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Ukraine - lundi soir
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Près de 15 jours après les premières offensives russes en Ukraine, la guerre sature nos espaces publics. Plane dans tous les esprits la menace d’une troisième guerre mondiale d’autant plus terrible qu’elle serait nucléaire. L’anxiété collective conduit à des mouvements de soutien paniqué et souvent non-assuré quant à savoir quoi penser sur ce qui est en train de nous arriver et ce que nous sommes en train de devenir.
Le traitement médiatique et politique ne surprend guère. S’affronte l’axe du bien de l’impérialisme démocrate occidental contre l’axe du mal incarné par l’empire russe fascisant mené par un Président dont on pense qu’il serait devenu toujours plus délirant. Dans ce face à face diplomatique qui dure depuis des années, le Président Vladimir Poutine envahit l’Ukraine. Il engage une guerre d’une intensité inégalée en Europe depuis de nombreuses années. Ses forces éminemment puissantes d’un point de vue militaire se heurtent à une résistance tout aussi insoupçonnée qu’obstinée du peuple ukrainien. Les images sont scandaleuses mais fascinantes : Nombre de civils ukrainiens se dressent « malgré tout » : en opposant leurs corps à des chars, en manifestant, en balançant quelques cocktails Molotov sur les blindés, en prenant les armes. Ce retour de la guerre en Europe après la Bosnie, le Kosovo sidère. Mais l’accablement ne suffit jamais.
Ce lundisoir tente d’interroger cette guerre en examinant les forces sociales en présence de part et d’autre. Les commentaires qui prévalent jusqu’à-là ne manquent pas de disserter sur les enjeux géopolitiques, les relations internationales et s’hasardent à quelques flous pronostics sur les issues possibles d’un tel conflit. Mais la guerre n’est pas qu’un jeu de nations. Elle engage des peuples, des personnes ordinaires, des mouvements civils qui s’y opposent ou qui s’y joignent. Elle est faite d’affects, d’espoirs politiques, de peurs et de désorientations tant l’effondrement de leur monde engagé depuis tant de temps prend aujourd’hui une forme sinistrement concrète. Elle est aussi affaire de positions : assumer en raison où l’on apporte son soutien. Enfin, elle appelle à réfléchir les racines profondes de ces tentations guerrières. Force est de reconnaître que la guerre économique à coup de politiques étrangères tantôt grossières tantôt obscures devient aujourd’hui une guerre physique dont il n’y a guère à attendre d’apaisement durable. Dans ses jours les plus dramatiques, la nuit est la plus profonde avant l’aube.
Plutôt que d’affirmer un jugement clair sur ce qui est en train de nous arriver, il nous faut encore clarifier et tenter de saisir la teneur des rapports de force, les aspirations sociales qui se manifestent dans les camps ukrainiens et russes. Pour nous aider à clarifier la situation, nous avons demandé à trois spécialistes de la région de débattre sur leur compréhension de la guerre en Ukraine.
Avec :
Anne Le Huérou
Anne Le Huérou est maîtresse de conférences à l’Université Paris-Ouest-Nanterre, spécialiste de la Russie contemporaine. Elle a consacré de nombreuses publications sur les répercussions de la guerre en Tchétchénie sur la population russe. Elle est notamment co-auteure de l’ouvrage « Culture militaire et patriotisme dans la Russie d’aujourd’hui » paru aux éditions Karthala (2008). Plus récemment, elle s’est intéressée à la question de l’engagement dans la lutte armée et les difficultés liées à la sortie de la guerre.
Perrine Poupin
Elle est chargée de recherche au CNRS. Elle a consacré sa thèse de doctorat sur les mouvements protestataires à Moscou. Après la révolution ukrainienne, elle a entrepris des recherches à Maïdan puis dans l’Est du Pays. Elle a notamment séjourné au Donbass pour recueillir des récits sur les violences de la guerre. Elle a écrit un remarquable texte sur l’histoire d’Irina Dovgan, résistante puis arrêtée par les séparatistes. Ses recherches récentes portent sur des mobilisations environnementales et des formes d’action ZAD dans le Nord de la Russie.
Coline Maestracci
Coline Maestracci est chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles. Elle a réalisé un travail important sur les modalités de l’engagement dans la guerre. Elle tente de cerner les trajectoires qui conduisent un individu ordinaire à s’engager dans la lutte armée. Elle insiste en particulier sur le continuum des mobilisations et sur les relations entre engagement politique et engagement militaire. Elle a séjourné à de nombreuses reprises en Ukraine pour cerner les ressorts de l’engagement dans les guerres qui opposent les ukrainiens aux séparatistes russes.