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Agriculture : la bataille contre l’accaparement de l’eau s’intensifie

agriculture écologie

Lien publiée le 19 février 2022

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Agriculture : la bataille contre l’accaparement de l’eau s’intensifie (reporterre.net)

Agriculture : la bataille contre l'accaparement de l'eau s'intensifie

Le porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod, a été entendu par les gendarmes pour le démontage de la pompe d’une mégabassine. Soutenus par le gouvernement et voulus par l’agriculture intensive, ces réservoirs géants se multiplient et inquiètent les hydrologues à cause de leurs conséquences sur le cycle de l’eau.

Même en plein hiver, les mégabassines font déborder le vase de la colère. Ces gigantesques retenues d’eau destinées à l’irrigation estivale éclosent un peu partout sur le territoire, encouragées par le gouvernement et les tenants d’une agriculture productiviste. Dans le Marais poitevin, épicentre de la contestation contre ces projets écocides, la mobilisation ne faiblit pas. Mais c’est à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans le Jura, que la protestation a franchi une nouvelle étape.

Jeudi 17 février, Nicolas Girod, éleveur bovin et porte-parole de la Confédération paysanne, a passé la matinée au poste de gendarmerie de son canton, à Salins-les-Bains. Il est soupçonné de vol aggravé. Son tort : avoir démonté, lors d’une manifestation citoyenne en novembre dernier, une pompe permettant de remplir une retenue d’eau, à Cramchaban, en Charente-Maritime. L’intéressé, joint par Reporterre, assume son acte : « Ce morceau de pompe est symbolique, dit-il. Symbolique de cet accaparement de l’eau par une minorité d’agriculteurs, au détriment des autres. »

Nicolas Girod, le porte-parole de la Confédération paysanne, devant la gendarmerie de Salins (Jura), jeudi 17 février. Il tient dans ses mains la pièce de la pompe démontée sur une mégabassine du Marais poitevin. © Confédération paysanne sur Twitter

Depuis le début de la contestation, les opposants — citoyens et paysans — n’ont eu de cesse de dénoncer ce « hold-up » sur l’or bleu. Les seize bassines prévues dans le Marais poitevin devraient bénéficier à 220 exploitants, sur les 5 000 que compte le département des Deux-Sèvres. Soit moins de 4 % des agriculteurs. Autre argument exposé par M. Girod aux gendarmes : « Ce morceau de pompe symbolise un modèle agricole productiviste qui refuse de changer, qui reste prédateur du vivant et des paysans. Plutôt que de s’adapter, il cherche tous les artifices pour perdurer, quitte à engloutir des investissements colossaux, quitte à détruire des dizaines d’hectares, quitte à monopoliser de l’argent public. » Les seize retenues coûteront environ 40 millions d’euros et seront financées à 70 % par des fonds publics.

« En stockant l’eau à l’air libre, vous créez de l’évaporation. Entre 20 et 40 % de l’eau est perdue »

Enfin et surtout, le syndicaliste entend « rétablir la vérité » et dénoncer « les mensonges du ministre de l’Agriculture, qui répète à l’envi que les bassines sont remplies grâce à la pluie, alors qu’elles sont rechargées en pompant l’eau des nappes souterraines ». L’idée de ces réserves de substitution est en effet de prélever l’eau l’hiver, quand la ressource est plus abondante, et de la stocker en vue d’une utilisation estivale. Une technique résumée par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, par la formule : « On ne va pas regarder la pluie tomber du ciel pendant six mois et la chercher les six autres mois de l’année. »

Sauf que de nombreux spécialistes, telle l’hydrologue Emma Haziza, attirent l’attention sur les nombreux inconvénients de ces réserves : « L’eau est essentiellement prélevée dans les nappes en milieu souterrain, avant d’être stockée en surface à l’air libre et traitée avec du chlore, a-t-elle expliqué au journal Le ParisienVous créez ainsi de l’évaporation. Entre 20 et 40 % de l’eau est perdue. Les probassines affirment capter un trop-plein d’eau en hiver mais cela ne relève d’aucune logique sur le plan hydrologique. Le premier utilisateur de l’eau reste le milieu naturel. » En clair, les nappes se rechargent en hiver, et cette eau n’est pas un surplus, mais une assurance pour un bon fonctionnement des écosystèmes tout au long de l’année.

D’autant plus que la saison froide se fait de plus en plus sèche et chaude. En janvier, il y a eu moitié moins de pluie que d’habitude dans les Deux-Sèvres ; les précipitations ont même été de 60 % inférieures aux normales de saison dans la région de Niort. Des tendances que le changement climatique pourrait amplifier. Dans ce contexte, quelle eau restera-t-il pour les écosystèmes et pour les autres usages une fois les bassines remplies ?

« Extraire toujours plus, endommager toujours plus, en faisant croire que cela permettra une sécurisation de l’accès à l’eau »

Faisant fi des mises en garde de scientifiques, le gouvernement continue de foncer tête baissée : lors des conclusions du Varenne agricole de l’eau, début février, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé une série de mesures pour faciliter la création de réservoirs ainsi qu’une enveloppe de 100 millions d’euros. « Les décisions restent dans le même sens, extraire toujours plus, endommager toujours plus l’environnement, en faisant croire que cela permettra une sécurisation de l’accès à l’eau, déplorait l’hydroclimatologue Florence Habets, interrogée par ReporterreCela aidera à passer les petites variabilités, et nous rendra plus vulnérables aux grandes. »

Sur le terrain, les mégabassines avancent. Fin 2021, la Coop de l’eau 79, porteuse des projets dans les Deux-Sèvres, annonçait l’achèvement de la première retenue, à Mauzé-sur-Mignon. Selon les opposants, elle serait à présent en cours de remplissage, malgré plusieurs recours judiciaires pour bloquer le processus. « Le préfet de la Vienne pousse le projet de 41 bassines dans le département et on nous apprend la construction de deux bassines dans le Berry construites en toute hâte », indique le collectif Bassines non merci dans un communiqué.

Le collectif militant et la Confédération paysanne entendent donc poursuivre la mobilisation. Dès samedi 19 février à Niort, mais surtout les 25, 26 et 27 mars lors d’un « printemps maraîchin » que Nicolas Girod espère « massif » : « Nous serons quelques semaines avant l’élection présidentielle et nous voulons peser dans le débat, dit-il. L’accès à l’eau, les choix agricoles, les choix d’alimentation qui vont avec, l’adaptation au dérèglement climatique… tout ça devrait être des sujets de premier plan dans la campagne. » Après son audition, le paysan s’attend également à un procès d’ici un an. Il espère que ce sera celui de l’agriculture intensive.