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Trotsky: La question ukrainienne

histoire Ukraine

Lien publiée le 1 mars 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Léon Trotsky: La question ukrainienne – Anti-K

Le 28 02 2022

Bonjour les camarades

Afin de nourrir nos réflexions et discussions je fais suivre 2 articles de Trotsky et un article de notre camarade Kowalewski dans Inprecor(4eme internationale) sur la question ukrainienne.

Il ne s agit évidemment pas d une réponse à une situation aujourd’hui totalement différente : la Russie est redevenue une puissance capitaliste et impérialiste et n a plus rien à voir avec un état « ouvrier » fut il degeneré.

Ils sont néanmoins importants sur la manière d aborder la question nationale ukrainienne et le droit inconditionnel des nations à disposer d elles même.

Bien fraternellement

Bonne lecture

Jean Claude

Œuvres – avril 1939

Léon Trotsky

La question ukrainienne

22 avril 1939 

La question ukrainienne, que bien des gouvernements, bien des « socialistes » et même bien des « communistes », se sont efforcés d’oublier et de reléguer au fin fond de l’histoire, vient d’être remise à l’ordre du jour, cette fois avec une force redoublée. La toute récente aggravation du problème ukrainien se trouve liée très intimement à la dégénérescence de l’Union soviétique et de l’Internationale communiste, aux succès du fascisme et à l’approche de la prochaine guerre impérialiste [1]. Crucifiée par quatre Etats, l’Ukraine occupe à présent dans les destinées de l’Europe la même position que la Pologne autrefois, à cette différence près que les relations internationales sont infiniment plus tendues maintenant et que les rythmes des évènements s’accélèrent. La question ukrainienne est destinée à jouer dans un avenir proche un rôle énorme dans la vie de l ‘Europe. Ce n’est pas pour rien que Hitler a d’abord soulevé bruyamment la question de la constitution d’une « Grande Ukraine », pour ensuite s’empresser de l’enterrer furtivement [2].

La II° Internationale, qui exprime les intérêts de la bureaucratie et de l’aristocratie ouvrières des Etats impérialistes, a complètement méconnu la question ukrainienne. Même son aile gauche ne lui a jamais accordé l’attention nécessaire. Il suffit de rappeler que Rosa Luxemburg, malgré sa brillante intelligence et son esprit vraiment révolutionnaire, a pu affirmer que la question ukrainienne était l’invention d’une poignée d’intellectuels. Cette prise de position a même laissé une profonde empreinte sur le parti communiste polonais. La question ukrainienne a été considérée par les chefs officiels de

la section polonaise du l’Internationale communiste plutôt comme un obstacle que comme un problème révolutionnaire. D’où les efforts opportunistes déployés en permanence pour échapper à cette question, pour l’écarter, pour la passer sous silence ou la renvoyer à un avenir indéterminé.

Le parti bolchevique était parvenu non sans difficultés et petit à petit, sous la pression incessante de Lénine, à se faire une idée juste de la question ukrainienne. Le droit à l’auto-détermination, c’est-à-dire à la séparation, a été étendu par Lénine aussi bien aux Polonais qu’aux Ukrainiens : il ne reconnaissait pas de nations aristocratiques. Il considérait comme une manifestation de chauvinisme grand-russe toute tendance à éliminer ou à différer le problème d’une nationalité opprimée.

Après la prise du pouvoir, il y eut au sein du parti bolchevique une lutte sérieuse au sujet de la solution des nombreux problèmes nationaux hérités de la vieille Russie tsariste. En sa qualité de commissaire du peuple aux nationalités, Staline représentait invariablement la tendance la plus centraliste et bureaucratique. Ce fut particulièrement net à propos de la question géorgienne et de la question ukrainienne. La correspondance sur ces questions n’a pas encore été publiée. Nous comptons publier la toute petite partie qui se trouve à notre disposition [3]. Chaque ligne des lettres et propositions de Lénine vibre de l’insistance qu’il met à ce qu’on fasse droit, dans la mesure du possible, à ces nationalités opprimées. Dans les propositions et déclarations de Staline, au contraire, la tendance au centralisme bureaucratique, est invariablement marquée. A seule fin d’assurer des « besoins administratifs », lisez les intérêts de la bureaucratie, les revendications les plus légitimes des nationalités opprimées ont été caractérisées comme manifestation du nationalisme petit-bourgeois. On a pu observer tous ces symptômes dès 1922-1923. Mais, depuis cette époque, ils se sont développés de façon monstrueuse et ont conduit à l’étranglement complet de tout développement national indépendant des peuples de l’U.R.S.S.

Selon la conception du vieux parti bolchevique, l’Ukraine soviétique était destinée à devenir un axe puissant autour duquel s’uniraient les autres fractions du peuple ukrainien. Il est incontestable que, durant la première période de son

existence, l’Ukraine soviétique exerça une puissante attraction également du point de vue national et qu’elle éveilla à la lutte les ouvriers, les paysans et l’intelligentsia révolutionnaire de l’Ukraine occidentale, asservie à la Pologne. Mais, au cours des années de réaction thermidorienne, la position de l’Ukraine soviétique et, en même temps, la manière de poser la question ukrainienne dans son ensemble, furent profondément modifiées. Plus grands avaient été les espoirs suscités, plus profonde fut la désillusion. En Grande-Russie aussi, la bureaucratie a étranglé et pillé le peuple. Mais, en Ukraine, les choses ont été compliquées encore par le massacre des espérances nationales. Nulle part, les restrictions, les épurations, la répression et, de façon générale, toutes les formes de banditisme bureaucratique n’assumèrent un caractère de violence aussi meurtrier qu’en Ukraine, dans la lutte contre les puissantes aspirations, profondément enracinées, des masses ukrainiennes à plus de liberté et d’indépendance. Pour la bureaucratie totalitaire, l’Ukraine soviétique devint une subdivision administrative d’une entité économique et une base militaire de l’U.R.S.S. Sans doute la bureaucratie élève-t-elle des statues à Chevtchenko [4], mais seulement dans le but d’écraser plus complètement le peuple ukrainien de leur poids et de l’obliger à chanter dans la langue de Kobzar [5] des éloges de la clique de violeurs du Kremlin.

A l’égard des parties de l’Ukraine qui sont actuellement hors des frontières de l’U.R.S.S., l’attitude du Kremlin est aujourd’hui la même qu’à l’égard de toutes les nationalités opprimées de toutes les colonies et semi-colonies, c’est-à-dire [qu’elle les considère comme] une petite monnaie d’échange dans ses combinaisons impérialistes. Au dernier 18° congrès du parti « communiste », Manouilsky [6], l’un des renégats les plus répugnants du communisme ukrainien, a déclaré tout à fait ouvertement que, non seulement l’U.R.S.S., mais également le Comintern, refusent de revendiquer l’émancipation nationale des peuples opprimés lorsque leurs oppresseurs ne sont pas parmi les ennemis de la clique dirigeante de Moscou. Aujourd’hui, Staline, Dimitrov [7] et Manouilsky défendent l’Inde contre le Japon, mais pas contre l’Angleterre. On est disposé à céder pour toujours l’Ukraine occidentale à la Pologne en échange d’un accord diplomatique qui semble aujourd’hui profitable aux bureaucrates du Kremlin. Le temps est loin où ils n’allaient pas, dans leur politique au-delà de combinaisons épisodiques.

Il ne subsiste rien de la confiance et de la sympathie d’antan des masses d’Ukraine occidentale pour le Kremlin. Depuis la toute récente « épuration » sanglante en Ukraine, personne, à l’Ouest, ne désire plus devenir partie intégrante de la satrapie du Kremlin qui continue à porter le nom d’Ukraine soviétique. Les masses ouvrières et paysannes d’Ukraine occidentale, de Bukovine, d’Ukraine subcarpathique, sont en pleine confusion. Où se tourner ? Que revendiquer ? Et tout naturellement, du fait de cette situation, la direction glisse aux mains des plus réactionnaires des cliques ukrainiennes qui expriment leur « nationalisme » en cherchant à vendre le peuple ukrainien à l’un ou l’autre des impérialismes en échange d’une promesse d’indépendance fictive. C’est sur cette tragique confusion que Hitler fonde sa politique dans la question ukrainienne. Nous l’avons dit autrefois : sans Staline (c’est-à-dire sans la fatale politique du Comintern en Allemagne), il n’y aurait pas eu Hitler. Nous pouvons maintenant ajouter : sans le viol de l’Ukraine soviétique par la bureaucratie stalinienne, il n’y aurait pas de politique hitlérienne pour l’Ukraine.

Nous n’allons pas nous attarder ici à analyser les motifs qui ont poussé Hitler à rejeter, au moins pour le moment, le mot d’ordre d’une Grande Ukraine. Il faut en chercher les raisons, d’une part dans la politique de brigandage de l’impérialisme allemand, d’autre part dans la crainte d’évoquer des démons qui pourraient se révéler difficiles à exorciser. Hitler a fait cadeau aux bouchers hongrois de l’Ukraine subcarpathique [8]. Et cela s’est fait, sinon avec l’approbation ouverte de Moscou, du moins avec la conviction qu’elle allait suivre. C’est comme si Hitler avait dit à Staline : « Si je me préparais à attaquer demain l’Ukraine soviétique, j’aurais gardé entre mes mains l’Ukraine subcarpathique. » En guise de réponse, Staline, au XVIII° congrès [9], a pris ouvertement la défense de Hitler contre les calomnies des « démocraties » occidentales. Hitler se propose d’attaquer l’Ukraine ? Que non ! Se battre contre Hitler ? Il n’y a aucune raison. Manifestement, Staline interprète la remise de l’Ukraine subcarpathique à la Hongrie comme un geste de paix [10].

Cela veut dire que les différentes fractions du peuple ukrainien ne sont devenues ni plus ni moins qu’une monnaie d’échange pour les machinations internationales du Kremlin. La

IV° Internationale doit clairement comprendre l’énorme importance de la question ukrainienne pour les destinées non seulement de l’Europe sud-orientale et orientale, mais encore de l’Europe tout entière. Nous avons affaire à un peuple qui a donné des preuves de sa vitalité, qui a une population égale à celle de la France, qui occupe un territoire exceptionnellement riche et qui, de surcroît, est de la plus grande importance stratégique. La question de l’Ukraine est posée dans toute son ampleur.

Il faut un mot d’ordre clair et précis, qui corresponde à la situation nouvelle. A mon avis, il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul mot d’ordre de ce type : pour une Ukraine soviétique, ouvrière et paysanne unie, libre et indépendante !

 

Ce programme est tout d’abord en opposition inconciliable avec les intérêts des trois puissances impérialistes, Pologne, Roumanie et Hongrie. Il n’y a que les indécrottables imbéciles pacifistes pour croire que l’émancipation et l’unification du l’Ukraine puissent être réalisées par des moyens diplomatiques pacifiques, des référendums, des décisions de la Société des Nations, etc. Ils ne valent naturellement pas mieux les uns que les autres, tous ces « nationalistes » qui proposent de résoudre la question ukrainienne en utilisant un impérialisme contre l’autre. Hitler a donné une leçon hors de prix à ces aventuriers en livrant (pour combien de temps?) l’Ukraine subcarpathique aux Hongrois, qui se sont empressés de massacrer un grand nombre de ces Ukrainiens pleins de confiance. Pour autant que l’issue dépende de la force militaire des Etats impérialistes, la victoire de l’un ou l’autre bloc ne peut signifier qu’un nouveau démembrement et un asservissement plus brutal encore du peuple ukrainien. Le programme de l’indépendance ukrainienne à l’époque de l’impérialisme est directement et indissolublement lié au programme de la révolution prolétarienne. Il serait criminel d’entretenir en la matière quelque illusion que ce soit.

Mais l’indépendance d’une Ukraine unifiée signifierait la séparation de l’Ukraine de l’U.R.S.S., vont s’écrier en chœur le « amis » du Kremlin. Qu’y a-t-il de si terrible ? répondons-nous. L’adoration béate des frontières des Etats nous est totalement

étrangère. Nous ne soutenons pas la thèse d’un tout « un et indivisible ». Après tout, la Constitution de l’U.R.S.S. elle- même reconnaît le droit à l’auto-détermination aux peuples fédérés qui la composent, c’est-à-dire le droit à la séparation. Ainsi même l’oligarchie toute-puissante du Kremlin n’ose pas nier ce principe. Il ne subsiste sans doute que sur le papier : la moindre tentative de soulever ouvertement la question d’une Ukraine indépendante, entraînerait l’exécution immédiate pour trahison. Mais c’est précisément cette suppression sans vergogne de toute pensée nationale libre qui a conduit les masses travailleuses de l’Ukraine, plus encore que les masses de la Grande-Russie, à considérer le gouvernement du Kremlin comme une oppression monstrueuse. Devant une telle situation intérieure, il est naturellement impossible de parler d’une Ukraine occidentale se rattachant volontairement à l’U.R.S.S. telle qu’elle est actuellement. En conséquence, l’unification de l’Ukraine présuppose l’affranchissement de l’Ukraine dite « soviétique » de la botte stalinienne. En ce domaine aussi, la clique bonapartiste ne récoltera que ce qu’elle aura semé.

« Mais cela ne signifierait-il pas un affaiblissement militaire l’U.R.S.S. ? » vont hurler, épouvantés, les « amis » du Kremlin. Nous répondons que l’U.R.S.S. est affaiblie par les tendances centrifuges sans cesse grandissantes qu’engendre la dictature bonapartiste. En cas de guerre, la haine des masses pour la clique dirigeante peut conduire à l’écroulement de toutes les conquêtes sociales d’Octobre. L’origine de ces dispositions défaitistes se trouve au Kremlin. D’autre part, une Ukraine soviétique indépendante deviendrait, ne fût-ce qu’en vertu de ses intérêts propres, un puissant rempart au sud-ouest de l’U.R.S.S. Plus vite la caste bonapartiste d’aujourd’hui sera minée, renversée, écrasée et balayée, plus solide deviendra la défense de la République soviétique et plus certain son avenir socialiste.

Il est évident qu’une Ukraine ouvrière et paysanne indépendante pourrait ultérieurement rejoindre la fédération soviétique, mais de sa propre volonté, à des conditions qu’elle jugerait elle-même acceptable, ce qui présuppose à son tour une régénérescence révolutionnaire de l’U.R.S.S. L’émancipation véritable du peuple ukrainien est inconcevable sans une révolution ou une série de révolutions à l’Ouest, qui devraient, à la fin, conduire à la création des Etats-Unis soviétiques d’Europe. Une Ukraine indépendante pourrait rejoindre et

certainement rejoindrait cette fédération en tant que partenaire égal. La révolution prolétarienne en Europe, à son tour, ne laisserait pas une pierre de la révoltante structure du bonapartisme stalinien. En ce cas, l’union la plus étroite entre les Etats-Unis soviétiques d’Europe et l’U.R.S.S. régénérée serait inévitable et présenterait des avantages infinis pour les continents européen et asiatique, comprenant également l’Ukraine. Mais nous glissons ici vers des questions de second ou de troisième ordre. La question principale est la garantie révolutionnaire de l’unité et de l’indépendance d’une Ukraine ouvrière et paysanne dans la lutte contre l’impérialisme, d’une part, et contre le bonapartisme de Moscou, l’autre.

L’Ukraine est particulièrement riche et expérimentée dans les voies erronées de la lutte pour son émancipation nationale. Là, on a tout essayé : la Rada petite-bourgeoise et Skoropadsky, et Petlioura et l’ « alliance » avec les Hohenzollern et les combinaisons avec l’Entente [11]. Après toutes ces expériences, il n’y a plus que des cadavres politiques pour continuer à placer leurs espoirs dans l’une des fractions de la bourgeoisie ukrainienne en tant que dirigeant de la lutte nationale pour l’émancipation. Seul le prolétariat ukrainien est à même, non seulement de résoudre cette tâche – qui est révolutionnaire par son essence-même – mais aussi de prendre une initiative pour la résoudre. Le prolétariat et le prolétariat seul peut rallier autour de lui les masses paysannes et l’intelligentsia nationale authentiquement révolutionnaire.

Au début de la dernière guerre impérialiste, les Ukrainien Melenevsky               («               Basok               »)               et Skoropis-leltoukhovsky [12] essayèrent de placer le mouvement de libération ukrainien sous l’aile du général des Hohenzollern Ludendorff [13]. Ce faisant, ils se couvraient de phrases « de gauche ». Les marxistes révolutionnaires ont chassé ces gens-là d’une seule bourrade. C’est ainsi que les révolutionnaires doivent continuer à se comporter à l’avenir. La guerre qui vient va créer une atmosphère favorable à toutes sortes d’aventuriers, faiseurs de miracles et chercheurs de, toison d’or. Ces messieurs, qui aiment particulièrement se chauffer les mains aux questions nationales, ne doivent pas être admis à portée de canon dans le mouvement ouvrier. Pas le moindre compromis avec l’impérialisme, qu’il soit fasciste ou démocratique ! Pas la moindre concession aux nationalistes ukrainiens, qu’ils soient

réactionaires-cléricaux ou pacifistes-libéraux ! Pas de « Fronts Populaires » ! Indépendance totale du parti prolétarien en tant qu’avant-garde des travailleurs !

C’est ce qui me semble une politique juste dans la question ukrainienne. Je parle ici personnellement et en mon nom propre. La question doit être ouverte à la discussion internationale. La toute première place dans cette discussion doit revenir aux marxistes révolutionnaires ukrainiens [14]. Nous écouterons leurs voix avec la plus grande attention. Mais ils feraient bien de se hâter. Il ne reste que peu de temps pour se préparer !

Notes

 

  • L’Ukraine – les terres ukrainiennes – était alors partagée de fait entre

l’U.R.S.S., la Pologne, la Roumanie et la Hongrie.

  • Trotsky fait allusion ici à la politique de Hitler vis-à-vis de la question ukrainienne qui commence après Munich et se termine avec le dépècement de la Tchécoslovaquie en mars La partie ukrainienne de la Tchécoslovaquie, la Ruthénie, avait été dotée de l’autonomie et son gouvernement, présidé par Mgr Voloisin avec J. Revay, appuyé sur la milice nationale Sitch, était devenu le centre d’agitation et d’organisation du nationalisme ukrainien sous l’aile allemande : tel quel, l’Etat ruthène était incapable d’exister de façon indépendante, mais il était une tête de pont vers l’Ukraine soviétique, prenant même en janvier 1939 le nom d’Ukraine carpathique : le gouvernement de Chust (le village devenu capitale) avait pris des contacts avec tous les milieux blancs émigrés. C’est probablement au début de 1939 que, dans le cadre du plan visant au rapprochement avec l’U.R.S.S., le gouvernement allemand abandonna les projets de « Grande Ukraine » – qui avaient été le thème et l’orchestration du gouvernement de Chust – en faveur du dépècement de la Tchécoslovaquie. L’armée allemande occupa la Bohême et la Moravie le 15 mars; le 16, avec l’autorisation de Berlin, l’armée hongroise occupa la Ruthénie qu’elle allait annexer. Il n’était plus question de « Grande Ukraine ».
  • Ces lettres, déposées à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam ont été publiées dans les deux volumes des Trotsky’s Papers à La Haye. Quelques années plus tôt, Trotsky n’aurait pas laissé passer ici l’occasion de rappeler le soutien que Lénine avait apporté à Rakovsky.
  • Tarass H. Chevtchenko (1814-1861), poète ukrainien, professeur à Kiev, organisateur de la Fraternité de Cyrille et Méthode, partisan d’une Ukraine nationale profondément réformée, est le père du nationalisme ukrainien
  • Kobzar est le titre d’un célèbre recueil de poèmes de Chevtchenko publié juste avant son exil de
  • Dimitri Z. Manouilsky (1883-1952) qui avait été compagnon d’exil de Trotsky à Paris et son collaborateur à Naché Slovo, était devenu sous Staline l’un des secrétaires de I’I.C., exécutant sans personnalité. C’était le 11 mars 1939 qu’il avait prononcé son rapport sur l’I.C. au congrès du parti
  • Georgi V. Dimitrov (1882-1949), ancien dirigeant du parti social- démocrate des tesnjaki – proche du bolchevisme – et des syndicats bulgares, ancien responsable du bureau de Berlin de l’I.C., avait été le héros du procès de Leipzig en 1933; il était depuis la figure de proue en même temps que le secrétaire général de l’I.C.
  • Lors de l’occupation de la Ruthénie par l’armée hongroise (cf. plus haut), cette dernière se livra à plusieurs massacres dans des villages peuplés d’Ukrainiens.
  • Le rapport de Staline au XVIII° congrès fut présenté le 10 mars
  • Staline avait notamment insisté dans son discours sur la publicité donnée par la presse occidentale à l’Ukraine carpathique et à ses projets de « Grande Ukraine », publicité destinée selon lui à pousser l’Allemagne à attaquer l’U.R.S.S. – ce qu’elle n’avait pas fait puisqu’elle avait laissé la Hongrie annexer la Ruthénie.
  • La Rada (ou conseil) formée de nationalistes modérés et de conciliateurs, avait pris le pouvoir en Ukraine en février Pavel
  1. Skoropadky (1873-1945) général en 1914 dans l’armée du tsar, se souleva après octobre 1917 et prit le titre d’ataman (hetman en allemand) d’Ukraine, où il gouverna au compte de l’occupant allemand. Il s’enfuit en nvembre 1918. Semion V. Petlioura (1879-1926), ancien social-démocrate devenu nationaliste membre de la Rada, fut le chef de son armée, puis l’inspirateur du Directoire qui gouverna l’Ukraine pendant un temps. Battu par l’Armée rouge, il se réfugia en Pologne et bénéficia de l’appui de Pilsudski et de l’Entente, lors de l’offensive polonaise contre la Russie soviétique en 1920, où il commandait des unités ukrainiennes et se présentait en « libérateur ».
  • I. Melenevsky dit Basok (1879-1938) et Oleksander Skoropis- leltoukhovskil d’abord membres du parti révolutionnaire ukrainien, avaient fondé en 1904 l’union social-démocrate ukrainienne. En 1914, sous la protection de l’armée allemande, ils avaient fondé à Lemberg (Lviv ou Lvov) une Union Pour la Libération de l’Ukraine et, au cours de la guerre, avaient étë placés à des fonctions administratives dans les territoires ukrainiens occupés par l’armée allemande.
  • Erich von Ludendorff (1865-1937),    général    prussien,    était

« quartier-maître général » au grand état-major du Reich allemand à l’époque du dernier empereur Hohenzollern, Guillaume II. Profondément réactionnaire, il était l’un des chefs militaires les plus politiques.

  • Toute une génération de marxistes ukrainiens avait été exterminée par Staline en R.S.S. Trotsky ne pouvait l’ignorer et son appel s’adressait aux « marxistes révolutionnaires » des autres pays. L’un d’entre eux au moins et non le moindre partageait l’analyse de Trotsky sur la question de l’indépendance de l’Ukraine. Roman Rosdolsky entré en 1915 dans le mouvement révolutionnaire, puis dirigeant du P.C. d’Ukraine occidentale, était en liaison avec la section polonaise de la IV° Internationale. Il enseignait à l’université de Lvov (Lviv ou Lemberg).

Œuvres – juillet 1939

Léon Trotsky

L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires

30 juillet 1939

 

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Dans l’une des minuscules publications sectaires qui paraissent en Amérique, qui vivent des miettes tombées de la table de la IV° Internationale et les paient de la plus noire ingratitude, je suis tombé par hasard sur un article consacré à la question ukrainienne. Quelle confusion ! Le sectaire-auteur est bien entendu opposé au mot d’ordre de l’Ukraine soviétique indépendante. Il est pour la révolution mondiale et pour le socialisme – « racines et branches ». Il nous accuse d’ignorer les intérêts de l’U.R.S.S. et d’abandonner la conception de la révolution permanente. Il nous accuse d’être des centristes. Sa critique est très sévère, presque implacable. Malheureusement il ne comprend rien du tout, et le nom de sa minuscule publication, The Marxist [1], résonne plutôt ironiquement. Mais son incapacité à comprendre revêt des formes si achevées, presque classiques, qu’elle peut nous permettre de mieux comprendre et de clarifier complètement la question.

Notre critique prend comme point de départ la position suivante : « Si les ouvriers d’Ukraine soviétique renversent le stalinisme et établissent un Etat ouvrier authentique, devront ils se séparer du reste de l’Union soviétique ? Non. » Et ainsi de suite … « Si les ouvriers renversent le stalinisme… », alors nous verrons plus clairement quoi faire. Mais, pour y arriver, il faut d’abord ne pas se fermer les yeux devant la croissance des

tendances séparatistes en Ukraine, mais bien plutôt leur donner une expression politique correcte.

« Ne pas tourner le dos à l’Union soviétique », poursuit l’auteur, « mais sa régénérescence et son rétablissement en tant que puissante citadelle de la révolution mondiale   telle est la voie du marxisme ». Dans cet exemple, le développement réel des masses, en l’occurrence des masses opprimées nationalement, est remplacé par notre sage par des spéculations sur les voies les meilleures du développement. Avec la même méthode, mais avec beaucoup plus de logique, on pourrait dire :

« Ce n’est pas la défense d’une Union soviétique dégénérée qui est notre tâche, mais la révolution mondiale laquelle transformera le monde entier en une Union soviétique mondiale.

» De tels aphorismes sont monnaie courante.

Notre critique répète à plusieurs reprises ma déclaration sur le fait que le destin d’une Ukraine indépendante est indissolublement lié à la révolution prolétarienne mondiale. A partir de cette perspective générale, l’A B C pour un marxiste, il essaie cependant de faire une recette de passivité, de temporisation et de nihilisme national. Le triomphe de la révolution prolétarienne à l’échelle mondiale est le produit ultime de mouvements multiples, de campagnes et de batailles et absolument pas une précondition toute faite permettant de résoudre automatiquement toutes les questions. C’est seulement en posant directement et courageusement la question ukrainienne dans les circonstances concrètes données qu’on facilitera le ralliement des masses petites bourgeoises et paysannes autour du prolétariat, exactement comme en Russie en 1917.

Il est vrai que notre auteur pourrait objecter qu’en Russie, avant Octobre, c’était une révolution bourgeoise qui se déroulait tandis qu’aujourd’hui nous avons déjà derrière nous la révolution socialiste. Une revendication qui aurait pu être progressiste en 1917 est aujourd’hui réactionnaire. Un tel raisonnement, tout à fait dans l’esprit des bureaucrates et des sectaires, est faux du début à la fin.

Le droit à l’autodétermination nationale est bien entendu un principe démocratique et pas socialiste. Mais les principes authentiquement démocratiques ne sont soutenus et réalisés à notre époque que par le prolétariat révolutionnaire ; c’est pour

cette raison même qu’ils sont aussi étroitement entrelacés avec les tâches socialistes. La lutte résolue des bolcheviks pour le droit à l’autodétermination des nationalités opprimées en Russie a facilité considérablement la prise du pouvoir par le prolétariat. C’est comme si le prolétariat avait absorbé les problèmes démocratiques, avant tout les problèmes agraires et nationaux, donnant à la révolution russe un caractère combiné. Le prolétariat était déjà en train d’entreprendre les tâches socialistes, mais il ne pouvait immédiatement élever à ce niveau les paysans et les nations opprimées (elles-mêmes à prédominance paysanne) qui étaient, elles, absorbées par la résolution de leurs tâches démocratiques. C’est de là que découlaient les compromis inévitables dans le domaine agraire comme national. En dépit des avantages économiques d’une agriculture à large échelle, le gouvernement soviétique a été obligé de diviser les grands domaines. Ce n’est que quelques années plus tard que le gouvernement a pu passer aux fermes collectives, et alors, il sauta immédiatement beaucoup trop loin et fut obligé, après quelques années, de faire des concessions aux paysans sous la forme de lopins privés qui, dans de nombreux endroits, tendent à dévorer les fermes collectives. Les prochaines étapes de ce procès contradictoire ne sont pas encore résolues.

La nécessité d’un compromis, ou plutôt de plusieurs compromis, apparaît également dans le domaine de la question nationale, dont les voies ne sont pas plus linéaires que celles de la révolution agraire. La structure fédérale de la République soviétique constitue un compromis entre les exigences centralistes de l’économie planifiée et les exigences décentralisatrices du développement des nations opprimées dans le passé. Ayant construit un Etat ouvrier sur le compromis d’une fédération, le parti bolchévique a inscrit dans la constitution le droit des nations à la séparation complète indiquant par là qu’il ne considérait pas du tout la question nationale comme réglée une fois pour toutes.

L’auteur de notre critique soutient que « les dirigeants du parti espéraient convaincre les masses de demeurer dans le cadre de la république soviétique fédérée ». C’est exact, si l’on prend le mot de « convaincre », non au sens d’arguments logiques, mais au sens de traverser une expérience de collaboration économique, culturelle et politique. Une agitation abstraite en

faveur du centralisme n’a pas en elle-même un grand poids. Comme on l’a déjà dit, la fédération était une rupture nécessaire avec le centralisme. Il faut aussi ajouter que la composition même de la fédération n’est d’aucune manière donnée d’avance une fois pour toutes. Selon les conditions objectives, une fédération peut se développer vers un plus grand centralisme, ou, au contraire, vers une plus grande indépendance de ses composantes nationales. Politiquement, il ne s’agit pas du tout de savoir s’il est avantageux « en général » pour les diverses nationalités de vivre ensemble dans le cadre d’un seul Etat, mais plutôt de savoir si, oui ou non, une nationalité donné a, sur la base de sa propre expérience, jugé avantageux d’adhérer à un Etat donné.

En d’autres termes, laquelle des deux tendances, dans les circonstances données prendra t elle le dessus dans le compromis de la fédération, la tendance centrifuge ou la tendance centripète ? Ou, pour poser plus clairement encore : Staline et ses satrapes ukrainiens ont ils réussi à convaincre les masses de la supériorité du centralisme de Moscou sur l’indépendance ukrainienne, ou ont ils échoué ? C’est une question d’une importance décisive. Mais notre auteur ne soupçonne même pas son existence.

Les larges masses du peuple ukrainien désirent elles se séparer de l’U.R.S.S. ? Il pourrait au premier abord sembler difficile de répondre à cette question, dans la mesure où le peuple ukrainien, comme tous les autres peuples de l’U.R.S.S., est privé de toute possibilité d’exprimer sa volonté. Mais la genèse même du régime totalitaire et son intensification plus brutale encore, surtout en Ukraine, constituent la preuve que la volonté réelle des masses ukrainiennes est irréconciliablement hostile à la bureaucratie soviétique. Il ne manque pas de preuve que l’une des sources principales de cette hostilité est la suppression de l’indépendance ukrainienne. Les tendances nationalistes en Ukraine ont   explosé   avec   violence   en 1917 1919. Le Parti Borotba exprimait ces tendances à gauche [2]. L’indication la plus importante du succès de la politique léniniste en Ukraine a été la fusion du parti bolchevique ukrainien avec l’organisation des

« borotbistes [3] »..

Au cours de la décennie suivante, cependant, une véritable rupture se produisit avec le groupe de Borotba, dont les dirigeants furent persécutés. Le Vieux Bolchevik Skrypnik [4], un stalinien pur sang, fut conduit au suicide en 1933 pour avoir soi-disant protégé les tendances nationalistes. Le véritable « organisateur » de ce suicide fut l’émissaire stalinien Postychev [5] qui, là-dessus, resta en Ukraine comme représentant de la politique de centralisation. Pourtant Postychev est tombé lui-même en disgrâce [6]. Ces faits sont profondément symptomatiques, car ils révèlent avec quelle force s’exerce la pression de l’opposition nationaliste sur la bureaucratie. Nulle part purge et répression n’ont eu un caractère aussi sauvage et aussi massif qu’en Ukraine.

Le fait que les éléments démocrates ukrainiens hors d’Union soviétique se soient détournés d’elle est d’une importance politique énorme. Quand le problème ukrainien s’est aggravé au début de l’année, on n’entendait pas du tout les voix communistes, mais celles des cléricaux et socialistes nationaux ukrainiens résonnaient fort. Cela signifie que l’avant garde prolétarienne a laissé le mouvement national ukrainien lui glisser des mains et que ce mouvement a progressé très avant sur la voie du séparatisme. Enfin, l’état d’esprit des émigrés ukrainiens du continent nord américain est également très indicatif. Au Canada, par exemple, où les Ukrainiens constituent le cœur du parti communiste, a commencé en 1933, comme l’a dit un participant de ce mouvement, un exode très net des ouvriers et paysans ukrainiens qui se détournent du communisme et tombent ou dans la passivité ou les nationalismes de divers types. Au total, ces symptômes et ces faits témoignent sans conteste de la force grandissante des tendances séparatistes au sein des masses ukrainiennes.

Tel est le fait fondamental sous jacent à l’ensemble du problème. Il montre qu’en dépit du pas en avant gigantesque réalisé par la révolution d’Octobre dans le domaine des rapports nationaux, la révolution prolétarienne, isolée dans un pays arriéré, s’est avérée incapable de résoudre la question nationale, particulièrement la question ukrainienne, qui, a par essence un caractère international. La réaction thermidorienne, couronnée par la bureaucratie bonapartiste, a rejeté les masses laborieuses très en arrière dans le domaine national également. Les grandes masses du peuple ukrainien sont mécontentes de leur sort

national et aspirent à le changer radicalement. C’est ce fait que le révolutionnaire politique, à la différence du bureaucrate et du sectaire, doit prendre comme point de départ.

Si notre critique était capable de penser politique, il aurait deviné sans difficulté les arguments des staliniens contre le mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine : « il nie la position de défense de l’U.R.S.S. », « détruit l’unité des masses révolutionnaires », « ne sert pas les intérêts de la révolution, mais ceux de l’impérialisme ». En d’autres termes, les staliniens répètent les trois arguments de notre auteur. C’est ce qu’ils feront à coup sûr dès demain.

La bureaucratie stalinienne dit à la femme soviétique : « Puisqu’il y a le socialisme dans notre pays, vous devez être heureuse et renoncer à l’avortement (ou être punie). » Aux Ukrainiens, elle dit : «Puisque la révolution socialiste a réglé la question nationale, il est de votre devoir d’être heureux dans l’U.R.S.S. et de renoncer à toute idée de séparation (ou de faire face au peloton d’exécution). »

Que dit un révolutionnaire à la femme ? « Vous devez décider vous-même si vous voulez un enfant; je défendrai votre droit à l’avortement face à la police du Kremlin. » Au peuple Ukrainien, il dit : « Ce qui compte pour moi, c’est votre attitude à vous vis-à-vis de votre destin national et non les sophismes pseudo socialistes de la police du Kremlin; je soutiendrai de toutes mes forces votre lutte pour l’indépendance ukrainienne. »

Le sectaire, bien souvent, se retrouve du côté de la police, couvrant le statu quo, c’est à dire la violence policière, par des spéculations stériles sur la supériorité de l’unification socialiste des nations sur leur division. Assurément, la séparation de l’Ukraine constitue un risque en comparaison d’une fédération socialiste volontaire et égalitaire ; mais elle constituera un acquis indiscutable par rapport à l’étranglement bureaucratique du peuple ukrainien. Afin de se rapprocher plus étroitement et plus honnêtement, il est parfois nécessaire de commencer par se séparer. Lénine avait l’habitude de citer le fait que les rapports entre travailleurs norvégiens et suédois se sont améliorés et sont devenus plus étroits après la destruction de l’unification forcée de la Norvège et de la Suède [7].

Nous devons partir des faits et non de normes idéales. La réaction thermidorienne en U.R.S.S., la défaite d’un certain nombre de révolutions, les victoires du fascisme qui est en train de refaire à sa manière la carte de l’Europe devront être payées en monnaie véritable dans tous les domaines, y compris la question ukrainienne. Si nous devions ignorer la situation nouvelle née des défaites, si nous devions prétendre que rien d’extraordinaire ne s’est produit, et si nous devions opposer des abstractions familières à des faits déplaisants, alors nous pourrions bel et bien livrer à la réaction nos dernières chances de nous venger dans un avenir plus ou moins proche.

Notre auteur interprète le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante comme suit : « D’abord, il faut libérer l’Ukraine soviétique du reste de l’Union soviétique ; ensuite nous aurons la révolution prolétarienne et l’unification avec le reste de l’Ukraine. » Mais comment peut il y avoir une séparation, sans une révolution d’abord ? Notre auteur est pris dans un cercle vicieux, et le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante est discrédité sans espoir, en meme temps que la « logique erronée

» de Trotsky. En fait, cette logique particulière d’ « abord » et « ensuite » n’est qu’un exemple frappant d’une façon de penser scolastique. Notre malheureux critique n’a pas la moindre idée du fait que les processus historiques peuvent se produire non « d’abord » puis « ensuite », mais parallèlement l’un à l’autre, s’accélérer ou se retarder l’un l’autre. Ni que la tâche de la politique révolutionnaire consiste précisément à accélérer l’action et réaction mutuelles des processus progressistes. Le tranchant du mot d’ordre d’une Ukraine indépendante est dirigée directement contre la bureaucratie de Moscou et permet à l’avant garde prolétarienne de gagner les masses paysannes. D’un autre côté, le même mot d’ordre ouvre au parti prolétarien la possibilité de jouer un rôle dirigeant dans le mouvement national ukrainien en Pologne, en Roumanie et en Hongrie. L’ensemble de ces processus politiques poussera de l’avant le mouvement révolutionnaire et augmentera le poids spécifique de l’avant-garde prolétarienne.

Mon affirmation que les ouvriers et paysans d’Ukraine occidentale (Pologne) ne veulent pas rejoindre l’Union soviétique telle qu’elle est constituée aujourd’hui et que cela constitue un argument supplémentaire en faveur d’une Ukraine indépendante, notre sage la balaie en affirmant que, même s’ils

le voulaient, ils ne pourraient rejoindre l’Union soviétique, parce qu’ils ne pourraient le faire qu’ « après la révolution prolétarienne en Ukraine occidentale » de toute évidence en Pologne. En d’autres termes: aujourd’hui, la séparation de l’Ukraine est impossible, et après la révolution victorieuse, eIle serait réactionnaire. Vieux refrain familier !

LuxemburgBoukharinePiatakov et  bien    d’autres   ont utilisé exactement le même argument contre le programme d’auto détermination nationale [8] ; sous le capitalisme, c’est utopique, et sous le socialisme, réactionnaire. L’argument est radicalement faux parce qu’il ignore l’époque de la révolution sociale et ses tâches. Il est certain que sous la domination de l’impérialisme une indépendance authentique, stable et solide des nations. petites et moyennes est impossible. Il est également vrai que da dans un socialisme pleinement développé, avec le dépérissement progressif de l’Etat, la question des frontières nationales disparaîtra.       Mais                    entre   ces              deux           moments aujourd’hui                    et   le   socialisme   complet      se   dérouleront  les décennies au cours desquelles nous nous préparons à réaliser notre programme. Le mot d’ordre d’une Ukraine soviétique indépendante est d’une extraordinaire importance pour mobiliser les masses et les éduquer dans la période de transition.

Le sectaire ignore simplement le fait que la lutte nationale, une des plus complexes, un véritable labyrinthe, mais en même temps des plus importantes des formes de la lutte des classes, ne peut pas être suspendue par de simples références à la révolution mondiale future. En détournant leurs yeux de l’U.R.S.S., en négligeant d’avoir le soutien et la direction du prolétariat international, les masses petites bourgeoises et même prolétariennes d’Ukraine tombent victimes de la démagogie réactionnaire. Des processus identiques se produisent sans aucun doute également dans l’Ukraine soviétique, il est simplement plus difficile de les mettre en évidence. Le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante avancé à temps par l’avant garde prolétarienne conduira inévitablement à la stratification de la petite bourgeoisie et facilitera la jonction de son tiers inférieur avec le prolétariat. C’est seulement ainsi qu’il est possible de préparer la révolution prolétarienne.

« Si les travailleurs réalisent une révolution victorieuse en Ukraine occidentale », persiste notre auteur, « notre stratégie

serait elle d’exiger la séparation de l’Ukraine soviétique et sa fusion avec sa partie occidentale ? Exactement le contraire. » Cette affirmation marque la profondeur de « notre stratégie » ? A nouveau le même refrain : « Si les ouvriers réalisent… » Le sectaire se contente d’une éducation logique à partir d’une révolution victorieuse supposée déjà réalisée. Mais, pour un révolutionnaire, le nœud de la question est précisément de savoir comment frayer la voie à la révolution, comment faciliter aux masses l’approche vers la révolution, comment rapprocher la révolution, comment assurer sa victoire. « Si les ouvriers réalisent… » une révolution victorieuse, tout sera évidemment très bien. Mais maintenant, justement, il n’y a pas de révolution victorieuse, et, au contraire, c’est la réaction qui triomphe.

Trouver le pont entre la réaction et la révolution    c’est notre tâche. C’est l’apport de tout notre programme de revendications de transition [9]. Rien d’étonnant que les sectaires de toutes nuances n’en comprennent pas la signification. Ils opèrent au moyen d’abstractions une abstraction de l’impérialisme et une abstraction de révolution socialiste. La question de la transition de l’impérialisme réel à la révolution réelle, la question de comment mobiliser les masses dans une situation historique donnée pour prendre le pouvoir, reste pour ces pédants un livre scellé de sept sceaux.

Ajoutant une sévère accusation l’une sur l’autre, notre critique déclare que le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante sert les intérêts des impérialistes et des staliniens parce qu’il « contredit complètement la position de défense de l’Union soviétique ». Il est impossible de comprendre pourquoi les intérêts « des staliniens » ne sont pas touchés. Mais contentons- nous de la question de la « défense de l’U.R.S.S. ». Cette défense pourrait être menacée par une Ukraine indépendante seulement si cette dernière était hostile non seulement à la bureaucratie, mais à l’U.R.S.S. même. Cependant, à partir d’un tel point de départ de toute évidence faux comment un socialiste peut il exiger qu’une Ukraine hostile soit retenue dans le cadre de l’U.R.S.S. ? Ou bien la question n’englobe t elle que la période de la révolution nationale ?

Pourtant notre critique reconnaît apparemment le caractère inévitable de la révolution politique contre la bureaucratie bonapartiste [10]. Dans l’intervalle, cette révolution, comme

toute révolution, présentera sans aucun doute un certain danger du point de vue de la défense de l’U.R.S.S. Que faire ? Si notre critique avait réellement pensé à ce problème, il aurait répondu qu’un tel danger était un risque historique inévitable puisque l’U.R.S.S. est perdue sous la domination de la bureaucratie bonapartiste. Le même raisonnement s’applique également intégralement au soulèvement national révolutionnaire qui ne présente rien d’autre qu’un segment unique de la révolution politique.

Il vaut d’être noté que l’argument le plus précieux contre l’indépendance ne soit même pas venue à l’idée de notre critique. L’économie de l’Ukraine soviétique fait partie intégrante du plan. La séparation de l’Ukraine menace de briser le plan et d’abaisser les forces productives. Mais cet argument non plus n’est pas décisif. Un plan économique n’est pas le saint des saints. Si les décisions nationales à l’intérieur de la fédération, en dépit du plan unifié, poussent dans des directions opposées, cela signifie que le plan ne les satisfait pas. Un plan est l’œuvre des hommes. On peut le reconstruire conformément aux frontières nouvelles. Dans la mesure où le plan est avantageux pour l’Ukraine, elle désirera elle-même et saura comment arriver au nécessaire accord économique avec l’Union soviétique, de même qu’elle sera capable de conclure l’alliance militaire nécessaire.

En outre, il est impossible d’oublier que le pillage et le règne arbitraire de la bureaucratie constituent une partie intégrante importante du plan économique en vigueur et font peser sur l’Ukraine un lourd fardeau. Le plan doit être profondément révisé d’abord et avant tout de ce point de vue. La classe dirigeante dépassée détruit systématiquement l’économie du pays, son armée et sa culture; elle anéantit la fleur de sa population et prépare le terrain à la catastrophe. L’héritage de la révolution ne peut être sauvé que par son renversement. Plus courageuse et plus résolue sera la politique de l’avant garde prolétarienne sur la question nationale entre autres, plus le renversement victorieux de la bureaucratie par la révolution sera assuré, et moins les faux frais seront élevés.

Le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante ne signifie pas que l’Ukraine demeurera pour toujours isolée, mais seulement qu’elle déterminera  à nouveau pour elle-même, de  sa propre

volonté, la question de ses relations avec les autres composantes de l’U.R.S.S. et ses voisins occidentaux. Prenons la variante idéale la plus favorable pour notre critique. La révolution éclate simultanément dans toutes les parties de l’Union soviétique. L’hydre bureaucratique est étranglée et balayée. Le congrès constituant des soviets est à l’ordre du jour. L’Ukraine exprime le désir de déterminer de nouveau ses relations avec l’U.R.S.S. Espérons que notre critique sera prêt à lui donner ce droit. Mais, pour déterminer librement ses rapports avec les autres républiques soviétiques, pour posséder le droit de dire oui ou non, l’Ukraine doit reprendre sa totale liberté d’action, au moins pour la durée de cette période constituante. Il n’existe aucun autre nom pour cela que l’indépendance étatique.

Supposons maintenant que la révolution embrase en même temps également la Pologne, la Roumanie et la Hongrie. Toutes les fractions du peuple ukrainien sont libérées et entrent en négociations pour rejoindre l’Ukraine soviétique. En même temps elles expriment toutes leur désir d’avoir leur mot à dire sur la question des relations entre une Ukraine unifiée et l’Union soviétique, la Pologne soviétique, etc. Il va de soi que, pour décider de toutes ces questions, il est nécessaire de réunir le congrès constituant de l’Ukraine unifiée. Mais un congrès « constituant » ne signifie rien d’autre que le congrès d’un Etat indépendant qui se prépare à nouveau à déterminer son propre régime interne aussi bien que sa position internationale. Il y a toutes raisons de supposer que dans le cas d’une victoire de la révolution mondiale les tendances à l’unité acquerraient une force considérable, et que toutes les républiques soviétiques trouveraient les formes adéquates de liens et de collaboration. Mais ce but ne pourrait être atteint que si les anciens liens obligatoires et forcés, et en conséquence les anciennes frontières, étaient totalement abolis; seulement à la condition que chacune des parties contractantes soit totalement indépendante. Pour accélérer et faciliter ce processus, pour rendre possible une fraternité authentique des peuples à l’avenir, l’avant garde ouvrière de la Grande Russie doit comprendre dès maintenant les causes de la séparation de l’Ukraine, aussi bien que la puissance latente et la légitimité historique qui sont derrière elle, et doit sans réserve déclarer au peuple ukrainien qu’elle est prête à soutenir de toutes ses forces le mot d’ordre d’une Ukraine soviétique indépendante dans un combat commun contre la bureaucratie autocratique et l’impérialisme.

Les nationalistes ukrainiens petits bourgeois considèrent comme juste le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante. Mais ils objectent la corrélation de ce mot d’ordre avec la révolution prolétarienne. Ils veulent une Ukraine démocratique indépendante et pas une analyse détaillée de cette question parce qu’elle ne concerne pas la seule Ukraine, mais l’appréciation générale de notre époque, analyse que nous avons répétée à maintes reprises. Nous nous contenterons de souligner les principaux aspects.

La démocratie dégénère et se meurt, même dans ses métropoles. Seuls les empires coloniaux les plus riches et les pays bourgeois particulièrement privilégiés sont encore capables de maintenir aujourd’hui un régime démocratique, et encore est il évident qu’il se dégrade. Il n’existe pas la moindre base pour espérer que l’Ukraine paupérisée et arriérée par rapport à eux sera capable d’établir et de maintenir un régime démocratique. En vérité, l’indépendance même de l’Ukraine ne durerait pas longtemps dans un environnement impérialiste. L’exemple de la Tchécoslovaquie est suffisamment éloquent. Tant que prévalent les lois de l’impérialisme, le sort des nations petites et moyennes demeurera instable et peu sûr. L’impérialisme ne peut être renversé que par la révolution prolétarienne.

La fraction la plus importante de la nation ukrainienne est aujourd’hui représentée par l’actuelle Ukraine soviétique. Un prolétariat puissant et purement ukrainien y a été créé par le développement industriel. C’est lui qui est destiné à diriger le peuple ukrainien dans toutes ses luttes à venir. Le prolétariat ukrainien souhaite échapper aux griffes de la bureaucratie. Le mot d’ordre d’une Ukraine démocratique est historiquement dépassé. Tout ce à quoi il puisse servir est peut être à consoler des intellectuels bourgeois. Il n’unifiera pas les masses. Et, sans les masses, l’émancipation et l’unification de l’Ukraine sont impossibles.

Notre sévère critique nous jette le « centrisme » à la tête à toute occasion. Selon lui, tout l’article n’a été écrit que pour étaler un exemple frappant de notre « centrisme ». Mais il ne fait même pas une seule tentative pour démontrer en quoi consiste précisément le « centrisme » du mot d’ordre d’une Ukraine soviétique indépendante. Assurément, ce n’est pas facile. Le

centrisme est le terme appliqué à une politique qui est opportuniste en substance et cherche à apparaître comme révolutionnaire dans la forme. L’opportunisme consiste en une adaptation passive à la classe dirigeante et à son régime, à ce qui existe déjà, y compris, bien sûr, les frontières des états. Le centrisme partage totalement ce trait fondamental de l’opportunisme, mais, en s’adaptant aux ouvriers mécontents, il le dissimule sous des commentaires radicaux.

Si nous partons de cette définition scientifique, nous nous apercevrons que la position de notre malheureux critique est en partie et en totalité centriste. Il prend comme point de départ les frontières spécifiques accidentelles du point de vue de la politique rationnelle et révolutionnaire qui découpent les nations en segments, comme si elles étaient immuables. La révolution mondiale, qui n’est pas pour lui une réalité vivante, mais l’incantation d’un sorcier, doit selon lui accepter sans équivoque ces frontières comme son point de départ.

Il ne s’intéresse pas du tout aux tendances nationalistes centrifuges qui peuvent se couler soit dans les canaux de la révolution, soit dans ceux de la réaction. Ils violent son plan administratif paresseux construit sur le modèle des « d’abord » et « ensuite ». Il se détourne de la lutte pour l’indépendance nationale contre l’étranglement bureaucratique et se réfugie dans les spéculations sur la supériorité de l’unité socialiste. En d’autres termes, sa politique si on peut appeler politique des commentaires scolastiques sur la politique des autres porte les pires stigmates du centrisme.

Le sectaire est un opportuniste qui se redoute lui-même. Dans le sectarisme, l’opportunisme (centrisme) reste à l’état latent dans la phase initiale, comme un délicat bourgeon. Puis le bourgeon grandit, le tiers, la moitié, parfois plus. On a alors une combinaison particulière de sectarisme et de centrisme (Vereeken), de sectarisme et d’opportunisme de bas étage (Sneevliet). Mais parfois le bourgeon se recroqueville sans se développer (Oehler). Si je ne m’abuse, c’est Oehler qui édite The Marxist.

 

 

Notes

  • The Marxist était publié par Hugo Oehler, exclu du Workers Party en champion de la dénonciation de I’« opportunisme » de
  • Les « borotbistes » étaiént l’aile gauche du parti s.r. de gauche ukrainien qui avaient quitté ce dernier parti lors de son congrès clandestin à Kiev en mars 1918. Leur journal s’appelait Ils revendiquaient leur admission dans le P.C. ukrainien, puis fusionnaient en aoùt 1919 avec le parti social démocrate indépendant d’Ukraine, scission à gauche des mencheviks.
  • Le nouveau parti né de la fusion de 1919, le parti communiste ukrainien (U.K.P. b), tenta vainement de se faire admettre dans l’I.C. C’est finalement en mars 1920 que ses membres furent admis dans le

P.C. ukrainien.

  • Mikola Skrypnik (1872 1933), vieux bolchevik, arrêté pour la première fois en 1901, avait effectivement manifesté pendant les débuts de la révolution une réelle sensibilité aux problèmes nationaux. Par la suite, il avait suivi Staline.
  • Pavel P. Postychev (1887 1940), ouvrier, membre du parti en 1904, avait joué un rôle dans la révolution et la guerre civile en Sibérie. Il avait été affecté en Ukraine en 1923 et devint secrétaire du B.P. du P.C. ukrainien en mars 1933. Il était emprisonné depuis 1938. Il est probable qu’il avait plaidé pour la fin de la répression dans le
  • Postychev, vraisemblablement coupable d’avoir combattu les « excès de la répression », avait été arrêté en 1938.
  • L’ « union personnelle » entre Norvège et Suède, proclamée en 1814, fut officiellement déclarée rompue en 1905.
  • C’est essentiellement pendant la première guerre mondiale que Rosa Luxemburg d’une part, Boukharine et Piatakov de l’autre, polémiquèrent contre Lénine et son mot d’ordre de droit des nationalités à disposer d’elles-mêmes.
  • Le Programme de Transition (L’Agonie du Capitalisme et les Tâches de la IV’ Internationale) avait été élaboré au début de 1938 et adopté par la conférence de fondation en septembre.
  • La notion de « révolution politique » implique la préservation des conquêtes économiques et sociales de la révolution, et la destruction de la bureaucratie à travers la reprise par les travailleurs du pouvoir politique usurpé par

UKRAINE

L’indépendance de l’Ukraine : préhistoire d’un mot d’ordre de Trotski

Cf. aussi : [Zbigniew Marcin Kowalewski] [Révolution Russe] [Ukraine]

Zbigniew Marcin Kowalewski*

 

Mykola Skrypnyk (1872-1933), bolchevique ukrainien.

« En dépit du pas en avant gigantesque réalisé par la révolution d’Octobre dans le domaine des rapports nationaux, la révolution prolétarienne, isolée dans un pays arriéré, s’est avérée incapable de résoudre la question nationale, particulièrement la question ukrainienne, qui, a par essence un caractère international. La réaction thermidorienne, couronnée par la bureaucratie bonapartiste, a rejeté les masses laborieuses très en arrière dans le domaine national également. Les grandes masses du peuple ukrainien sont mécontentes de leur sort national et aspirent à le changer radicalement. C’est ce fait que le révolutionnaire politique, à la différence du bureaucrate et du sectaire, doit prendre comme point de départ.

 

« Si notre critique était capable de penser politique, il aurait deviné sans difficulté les arguments des staliniens contre le mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine : “il nie la position de défense de l’URSS”, “détruit l’unité des masses révolutionnaires”, “ne sert pas les intérêts de la révolution, mais ceux de l’impérialisme”. En d’autres termes, les staliniens répètent les trois

arguments de notre auteur. C’est ce qu’ils feront à coup sûr dès demain. (…)

 

Synthèse et articles Inprecor

 

 

« Le sectaire, bien souvent, se retrouve du côté de la police, couvrant le statu quo, c’est à dire la violence policière, par des spéculations stériles sur la supériorité de l’unification socialiste des nations sur leur division. Assurément, la séparation de

l’Ukraine constitue un risque en comparaison d’une fédération socialiste volontaire et égalitaire ; mais elle constituera un acquis indiscutable par rapport à l’étranglement bureaucratique du peuple ukrainien. Afin de se rapprocher plus étroitement et plus honnêtement, il est parfois nécessaire de commencer par se séparer. » (1)

L’article cité de Trotsky, « L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires », de juillet 1939, est, dans une certaine

mesure, beaucoup plus important que l’article d’avril de la même année, « La question ukrainienne », et ceci à plusieurs titres.

  • Premièrement, il démasque et désarme des positions des sectaires prétendument marxistes qui, au nom de la défense d’un internationalisme prolétarien transformé en abstraction stérile, refusent le mot d’ordre de l’indépendance nationale d’un peuple opprimé par la bureaucratie du Kremlin. Dans cet article, Trotsky se situe dans la continuité de la lutte idéologique menée par Lénine contre la « tendance à l’économisme impérialiste ». Une tendance qui était active dans les rangs du parti bolchévique comme dans l’extrême gauche de la social-démocratie internationale. Précisons que l’adjectif impérialiste attribué par Lénine à la forme d’économisme, surgissant dans le mouvement révolutionnaire au sujet de la question nationale, se justifie par les

raisons théoriques évoquées par l’auteur du terme. Soumise à un examen sociologique, cette tendance dévoile ses assises privilégiées parmi les militants socialistes révolutionnaires appartenant aux nations dominantes et impérialistes. Les sectaires, dénoncés par Trotsky, ne sont qu’une réédition, face aux tâches et au programme de la révolution antibureaucratique, de la même tendance combattue par Lénine à l’heure du débat sur le droit des nations à l’auto-détermination dans le cadre de la révolution anticapitaliste.

  • Deuxièmement, l’article de Trotsky contient une réflexion théorique et politique qui est indispensable pour la compréhension

de la justesse et de la nécessité d’un mot d’ordre comme celui de l’indépendance de l’Ukraine soviétique ainsi que d’une

révolution nationale d’un peuple opprimé en tant que facteur et segment de la révolution antibureaucratique en URSS (et, aujourd’hui, en Europe de l’Est). Exposer toute la richesse de cette réflexion dépasserait le cadre de cet article, aussi nous invitons nos lecteurs à l’étudier par ailleurs.

  • Troisièmement, Trotsky explique que, dans des cas comme celui de l’Ukraine, un internationalisme véritable et une recherche réelle de l’unité internationale de la classe ouvrière sont impossibles sans un soutien clair et résolu au

« séparatisme » national. « Pour rendre possible une fraternité authentique des peuples à l’avenir, l’avant garde ouvrière de la Grande Russie doit comprendre dès maintenant les causes de la séparation de l’Ukraine, aussi bien que la puissance latente et la légitimité historique qui sont derrière elle, et doit sans réserve déclarer au peuple ukrainien qu’elle est prête à soutenir de toutes ses forces le mot d’ordre d’une Ukraine soviétique indépendante dans un combat commun contre la bureaucratie

autocratique et l’impérialisme. » (2) Il va de soi que cette tâche doit être assumée, avant-même le prolétariat russe, par l’avant-garde du mouvement ouvrier international. La défense du mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine, décidée lors des Congrès mondiaux de la IVe Internationale en 1957 et 1979, est une tâche d’une importance politique énorme aujourd’hui. La montée des mouvements nationaux des masses opprimées par l’URSS exige que le mot d’ordre de l’indépendance nationale soit présent dans la propagande directe, large et dans l’agitation. En s’abstenant, les opposants socialistes de l’URSS laissent le terrain libre à la bureaucratie qui vise à isoler les luttes antibureaucratiques, menées dans les républiques non-russes, du combat des travailleurs de Grande-Russie. Ils passent ainsi à côté d’une des premières tâches transitoires dans la lutte antibureaucratique.

  • Quatrièmement, Trotsky apporte un éclaircissement essentiel aux débats historiques sur le droit des nations à

l’autodétermination tout en expurgeant ce mot d’ordre léniniste de ses traits abstraits et politiquement inopérants. Si

l’oppression d’un peuple est un fait objectif, explique Trotsky, on n’a pas besoin, pour avancer le mot d’ordre d’indépendance, que ce peuple réclame et engage une lutte pour sa libération. Au moment où Trotsky lançait ce mot d’ordre, personne, en

Ukraine soviétique, ne pouvait revendiquer un chose pareille sans faire face au peloton d’exécution ou sans devenir un bagnard dans « l’archipel du Goulag ». Un attentisme de la part des révolutionnaires ne conduirait qu’à leur désarmement politique et programmatique. Un peuple opprimé a besoin de l’indépendance par le fait même qu’il est opprimé. L’indépendance, précise

Trotsky, c’est le cadre démocratique indispensable dans lequel un peuple opprimé devient libre de s’autodéterminer. Autrement dit, il n’y a pas d’autodétermination hors du cadre de l’indépendance nationale. « Pour déterminer librement ses rapports avec les autres républiques soviétiques, pour posséder le droit de dire oui ou non, l’Ukraine doit reprendre sa totale liberté d’action, au moins pour la durée de cette période constituante. Il n’existe aucun autre nom pour cela que l’indépendance étatique. »

Pour s’autodéterminer – et tout peuple opprimé a besoin et doit le faire dans la plus totale liberté d’action –, il faut convoquer un congrès constituant de la nation. « Mais un congrès “constituant” ne signifie rien d’autre que le congrès d’un État indépendant qui se prépare à nouveau à déterminer son propre régime interne aussi bien que sa position internationale. » (3)

L’Ukraine en mars 1919

Devant cette explication d’une rigueur implacable, tout autre discours sur le droit des nations opprimées à l’autodéterminati on ne peut être que charlatanesque ou magique. On ne peut défendre ce droit sans lutter pour qu’un peuple opprimé dispose des moyens de l’exercer, c’est-à-dire sans exiger son indépendance étatique indispensable pour convoquer une congrès constituant libre.

Finalement, et il s’agit là d’un fait de première importance, Trotsky reconnaît que la révolution d’Octobre n’a pas résolue la question nationale, héritée de l’empire russe. Isolée dans un pays arriéré, elle ne pouvait que très difficilement aboutir à sa solution. Mais était-elle armée pour cela ? Dans la perspective d’une nouvelle révolution, antibureaucratique, il faut savoir si on peut reprendre l’armement d’alors ou si c’est un armement qualitativement différent qui s’impose. Nous pensons que Trotsky était persuadé de la nécessité d’opter pour la seconde solution, et qu’il avait raison. Il nous semble prioritaire d’aborder ce sujet, jamais abordé par le mouvement Trotskyste, qui est néanmoins le point de départ obligé pour toute discussion sur l’actualité du mot d’ordre de Trotsky de 1939.

La République socialiste soviétique d’Ukraine – formellement (et fictivement, comme, aussi, la Biélorussie) État membre des Nations unies – est la plus importante parmi les républiques non-russes de l’Union soviétique. En même temps, elle est le plus grand pays de l’Europe après la Russie par sa superficie (603 700 km2) et l’un des plus grands du point de vue de sa

population (plus de cinquante millions d’habitants dont 74 % d’Ukrainiens). Le peuple ukrainien est aujourd’hui la plus grande nation opprimée en URSS et en Europe. La classe ouvrière urbaine constitue plus de 50 % de la population totale et plus de 75 % de la population ukrainienne de la république. La libération du potentiel énorme que représente cette classe, écrasée aujourd’hui sous le double fardeau du pouvoir bureaucratique et de l’oppression nationale, est une tâche fondamentale et une condition du développement de la révolution antibureaucratique en URSS et en Europe de l’Est ainsi que de la révolution socialiste sur le continent tout entier. Toute avancée dans la construction du socialisme, en URSS comme en Europe, est inimaginable sans la victoire de la révolution nationale ukrainienne qui a, comme l’expliquait Trotsky, une portée stratégiqu e internationale. Ce que les sectaires ignorent en abordant la question ukrainienne, poursuivait-il, c’est le fait que la révolution nationale, une des formes les plus importantes et les plus complexes de la lutte des classes, ne peut être contournée par des simples références à la révolution antibureaucratique à l’échelle de toute l’URSS ni à la révolution européenne et mondiale future (4).

Le bolchevisme devant une révolution nationale imprévue

 

Considéré par beaucoup – y compris à un moment par Marx et Engels – comme un « peuple sans histoire » (5), le peuple

ukrainien s’est constitué comme nation de manière « historique » par excellence, parce que héroïque. En 1648, la communauté des hommes libres et de démocratie militaire, dite cosaque, a formé une armée populaire de libération et déclenché un gigantesque soulèvement paysan contre l’État polonais, sa classe dominante et son Église. L’État national établi lors de ce

soulèvement n’est pas parvenu à se stabiliser mais la révolution cosaque et paysanne a cristallisé une nation historique avant même la configuration des nations modernes par l’expansion du capitalisme. Depuis la fin du 18e siècle, la majorité du territoire ukrainien se trouvait transformée en provinces, appelées Petite-Russie, de l’empire tsariste. À la veille de la révolution russe, c’était une colonie du type « européen » (6).

Comparée au niveau général du développement socio-économique de cet empire, la région était parmi les plus industrialisées

et caractérisées par une forte pénétration du capitalisme dans l’agriculture. Ukrainien était synonyme de paysan parce

qu’environs 90 % de la population vivait dans les campagnes. Parmi les 3 600 000 prolétaires (12 % de la population), 900 000 travaillaient dans l’industrie et 1 200 000 dans l’agriculture. Fruit d’un développement très inégal du capitalisme, la moiti é du prolétariat industriel se trouvait concentrée dans l’enclave minière et sidérurgique du Donbass. Du fait d’un développement colonial et de la « solution » tsariste de la question juive, seulement 43 % du prolétariat était de nationalité ukrainienne – le reste étant russe, russifié et juif. Les Ukrainiens constituaient moins d’un tiers de la population urbaine (7). La partie

occidentale d’Ukraine, la Galicie, appartenait à l’empire austro-hongrois. Les deux revendications centrales du mouvement

national renaissant étaient l’indépendance et l’unité (samostiinist’ i sobornist’) de l’Ukraine.

La révolution de 1917 a ouvert la voie à la révolution nationale ukrainienne. C’était la plus puissante, la plus massive et la plus

violente de toutes les révolutions menées par les nations opprimées de l’empire. Les masses exigeaient une réforme agraire radicale, l’indépendance et la constitution d’un pouvoir ukrainien. Les partis petits-bourgeois et ouvriers opportunistes de la Rada (conseil) centrale qui dirigeait le mouvement national s’opposaient à la revendication de l’indépendance. Ils ne l’ont

proclamée qu’après la révolution d’octobre envers laquelle ils étaient hostiles. En autorisant le passage des unités militaires contre-révolutionnaires, la Rada centrale provoqua une déclaration de guerre de la part de la Russie soviétique à la République populaire ukrainienne. Mais les bolcheviques avaient été très mal préparés pour faire face à la révolution nationale ukrainienne.

Le droit des nations à l’autodétermination, mis en avant par Lénine, était un mot d’ordre peu assimilé dans le parti. Il fut même contesté par un courant important, qualifié par Lénine comme « tendance de l’économisme impérialiste ». Contestation d’autant plus dangereuse qu’elle apparaît au sein d’un parti prolétarien d’une nation traditionnellement oppresseuse, devenue

impérialiste, dans un empire caractérisé par Lénine d’énorme prison des peuples. Outre les écrits de Lénine, le seul ouvrage de synthèse sur la question nationale dont disposait le parti bolchevique, était celui, très médiocre, confus et largement faux, de Staline. Écrit en 1913, il n’abordait même pas la question nationale dans le cadre de l’impérialisme (8). Lénine lui-même exprimait des positions confuses et peu réfléchies, telle une inspiration excessive de sa pensée par le cas du melting-pot

américain ou le refus catégorique de la solution fédéraliste. Il l’a condamnait comme contradictoire avec son idée de l’État centralisé et exigeait de toute nationalité qu’elle choisisse entre une séparation étatique complète et une autonomie nationale- territoriale dans le cadre d’un État multinational centralisé. C’est dans cet esprit qu’il a éduqué le parti pendant plus de dix ans. Après la révolution et sans donner aucune explication de son tournant, il proclama la fédération des nations comme la solution correcte et compatible avec le centralisme étatique. Un tournant que beaucoup de dirigeants bolcheviques ne prirent pas au sérieux. Au-delà du mot d’ordre démocratique du droit à l’autodétermination des peuples, le bolchevisme n’avait pas de

programme ni de stratégie de la révolution permanente, nationale et sociale, pour les peuples opprimés de l’empire.

En Ukraine, à quelques exceptions près, le parti bolchevique (comme aussi le parti menchevique) n’agissait qu’au sein du

prolétariat moderne le plus concentré qui n’était pas de nationalité ukrainienne. L’expansion du communisme au sein du

prolétariat du pays suivait entièrement la dynamique du développement colonial du capitalisme industriel. L’action politique au sein du prolétariat national était le domaine de la social-démocratie ukrainienne se situant en dehors de la scission entre bolcheviques et mencheviques et accusée par les premiers de capituler devant le « nationalisme bourgeois » ukrainien. Notons que la bourgeoisie « nationale » existait à peine. A cette époque là, la distinction entre le nationalisme des oppresseurs et celui des opprimés était déjà présente dans les écrits de Lénine, mais les deux étaient qualifiés de bourgeois. La notion du nationalisme révolutionnaire n’était pas encore apparue. Le populisme socialiste-révolutionnaire, en voie de se nationaliser et de s’autonomiser vis-à-vis de son équivalent russe, représentait une autre force politique active au sein des masses ukrainiennes. Le parti bolchevique en Ukraine n’employait que le russe dans sa presse et sa propagande. Il ignorait la question nationale et n’avait même pas de centre de direction sur place. Rien d’étonnant qu’au moment de l’éclatement de la révolution nationale, il ait été pris au dépourvu.

En Ukraine, le parti bolchevique n’a tenté de s’organiser comme une entité qu’après la paix de Brest-Litovsk, c’est-à-dire lors de la première retraite bolchevique et au début de l’occupation du pays par l’armée impérialiste allemande. À la conférence ad hoc à Taganrog (avril 1918) plusieurs tendances se sont affrontées. A droite, les « katerynoslaviens » avec Emmanouil Kviring. A gauche, les « kiéviens » avec Youri Piatakov. Mais aussi les « poltaviens », ou, si on veut, les « nationaux », avec Mykola Skrypnyk et Vassyl Chakhraï, renforcés par l’adhésion d’un groupe d’extrême gauche de la social-démocratie ukrainienne. La droite, s’appuyant sur le prolétariat industriel russe, exige alors la formation d’un « PC(b) russe en Ukraine ». Les

« poltaviens » et les « kiéviens » veulent pour leur part un parti bolchevique entièrement indépendant. Une partie des

« poltaviens » vise, de cette manière, à résoudre de manière radicale la question nationale au travers de la fondation d’une

Ukraine soviétique indépendante. Chakhraï, le plus radical, demande même que le parti s’appelle « PC(b) ukrainien ». Les

« kiéviens » sont pour un parti (et peut être même un État) indépendant tout en niant l’existence de la question nationale et en considérant le droit des nations à l’autodétermination comme un mot d’ordre opportuniste. Avec Piatakov ils représentent, sur le plan théorique, la plus extrême « tendance de l’économisme impérialiste ». Toutefois, en même temps, ils appartiennent au

« communisme de gauche » boukharinien, hostile à la paix de Brest et au centralisme léniniste. Pour s’affirmer, en Ukraine, en opposition à Lénine, ils ont besoin d’un parti bolchevique indépendant. Par ailleurs, ils considèrent qu’en Ukraine on a besoin d’une stratégie particulière, tournée vers les masses paysannes et ancrée dans leur potentiel insurrectionnel. C’est pour ces raisons que les « kiéviens » s’allient avec les « poltaviens ». Et c’est la position de Skrypnyk qui s’impose. En refusant la démarche de Kviring d’un côté et de Chakhraï de l’autre, la conférence proclame le « PC(b) d’Ukraine » en tant que section ukrainienne, indépendante du PC(b) russe, de l’Internationale communiste (9).

Skrypnyk, ami personnel de Lénine, en réaliste étudiant toujours les rapports de force, cherche pour l ’Ukraine un minimum de fédération avec la Russie soviétique et un maximum d’indépendance nationale. À son avis, c’est l’extension internationale de la révolution qui permettra de résister le plus efficacement à la pression centralisatrice grande-russe. A la tête du premier gouvernement bolchevique en Ukraine, il a vécu des expériences très amères : le comportement chauvin de Mouravev, le

commandant de l’Armée rouge qui s’est emparé de Kiev, le refus de reconnaître son gouvernement et le sabotage de son travail par un autre commandant, Antonov-Ovseenko, pour qui l’existence d’un tel gouvernement était le produit de fantaisies sur une nationalité ukrainienne. En outre, Skrypnyk a été obligé de se battre avec acharnement pour l’unité de l’Ukraine contre les bolcheviques russes qui, dans plusieurs régions, proclamaient des républiques soviétiques en morcelant le pays.

L’incorporation de la Galicie à l’Ukraine soviétique ne les intéressait pas non plus. L’aspiration nationale à la « sobornist’ », l’unité du pays, était ainsi ouvertement bafouée. C’est avec la droite « katerynoslavienne » du parti que l’affrontement fut le plus grave (10). Elle a formé une république soviétique dans une région minière et industrielle, Donetsk-Kryvyi Rih, incluant le Donbass, en vue de l’intégrer à la Russie. Cette république, proclamaient ses dirigeants, est celle d’un prolétariat russe « qui ne veut pas entendre parler d’une quelconque Ukraine et n’a rien de commun avec elle » (11). Cette tentative de sécession pouvait compter sur des appuis à Moscou. Le gouvernement de Skrypnyk devait lutter contre ces tendances de ses camarades russes, pour la « sobornist’ » de l’Ukraine soviétique dans les frontières nationales fixées, à travers la Rada centrale, par le mouvement national des masses.

Le premier congrès du PC(b) d’Ukraine a eu lieu à Moscou. Pour Lénine et la direction du PC(b) russe, les décisions de Taganrog avaient la saveur d’une déviation nationaliste. Ils n’étaient pas prêts à accepter un parti bolchevique indépendant en Ukraine ni une section ukrainienne du Komintern. Le PC(b) d’Ukraine ne pouvait être qu’une organisation régionale du PC(b) panrusse, selon la thèse « un pays, un parti ». L’Ukraine n’est-elle pas un pays ?

Considéré comme responsable de la déviation, Skrypnyk fut éliminé de la direction du parti. Dans cette situation, Chakhraï, le plus intransigeant parmi les « poltaviens », passa à une dissidence ouverte. Dans deux livres au contenu incendiaire, écrits avec son camarade juif ukrainien Serhiy Mazlakh, ils lancent les fondements du communisme indépendantiste ukrainien. Pour eux, la révolution nationale ukrainienne est un fait d’une énorme importance pour la révolution mondiale. La tendance naturel le et légitime de cette révolution et de sa transcroissance en révolution sociale ne peut qu’aboutir à la formation d’une Ukraine

soviétique ouvrière et paysanne en tant que État indépendant. Le mot d’ordre de l’indépendance est donc crucial pour assurer

cette transcroissance, pour former l’alliance ouvrière-paysanne, pour permettre la prise de la direction par le prolétariat

révolutionnaire et pour établir une unité véritable et sincère avec le prolétariat russe. Ce n’est que de cette manière que

l’Ukraine pourra devenir une place forte de la révolution prolétarienne internationale. Dans le cas contraire, ce sera le désastre. Voilà le message du courant Chakhraï (12).

Et ce sera effectivement le désastre.

Les causes de l’échec du deuxième gouvernement bolchevique

 

En novembre 1918, sous l’effet de l’écroulement des puissances centrales dans la guerre impérialiste et du déclenchement de la

révolution en Allemagne, une insurrection nationale généralisée renverse le hetmanate, un État fantoche établi par

l’impérialisme allemand. Les dirigeants opportunistes de l’ancienne Rada centrale de la République populaire ukrainienne, qui se sont, il y a peu, compromis avec l’impérialisme allemand, prennent la tête de l’insurrection pour restaurer la république et son pouvoir, appelé cette fois le Directoire. Symon Petlioura, un ancien social-démocrate devenu un droitier vouant une haine

féroce au bolchevisme, y devient le dictateur militaire de fait. Mais cette montée sans précédent d’une révolution nationale de masses est aussi celle d’une révolution sociale. Comme face à la Rada centrale auparavant, les masses perdent rapidement leurs illusions envers le Directoire petliouriste pour se tourner de nouveau vers le programme social des bolcheviques.

L’extrême gauche du parti socialiste-révolutionnaire ukrainien, dite borotbiste , de plus en plus procommuniste, affirme son influence idéologique parmi les masses (13). Dans une situation très favorable pour opérer une jonction entre la révolution russe et la révolution ukrainienne, l’Armée rouge envahit à nouveau le pays, chasse le Directoire et établit dans le pays le second gouvernement bolchevique. Piatakov en prend la tête avant d’être rapidement révoqué par Moscou.

Tout en continuant à tourner le dos à la question nationale, mais toujours sensible à la réalité sociale ukrainienne – pour lui, la révolution ukrainienne n’était pas nationale mais simplement paysanne –, le gouvernement Piatakov voulait être un pouvoir d’État indépendant. Il était indispensable, à ses yeux, d’établir un tel pouvoir pour assurer la transcroissance d’une révolution paysanne en révolution prolétarienne et pour donner une direction prolétarienne à la guerre populaire révolutionnaire. Pour prendre la place de Piatakov, on désigne à Moscou Khristian Rakovski. Récemment venu des Balkans, où la question nationale est particulièrement complexe et exacerbée, après un séjour à Kiev, il se proclame spécialiste de la question ukrainienne et est reconnu comme tel à Moscou, y compris par Lénine. En réalité, tout en étant un militant très doué et entièrement dévoué à la cause de la révolution mondiale, c’est un ignorant complet et dangereux dans sa prétendue spécialité. Dans les Izvestia, organe du gouvernement soviétique, il annonce les thèses suivantes : les différences ethniques entre Ukrainiens et Russes sont insignifiantes, les paysans ukrainiens ne possèdent pas de conscience nationale, ils envoient même des pétitions aux bolcheviques pour demander d’être des sujets russes, ils refusent de lire les proclamations révolutionna ires en ukrainien tout en se jetant sur de telles proclamations en russe. La conscience nationale des masses est écrasée par leur conscience sociale de classe. Le mot « Ukrainien » est pour eux presque une offense. La classe ouvrière est purement russe par son origine. La bourgeoisie industrielle et la majorité des grands propriétaires fonciers sont russes, polonais ou juifs. En

conclusion, Rakovski ne reconnaît même d’entité nationale à l’Ukraine et le mouvement national ukrainien n’est pour, pour lui, que l’invention de l’intelligentsia petliouriste qui s’en sert pour se hisser au pouvoir (14).

Enterrement des victimes du règne Petljura, 1919. Dans les tribunes (de droite à gauche, Antonov Ovseenko, Rakovsky, Piatakov, Quiring, NA Skripnik, Bubnov

Rakovski comprend parfaitement que la révolution bolchevique en Ukraine est « le nœud stratégique » et « le facteur décisif » de l’extension de la révolution socialiste en Europe (15). Cependant, incapable d’inscrire sa vision dans la dynamique de la révolution nationale ukrainienne, de reconnaître dans cette dernière un sujet à part entière, incontournable et indispensable, Rakovski condamnera sa stratégie à butter sur l’obstacle de la question ukrainienne. Une erreur tragique mais tout à fait relative si on la compare avec celle commise un an et demi plus tard par Lénine, qui plongera la révolution européenne dans le bourbier de la question nationale polonaise en donnant l’ordre d’envahir la Pologne.

En opposition aux revendications de Piatakov, le gouvernement de Rakovski – celui, sur le papier, d’une « république indépendante » – se considère comme une simple délégation régionale du pouvoir de l’État ouvrier russe. Mais la réalité objective est implacable. Devant l’imposition par Rakovski d’un centralisme communiste grand-russe, la réalité nationale,

révélée déjà par des bolcheviques comme Chakhraï, mais aussi la réalité sociale, exprimée à leur manière par des bolcheviques comme Piatakov, frappe à la porte. Ce centralisme déclenche de puissantes forces centrifuges. Ce n’est pas une révolution

prolétarienne qui prend les commandes d’une révolution nationale. Ce n’est pas non plus une direction militaire prolétarienne qui s’impose à la tête d’une insurrection armée, nationale et sociale. La prise de la conscience de classe par les masses d’un peuple opprimé passe nécessairement par la prise de conscience nationale. En s’aliénant et même en réprimant les éléments porteurs de cette conscience, on se condamne à recruter aux appareils administratifs des petits-bourgeois russes, en général

réactionnaires, toujours disponibles pour servir tout pouvoir moscovite. En ce qui concerne l’armée, dans une situation pareille, on ne peut que recruter parmi les éléments dotés d’un niveau de conscience élémentaire, voire déclassée, et construire ainsi un conglomérat de forces armées les plus disparates où sont nommés commandants un Nestor Makhno – que la presse centrale présente en termes élogieux comme un chef révolutionnaire naturel de la paysannerie pauvre révoltée tout en semblant ignorer son credo communiste-libertaire contradictoire avec celui du bolchevisme (16) – ou un simple aventurier sans principe comme Matviy Hryhoryiv. Ce dernier est promu par Antonov-Ovseenko au rang d’un tout puissant commandant rouge d’une vaste région.

Une politique agraire gauchiste, celle de la « commune », transplantée en Ukraine de Russie (un seul pays, une seule politique agraire) ne fait qu’aliéner la paysannerie moyenne ainsi que la jeter dans les bras de la paysannerie riche et la rendre hostile au gouvernement Rakovski tout en isolant et divisant la paysannerie pauvre. Le système du pouvoir est celui d’une dictature militaire exercée par le parti bolchevique, par les comités révolutionnaires et les comités de paysans pauvres nommés par en haut par ce parti. L’existence des soviets n’est autorisée que dans quelques grandes villes, mais même là leur rôle n’est que strictement consultatif. En même temps, la revendication populaire la plus massive est celle de tout le pouvoir aux soviets démocratiquement élus et cette revendication d’origine bolchevique se heurte justement à la politique bolchevique. Sur le

terrain national, c’est la russification linguistique, la « dictature de la culture russe » proclamée par Rakovski, la répression des militants de la renaissance nationale. Dans une telle situation, c’est le philistin chauvin grand-russe qui s’empare du drapeau rouge pour réprimer tout ce qui lui rappelle le nationalisme ukrainien et pour défendre en son nom une Russie historique « une et indivisible ». Après coup, Skrypnyk établira une liste d’environ 200 ordonnances « interdisant l’utilisation de la langue ukrainienne » rendues sous le gouvernement Rakovski par « divers pseudo spécialistes, bureaucrates soviétiques, pseudo communistes » (17). Dans une lettre à Lénine, les communistes-borotbistes caractériseront la politique de ce gouvernement comme celle « d’expansion d’un impérialisme rouge (nationalisme russe) » donnant l’impression que « le pouvoir soviétique en Ukraine était tombé dans les mains des Cent-Noirs expérimentés en train de préparer une contre-révolution » (18).

Lors d’une aventure militaire, l’armée rebelle de Hryhoryiv prend la ville d’Odessa et proclame avoir jeté à la mer le corps expéditionnaire de l’Entente qui venait de l’évacuer. Un exploit fictif que la propagande bolchevique va légitimer. Mais, à ce moment, les larges masses sont déjà hostiles au pouvoir soviétique. Voyant le vent tourner, le « vainqueur de l’Entente » Hryhoryiv se révolte contre le pouvoir « de la Commune, de la Tchéka et des commissaires » envoyés de Moscou et de « cette terre où on a crucifié Jésus Christ ». Il donne le signal d’une vague insurrectionnelle pour chasser le gouvernement Rakovski. Conscient de l’état d’esprit des masses, il les exhorte à établir partout et par en bas le pouvoir des soviets, de réunir les délégués en congrès national afin d’élire un nouveau gouvernement (quelques mois plus tard, accusé d’être responsable de pogroms antisémites, Hryhoryiv sera abattu par Makhno en présence de leurs armées réunies). Même l’extrême gauche social- démocrate, procommuniste, prend les armes contre le « gouvernement russe d’occupation ». Des pans entiers de l’Armée

rouge désertent pour se joindre à l’insurrection. Les troupes d’élite des « Cosaques rouges » se décomposent politiquement, tentées par le banditisme, les pillages et les pogroms (19).

Ces soulèvements ouvrent la voie à l’armée blanche de Dénikine tout en isolant la révolution hongroise. De Budapest, Béla Kun, désespéré, réclame un changement radical de la politique bolchevique en Ukraine. Du front ukrainien de l’Armée rouge, son commandant, Antonov-Ovseenko, fait de même. Parmi les bolcheviques ukrainiens, le courant « fédéraliste », proche de fait des thèses de Chakhraï et du borotbisme, passe à une activité fractionnelle. Les borotbistes, toujours alliés aux bolcheviques mais méfiants et jaloux de leur autonomie se constituent en parti communiste ukrainien (borotbiste) pour réclamer leur reconnaissance en tant que section nationale du Komintern. Largement influent parmi la paysannerie pauvre et le prolétariat de nationalité ukrainienne dans les campagnes et les villes, ce parti aspire à l’indépendance de l’Ukraine soviétique. Il envisage même la possibilité d’engager, à ce sujet, un affrontement armé avec le parti frère bolchevique, mais pas avant la victoire de la révolution sur Dénikine et sur l’ensemble des fronts de la guerre civile et de l’intervention impérialiste.

La révolution hongroise, comme la révolution bavaroise, dépourvues du soutien militaire bolchevique, sont écrasées. La

révolution russe est, quant à elle, en danger mortel du fait de l’offensive de Dénikine.

La « Russie une et indivisible » ou l’indépendance de l’Ukraine ?

 

C’est dans ces conditions que lors d’un nouveau tournant dramatique et décisif dans le déroulement de la guerre civile – le passage de l’Armée rouge à la contre-offensive générale pour battre Dénikine –, Trotsky prend une initiative politique de première importance. Le 30 novembre 1919, dans son ordre aux troupes rouges qui entrent en Ukraine, il proclame

« L’Ukraine est la terre des ouvriers et des paysans travailleurs ukrainiens. Ce sont seulement eux qui ont le droit de gouverner et de diriger en Ukraine et y édifier une vie nouvelle (…). Soyez bien conscients que votre tâche n’est pas de soumettre l’Ukraine mais de la libérer. Une fois les bandes de Dénikine battues jusqu’à la dernière, le peuple travailleur de l’Ukraine libérée décidera lui-même de ses rapports avec la Russie soviétique. Nous sommes convaincus que le peuple travailleur ukrainien se prononcera pour l’union fraternelle la plus étroite avec nous (…). Vive l’Ukraine soviétique libre et

indépendante ! » (20) Après deux ans de guerre civile en Ukraine, c’est la première initiative du pouvoir bolchevique destinée à appeler, dans les rangs de la révolution prolétarienne, les forces sociales et politiques, ouvrières et paysannes, de la révolution nationale ukrainienne. L’objectif de Trotsky est aussi de contrecarrer radicalement la dynamique, de plus en plus centrifuge, du communisme ukrainien, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti bolchevique.

La recherche par Trotsky d’une solution politique centrale à la question nationale ukrainienne est soutenue par Rakovski (qui s’est rendu compte de ses erreurs) et très étroitement concertée avec Lénine, lui aussi conscient du désastre provoqué par une politique qu’il a lui même souvent avalisée, voire impulsée. Lénine demande au comité central du PC(b) russe le vote d’une résolution qui « fait un devoir à tous les membres du parti de contribuer par tous les moyens à lever tous les obstacles qui

s’opposent au libre développement de la langue et de la culture ukrainiennes (…) opprimées durant des siècles par le tsarisme russe et les classes exploiteuses ». Des mesures seront prises, annonce la résolution, pour qu’à l’avenir tous les employés des institutions soviétiques en Ukraine sachent s’exprimer dans la langue nationale (21). Mais Lénine va beaucoup plus loin. Dans une lettre manifeste aux ouvriers et paysans d’Ukraine, il reconnaît pour la première fois quelques faits essentiels. « Nous, les communistes grand-russes, (…) avons des divergences avec les communistes bolcheviques ukrainiens et les borotbistes » qui portent sur l’indépendance de l’Ukraine, les formes de son alliance avec la Russie et, d’une façon plus générale, sur la question nationale (…). Il est inadmissible que la division se fasse pour de telles questions. Elles seront réglées au congrès des soviets d’Ukraine. » Dans la même lettre ouverte, Lénine déclare aussi, pour la première fois, qu’on peut être militant du parti

bolchevique et partisan de l’indépendance complète de l’Ukraine. C’est une réponse à une des questions clés posées un an plus tôt par Chakhraï, exclu entretemps du parti avant son assassinat par les troupes blanches. Par ailleurs, Lénine affirme : « Les borotbistes se distinguent entre autres des bolcheviques en ce qu’ils sont pour l’indépendance absolue de l’Ukraine. Les bolcheviques ne voient là (…) aucun obstacle à une collaboration prolétarienne bien comprise » (22).

L’effet est spectaculaire et d’une portée stratégique. Les forces insurrectionnelles des masses ukrainiennes contribuent à

l’écrasement de Dénikine. En mars 1920, le congrès du PC borotbiste décide la dissolution du parti et l’adhésion de ses militants au parti bolchevique. La position de la direction borotbiste est la suivante : unissons-nous organiquement avec les bolcheviques pour contribuer à l’extension internationale de la révolution prolétarienne ; c’est dans le cadre de la révolution mondiale que les

conditions pour l’indépendance de l’Ukraine soviétique seront beaucoup plus favorables que dans celui d’une révolution panrusse. Avec un grand soulagement, Lénine déclare : « Grâce à la juste politique du comité central, admirablement appliquées par le camarade Rakovski, nous avons vu, au lieu d’un soulèvement des borotbistes devenu à peu près inévitable, les meilleurs éléments borotbistes adhérer à notre parti, sous notre contrôle. (…) Cette victoire vaut une paire de bonnes batailles » (23). Un historien communiste commentera en 1923 : « C’est dans une grande mesure sous l’influence borotbiste que le bolchevisme dans ce pays a expérimenté l’évolution d’un “parti communiste russe en Ukraine” vers un “parti communiste d’Ukraine” » (24). Mais il reste une organisation régionale du PC(b) russe, sans droit d’être une section du Komintern.

L’adhésion du borotbisme au bolchevisme se produit juste avant une nouvelle échéance politique : l’invasion de l’Ukraine par l’armée bourgeoise polonaise accompagnée par les troupes ukrainiennes sous le commandement de Petlioura et, en

conséquence, l’éclatement de la guerre soviéto-polonaise. Cette fois, le chauvinisme grand-russe des masses se déchaîne avec une ampleur et une agressivité échappant à tout contrôle bolchevique. « Pour les éléments conservateurs de la Russie, c’était une guerre contre l’ennemi héréditaire, dont on ne pouvait supporter qu’il réapparût sous la forme de nation indépendante, une guerre authentiquement russe, même si elle était menée par des internationalistes bolcheviques. Pour les orthodoxes du rite

grec, c’était une lutte contre un peuple dont la fidélité au catholicisme romain était incorrigible, une croisade chrétienne, même si elle était menée par des communistes athées. » (25) Ce qui animait les larges masses, c’était la défense de la Russie « une et indivisible », très ouvertement soufflée par la propagande. Les Izvestia publiaient un poème stupéfiant par son caractère ultra-réactionnaire à la gloire de « l’État moscovite ». Voici son contenu : « Comme jadis le Tsar Ivan Kalita rassemblait les pays russes l’un après l’autre (…) tous les patois et tous les pays, toute la terre multinationale, se réuniront dans une foi nouvelle » afin de « rendre leur puissance et leur richesse au palace du Kremlin » (26).

L’Ukraine fut la première victime de cette explosion chauvine. Volodymyr Vynnytchenko, un social-démocrate ukrainien de gauche, ancien leader de la Rada centrale, qui a rompu avec le Directoire petlouriste et négocié à Budapest avec Béla Kun un changement de la politique bolchevique en Ukraine, se trouvait à Moscou à l’invitation du gouvernement soviétique alors que, à l’appel de l’ancien commandant en chef de l’armée tsariste de « Défendre la Mère Patrie Russe », beaucoup d’officiers blancs se ralliaient à l’armée rouge. Gueorgui Tchitchérine, alors commissaire aux affaires étrangères, a expliqué à Vynnytchenko que son gouvernement ne pouvait aller à Canossa à l’égard de la question ukrainienne. Vynnytchenko a noté dans son journal

« L’orientation vers le patriotisme d’une Russie une et indivisible exclut toute concession aux Ukrainiens (…). Dans une situation où on va à Canossa devant les Gardes blancs (…) il ne peut y avoir, évidement, d’orientation vers la fédération, l’autodétermination et d’autres choix semblables désagréables pour la Russie une et indivisible ». Par ailleurs, suivant le vent nationaliste grand-russe qui soufflait dans les couloirs du pouvoir soviétique à Moscou, Tchitchérine suggérait à nouveau la possibilité d’annexion directe à la Russie de la région ukrainienne de Donbass (27). Dans les campagnes ukrainiennes, des

fonctionnaires soviétiques demandaient aux paysans : « Quelle langue, russe ou petliouriste, voulez-vous qu’on enseigne dans

les écoles ? Quels internationalistes êtes-vous, si vous ne parlez pas russe ! ».

Face à cette régression chauvine grand-russe, les communistes borotbistes, devenus bolcheviques, poursuivaient leur combat. Un de leurs dirigeants centraux, Vassyl Ellan-Blakytny écrivit alors : « En se fondant sur les liens ethniques de la majorité du prolétariat urbain d’Ukraine avec le prolétariat, le semi-prolétariat et la petite-bourgeoisie de Russie et en tirant argument de la faiblesse du prolétariat industriel en Ukraine, une tendance que nous appelons colonisatrice revendique la construction du

système économique dans le cadre intégré de la République russe, celui de l’ancien empire restauré auquel appartient l’Ukraine. Cette tendance poursuit la subordination totale du PC(b) d’Ukraine au parti russe et vise plus généralement à la dilution de toutes les jeunes forces prolétariennes des nations sans histoire dans la section nationale russe du Komintern. (…) En Ukraine, la force dirigeante naturelle de cette tendance est un secteur du prolétariat urbain et industriel qui n’a pas assimilé la réalité ukrainienne. Mais, au-delà et avant tout, ce qui constitue sa force, c’est la masse de la petite bourgeoisie urbaine russifiée qui a toujours été le soutien principal de la domination de la bourgeoisie russe en Ukraine. » Et les bolcheviques d’origine borotbiste concluaient : « La politique colonisatrice de grande puissance qui domine aujourd’hui en Ukraine est profondément préjudiciable à la révolution communiste. En ignorant les aspirations nationales, naturelles et légitimes, des masses laborieuses ukrainiennes hier opprimées, elle est entièrement réactionnaire et contre-révolutionnaire en tant qu’expression d’un vieux, mais toujours vivant, chauvinisme impérialiste grand-russe » (28).

Entre-temps, l’extrême gauche social-démocrate formait un nouveau parti communiste ukrainien, appelé oukapiste, pour continuer à revendiquer l’indépendance nationale et pour accueillir en son sein les éléments du borotbisme qui refusaient l’adhésion au bolchevisme. Issu de la tradition théorique de la social-démocratie allemande, ce nouveau parti était sur ce terrain beaucoup plus fort que le borotbisme, d’origine populiste, où on maîtrisait mieux l’art de la poésie que la science de l’économie politique. Mais il était moins lié aux masses (29). Masses qui, par ailleurs, furent de plus en plus épuisées par cette révolution, permanente dans le double sens, quotidien et théorique, mais où le sens théorique, celui de Trotsky, ne correspondait pas dans la réalité au concept de transcroissance mais plutôt à celui de déchirure permanente entre une révolution nationale et une révolution sociale. Une de ses conséquences les plus néfastes fut l’incapacité de réaliser l’unité de l’Ukraine (la revendication de sobornist’).

L’erreur fatale de Lénine d’envahir la Pologne a exacerbé dans le sens antibolchevique la question nationale polonaise et bloqué l’extension de la révolution. Cela a conduit à une défaite de l’Armée rouge et à la cession à l’État bourgeois polonais de plus d’un cinquième du territoire national ukrainien en plus des parties accaparées par la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Tout historien honnête et a fortiori tout militant marxiste-révolutionnaire doit reconnaître que la promesse faite par la direction bolchevique lors de l’offensive contre Dénikine, de convoquer un congrès constituant des soviets d’Ukraine censé se prononcer sur les trois options possibles avancées par Lénine dans sa lettre de décembre 1919 – l’indépendance complète, un lien

fédératif plus ou moins étroit et la fusion complète de l’Ukraine avec la Russie – n’a jamais été réalisée. Trotsky raconte que,

lors de la guerre civile, des dirigeants bolcheviques envisageaient de mettre en avant un projet audacieux de démocratie

ouvrière pour résoudre la question anarchiste dans la région sous contrôle de l’armée insurrectionnelle makhnoviste. Lui- même « discuta plus d’une fois avec Lénine de la possibilité de concéder aux anarchistes certains territoires dans lesquels, avec le consentement de la population locale, ils pourraient réaliser leur expérience de suppression immédiate de l’État. » (30)

Aucune discussion similaire au sujet d’une question cent fois plus importante comme celle de l’indépendance de l’Ukraine soviétique n’est rapportée.

C’est après des combats acharnés menés à la fin de sa vie par Lénine ainsi que par des bolcheviques comme Skrypnyk et

Rakovski, par d’anciens borotbistes comme Blakytny et Oleksandr Choumsky et par beaucoup de dirigeants communistes des

diverses nationalités opprimées par l’ancien empire russe, que le 12e congrès du parti bolchevique, en 1923, reconnaîtra formellement l’existence, dans ce parti et dans le pouvoir soviétique, d’une « tendance vers le chauvinisme impérialiste russe » extrêmement dangereuse. Cette victoire, même si elle sera très partielle et fragile, ouvrira devant les masses

ukrainiennes la possibilité d’accomplir certaines tâches de la révolution nationale et de connaître, pendant les années 1920, une renaissance nationale sans précédent.

Holodomor, famine organisée par la bureaucratie stalinienne. Rue de Kharkiv, 1933 © Wienerberger

Mais cette victoire n’empêchera pas à terme une dégénérescence de la révolution russe et une contre-révolution bureaucratique et chauvine qui, pendant les années 1930, s’accompagnera en Ukraine d’un véritable holocauste national : la mort de millions de paysans à la suite d’une famine provoquée par la politique stalinienne de pillage du pays, l’extermination physique de la quasi-totalité de l’intelligentsia nationale et la destruction par la terreur policière des appareils du parti bolchevique et de l’ État de la République soviétique d’Ukraine. Le suicide, en 1933, de Mykola Skrypnyk, un vieux bolchevique qui tentait de concilier la poursuite de la révolution nationale avec l’allégeance au stalinisme, sonnera le glas de cette révolution pour toute une période historique.

Des erreurs tragiques à ne pas répéter

 

La pression de la révolution russe sur la révolution nationale ukrainienne avait deux effets totalement opposés. D’une part, c’est cette pression qui a pour l’essentiel conduit au renversement du pouvoir de la bourgeoisie en Ukraine. De l’autre, elle freinait le processus de différenciation de classe des forces sociales et politiques de la révolution nationale. Et cela, à cause de son incapacité à comprendre et à résoudre la question nationale. L’expérience de la révolution de 1917-1920 a posée de manière dramatique la question des relations entre une révolution sociale du prolétariat de la nation dominante et une révolution nationale des masses travailleuses de la nation opprimée. Skrypnyk écrivait en juillet 1920 : « Notre tragédie en Ukraine consiste justement dans le fait que pour gagner la paysannerie et le prolétariat rural, une population de nationalité ukrainienne, nous devrions faire appel au soutien et aux forces d’une classe ouvrière russe ou russifiée réagissant avec répugnance même à la plus petite expression de la langue et de la culture ukrainienne. » (31) Dans la même période, le parti communiste ukrainien (oukapiste) tentait d’expliquer à la direction du Komintern : « Le fait que des dirigeants de la révolution prolétarienne en

Ukraine s’appuient sur les couches supérieures, russes et russifiées, du prolétariat du pays et ignorent la dynamique de la révolution ukrainienne, ne leur permet pas de se défaire du préjugé de la Russie une et indivisible qui inonde toute la Russie soviétique. Une telle attitude conduit à la crise de la révolution ukrainienne, coupe le pouvoir soviétique des masses, aggrave la

lutte nationale, pousse une masse considérable de travailleurs dans les bras de la petite bourgeoisie nationaliste ukrainienne et freine la différenciation entre le prolétariat et la petite bourgeoisie. » (32)

Était-il possible d’empêcher cette tragédie ?

  • Oui, si les bolcheviques avaient disposé d’une stratégie appropriée dès avant l’éclatement de la révolution. Premièrement, si, au lieu d’être, en Ukraine, un parti russe, ils avaient résolu la question de la construction d’un parti révolutionnaire du prolétariat de la nation opprimée. ● Deuxièmement, s’ils avaient intégré à leur programme la lutte pour la libération nationale du peuple
  • Troisièmement, s’ils avaient reconnu la nécessité politique et la légitimité historique de la révolution nationale ukrainienne et

du mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine.

  • Quatrièmement, s’ils avaient éduqué le prolétariat russe (en Russie et en Ukraine) et les rangs de leur propre parti dans l’esprit du soutien total à ce mot d’ordre et s’ils avaient combattu de cette manière le chauvinisme des nations dominantes, l’idéal réactionnaire d’un rassemblement des pays

Rien ne se serait opposé à ce qu’en même temps les bolcheviques mènent parmi les travailleurs ukrainiens la propagande en faveur de l’unité la plus étroite avec le prolétariat russe et, pendant la révolution, en faveur d’une union étroite de l’Ukraine et de la Russie soviétique. Au contraire, ce n’est qu’alors que cette propagande serait politiquement cohérente et efficace.

Lénine avait un jour tenté d’élaborer une telle stratégie. En témoigne son « discours séparatiste » sur la question ukrainienne, prononcé à Zurich en octobre 1914. Il disait alors : « Ce que fut l’Irlande pour l’Angleterre, l’Ukraine l’est devenu pour la Russie

: exploitée à l’extrême, sans rien recevoir en retour. Ainsi, autant les intérêts du prolétariat international en général que ceux du prolétariat russe en particulier, exigent que l’Ukraine reconquière son indépendance étatique qui seule lui permettra d’atteindre le développement culturel indispensable au prolétariat. Malheureusement, certains de nos camarades sont devenus des patriotes impériaux russes. Nous autres, moscovites, sommes esclaves non seulement parce nous nous laissons opprimer, mais nous aidons aussi par notre passivité à ce que d’autres soient opprimés, ce qui n’est nullement dans notre intérêt » (33).

Plus tard, cependant, Lénine n’a pas maintenu ses thèses radicales de Zurich. Nous les retrouvons en revanche dans la pensée politique du communisme indépendantiste ukrainien, celle de Chakhraï, des bolcheviques fédéralistes, des borotbistes et des oukapistes.

Pourtant, il ne faut pas s’étonner que les bolcheviques n’aient eu aucune stratégie des révolutions nationales des peuples

opprimés de l’empire russe. Les questions stratégiques de la révolution étaient plus généralement le talon d’Achille de Lénine lui-même, comme en témoigne sa théorie de la révolution par étapes. En ce qui concerne la théorie de la révolution

permanente de Trotsky (que Lénine avait adoptée implicitement après la révolution de février), elle n’était alors élaborée que pour le prolétariat de Russie, pays capitaliste sous-développé, et non pour le prolétariat des nations opprimées par la Russie, État impérialiste et prison des peuples. Les fondements théoriques de la stratégie de la révolution permanente du prolétariat d’une nation opprimée sont apparus durant les années de la révolution parmi les courants indépendantistes du communisme ukrainien. Les oukapistes ont été probablement le seul parti communiste (même s’il n’avait jamais été reconnu par le Komintern en tant que section) qui revendiquait ouvertement la théorie de la révolution permanente. L’idée théorique de base, ébauchée déjà par Chakhraï et Mazlakh et assumée par les borotbistes, mais développée avant tout par les oukapistes, était simple. Au stade impérialiste, le capitalisme est, bien sûr, marqué par le processus d’internationalisation des forces productives, mais il ne s’agit là que d’une face de la médaille. Déchiré par ces contradictions, le capitalisme de l’époque impérialiste ne génère pas une tendance sans générer simultanément une contre-tendance. La tendance opposée, c’est celle de la nationalisation des forces productives qui se manifeste, en particulier, par la constitution de nouveaux organismes économiques, ceux des pays coloniaux et dépendants, et engendre des mouvements de libération nationale.

La révolution mondiale prolétarienne n’est que l’effet d’une des tendances contradictoires du capitalisme moderne

(l’impérialisme), même si c’est l’effet dominant. L’autre, inséparable du premier, ce sont les révolutions nationales des peuples opprimés. C’est pour cette raison que la révolution internationale est inséparable d’une vague de révolutions nationales et qu’elle ne peut s’étendre sans s’appuyer sur ces révolutions. La tâche des révolutions nationales des peuples opprimés consis te à libérer le développement des forces productives entravé et déformé par l’impérialisme. Libération impossible sans instauration des États nationaux indépendants gouvernés par le prolétariat. Les États ouvriers nationaux des peuples opprimés sont un relais indispensable pour la classe ouvrière internationale afin qu’elle puisse procéder à la solution des contradictions du capitalisme et à la gestion ouvrière d’une économie mondiale. Si le prolétariat cherchait à édifier son pouvoir sur la base d’une seule des deux tendances contradictoires dans le développement des forces productives, il entrerait inévitablement dans une contradiction avec lui même.

Dans leur mémorandum envoyé au IIe   congrès de l’Internationale communiste (été 1920), les communistes oukapistes

résumaient leur démarche dans les termes suivants : « Le prolétariat international a pour tâche d’attirer à la révolution

communiste et à la construction d’une nouvelle société non seulement les pays capitalistes avancés mais aussi les peuples retardés des pays coloniaux en profitant des révolutions nationales de ces derniers. Pour accomplir cette tâche, il faut qu’il y participe et joue le rôle dirigeant dans la perspective de la révolution permanente. Il faut qu’il empêche la bourgeoisie d’arrêter les révolutions nationales au niveau de la réalisation du mot d’ordre de libération nationale ; qu’il poursuive la lutte jusqu’à la prise du pouvoir et à l’instauration de la dictature du prolétariat ; et qu’il conduise jusqu’au bout la révolution démocratique bourgeoise en constituant des États nationaux destinés à rejoindre le réseau international de l’union émergente des Républiques soviétiques. » Ceux-ci doivent s’appuyer « sur les forces du prolétariat national et sur les masses laborieuses du pays ainsi que sur l’aide mutuelle de tous les détachements de la révolution mondiale » (34).

À la lumière de l’expérience de la première révolution prolétarienne, c’est justement cette stratégie de révolution permanente

qu’il faut adopter aujourd’hui pour assurer la solution de la question des nationalités opprimées. ■

Notes

  1. L. Trotsky, Œuvres, vol. 21, ILT, Paris 1986, pp. 331-332. (Ce texte peut aussi être lu sur le web : https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1939/07/lt19390730.htm)
  1. Ibid. pp. 337-338.
  1. Ibid. p. 337.
  1. Ibid. p. 334.
  1. Voir, à ce sujet, un des plus importants ouvrages sur la question nationale, celui du marxiste ukrainien Rosdolsky,

« Friederich Engels und das Problem der geschischtslosen Völker », Archiv für sozial Geschischte, vol. 4, 1964, ou Engels and

the “Nonhistoric” Peoples: The National Question in the Revolution of 1848, Glasgow: Critique Books, 1987.

  1. Voir l’étude de M. Volobuiev, apparue en 1928 et objet de violentes attaques des staliniens : « Do problemy oukraiins’koii

ekonomiky », in Dokoumenty oukraiins’koho komounizmou, Prolog, New York 1962.

  1. Voir J.M. Bojcun, The Working Class and the National Question in Ukraine 1880-1920, Graduate Program in Political Science, York University, Toronto 1985 ; B. Krawchenko, Social Change and National Consciousness in Twentieth Century Ukraine, MacMillan, London 1985, pages 1 à
  1. Au sujet des débats marxistes de l’époque sur la question nationale voir Weil, L’Internationale et l’autre, l’Arcantère, Paris

1987.

  1. L’étude classique mais biaisée par l’anticommunisme sur l’implantation du pouvoir bolchevique en Ukraine est celle de J. Borys, The Sovietization of Ukraine 1917-1923, CIUS, Edmonton 1980. Voir aussi T. Hunczak, The Ukraine 1917-1921 : A Study in Revolution, Harvard University Press, Cambridge 1977. Les études classiques sur l’histoire du PC(b) d’Ukraine sont celles de M. Ravitch-Tcherkassky, Istoriia kommounistitcheskoï partii (b-ov) Oukraiiny, Gosoudarstvennoe Izdatelsovo Oukrainy, Kharkiv 1923, et celle de M. Popov, Narys istorii Komounistytchnoii partiii (bilchovykiv) Oukraiiny, Proletarii, Kharkiv
  1. Holoubnytchy, « Mykola Skrypnyk i sprava sobornosty Oukraiiny », Vpered n°5-6 (25-26), 1952.
  1. M. Popov, op. cit., pp. 139-140 et 143-144. En ce qui concerne les rapports entre bolcheviques ukrainiens et le gouvernement soviétique russe, le degré de tensions peut être illustré par une échange de télégrammes qui avait lieu au début d’avril 1918. Le commissaire du peuple aux nationalités Staline au gouvernement Skrypnyk : « Vous avez assez joué au

gouvernement et à la république. Il est temps d’abandonner ce jeu ; en voilà assez. » Skrypnyk à Moscou : notre gouvernement « fait dépendre ses actions non de l’attitude de tel ou tel commissaire de la Fédération russe, mais de la volonté des masses laborieuses d’Ukraine (…) Des déclarations comme celle du commissaire Staline voudraient détruire le régime des soviets en Ukraine (…) Elles sont une collusion directe avec les ennemis des classes laborieuses ukrainiennes. » (R. Medvedev, Le Stalinisme : origine, histoire, conséquences, Seuil, Paris 1972, pp. 63-64.

  1. Skorovstansky (V. Chakhraï), Revolioutsiia na Oukraiine, Bor’ba, Saratov 1919 ; S. Mazlakh, V. Chakhraï, Do chvyli, Prolog, New York 1967. Pour la traduction en anglais du second livre voir S. Mazlakh, V. Chakhraï, On the Current Situation in the Ukraine, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1970.
  1. Voir I. Majstrenko, Borotbism : A Chapter in the History of Ukrainian Communism, Research Program on the USSR, New York
  1. Rakovski, « Beznadezhnoe delo : O petliouroskoï avantioure », Izvestiia n°2 (554), 1919, voir également F. Conte, Christian Rakovski (1873-1941) : Essai de bibliographie politique, vol. 1, Université Lille III, Lille 1975, pp. 287-292
  1. « Rakovski o programme Vremennogo Oukrainskogo Pravitelstva », Izvestiia n°18 (570), 1919.
  1. Voir Sergeev, « Makhno », Izvestiia n°76 (627), 1919.
  1. Skrypnyk, « Statti i promovy z natsionalnoho pytannia », Soutchasnist’, München 1974, p.17.
  1. Silycky, « Lenin i borot’bisty », Novyi Journal n°118, 1975, pp. 230-231. Il faut regretter que la désastreuse politique nationale du gouvernement Rakovski, en 1919, soit passée sous silence par P. Broué, « Rako », Cahiers Léon Trotsky n°17 et 18, 1984, et à peine abordée par G. Fagan dans son introduction à Ch. Rakovski, Selected Writings on Opposition in the USSR 1923-1930, Allison and Busby, London-New York, 1980.
  1. Voir A.E. Adams, Bolsheviks in the Ukraine : The Second Campaign, 1918-1919, Yale University Press, New Haven-London, 1963, ainsi que M. Bojcun, op. cit. p. 438-472.
  1. Trotsky, How the Revolution Armed, vol. 2, London: New Park Publications, 1979, p. 439.
  1. Lénine, Œuvres, vol. 30, Editions Sociales-Editions du Progrès, Paris-Moscou 1976, pp. 162-165.
  1. Ibid. pp. 301-307.
  1. Ibid. p. 483.
  1. Ravitch-Tcherkassky, op. cit., p. 14.
  1. Deutscher, Trotsky : Le prophète armé, vol. 2, UGE, Paris 1979, p. 336.
  1. Kozyrev, « Bylina o derzhavnoï Moskve », Izvestiia n°185 (1032), 1920.
  1. Vynnitchenko, Chtchodennyk 1911-1920, vol. 1, CIUS, Edmonton-New York 1980, pp. 431-432.
  1. Cité par M. Popov, op. cit., pp. 243-245.
  1. Sur l’histoire de l’oukapisme et, en général, du communisme indépendantiste ukrainien, la meilleure étude est celle de J. E. Mace, Communism and the Dilemmas of National Liberation : National Communism in Soviet Ukraine, 1918-1933, Harvard University Press, Cambridge,
  1. Trotsky, Œuvres, vol. 17, ILT, Paris 1983, p. 352. Dans le cadre de la glasnost gobatchévienne, on affirme que ce n’était pas seulement un sujet de discussion mais aussi une promesse formelle – et frauduleuse d’avance – faite à Makhno par la

direction bolchevique. Voir l’article de « réhabilitation » du mouvement makhnoviste de V. Golovanov paru le 8 février 1989 dans Literatournaïa Gazeta.

  1. Skypnyk, op. cit., p. 11.
  1. Le mémorandum du PC ukrainien, in Oukraiins’ka souspilno-politychna doumka v 20 stolitti : Dokumenty i materialy, 1,

Soutchasnist’, New York 1938, p. 456.

  1. Ce discours ne se trouve pas dans les Œuvres complètes de Lénine. Il a été rapporté par la presse de l’époque. Voir

Serbyn, « Lénine et la question ukrainienne en 1914 : le discours séparatiste » de Zurich », Pluriel-Débat n° 25, 1981.

  1. Le mémorandum du PC ukrainien, cit., pp. 449-450.