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La question du logement, celle de l’organisation de la société et de la propriété capitaliste
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Isabelle Ufferte
Le 8 février dernier, le DAL appelait à un rassemblement à Paris contre les dernières mesures sur le logement contenues dans la loi sur la décentralisation adoptée au Sénat le lendemain. « Malgré le niveau historiquement élevé de la demande HLM, l'objectif de 25 % obligatoire de logements sociaux dans chaque ville ne sera pas relevé après 2025. Pire, les sanctions sont adoucies à l'encontre des communes récidivistes qui depuis 20 ans payent des amendes et protègent leur ghetto de riche […] La vente en bloc de HLM à des sociétés privées est autorisée ». Au nom d’un « enjeu prioritaire de mixité sociale » introduit par la loi, certains logements ne seront pas accessibles aux ménages les plus modestes, ce qui « assèche un peu plus l'offre de HLM » dénonce le DAL.
Une « mixité sociale » au nom de laquelle les gouvernements mènent depuis des années des opérations de « renouvellement urbain » qui consistent essentiellement à détruire des tours et grands ensembles laissés à l’abandon et à repousser les pauvres toujours plus loin des centres urbains. Dans le même temps, les pouvoirs publics promeuvent « l’accession à la propriété » réduisant par là-même le parc locatif tout en laissant à la charge des nouveaux « propriétaires » l’entretien de logements vieillissants.
La production de logements sociaux n’a jamais été aussi basse. Alors que 2,2 millions de demandes sont en attente, il n’y a eu que 95 000 autorisations de création en 2021 d’après l'Union sociale pour l'habitat qui regroupe les organismes de logements. La fondation Abbé Pierre estime qu’il faudrait un minimum de 500 000 créations chaque année.
Le dernier rapport de la fondation rend compte d’une situation dramatique. 4 millions de personnes sont aujourd’hui sans logement ou mal logées : 300 000 personnes sont sans domicile fixe (le nombre a triplé en 20 ans) ; 100 000 vivent dans des habitations de fortune ; 643 000 sont hébergées chez des proches ; 25 000 dans des hôtels ; 208 000 personnes de la communauté des gens du voyage vivent dans des conditions dégradantes ; 31 000 travailleurs migrants dans des foyers en attente de rénovation. 2,8 millions de personnes vivent « dans des conditions de logement très difficiles » et 12,1 millions ont du mal à payer loyers, charges ou ne peuvent se chauffer.
Quant à la réforme des APL, qui a permis à l’Etat d’« économiser » 4 milliards par an, elle a aggravé la situation de nombreuses familles. Ceux qui ont des revenus entre 800 et 1 300 € ont perdu 95 € par mois en moyenne.
La fondation Abbé Pierre a invité une partie des candidats à un grand oral. Ceux qui sont venus ont bien évidemment promis d’agir, même l’ancienne ministre Taubira bafouillant de façon désinvolte ou la maire de Paris dont chacun peut voir les effets de sa politique… Plus radical, Jean-Luc Mélenchon a promis de mettre fin au « chaos » de l’immobilier et de « bloquer toutes les logiques de marché qui conduisent à créer la pénurie et jeter des gens dehors pour que d’autres puissent accumuler ». Mais comment dans le cadre de cette société et des institutions ?
La situation du logement, indicateur de la guerre de classe
Le nombre de bidonvilles, de campements et de squats explose à la périphérie comme au cœur de toutes les métropoles. S’y côtoient des familles venues d’Europe de l’Est, des Roms, des personnes mises à la porte de leur logement, des migrants venant d’Afrique, du Moyen Orient… Parmi elles et eux, nombreux ont un travail, saisonniers, journaliers et parfois avec CDI mais sans autre solution de logement que de survivre avec leur famille, leurs enfants dans la plus grande des précarités, la promiscuité, le froid, la saleté…, tandis que des centaines de jeunes « mineurs non accompagnés », que l’Etat abandonne en dépit de ses propres lois, errent de squats en squats, proies de tous les trafics.
Au cœur des grandes villes, les logements populaires ont disparu les uns après les autres au gré des rénovations, laissant place à des commerces de luxe et des appartements aux loyers exorbitants. Ceux qui subsistent, en sursis, sont laissés sans entretien, souvent aux mains de marchands de sommeil avec la complaisance des pouvoirs publics. L’effondrement d’immeubles à Marseille faisant huit morts en novembre 2018 ou récemment à Bordeaux a révélé l’ampleur de ce délabrement.
Les travailleurs et les classes populaires sont relégués toujours plus loin dans des cités et banlieues dortoirs où l’accès à la santé, à la culture, aux transports, aux activités sociales, aux services publics ne cesse de se réduire.
Il y a exactement 150 ans, Engels écrivait dans La question du logement (1) « L'extension des grandes villes modernes confère au terrain, dans certains quartiers, surtout dans ceux situés au centre, une valeur artificielle, croissant parfois dans d'énormes proportions ; les constructions qui y sont édifiées, au lieu de rehausser cette valeur, l'abaissent plutôt, parce qu'elles ne répondent plus aux conditions nouvelles ; on les démolit donc et on les remplace par d'autres. Ceci a lieu surtout pour les logements ouvriers qui sont situés au centre et dont le loyer, même dans les maisons surpeuplées, ne peut jamais ou du moins qu'avec une extrême lenteur, dépasser un certain maximum. On les démolit et à leur place on construit des boutiques, de grands magasins, des bâtiments publics […] Il en résulte que les travailleurs sont refoulés du centre des villes vers la périphérie, que les logements ouvriers, et d'une façon générale les petits appartements deviennent rares et chers et que souvent même ils sont introuvables ; car dans ces conditions, l'industrie du bâtiment, pour qui les appartements à loyer élevé offrent à la spéculation un champ beaucoup plus vaste, ne construira jamais qu'exceptionnellement des logements ouvriers ». Napoléon III et le baron Haussmann chassaient alors les classes populaires du centre de Paris, reproduisant ce que la bourgeoisie anglaise avait précédemment fait à Londres. Un phénomène qui n’a cessé de s’amplifier prenant aujourd’hui une tout autre ampleur.
Robin Rivaton, économiste libéral auteur du livre « Le logement, bombe sociale à venir » s’inquiétait le 9 février dans la Tribune : « La situation inégalitaire est devenue insupportable. […] Tous les décideurs vous le diront : il y a la crainte généralisée d'une bombe sociale même si la mèche qui l'allumera n'est pas encore là ».
L’immobilier, niche à profit et financiarisation
Dans les années 1950-1970, l’Etat s’était engagé dans une politique de construction de logements. Une nécessité après-guerre alors même que la bourgeoisie avait grand besoin de main d’œuvre qu’elle allait chercher dans les campagnes françaises, les départements d’Outre-mer et dans ses anciennes colonies d’Afrique noire ou du Maghreb… Des travailleurs et leurs familles contraints de s’entasser dans des logements vétustes et des bidonvilles aux portes de Paris et de grandes villes. L’Etat fit alors le choix de confier à des sociétés d’HLM la construction de grands ensembles et barres d’immeubles en périphérie des villes avec des loyers réglementés. Le tournant libéral allait mettre un coup de frein à cette politique.
Dès les années 1970, était apparu le nouveau credo du « pavillon » de banlieue et l’incitation à devenir propriétaire de « sa » maison. L’Etat fit le choix de subventionner la construction en série, par des entreprises privées, de vastes ensembles de maisons individuelles. Près de 70 000 ont été construites en peu de temps et à moindre coût, connues sous le nom de « chalandonettes », du nom du ministre de l’Équipement de l’époque, Chalandon, des maisons bas de gamme dont les propriétaires allaient vite subir les malfaçons.
La diminution des constructions de logements sociaux et l’encouragement à « l’accession à la propriété » n’ont cessé de s’amplifier, pour le plus grand bonheur des promoteurs et des banques qui s’arrachent les crédits immobiliers.
Les travailleurs ont payé chèrement le rêve qu’ont voulu leur vendre les classes dominantes, endettés à vie pour des maisons au confort sommaire, pris à la gorge par les multiples dépenses contraintes et victimes, dans le monde entier, de la spéculation immobilière.
En 2007 aux USA, la crise des subprimes et l’éclatement de la bulle spéculative de ces prêts immobiliers dits « à risque » accordés à des ménages modestes, entraînait des faillites en cascade dont celle en 2008 de la banque Lehman Brothers. Des centaines de milliers de personnes des classes populaires, parmi lesquels nombre d’afro-américains, étaient jetées à la rue en quelques mois, incapables de rembourser les emprunts et leurs intérêts. Des quartiers de la région de Détroit, centre de l’industrie automobile et ancienne capitale de la maison individuelle, se peuplaient de maisons abandonnées à perte de vue.
Dans les années qui ont suivi, le phénomène a eu des répliques aux quatre coins du monde, figeant des projets immobiliers aux portes des villes, laissant des centaines de milliers de familles sur le bord de la route et un gâchis monumental. En Europe, l’Espagne et l’Irlande ont été particulièrement touchées.
En Chine, où l'immobilier et la construction pèsent aujourd’hui plus du quart du PIB, le promoteur géant Evergrande lourdement endetté annonçait fin 2021 être au bord de la faillite, affolant l’ensemble de l’économie chinoise et les marchés. Des milliers de petits propriétaires endettés pour payer d’avance la construction d’un logement se sont brutalement trouvés sans garantie de les voir un jour. 1,4 million ne sont toujours pas construits.
La crise de 2008 a fait trembler le monde, mais la financiarisation du secteur immobilier a partout repris de plus belle. Une étude estime qu’en Europe, en août 2021, 2 000 milliards de dollars d’actifs étaient investis dans des logements, soit à peine moins que le PIB de l’Italie.
Logement et crédits immobiliers sont soumis à une spéculation folle. La conséquence en est la hausse spectaculaire des prix et des loyers. Les classes moyennes se surendettent, les pauvres sont chassés toujours plus loin tandis que les centres villes rénovés se « gentrifient ».
« La crise du logement n'est pas un hasard, c'est une institution nécessaire »
« Une société ne peut exister sans crise du logement lorsque la grande masse des travailleurs ne dispose exclusivement que de son salaire, c'est-à-dire de la somme des moyens indispensables à sa subsistance et à sa reproduction ; lorsque sans cesse de nouvelles améliorations mécaniques, etc., retirent leur travail à des masses d'ouvriers ; lorsque des crises industrielles violentes et cycliques déterminent, d'une part, l'existence d'une forte armée de réserve de chômeurs et, d'autre part, jette momentanément à la rue la grande masse des travailleurs ; lorsque ceux-ci sont entassés dans les grandes villes et cela à un rythme plus rapide que celui de la construction des logements dans les circonstances actuelles et que pour les plus ignobles taudis il se trouve toujours des locataires ; lorsqu’enfin, le propriétaire d’une maison, en sa qualité de capitaliste, a non seulement le droit mais aussi dans une certaine mesure, grâce à la concurrence, le devoir de tirer de sa maison, sans scrupules, les loyers les plus élevés. Dans une telle société, la crise du logement n'est pas un hasard, c'est une institution nécessaire ; elle ne peut être éliminée ainsi que ses répercussions sur la santé, etc., que si l'ordre social tout entier dont elle découle est transformé de fond en comble » disait Engels (1).
Dans une Plateforme Logement pour tou.tes (2), un collectif d’organisations dont le DAL et de nombreuses autres dont la CGT, FSU, Solidaires, etc., exigent des mesures d’urgence « pour que chacun.e accède à un logement décent, stable, abordable, accessible et respectueux du climat, pour un droit au logement universel, inconditionnel et protecteur ». Parmi elles, celles de « cesser les expulsions sans relogement décent et apurer les dettes de loyer ; réquisitionner les biens vacants spéculatifs ; respecter le droit à l’hébergement des sans-abri et des exilé.es jusqu’au relogement ; abroger les lois répressives visant les gens du voyage, les habitant.es précaires de terrains, les occupant.es par nécessité de logements vacants ; interdire les coupures d’énergie et encadrer à la baisse les prix de l’énergie ».
Oui, il faut imposer des mesures d’urgences, autoritaires. Et cela ne pourra se faire qu’en contestant les géants du BTP et autres promoteurs, les banques, les fonds spéculatifs et par la mobilisation des premier.es concerné.es eux.elles-mêmes, travailleur.ses, classes populaires, habitant.es des squats et des bidonvilles, étudiant.es mal-logés, militant.es des associations et organisations qui se battent au quotidien pour le droit au logement.
« Aussi longtemps que subsistera le mode de production capitaliste, résumait Engels, ce sera folie de vouloir résoudre isolément la question du logement ou tout autre question sociale concernant le sort de l'ouvrier. La solution réside dans l'abolition de ce mode de production, dans l'appropriation par la classe ouvrière elle-même de tous les moyens de production et d'existence ».
Isabelle Ufferte