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Défendre le pouvoir d’achat par la baisse des cotisations sociales ? Une imposture
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Défendre le pouvoir d’achat par la baisse des cotisations sociales ... | Le Club (mediapart.fr)
L'auteur du billet est Sylvain Billot, statisticien économiste, diplômé de l’Ensae qui forme les administrateurs de l’Insee.
Les candidats de droite n’ont pas grand-chose à proposer pour faire semblant de défendre le pouvoir d’achat des travailleurs. Une proposition phare revient dans tous leurs programmes : baisser les cotisations sociales (rebaptisées « charges ») pour augmenter le salaire direct (ou salaire net).
Les propositions de Pécresse, Zemmour et Le Pen
Valérie Pécresse veut augmenter de 10 % (en 5 ans…) les salaires nets jusqu’à 2,2 Smic. Pour ce faire, elle voulait transférer les cotisations salariales vieillesse en cotisations patronales avec l’engagement que l’État prenne à sa charge les deux tiers du coût de cette mesure. Cela aurait coûté 16 milliards pour l’État et 8 milliards pour le patronat. C’était encore trop pour le patronat, gavé d’exonérations de cotisations, qui ne veut rien payer et l’a fait savoir à Pécresse. Du coup, celle-ci a revu sa mesure : c’est l’État qui prendrait en charge en 2022 une baisse de 2,4 points des cotisations salariales vieillesse, et cela pour tous les salariés, pour un coût de 7 milliards. Cela permettrait d’après Pécresse d’augmenter de 3 % les salaires nets. Quant à la suite, Pécresse s’en remet à la bonne volonté des patrons pour augmenter les salaires d’ici 2027 pour atteindre la fameuse hausse promise de 10 %
Au cours de son meeting à Lille dimanche 6 février, Eric Zemmour s’est enflammé : « votre argent ne doit pas atterrir dans je ne sais quelle caisse publique mais dans votre compte en banque ». Il s’agit donc de limiter au maximum le financement de la protection sociale afin d’augmenter le salaire net des travailleurs. Il veut étendre la part des primes dans la rémunération, en prenant exemple sur la « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » mise en place en 2019 par Macron, totalement exonérée d’impôts et de cotisations.
Quant à Le Pen, elle propose d'exonérer de cotisations patronales les hausses de salaires nets que les patrons accorderont à leurs salariés.
Les conséquences d’une baisse du salaire socialisé
La logique de toutes ces propositions est la même : augmenter le salaire net des travailleurs tout en n’augmentant pas ce qui sera payé par les patrons. Autrement dit, baisser la partie socialisée de notre salaire. Car il est important de comprendre que les cotisations sociales sont du salaire, au même titre que le salaire qui est versé sur notre compte en banque. Ce salaire est « socialisé », c’est-à-dire qu’il est mis dans un pot commun (les caisses de sécurité sociale) pour financer des prestations sociales. Celles-ci sont indispensables à la satisfaction des besoins essentiels, et elles permettent également de réduire les inégalités. C’est pourquoi il faut s’opposer avec force à toute réduction du salaire socialisé.
La baisse du salaire socialisé ne peut avoir que deux conséquences possibles (qui peuvent bien sur se combiner dans la réalité) :
- la hausse des impôts pesant sur les salariés si la baisse des cotisations sociales est compensée par l’État via des transferts à la Sécurité sociale. En effet, ces transferts sont financés par des impôts divers sont l’assiette de prélèvement porte essentiellement sur les salaires (CSG, CRDS) et la consommation des ménages (taxes sur les tabacs et alcools). Autrement dit, la hausse du salaire net (qui serait obtenue par la baisse des cotisations) est purement illusoire : pour conserver une protection sociale identique, les travailleurs devraient payer par une hausse d’impôts le cadeau empoisonné qu’on leur aurait fait.
- la baisse des prestations sociales si la baisse des cotisations sociales n’est pas compensée par le budget de l’État. C’est explicitement le projet de Zemmour qui veut détruire les « caisses publiques », revendication historique du patronat qui n’a jamais renoncé à détruire la Sécurité sociale et à ouvrir un énorme marché pour les sociétés d’assurance.
L’exonération progressive du patronat du financement de la Sécurité sociale
Jusqu’au début des années 1990, les cotisations sociales assises sur les revenus d’activité représentaient près de 90 % des recettes des administrations de sécurité sociale. Les cotisations patronales représentaient environ trois quarts de l’ensemble des cotisations, elles en représentaient moins des deux tiers en 1990. Même si ces deux types de cotisations constituent du salaire socialisé, elles ont un impact différent sur le salaire direct (net) : une hausse du taux de cotisation patronale ne baisse pas le salaire direct alors qu’une hausse de cotisation salariale fait baisser le salaire net (à salaire brut inchangé). C’est pourquoi il est juste de revendiquer une hausse des cotisations patronales pour ne pas mettre en concurrence le salaire net et le salaire socialisé.
Depuis le début des années 1990, la part des cotisations sociales dans le financement de la Sécurité sociale a été drastiquement réduite, passant de près de 90 % à 57 % en 2020, sous l’effet d’exonérations de cotisations sociales qui ont commencé sous Mitterrand/Rocard, se sont amplifiées sous Balladur et qui n’ont cessé de s’accentuer depuis. Désormais, les cotisations patronales représentent moins de 40 % du financement de la Sécurité sociale, une part identique à celle des impôts et autres taxes sur la consommation affectés à la Sécu. Autrement dit, les gouvernements successifs depuis le début des années 1990 ont massivement basculé le financement de la Sécurité sociale du patronat vers les salariés, via un processus de la fiscalisation de la Sécu. Macron a bien sur appuyé ce processus depuis 2017, en transformant le CICE en baisse de cotisations patronales et en augmentant la CSG pour compenser la baisse des cotisations salariales.
Pécresse, Zemmour et Le Pen ne proposent que d’amplifier ce basculement. C’est une supercherie complète qui répond aux aspirations du patronat au nom de la défense du pouvoir d’achat des travailleurs.
Pour aller vers un « 100 % Sécu » financé intégralement par les cotisations sociales
Au contraire de Macron, Pécresse, Zemmour ou Le Pen, il faut aller dans la direction opposée : mettre fin aux baisses de cotisations sociales pour aller à terme vers un financement de la Sécurité sociale à 100 % par les cotisations sociales. Déterminer les besoins d’abord, puis fixer le taux de cotisations pour satisfaire ces besoins et aller vers le « 100 % Sécu » défendu par le programme pour l’Union populaire. Le poids acquis par la CSG dans le financement de la Sécurité sociale ne pourra pas annulé du jour au lendemain. C’est pourquoi il faudrait à court terme rendre la CSG progressive (l’Avenir en commun préconise 14 tranches) tout en faisant monter progressivement la part des cotisations dans le financement de la Sécu.
Il faut également retrouver l’esprit originel – qui est resté à l’état de promesse jamais pleinement traduite en actes – de la Sécurité sociale, celui d’une institution communiste, c’est-à-dire visant à satisfaire les besoins sociaux dans une logique socialisée non capitaliste. Cette institution gère le salaire socialisé des travailleurs : elle a donc vocation à être dirigé intégralement par les représentants élus des salariés.
Pour l’extension de la sécurité sociale !
Et le meilleur moyen de faire vivre la Sécurité sociale est de l’étendre à de nouveaux besoins pour les sortir de la logique du profit :
- mettre en place un grand service public de la dépendance financé par la cotisation sociale, ce qui passe bien sûr par l’interdiction des Ehpad privés à but lucratif revendiquée à juste titre par le programme de l’Union populaire.
- aller vers une « sécurité sociale de l’alimentation » : la perspective figure dans le programme de l’Union populaire. Elle est fondamentale. Pour la concrétiser, on pourrait mettre en place une nouvelle cotisation versée à une nouvelle caisse de sécurité sociale, qui utiliserait ces ressources pour deux choses : d’une part subventionner l'investissement de producteurs « conventionnés » (qui respecteraient le cahier des charges défini par les caisses) et d’autre part verser des prestations aux ménages, que ces derniers ne pourraient dépenser qu'en achetant la production des producteurs agréés.
- d’autres projets de sécurité sociale sectoriels pourraient être avancés (et le sont déjà par des associations comme Réseau salariat, des chercheurs…) pour satisfaire d’autres besoins fondamentaux : le logement, la presse, etc.
La prochaine élection présidentielle s’annonce décisive pour l’avenir de la Sécurité sociale : pour empêcher les violentes attaques promises par Macron, Pécresse, Zemmour ou Le Pen contre notre salaire socialisé et les institutions qui le gèrent, il faut utiliser le bulletin de vote « Mélenchon » !