuent des dividendes et mettent en place des plans sociaux.