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"Nous voulons un socialisme qui soit l’émanation de la vie quotidienne"

Lien publiée le 22 février 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Comités syndicalistes révolutionnaires : « Nous voulons un socialisme qui soit l’émanation de la vie quotidienne » – Le Comptoir

Dans un monde syndicaliste rongé par la bureaucratisation et le réformisme, les Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR)  détonnent. Tendance syndicale œuvrant au sein de la CGT, les CSR continuent de penser que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des  travailleurs eux-mêmes » et demeurent fidèle au syndicalisme révolutionnaire. Curieux de faire mieux connaissance avec cette organisation qui propose une réflexion politique intéressante et singulière aujourd’hui, nous nous sommes entretenu avec Mathieu Rougier, mandaté pour répondre en tant que secrétaire national. Le tout sous contrôle collectif.

Le Comptoir : Pouvez-vous présenter les Comités syndicalistes révolutionnaires ?

Mathieu Rougier : Nous sommes une organisation politique-syndicale rassemblant exclusivement des militants syndicalistes, de différentes organisations, et qui intervient en tant que tendance dans les confédérations syndicales et dans le milieu associatif. Nous œuvrons à repopulariser l’histoire et les pratiques du syndicalisme révolutionnaire (SR) qui fut un véritable phénomène de masse dans le mouvement ouvrier, notamment entre 1880 et 1925.

« Cela passe essentiellement par  l’analyse,  la réflexion collective,  la formation en lien avec la transmission de savoirs et de savoir-faire, la coordination de pratiques syndicales militantes et, aussi, en impulsant des pratiques culturelles. »

En effet, le SR fut le premier courant ouvrier révolutionnaire du socialisme (en tant que synthèse) à s’être opposé au réformisme et à la social-démocratie de la gauche naissante. Mais au-delà de “se remémorer le bon temps”, nous œuvrons surtout à l’actualisation du SR, en phase avec notre époque. Cela passe essentiellement par l’analyse,  la réflexion collective, la formation en lien avec la transmission de savoirs et de savoir-faire, la coordination de pratiques syndicales militantes et, aussi, en impulsant des pratiques culturelles qui ont servi de terreau et de moteur au mouvement ouvrier : fêtes populaires, clubs de sports ouvriers, soutien scolaire, etc.

Pourquoi avez-vous choisi de rester à la CGT, syndicat devenu réformiste et bureaucratique, plutôt que de choisir l’autonomie ? Quel rôle jouez-vous au sein de cette organisation ?

Si nous sommes restés majoritairement à la CGT, c’est bien par choix stratégique. Celui-ci s’accompagne d’une volonté politique d’agir collectivement en interne, d’où le rôle de « tendance ». Cette dernière n’entend pas se substituer aux syndicats mais travaille en leur sein. Passer à l’autonomie aurait pu se justifier à certaines époques, mais ça n’aurait aucun sens aujourd’hui. D’ailleurs, après plus de 60 ans de développement et de morcellement associatif, de divisions syndicales et politiques (dont la plupart se voulaient être des alternatives à la confédération), quel est le bilan ? La CGT reste la seule organisation de classe et de masse, en France, à pouvoir disposer d’un rapport de force, à avoir une assise et une implantation suffisamment larges pour agir de manière conséquente face aux défis de notre temps.

Mamfe / Wikimedia Commons

Qu’il y ait une dégénérescence bureaucratique est un fait. Quelle organisation n’en a pas ? C’est d’ailleurs devenu un phénomène de société, n’épargnant aucune structure collective, petite ou grande. Or, les statuts fédéralistes de la CGT permettent de combattre la bureaucratisation mais les bases syndicales ne se les approprient pas et ne les appliquent pas. Le problème est donc plus profond. C’est l’une des conséquences de la culture de gauche qui s’est substituée aux cultures du travail et du mandat qui étaient importantes pour les syndicalistes.

Quant au réformisme, c’était un authentique courant du mouvement ouvrier et socialiste. Il visait à affaiblir le pouvoir de la bourgeoisie capitaliste au profit du prolétariat et instaurer le socialisme par étapes politiques et par des réformes institutionnelles. Ainsi, quand les ministres communistes (et figures CGT) mettent en place après-guerre la Sécurité sociale ou les nationalisations, c’est du réformisme… mais qui ne dénature pas l’embryon socialiste, ni ne contredit le processus révolutionnaire dont ces réformes peuvent être porteuses. Si la CGT est “réformiste”, alors elle l’est dans ce sens. La transformation sociale et anticapitaliste de la société peut s’envisager de différentes manières. De notre point de vue, une rupture révolutionnaire est inévitable pour asseoir les conquêtes sociales et neutraliser la répression exercée par l’adversaire.

Pouvez-vous présenter les fondements du “syndicalisme révolutionnaire” que vous prônez ?

Émile Pouget (1860-1931)

Tout d’abord, il faut bien comprendre que le SR n’est pas une idéologie ou une théorie, mais un ensemble de pratiques, avec des réflexions qui en découlent, issues du monde du travail. Le mouvement ouvrier ne s’est pas construit par la lecture des “grands” penseurs socialistes. Il n’a pas attendu la création des partis de gauche. Il émerge des profondeurs de sa propre sociabilité. Les syndicats sont issus des sociétés de secours mutuels, elles-mêmes issues d’espaces de vie culturelle des travailleurs depuis des siècles. D’ailleurs Émile Pouget (un des premiers dirigeants CGT) disait « le syndicalisme révolutionnaire synthétise l’idéal posé par toutes les écoles de philosophie sociale, débarrassé des détails sectaires et secondaires, pour n’en conserver que l’essence ».

« Le projet de société est donc un socialisme dont la confédération syndicale (et non pas un parti unique ou une avant-garde éclairée) forme l’ossature. »

Le SR a deux fondements, résumés dans la Charte d’Amiens de 1906, constitutive de la CGT : la stratégie et le projet de société. La stratégie, c’est la “Double besogne”. Il s’agit d’articuler la lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de la population, tout en préparant la rupture révolutionnaire anticapitaliste. Cette rupture passe par la grève générale expropriatrice. Pour cela, la lutte doit garantir l’unité d’action, c’est-à-dire agir en dehors des groupes affinitaires, des sectes philosophiques et religieuses. Le deuxième fondement considère que « le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale ». Le projet de société est donc un socialisme dont la confédération syndicale (et non pas un parti unique ou une avant-garde éclairée) forme l’ossature.

 Vous défendez un “socialisme fédéraliste” en quoi consiste-t-il ?

Ça n’aura échappé à personne, “socialisme” est de la même racine que “social”, « sociabilité” et que “société”. L’homme n’est ni bon ni mauvais, il est social et sociable par nature. Nous ne voyons pas le socialisme comme une idéologie mais comme le système le plus approprié à cette nature humaine. Le socialisme cherche les liens qui traversent les hommes afin qu’ils fassent société. Parmi ces liens, le travail est incontournable, car il est à la base de tout ce qui existe dans les sociétés, depuis la nuit des temps. Mais si la fonction du socialisme est bien d’englober ou d’intégrer, la dérive autoritaire et totalitaire reste possible. Le fédéralisme est donc le contre-poids : il veille à la bonne prise en compte des pluralités et des spécificités.

« C’est une forme syndicale de démocratie directe. »

Le socialisme ne doit pas uniformiser via un égalitarisme forcené, il doit fédérer, allier, en privilégiant l’écoute et l’équité. Le principe fédératif peut se résumer par la volonté d’être plus nombreux et donc plus forts, non par la contrainte ou par l’autorité, mais par l’accord mutuel basé sur une conscience de l’unité nécessaire et de son intérêt. L’histoire du mouvement ouvrier et syndical repose sur ce principe-là, d’où le choix de s’organiser dans une “confédération”, qui peut être étendue à l’ensemble de la société. Nous voulons un socialisme qui soit l’émanation de la vie quotidienne. Le SR est en quelque sorte un socialisme des gens ordinaires. Dans cette perspective, nous produirons et travaillerons en fonction des attentes, des demandes et des besoins de la population.

Concrètement, le syndicat local d’usagers et de consommateurs (du quartier, de l’arrondissement, de la commune, etc), passe par l’Union locale qui mandatera le syndicat local de travailleurs (du domaine d’activité concerné) pour produire le bien utilisable, consommable, de qualité, attendu. C’est une forme syndicale de démocratie directe.

En quoi le jeu politique institutionnel et parlementariste vous semble sans intérêt ?

Ce n’est pas qu’il soit sans intérêt : nous devons évidemment prendre en compte ce qu’il se passe sur ce terrain-là pour pouvoir anticiper, adapter nos réflexions et nos pratiques. Nous considérons cependant que le cœur du pouvoir (et son origine) se trouve dans l’économie, et plus précisément dans le travail. La classe sociale qui domine l’économie et qui décide au travail, contrôle par conséquent la politique. Aussi, c’est en libérant le travail que nous libérerons la société, pas l’inverse.

Qui peut sérieusement penser, encore aujourd’hui, qu’un gouvernement politique ou qu’une décision populaire, dans un pays, peut s’opposer au capitalisme globalisé ? N’a t-on toujours pas analysé le bilan du vote de 2005 sur le traité de Maastricht ? N’y a-t-il aucune leçon à tirer de l’impuissance du gouvernement de Tsipras en Grèce ? Les capitalistes n’ont que faire du vote démocratique, du référendum citoyen, d’un gouvernement souverainiste ou du changement de numéro de la République. C’est pourquoi nous devons revoir nos priorités. Les partis politiques sont impuissants, il revient aux syndicats d’imposer leurs propres logiques et stratégies pour redéfinir le cadre institutionnel à court, moyen et long terme.

La gauche est selon vous aujourd’hui dans une impasse. Pourquoi ?

Ce n’est un scoop pour personne. La gauche est un ensemble hétérogène, abstrait, où chaque composante “de gauche” exclut l’autre jugée soit “trop à gauche”, soit “pas assez à gauche”, ou encore “trop à droite”. Depuis des dizaines d’années on entend dire qu’il y aurait une “vraie gauche” et une “fausse gauche”, le curseur, fixant les limites de ce qui est de gauche et ce qui ne l’est pas, changeant selon les générations, les époques et les contextes. Tout cela est très flou pour la majorité des gens et c’est ce qui, sur la forme, en plus d’une déconnexion avec le réel, conduit la gauche dans l’impasse.

Mais sur le fond aussi la gauche est en soi une impasse. On a dit d’elle qu’elle représentait politiquement les intérêts des travailleurs, faisant de “gauche” et de “socialisme” des vases communiquant, voire des synonymes, pendant des années. Pourtant la CGT ne s’est jamais revendiquée “de gauche”, Marx non plus et il fustigeait même cette notion “de gauche” que sont « les droits de l’homme (bourgeois) ».

La gauche ne vient pas du monde du travail, bien au contraire, elle vient historiquement de la modernité et de l’idéalisme libéral-capitaliste bourgeois, définie par la place de ses députés au Parlement. C’est d’ailleurs ce qui explique les nombreux conflits entre la gauche et les organisations ouvrières et socialistes au XIXe siècle. Le mythe de “la gauche des travailleurs” vient plus tard, avec l’affaire Dreyfus, qui voit l’alliance de la bourgeoisie libérale et républicaine (la gauche de l’époque) avec les organisations prolétariennes. Cette alliance a perduré (non sans heurts), notamment devant les périls venant de l’extrême droite réactionnaire, puis fasciste, durant toute la première moitié du XXe siècle.

« La gauche ne peut donc plus remplir son rôle d’intégration du prolétariat aux valeurs et aux institutions bourgeoises. »

Aujourd’hui, la gauche est doublement dans l’impasse puisque les libéraux-républicains qui formaient son socle historique s’en sont affranchis, et que les travailleurs lui ont massivement tourné le dos. La gauche ne peut donc plus remplir son rôle d’intégration du prolétariat aux valeurs et aux institutions bourgeoises.

Quel rôle joue l’idéologie “postmoderne” dans cette impasse ?

Michel Foucault, un des pères de la French theory

Le postmodernisme est d’abord un concept d’analyse en sciences sociales, s’appuyant à la fois sur le gauchisme intellectuel soixante-huitard et sur la montée du libéralisme, pour bousculer les pensées et méthodes universitaires admises jusque-là. Basé sur le scepticisme des savoir-faire et des savoir-être transmis jusqu’alors, ainsi que sur la déconstruction de ce qui précède, ce courant a entrepris de remettre en cause les récits communs à tous (les “métarécits”) et les perspectives universelles. Or, la révolution, la lutte des classes, le socialisme ou encore le syndicalisme, sont justement des vécus communs et des projets universels. Cette méthode d’analyse (connue sous le nom de French theory) s’est d’abord développée dans les universités américaines puis a contribué à l’apparition des études culturelles, post-coloniales / décoloniales et de genre (avec le concept  d’intersectionnalité par exemple).

Cela donne aussi naissance à des théories telles que l’indigénisme, le privilège blanc, la “cancel culture”, la culture “woke”, etc. Il faut cependant bien faire la différence entre, d’une part, des études dans une “perspective de genre”, ou dans une “perspective décoloniale”, qui sont des outils d’analyses utiles pour comprendre des mécanismes d’oppression et les différents rapports de dominations ; et, d’autre part, l’utilisation (souvent dévoyée) de ces mêmes concepts à des fins politiques, voire démagogiques (ce à quoi nous assistons aujourd’hui). Il serait faux de croire que le postmodernisme est revenu en France dans la première décennie des années 2000 et s’est imposé dans le débat et l’espace publics sans des conditions préalables qui lui aient été favorables. Le repli identitaire et nombriliste de la gauche d’aujourd’hui est le résultat d’une désocialisation libérale elle-même provoquée par l’adhésion de la gauche au libéralisme  depuis les années 1960.

« L’actualisation et le développement du postmodernisme acte la dégénérescence de la culture de gauche. »

Ce repli de la gauche est aussi un effet miroir de la banalisation des idées d’extrême-droite au début des années 2000. Le repli des uns amène donc le repli des autres et il est le meilleur moyen pour ne pas construire le socialisme et les solidarités. L’actualisation et le développement du postmodernisme acte la dégénérescence de la culture de gauche. Mais bien au-delà, il signe également la mort de la culture politique.

Nos Desserts :